12
— Mademoiselle...
Une main secoue doucement mon épaule. J'ouvre les yeux. La voiture est garée devant la maison. Je règle le chauffeur, le remercie puis sors du véhicule. Dehors, il fait froid. Et je ne sais pas pourquoi je suis là.
Je marche jusqu'à la porte d'entrée, emplie de doutes. Ma main se lève, ordonnant à mon doigt d'appuyer sur la sonnette, mais mon esprit, lui, semble sur pause.
De l'autre côté du battant, un bruit de pas résonne sur le plancher juste avant que la clef tourne dans la serrure. D'un léger grincement, la porte s'ouvre.
Lorsqu'il me reconnaît, un grand sourire vient étirer ses lèvres. Tandis qu'il m'invite à entrer, je me sens soudain affreusement gênée d'être ici.
Il me propose de m'asseoir sur le canapé où Maya dort, étendue de tout son long. À peine installée, je caresse le poil soyeux de la chatte, appréciant sa douceur sous mes doigts. La persane pousse un petit gloussement puis roule sur le dos pour me présenter son ventre afin que je le gratte. Je m'exécute.
Léo revient avec un whisky pour lui et un verre contenant un alcool transparent pour moi. Quand il me le tend, des arômes de noix de coco s'en élèvent.
Mon hôte s'assied ensuite dans le fauteuil face au mien et me scrute en silence, l'air pensif. J'observe ses doigts tandis qu'il porte la boisson ambrée à ses lèvres, ces mêmes doigts qui ont caressé mon corps, et je m'interroge. Qu'est-ce que je viens chercher auprès de lui ?
Léo finit par me demander comment je vais. Je lui réponds que tout va bien, puis il m'interroge sur mon départ précipité. Je murmure un « je ne sais pas ».
Il me regarde longuement, sans prononcer un mot de plus. Le silence s'étire à travers la pièce.
Je vide mon verre.
Il se lève pour me resservir.
Je le rejoins en deux enjambées.
À mon attitude, Léo comprend que je n'ai pas envie de discuter, alors il attend mon prochain geste. J'enlève mon pull sous les commentaires écœurés de mes petits démons, et le jette sur le sol. Tu es sale, Jade.
Léo s'approche un peu plus jusqu'à ce que nos deux corps se frôlent. Mes bras glissent autour de son cou et je l'embrasse avec toute la passion de mon désespoir.
*
Le réveil de mon téléphone sonne, il est six heures. Je le cherche à tâtons sous mon oreiller et l'arrête. Mal réveillée, je me lève le plus discrètement possible, afin de ne pas réveiller Léo, puis me rends à la salle de bains.
Comme je n'ai pas de brosse à dents, j'étale du dentifrice sur mon doigt et me nettoie sommairement les dents avant de me glisser dans la cabine de douche. Sous le filet d'eau chaude, mes pensées se dirigent vers la petite chatonne ; un élan de culpabilité me saisit alors. J'ai confiance en mes amis, je suis absolument certaine qu'ils se sont occupés d'elle, mais moi, j'ai agi avec le plus grand égoïsme hier soir. Rien d'inhabituel me concernant. Je ressasse un moment mon comportement déplorable avant de voir mon esprit se tourner vers ma future première journée de travail. Je me suis levée plus tôt pour ne pas arriver en retard à la boutique.
L'homme de ma nuit, pour la deuxième fois, doit probablement dormir. Je me demande quelle profession il exerce, nous n'avons pas beaucoup parlé lui et moi. À l'idée de m'être donnée aussi facilement à un inconnu, et ce à deux reprises, je me sens sale. Mes petits démons se font le plaisir d'approuver. On te l'a dit hier soir, tu ne nous as pas écoutés !
Au milieu de mes pensées, des mains viennent courir sur mes flancs et deux lèvres pose un baiser délicat mais pas moins brûlant dans mon cou. Je chasse mes encombrants compagnons et garde les paupières closes.
Léo est derrière moi ; je me laisse aller contre son torse. J'ignore tout de lui en dehors de son corps, son nom et son prénom. Ça ne me ressemble pas d'agir ainsi, mais tant pis. Cet homme m'offre du répit sans me demander le moindre compte. Il me laisse ma liberté, je ne touche pas à la sienne. Je ne veux pas m'attacher à lui, je ne veux pas qu'il tienne à moi, c'est aussi simple que ça. Nous faisons l'amour sous la douche. Et puis, il est temps pour moi de me préparer.
De retour dans la chambre, en voyant l'heure, je réalise que je n'aurais jamais le temps de repasser chez moi pour me changer.
— Qu'est ce qu'il y a ? me demande Léo face à ma mine déconfite.
Je ne tiens pas à lui dire que je suis venue sur un coup de tête parce que je me suis disputée avec ma meilleure amie. Hors de question de commencer à lui parler de ma vie.
— Rien, ne t'en fais pas.
Il m'observe avec un sourire en coin. Ses yeux vert pâle brillent de convoitise, il repousse d'un geste de la main les mèches humides qui gouttent sur son front. Oh non, toi tu ne mettras pas en retard au travail !
— Tu aurais un sèche-cheveux ?
— Oui, premier tiroir de la commode, dans la salle de bains.
— Merci.
