18
— Tu ne perds pas de temps, toi ! siffle-t-il en prenant place à ma table.
— Qu'est-ce que tu veux ? rétorqué-je, sur la défensive.
Nous savons tous deux combien il a raison. Mon comportement est à vomir. Mes petits démons ne manquent pas de me le rappeler.
— Il faut que je parle à Laëtitia, déclare Benoît d'un ton ferme, une lueur de désarroi dans le regard.
— Si elle ne cherche pas à te contacter, c'est peut-être qu'elle n'en a pas envie.
— C'est ce qu'elle t'a dit ?
— Non, mais ses actes parlent pour elle. Elle a quitté votre appart à Plougastel pour se réfugier ici.
Ma réponse semble le contrarier. Ben paraît triste et déçu, un peu comme la dernière fois que nous nous sommes vus. J'ai du mal à me positionner par rapport à lui, ne sachant pas trop que croire et comment agir. Lui et moi nous connaissons depuis de nombreuses années. S'il avait été violent ou mauvais, je pense que je m'en serais aperçue. Mais certaines personnes savent bien cacher leur jeu. Quant à Laëtitia, elle a préféré ne pas aborder le sujet, donc je ne suis pas plus avancée.
— Jade, j'ai vraiment besoin de ton aide, je ne sais pas vers qui me tourner ! Laëti ne parle plus à sa mère depuis des années, son père est souvent en déplacement et plus personne n'a de nouvelles d'elle, même pas Pauline. Tu crois vraiment que j'aurais pu lui faire du mal ?
Son désespoir continue de me laisser perplexe. D'un côté, ce ne sont pas mes affaires, même si Laëtitia est ma meilleure amie, elle n'a sûrement pas envie que je me mêle de sa vie privée surtout qu'elle ne m'en tient pas informée. De l'autre, je m'inquiète pour elle. Ça ne lui ressemble pas de partir comme ça, sur un coup de tête. En plus, elle semblait vraiment heureuse avec Ben. Je me demande ce qui a pu se passer, si sa fuite a un lien avec lui, avec cet autre mec ou bien s'il y a eu quelque chose. Par moments, je la sens heureuse, libérée, mais parfois, je la vois perdue dans ses pensées, préoccupée, voire inquiète.
— Non, je ne pense pas...
Ben semble un peu surpris, sans doute pensait-il que j'aurais eu des propos plus tranchés.
— Tu doutes de moi, Jade ?
— Non.
— Alors c'est quoi ? s'écrie-t-il, furax. Dis-moi ce que tu sais, je suis aussi ton ami !
Jamais je ne pourrais trahir Laëti et lui avouer qu'elle l'a trompé. Il a beau être en effet mon ami, je serai toujours loyale envers elle. Je ne comprends même pas qu'il puisse l'espérer.
— Jade ! gronde-t-il en agrippant vivement mon bras.
— Je ne sais rien, d'accord ? Arrête d'insister !
Ben me lance un coup d'œil furax, ne croyant pas un traître mot de mes affirmations.
— Où est votre appartement ?
— Lâche mon bras.
Ses doigts abandonnent immédiatement mon biceps pour trouver son crâne. Il se masse le front d'un air las avant de me déclarer plus calmement :
— Tu sais que je t'adore, Jade, mais là, tu es sérieusement en train de me gaver !
— Laëti passera toujours avant toi, comme tu feras toujours passer Alex avant moi. C'est ma meilleure amie, tu n'as pas à exiger que je la trahisse.
— Je n'ai pas été très présent cet été et je comprends que tu m'en veuilles, mais tu n'es pas la seule concernée dans cette histoire ! Et vu la façon dont tu te comportes en ce moment, je pense sérieusement que tu n'es pas la bonne personne pour aider Laëtitia.
— Ça t'arrange bien de dire ça.
— Sans vouloir te blesser, Jade, il y a deux minutes, tu étais en train d'allumer un mec alors...
— Tu sais quoi, j'en assez entendu.
Blessée par ses paroles, je récupère mon téléphone sur la table et ne me fais pas prier pour sortir du bar. Heureusement que Léo a réglé mon chocolat, parce que je ne me serais pas vue rester une minute de plus avec Benoît.
