15
Samedi soir, vingt-deux heures.
Julien, Laëti et moi venons d'entrer dans leShadow. Nous repérons une table libre et nous y installons tous les trois. Le serveur vient quelques minutes plus tard, Laëtitia commande un mojito, Julien un demi-pêche et moi une margarita.
— Ce bar est super grand ! Tu as vu le monde qu'il y a ? me crie Laëti par-dessus le brouhaha.
— J'ai bossé ici pendant quelques temps, lance Julien. Vous voyez l'escalier qui descend ? Il mène à un petit sous-sol aménagé avec une piste de danse, un peu comme une mini-boîte de nuit.
— Ah ouais ? C'est génial ! On ira faire un tour après ! s'exclame Laëtitia, ravie.
Une fois nos verres terminés, nous décidons de descendre. Lorsque Ju ouvre la porte ; un son puissant nous accueille ainsi que des lumières aux milles couleurs clignotants en tout sens.
Nous nous glissons tous les trois dans la salle et rejoignons la foule des danseurs. Les musiques défilent les unes après les autres ; portée par le son, le monde qui m'entoure semble s'effacer, et je m'enferme dans ma bulle.
Je ne sais depuis combien de temps nous sommes ici, quand soudain, Laëti me ramène sur Terre en me hurlant quelque chose à l'oreille.
— Quoi ? crié-je pour couvrir le bruit de la musique.
— Regarde ! s'époumone-t-elle.
Je fixe la direction que son doigt pointe et aperçois Julien en train de danser avec une fille. Un sourire sur les lèvres, je tourne la tête vers ma meilleure amie et constate qu'elle est contente pour lui aussi. Au moins, pendant qu'il s'amuse, il oublie un peu les deux boulets que nous sommes.
Un garçon s'approche ensuite de Laëti et comme elle semble non seulement le connaître, mais aussi très intéressée, je m'éloigne doucement afi, qu'elle puisse profiter de sa soirée. Assoiffée, je décide de remonter prendre un verre à l'étage. Une envie soudaine de manger une glace m'envahit et je commande une coupe en même temps que ma boisson.
Assisesur un tabouret, les bras appuyés sur le comptoir, j'observe le patron en train d'essuyer des verres en riant à gorge déployée avec un client. À la façon dont ils se taquinent, j'en déduis qu'il s'agit d'un habitué.
Lorsque ma commande me parvient, je me désaltère puis cède à la gourmandise. De toute ma vie, je crois que je n'ai jamais pris autant de temps pour savourer une crème glacée, si bien que lorsque je suis interrompue, une dizaine de minutes plus tard, je n'en ai mangé que la moitié.
— Eh ben ma grosse, on ne s'en fait pas !
Je jette un regard furtif à Laëtitia qui vient de se percher sur le tabouret voisin. Ses cheveux blonds sont ébouriffés, ses joues arborent une teinte vermeille.
— Tu as abandonné ton bellâtre ?
— Pas pour longtemps. Je peux ?
J'acquiesce d'un signe de tête. Ma meilleure amie s'empare de ma cuillère avec ses doigts fins et la plonge dans la coupe. Elle cueille une grosse portion qu'elle fourre avidement dans sa bouche.
— Julien est avec une meuf hyper canon, me lâche-t-elle.
— C'est un lover que veux-tu.
— Hum.
Elle reprend après avoir avalé sa cuillérée :
— Tu viens avec moi ? Le bellâtre en question est un collègue de boulot et il est là, avec plusieurs copains...
Elle hausse les sourcils d'un air entendu. Je laisse échapper un rire.
— Tu es sérieuse ? Tu as envie de me caser ?
— Moi ? Non pas du tout...
— C'est ça...
— Allez, suis-moi !
Je sors ma carte bleue de mon étui de téléphone, paie ma consommation, puis jette un œil dépité à la coupe de glace que ma meilleure amie a vidée. Ne me laissant pas le temps des regrets, Laëtitia m'attrape par la main et me tire à sa suite. Nous arrivons à une table où un groupe de mecs boit un verre.
Ma meilleure amie se laisse tomber sur une chaise, je m'assieds à ses côtés. Parmi les garçons, je reconnais les amis de Julien que j'ai tous croisés au moins une fois. Il y a Romain, Jean, Victor, Guillaume et quand je tourne la tête vers celui qui ferme le cercle et se trouve à ma gauche, je tombe nez à nez avec Lorenzo.
Ce dernier me dévisage de ses yeux lagons, un sourire narquois aux lèvres. Afin d'éviter qu'il me refasse son manège, je porte mon attention sur ma meilleure amie. Elle semble plutôt à l'aise avec Romain, qui, je dois le reconnaître, est agréable à regarder. Il a un visage doux où brillent de grands yeux verts, des cheveux châtain clair et une barbe de trois jours s'étend de son menton à ses joues. Je le vois jeter des œillades furtives en direction de mon amie, la dévorant discrètement des yeux, l'air de rien. Quant à elle, elle rougit comme une gamine. On dirait deux ados, c'est trop mignon.
