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Après avoir offert les cadeaux de Noël à mes parents et à mon petit frère puis ouvert les miens – de l'argent et des habits – je quitte la maison familiale pour retourner à l'appartement.

Quand je me gare sur le parking, il est plus de vingt-et-une heures.

Dans la cuisine, je trouve Laëtitia et Julien en train de manger. Je m'installe avec eux, puis nous nous racontons chacun notre journée respective. Ju était en famille, Laëti au travail.

— Tu vas faire comment pour ta voiture ? Tu devrais peut-être porter plainte, proposé-je à ma meilleure amie.

— C'est sûrement un abruti qui était imbibé et qui n'a eu que ça à faire, rétorque-t-elle.

— Je trouve étrange qu'il s'en prenne précisément à ta 306 sachant que ma Clio a eu le pare-brise défoncé il n'y a pas...

— Tu te fais des idées, Jade ! Ce que tu peux être parano parfois ! m'interrompt Laëti d'un ton sec.

Elle pioche dans son assiette sans me regarder. Je cherche alors les yeux de Julien, sans les trouver. Ils sont bizarres tous les deux, j'ai du mal à comprendre leur laxisme. Nous n'avons pas beaucoup d'argent, ça va coûter une fortune à ma meilleure amie de faire remplacer ses quatre pneus... À sa place, je serai hors de moi, mais elle... Je n'arrive même pas à deviner son état d'esprit.

— C'est moi ou tu t'en fous ? lui lancé-je en observant son expression.

— Bien sûr que non ! s'énerve-t-elle. Mais qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Porter plainte ne servira à rien, sauf à me faire perdre du temps ! Comme si les flics allaient pouvoir attraper la personne qui a fait ça !

Elle semble résignée. Quelque part elle a raison, mais étrangement je m'attendais pas une telle réaction de sa part. Julien, lui, semble inquiet. Je commence vraiment à me poser des questions.

— Il y a quelque chose que je devrais savoir ? finis-je par demander.

Laëtitia lève les yeux vers moi et fronce les sourcils. Je la dévisage, ce qu'elle ne semble pas du tout apprécier.

— Non, qu'est-ce que tu vas encore aller chercher ? Je suis crevée OK, j'ai bossé toute la journée avec en tête, l'idée que je devoir changer quatre pneus. Donc excuse-moi de ne pas péter le feu !

En voyant sa colère s'intensifier, je décide d'abandonner. Après tout, peut-être que je suis vraiment parano. Pour changer de sujet et également pour apaiser son humeur massacrante, je décide d'aller chercher les cadeaux de mes amis.

— J'ai quelque chose pour vous, je reviens.

De retour à la cuisine, je leur tends un paquet chacun.

— Joyeux Noël !

Ravis et touchés, ils m'embrassent et me remercient. L'atmosphère change alors du tout au tout. Après avoir déballé leurs cadeaux, mes deux amis vont respectivement chercher les leurs. Laëtitia offre un pull à Julien et moi j'ai la chance d'avoir un adorable sac à main. Ju, quant à lui, nous remet un parfum chacune. Angelpour Laëti, qu'elle porte depuis des années, et Féeriede Van cleef et Arpels pour moi.

Peu après vingt-deux heures trente, Mélanie arrive à l'appartement et Julien nous abandonne pour s'isoler avec elle dans sa chambre. Laëti et moi nous installons donc dans mon lit et branchons la vieille télévision. Harry Potter et la chambre des secrets apparaît à l'écran, le film touche à sa fin.

— Désolée pour tout à l'heure, commence ma meilleure amie.

— Ce n'est pas grave, je comprends.

Après avoir soupiré, elle reprend :

— Ça n'a pas été trop dur aujourd'hui ?

— Non, ça va. Et toi, au travail ?

— Pareil.

À l'écran, Harry est en train d'ouvrir le passage qui mène à la chambre des secrets en parlant en fourchelang à un lavabo hors service, dans les toilettes des filles.

— Je me suis rendue sur la crique... admets-je tout à coup.