Mes pas se font rapides, guidés par le chagrin et la honte. L'envie de fuir. Encore. Toujours.
Alors qu'il ne me reste plus qu'une vingtaine de mètres avant d'atteindre la porte d'entrée de notre immeuble, je sens une main me saisir par l'épaule. Ben me retourne et me plaque fermement contre une voiture, les traits déformés par le désespoir.
— Jade tu dois m'aider, putain ! Va la chercher, il faut que je lui parle !
Le souffle coupé, je sens mon cœur s'emballer furieusement sous l'appréhension. Ses mains enserrant mes poignets avec force me font mal.
— Ben... Lâche-moi... suffoqué-je.
Son visage est rouge, ses yeux sont exorbités et la veine de sa tempe est gonflée sous sa peau.Il est en train de perdre tout contrôle. Jel'ai déjà vu dans cet état lorsqu'il se disputait en soirée, sous l'effet de l'alcool. Mais jamais sobre. Et surtout, jamais avec moi.
Tout à coup, avant d'avoir pu articuler la moindre parole, je sens sa poigne se desserrer. Alors, face à mon expression stupéfaite, Benoît fond en larmes, désespéré.
— Excuse-moi, je ne sais pas ce qui m'a pris. Je suis vraiment désolé, je n'aurais pas dû t'attraper comme ça. Je ne voulais pas te faire peur. Je suis un idiot...
Malgré son attitude, je ne peux m'empêcher d'être touchée par sa détresse.
Alors que je m'apprête à lui répondre, l'arrivée de Julien, sortant en trombe de l'immeuble, change immédiatement mes priorités.
— Julien, non, attends, ne...
Trop tard. Mon ami attrape Ben par l'épaule, l'attire vers lui pour l'écarter de moi et lui envoie son poing dans la mâchoire. Benoît se relève, son abattement ayant laissé place à un nouvel accès de colère et réplique en se jetant sur mon ami. Ils s'échangent de violents coups de poing et de pieds, et j'ai beau essayer de m'interposer et leur crier d'arrêter, rien ne semble les calmer.
L'unique chose à faire pour stopper Ben, serait que Laëtitia intervienne. Je décide donc de l'appeler en priant pour qu'elle décroche.
— Jade, je ne peux pas te parler, je suis au taf là, j'ai accepté de remplacer Sandra...
— Laëti, Ben est en bas, en train de se battre avec Julien et je n'arrive pas à les séparer ! la coupé-je, paniquée.
— OK, j'arrive tout de suite.
Et elle raccroche. Comment parvient-elle à rester aussi sereine ? En ce moment, j'ai à peine le quart de son sang-froid ! Je tente à nouveau de raisonner les deux garçons en essayant une nouvelle fois de m'interposer, mais je suis repoussée sans ménagement contre une voiture. Ma main blessée de la veille me lance intensément. Je me mets alors à prier pour que ma meilleure amie arrive rapidement. Le restaurant se trouve à trois rues de l'appartement, elle devrait bientôt être là...
Sauf que la situation finit par déraper, Ben donne un violent coup de poing dans le nez de Julien. Il se plaque aussitôt les mains sur le visage et se penche en avant. Du sang s'échappe d'entre ses doigts et ruisselle le long de ses bras.
— Ça suffit, maintenant, dégage, Ben ! m'écrié-je, folle de rage.
— Elle me trompe avec ce connard ? C'est ça, hein ? Jade, dis-moi ! hurle-t-il, des larmes plein le visage.
— Benoît ! intervient la voix glaciale de Laëtitia qui apparaît sur notre gauche.
Elle marche d'un pas sûr et déterminé en direction de Ben. Celui-ci se fige, complètement à la merci de mon amie.
— Pourquoi tu es partie ? Qu'est-ce que j'ai fait pour que tu aies envie de me quitter ? bredouille-t-il avant de fondre à nouveau en larmes.
Les yeux de Laëtitia se brouillent, mais c'est avec fermeté qu'elle m'ordonne :
— Rentre avec Julien, je vous rejoins dans cinq minutes.