Comme je ne sais pas quoi dire, je sirote silencieusement la margarita que Laëti a pris soin de commander pour moi avant même que j'aie accepté de la rejoindre. Elle a aussi récupéré ma veste, abandonnée sur le dossier de ma chaise, à l'autre table. Les minutes défilent et au bout d'un moment, je commence à m'ennuyer.
Perdue dans la contemplation de ma meilleure amie qui sourit, rit et semble s'amuser, je ressens une onde de chaleur se répandre en moi. Ça me fait du bien de la voir aussi animée, je me suis bien rendue compte que depuis quelques temps, elle paraît triste. Sans doute à cause de Ben et de leur rupture. Une pensée en entraînant une autre, mon esprit dérive vers toi et aussitôt mon cœur se serre.
Afin de t'échapper, je me lève pour retourner danser. Personne ne me prête attention et c'est tant mieux. Je me faufile entre les tables quand soudain, au beau milieu d'un groupe d'hommes, je croise le regard de Léo.
— Jade ? s'exclame-t-il avec joie.
Le voilà qui se lève pour me rejoindre et je n'ai aucune échappatoire !
Je ne tiens vraiment pas à rentrer avec lui ce soir, pas qu'il soit de mauvaise compagnie, loin de là, j'ai seulement peur qu'il finisse par s'attacher à moi si nous passons trop de temps ensemble.
— Bonsoir, Léo ! le salué-je lorsqu'il se trouve devant moi.
— Tu vas bien ? Tu es sortie avec des amis ?
— Oui, c'est ça. Toi aussi, je vois, relevé-je en désignant sa table.
— Ouais...
Il me dévore du regard. Dans ses iris je peux visionner le film de ses réflexions. Mal à l'aise, j'essaie de trouver quelque chose à dire, mais il me devance.
— Alors... On ne donne pas de nouvelles ? note-t-il avec un ton faussement réprobateur.
— Toi non plus, rétorqué-je, amusée.
Il rit.
— Il me semble que tu n'as jamais pris la peine de me laisser ton numéro de téléphone... Je sais au moins que tu t'appelles Jade Chanussot et que tu as vingt ans.
— C'est déjà un bon début.
— On pourrait peut-être tenter quelque chose toi et moi ? me propose-t-il doucement, avec le plus grand sérieux.
Et là, je me sens vraiment mal.
— Léo, je crois que...
— Tu ne m'as jamais parlé de toi, m'interrompt-il. Tu ne t'es pas non plus intéressé à moi. Peut-être que tu pourrais nous laisser une chance de nous connaître autrement que physiquement, non ?
Ma gorge se comprime un peu et mon cœur s'affole dans ma poitrine. Je suis coincée et je ne sais pas comment m'en sortir.
— Tu me plaiset j'ai très envie de te découvrir, reprend-il.
— Je... Je viens de rompre tu sais et... je n'ai pas encore digéré, tu vois. J'ai... besoin de temps.
— Je saurai être patient. Je te laisserai tout l'espace dont tu as besoin.
Même si ce que je m'apprête à lui avouer m'attriste, je décide de me montrer honnête avec lui.
— Non, je ne peux pas, je suis désolée. Je l'aime encore.
Il hoche la tête, un peu déçu puis hausse les épaules avant de me déclarer :
— Je comprends, moi aussi je l'aime encore, mais je veux avancer. J'espère pour toi qu'il reviendra ou que tu parviendras à l'oublier.
Puis sur ces derniers mots, il m'abandonne pour retrouver ses amis. Le cœur lourd, je tourne les talons, pousse la porte du sous sol et me réfugie sur la piste de danse. Quelque part, j'ai conscience d'être juste effrayée de pouvoir tourner la page. Car je refuse encore de m'y résoudre. Je ne veux pas reconstruire ma vie avec quelqu'un qui ne soit pas toi.
Pourtant, plus les mois passent, plus notre histoire m'apparaît comme un mirage. Parfois, je me demande si elle a vraiment eu lieu, si nous nous sommes aimés, si nous avons bel et bien existé.
Je m'enfonce dans la foule des danseurs et disparais dans le nombre. La chanson de Kavinsky,Nightcallrésonne dans la salle jusque dans mes tripes. Le duvet qui recouvre mes bras se redresse. Les yeux clos et je me laisse bercer par la musique.
Je ne danse pas seule, tu es avec moi. Contre ma taille, je sens tes bras ; dans mon cou, ton souffle brûlant. Tes lèvres frôlent ma peau, faisant rouler le long de mon corps de violents frissons. Autour de moi, flotte ton parfum, il m'entraîne dans des lieux où tu m'as faite reine et où tu étais déjà roi.
Malheureusement, quand la musique cesse, que se rompt le charme et que mes yeux s'ouvrent, tu n'es pas là.
J'imagine ce que peuvent penser les gens autour de moi. Ils doivent se dire que je suis folle, que je n'ai pas d'amis, ou que je suis bourrée.
Mais ça m'est bien égal, ils peuvent songer tout ce qu'ils veulent, ils ne me connaissent pas. Ils ne savent rien de ma personne, de ce que j'ai vécu.
De ce que je pense.
De ce que je suis.
Et de ce que j'ai perdu.
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