35



L'ambiance est à la fête en ce dernier samedi soir de l'année. Tout le monde est présent au Shadow, y compris Lorenzo qui se tient aussi loin de moi que possible. La nouvelle concernant ma grossesse n'a pas encore dû se répandre car personne ne me fait le moindre commentaire à ce sujet.

Après être partie de chez lui, j'ai dîné avec mes amis puis nous avons décidé de sortir nous amuser. Je ne leur ai pas dit à qui j'avais rendu visite et ils ne m'ont pas posé la question. Tant mieux.

Les yeux rivés sur la carte du bar, je suis à la recherche d'une boisson non alcoolisée quand Justine vient s'installer sur un tabouret, au comptoir. Nous ne nous sommes jamais vraiment adressé la parole, mais à cet instant, même si je ne la regarde que du coin de l'œil, je perçois toute son hostilité.

— Il y a quelques jours, Lorenzo m'a dit qu'il voulait pendre ses distances avec moi, commence-t-elle après avoir laissé planer le silence.

Elle marque une pause pour appuyer sa déclaration et sans doute aussi pour étudier ma réaction. Je me contente seulement de tourner la tête vers elle et d'attendre la suite.

— J'ai donc creusé un peu, reprend Justine en continuant de me jauger. Ça faisait plus d'un an que nous nous voyons avant mon départ en Angleterre. Je suis là-bas depuis septembre, ça ne fait pas une éternité. Après venant de Lorenzo, je n'ai pas été surprise non plus. Bref, j'ai fini par apprendre que vous vous voyez, mais quand j'ai su que tu couchais avec lui en étant enceinte d'un autre mec, ça m'a vraiment choquée !

Je hoche la tête pour lui signifier que je l'ai bien entendue et que je ne compte pas lui répondre. L'air agacé par mon attitude, Justine fait les gros yeux avant de secouer la tête.

— Il n'y a rien qui te dérange ?

— À ton avis ? dis-je en la dévisageant.

Comprenant le sous-entendu, elle descend de son tabouret et me jette en partant :

— Cas soc'...

Ses mots ont su trouver leur cible et attiser ma culpabilité constante. Et mes petits démons, ravis, s'en donnent à cœur joie, bien trop heureux de pouvoir danser sur les braises pour rallumer la flamme.

*

— Mauvaise journée ? s'enquiert Léo en se postant près de moi.

— J'ai connu pire. Et toi ?

— Ça va.

Après avoir laissé un court silence s'installer, je finis par lui avouer :

— Tu avais raison. Je suis enceinte.

En avisant son air inquiet, je me hâte de préciser :

— De cinq mois.

— Ah...

— Tu as le droit de dire ouf !

Il rit, puis s'empare de ma main.

— Je crois que ça ne m'aurait pas dérangé, chuchote Léo.

Mon cœur se met à battre plus vite. Sa démonstration d'affection me met mal à l'aise étant donné que Lorenzo ne se trouve qu'à quelques mètres. Je ne veux surtout pas qu'il se fasse des idées.

— Léo...

— Je sais : tu aimes le père de ton bébé et je n'ai pas la moindre chance.

Il me fixe avec un doux sourire. Ce mec est vraiment adorable, il arrive toujours à me toucher.

— Tu devrais aller le retrouver, conclut-il.

Mes yeux s'humidifient à ces mots.

— Bonne soirée, Jade.

Il dépose un baiser sur ma joue avant de m'abandonner devant le comptoir du bar. Un peu perturbée, je commande un jus de fruit puis retourne m'asseoir vers les autres.

Perdue dans mes pensées, je ne vois pas le temps passer. Les paroles de Léo ne quittent pas mon esprit.

Sortant de l'établissement, je m'éloigne un peu, puis extirpe mon téléphone de mon sac. Ton numéro est le premier de mon répertoire. Quand je lance l'appel, je sens mon pouls s'accélérer.

La tonalité du téléphone retentit dans mes oreilles, chaque sonnerie me rapproche de ton répondeur. Jusqu'à ce qu'il s'enclenche.

« Alexis »déclare ta voix.

Puis l'opératrice poursuit : « n'est pas disponible pour le moment. Laissez-lui un message après le bip. »

— Alex, c'est moi...