Un silence accueille ma déclaration, juste avant que Laëtitia demande avec une légère appréhension :

— Et alors... qu'est-ce que ça t'a fait ?

— Mal.

Puis sans lui laisser le temps de poursuivre, j'ajoute :

— J'ai fait une connerie hier soir...

J'ai besoin de parler de Lorenzo à Laëtitia. Dans ma tête, c'est un véritable chaos et j'ignore comment y remettre de l'ordre.

Elle se tourne sur le flanc pour m'observer et nous nous regardons, les yeux dans les yeux, dans la lumière du téléviseur.

— Dis-moi.

— J'ai couché avec Lorenzo.

Un léger blanc accueille mes aveux, durant lequel ma meilleure amie réfléchit, sans doute indécise quant à sa réponse.

— Je ne vois rien de choquant à cela, Jade... Lorenzo est un beau garçon, tu es célibataire... Deux adultes consentants, où est le mal ?

— Tu sais bien où il est ! m'indigné-je avant d'inspirer profondément pour me calmer.

— Alex est parti... Il... il t'a... quittée. Tu ne peux pas t'arrêter de vivre.

— Je l'aime ! Et je l'aimerai toujours ! Ce n'est quand même pas compliqué à comprendre !

— Bien sûr que je comprends ! Seulement, je préfère te voir essayer de te reconstruire plutôt que d'attendre quelqu'un qui ne reviendra pas.

— J'ai besoin de temps pour accepter cette situation.

— Je sais. Et heureusement, quelque part. Mais j'aimerais juste te voir aller mieux. Pour le moment, laisse faire les choses avec Lorenzo et tu verras où ça te mènera. Tu ne trahis personne, tu n'as aucune culpabilité à avoir, même si j'ai conscience que tu le prends différemment et c'est bien normal.

— C'est trop tôt... C'est comme si je crachais sur notre histoire.

— Tu ne craches pas sur votre histoire ! Ça n'a absolument rien à voir !

— J'ai couché avec deux hommes entre novembre et décembre. Tu ne trouves pas que ça fait un peu beaucoup ?

Elle souffle puis attrape ma main qu'elle serre dans la sienne avant de me répondre :

— Avec le premier, pourquoi tu l'as fait ?

— Pour qu'Alex ne soit plus le dernier. Pour essayer... – les larmes me montent aux yeux – d'avancer un peu, terminé-je péniblement.

— Et pour Lorenzo ?

Lorenzo... Le cas est différent et c'est bien le plus terrible dans l'histoire.

— Au départ, je le trouvais vraiment insupportable. Arrogant, dragueur, pas très respectueux... Puis il a fini par changer de comportement et j'ai découvert une part de lui qui n'était plus aussi dérangeante. Sa passion pour le monde marin, son envie de protéger l'environnement me l'ont fait voir sous un angle nouveau. Ensuite, après son altercation avec Julien, il est devenu beaucoup plus délicat avec moi. Je crois qu'il lui a parlé d'Alex. Bref. Et la somme de tout ça a donné un résultat inattendu. Je me suis un peu attachée à lui. Et ça me fait peur.

— Parce que tu as peur d'aimer un autre homme qu'Alex...

— Parce que je ne veux pasaimer un autre homme qu'Alex. Dans ma tête, c'est tout à fait inenvisageable. Si je tombe amoureuse, je ne me le pardonnerai jamais.

Après un silence interminable, Laëtitia conclut d'une voix douce :

— Jade, je te connais mieux que personne. Si un jour tu te comportes de façon irrespectueuse, si un jour tu agis mal, je serai là pour te le dire. Mais, là, tout de suite, tu parviens à peine à garder la tête hors de l'eau. Et moi, même si je ne sais pas comment m'y prendre pour t'aider à t'en sortir, je suis certaine d'une chose : tu ne fais rien de mal. Je te le promets.

Les yeux embués, je ferme les paupières, ma main toujours emprisonnée dans celle de Laëtitia. Épuisée par toutes les émotions de la journée, je me focalise sur la chaleur de nos deux paumes enserrées pour ne plus ressentir ce froid de glace, au fond de mon cœur.

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