— OK.
— On ne va pas te laisser toute seule avec ce type ! s'indigne Julien d'une voix nasillarde.
— Merci, mais je n'ai pas besoin de ton aide, tranche sèchement ma meilleure amie.
Blessé, Ju vient chercher mon approbation du regard. Je lui fais comprendre que nous sommes de trop, à présent. Il secoue la tête, révolté, mais obtempère tout de même. Alors que nous grimpons les escaliers, il m'interroge :
— C'est son mec ?
— Son ex.
— Qu'est-ce qu'il te voulait ? Pourquoi il t'a agrippée ?
— Il cherchait mon aide et ne l'a pas obtenue.
Je préfère rester vague, refusant de mentir à mon ami sans pour autant trop en dévoiler à propos de Laëti.
— Elle ne risque rien là, avec lui ? s'enquiert-il alors que nous gagnons la cuisine.
Isis nous y attend, sagement assise sur le linoléum. Adorable.
— Non, je ne pense pas, mais on va quand même les garder à l'œil, dis-je tout en emprisonnant des glaçons dans un torchon. Benoît était en train de s'excuser quand tu es descendu. Il s'est complètement métamorphosé dès qu'il l'a vue... Il... Il est fou amoureux d'elle.
Je lui donne ma poche de glace improvisée et l'observe. Mon ami ferme les yeux sous l'effet combiné du soulagement et de la douleur lorsque le froid entre en contact avec son nez.
— Fou, ça je l'avais remarqué, conclut-il.
Puis n'y tenant pas davantage, nous nous dirigeons vers la fenêtre pour surveiller la scène. Ben et ma meilleure amie se disputent dans la rue. Tandis qu'elle apparaît dans une colère noire, lui semble vraiment effondré.
— Tu crois que tu as le nez cassé ? demandé-je en posant ma main sur le bras de mon ami.
— Non, mais il est bien talé...
— Qu'est-ce qui se passe ? intervient soudain une voix derrière nous.
J'avais complètement oublié la conquête de Julien. Bien qu'elle ne soit pas responsable des derniers événements, je ne suis pas spécialement d'humeur à sympathiser avec une inconnue. Et encore moins à lui apprendre quoi que ce soit sur la situation.
Elle est en train d'approcher de la fenêtre, seulement vêtue d'un long T-shirt appartenant à Julien, lorsque je me retourne. Ses cheveux blonds tombent sur ses reins et encadrent un doux visage aux grands yeux marron.
— Une embrouille avec l'ex de Laëti, lui répond Julien. Tu veux manger quelque chose, Clémence ?
Comme je suis exténuée et mal gracieuse, je décide de ne pas me mêler de la conversation sans avoir bu un café avant. Une fois la machine en marche, je vais enfin m'occuper d'Isis. La petite chatte me salue en frottant sa tête contre ma paume tandis que je la caresse.
— À propos de quoi ? s'informe la jeune femme en éludant la question de Julien.
— Pas la moindre idée.
— Ça fait combien de temps qu'ils sont séparés ? Ils vont se remettre ensemble ?
Mais quelle curieuse, celle-là, elle est enquêtrice à la PJ ou quoi ?
— Je n'en sais rien, souffle Julien, agacé.
À mon avis, Clémence ne va pas revenir de sitôt ici, parce que pour mettre Ju si rapidement en rogne, il faut quand même y aller.
Après leur avoir servi du café, je disparais dans ma chambre avec ma tasse, Isis sur les talons. Abandonnant mon mug sur ma table de chevet, je pose ma petite protégée sur le lit et m'allonge à côté d'elle pour la contempler.
Il n'y a rien de plus fascinant au monde qu'un chat. Même lorsqu'il s'adonne à ses rituels les plus triviaux, les plus naturels, il n'en demeure pas moins captivant et nous dérobe, à son insu, toute notre attention. La plus somptueuse des créations paraît fade, comparée à lui, car un chat rayonne de splendeur sans en avoir ni conscience, ni envie. Une telle noblesse ne peut être qu'apparence. Non. Elle provient forcément de l'âme.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top