Je m'adosse contre une voiture, le souffle un peu court. Mon cœur tambourine contre mes côtes et ma gorge est tellement comprimée... J'ai tant de choses à te dire. Combien ton absence me pèse. Combien je me sens seule depuis des mois. Combien je suis effrayée à l'idée de porter notre enfant et de devoir l'élever seule.

Je voudrais te demander comment tu vas, comment c'est là-bas, ce que tu fais.

— Tu me manques.

À peine ai-je raccroché que Lorenzo apparaît devant moi.

— Tu le revois ? s'enquiert-il sans préambule.

— Je t'ai dit que Léo était un ami.

— Et moi,je suis quoi pour toi ?

La bouche entrouverte sur une réponse qui ne vient pas, je m'aperçois que je n'ai pas les mots pour définir ce qu'il représente à mes yeux. Je ne suis pas amoureuse de lui, mais j'éprouve tout de même des sentiments à son égard.

— OK.

Il fait volteface et retourne dans le bar d'un pas vif. Je le suis.

— Lorenzo !

Il avance à travers les tables sans me laisser la possibilité de m'expliquer, m'ignorant complètement.

— J'y vais les gars, à plus, annonce-t-il après avoir récupéré son blouson.

Tout le monde me dévisage. Je me rassois vers mes amis, tandis que Lorenzo quitte le bar. Un poids aussi lourd que du plomb pèse dans ma poitrine, mais je préfère ne pas insister en lui courant de nouveau après. Laëtitia essaie de savoir ce qui se passe cependant, mais comprend vite que je n'ai pas envie de lui parler.

Je passe une bonne heure à cogiter, contrariée de ne pas avoir eu la possibilité de m'expliquer et qu'il soit parti avec ses propres déductions. Vers minuit, je décide à mon tour de m'en aller, la fatigue commençant à me peser. Laëti et Ju, quant à eux, préfèrent rester encore un peu.

Je marche seule dans la rue en me demandant comment je vais bien pouvoir arranger les choses. Depuis l'annonce de ma grossesse, ma vie me glisse entre les mains et tout vole en éclats autour de moi.

Quand j'arrive enfin devant la porte de l'appartement, j'aperçois une rose d'un rouge très foncé, presque noir, déposée sur le palier. Je m'en empare et l'observe, intriguée. On dirait la Black Baccara de chez Meilland. La fleur n'est pas dans un voile en plastique, comme les roses que l'on offre à l'unité. Elle est simplement, là, abandonnée. En revanche, la longueur de la tige ainsi que l'absence d'épines me laissent à penser qu'elle provient d'une boutique et non d'un jardin. D'autant plus qu'à cette époque de l'année, les rosiers sont taillés et végètent.

Il n'y a pas de mot, rien. J'ignore à qui ce cadeau est destiné. Il est impossible que ce soit Léo puisqu'il était présent au bar de mon arrivée à mon départ. Il ne peut pas s'agir de Romain pour Laëti non plus, puisque comme Léo, il était au Shadowavant nous. Ce qui laisse donc Ben et Lorenzo.

J'envoie un texto aux deux concernés puis entre dans l'appartement. Après avoir mis la rose dans un grand verre d'eau, je me rends dans la salle de bains où je me prépare pour dormir. À nouveau, je ne peux m'empêcher de regarder mon ventre et de toucher la peau désormais tendue.

De la sorcellerie...

Quand je me glisse dans les draps quelques minutes plus tard, Isis saute sur le lit en ronronnant. Elle a assez grandi pour être désormais capable de cette prouesse.

Sur mon téléphone, deux messages sont en attentes. Le premier est de Lorenzo :

« Demande à Léo, peut-être que c'est lui. À moins que tu aies encore un ou deux autres mecs sous le coude. »

Le deuxième est de Ben :

« Ta chère meilleure amie se tape un autre mec après seulement un mois de séparation. La seule chose que j'ai envie de lui offrir, c'est de la souffrance. »

Je coupe mon téléphone avec un mauvais pressentiment. À qui est destinée cette fleur ? Et surtout, qui l'a déposée ici ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top