J'attrape mes vêtements et regagne la salle d'eau. Je nettoie rapidement mon sous-vêtement avec du gel douche, puis le sèche avec l'appareil. Enfin, je repasse mes habits. Il me manque que mon pull que j'ai laissé dans le salon hier soir.
En m'entendant descendre, Léo m'appelle depuis ce qui doit être la cuisine. Je le rejoins et le découvre en train de boire un café, assis à l'îlot central d'une pièce ultra-moderne. Une tasse fumante m'attend ainsi qu'un croissant. Je le remercie pour cette gentille attention et prends le petit-déjeuner avec lui. Il engage immédiatement la conversation et comme je ne suis pas très loquace, il décide de me donner quelques informations sur lui. J'apprends ainsi qu'il est avocat, travaille à Brest, est divorcé et âgé de trente ans.
Quand il cherche à en savoir davantage sur moi, je me contente de réponses courtes et il n'insiste pas. Léo me demande seulement si nous allons nous revoir, j'admets ne pas en avoir la moindre idée.
— Je finirai par te manquer, affirme-t-il sur le ton de la plaisanterie.
Puis vient l'heure de partir. Pendant tout le trajet, je demeure muette, plongée dans mes pensées. Lorsque nous arrivons en ville, je lui demande s'il peut me déposer devant le bar où nous nous sommes rencontrés.
Au moment de l'éternel au revoir, l'embarras me saisit. Je ne sais pas vraiment comment le quitter. Je ne compte pas l'embrasser, mais lui faire la bise après la nuit que nous venons de passer me semble un peu inapproprié. Manifestement, Léo perçoit ma gêne, car il sourit à nouveau avant de me déposer un délicat baiser sur la joue.
Quelques secondes plus tard, je descends de la voiture, les pommettes en feu. Alors que la berline s'éloigne, un soulagement sans nom s'empare de moi. Je prends alors pleinement confiance de ma difficulté à m'ouvrir désormais et de combien la perspective d'essayer quelque chose avec une autre personne que toi, Alex, m'effraie.
Quand je me dirige vers la librairie, il est huit heures vingt. Par miracle, j'ai réussi à être à l'heure, avec même dix minutes d'avance ! Il faut dire que Léo ne respecte pas vraiment les limitations de vitesse.
Le magasin est ouvert. Je pousse la porte, la clochette tinte pour annoncer ma présence. La petite dame aux lunettes en demi-lune et cheveux d'argent apparaît derrière la caisse. Elle était en train de ramasser quelque chose par terre.
— Bonjour mon enfant, entre ! s'écrie-t-elle sur un ton joyeux.
— Bonjour Marissa, vous allez bien ?
Je suis contente de la voir. Son extrême gentillesse à mon égard, dépourvue de toute attente en retour, m'interpelle. Je me doute que sa bienveillance et sa sympathie sont dues au fait qu'elle se revoit à travers moi au même âge et j'aimerais beaucoup en apprendre davantage. Peut-être plus tard, car pour le moment, il me semble déplacé de la questionner, alors que nous nous connaissons si peu.
— Je vais très bien, et toi ? Au fait, il serait peut-être temps de me dire ton petit nom... lance la libraire en haussant un sourcil.
— Oui, pardonnez-moi, je n'y ai même pas pensé ! Je m'appelle Jade Chanussot.
Décidément, c'est la journée des présentations.
— Chanussot ? Ce n'est pas très breton !
— En effet, c'est plutôt bressan. Mes parents sont bourguignons. Ils ont déménagé à Plougastel quand j'avais douze ans. Avant nous vivions à Virey-le-grand, en Saône et Loire.
— Qu'est-ce qu'il les a poussés à emménager ici ?
— Ils ont eu un coup de foudre pour la région durant nos vacances.
— Qui ne tombe pas amoureux de la Bretagne...
Puis après avoir laissé sa phrase quelques instants en suspens, Marissa reprend ;
— Avant toute chose, il me faut tes informations pour finir de remplir ton contrat.
Nous nous installons derrière son ordinateur où elle entre les données manquantes : mon nom, prénom, adresse, numéro de sécurité social, date de naissance et cetera, puis quand le document est prêt, elle lance l'impression. Une fois le papier en main, je le parcours rapidement des yeux puis signe les différents feuillets.
— Bon, maintenant que nous sommes en règle, je vais t'expliquer comment fonctionne la boutique, car comme elle ouvre à neuf heures, nous avons très peu de temps.
« Sur les tables du milieu, j'installe toujours les nouveautés, classées selon les genre, pour que les gens pressés puissent s'en emparer dès leur arrivée. Première table essais, témoignages, sur la seconde littérature blanche, sur la troisième romance, la quatrième policiers/thrillers et sur la dernière le coin jeunesse. Contre le mur gauche, tu trouveras sur la première bibliothèque les essais et témoignages à nouveau. Sur celles voisines, la littérature blanche, puis la romance. Au fond, les beaux livres, les guides pratiques et cetera et juste à côté, les livre anciens. Ensuite, sur la droite et également à droite de la caisse, il y a la littérature de l'imaginaire, puis la littérature jeunesse. À la gauche, les policiers et les classiques. Tu verras que les ouvrages d'occasion côtoient les neufs. Je ne rachète que les BD, les romans récents et certains vieux livres. Comme tu as pu le constater, le magasin n'est pas immense, mais il y a beaucoup de passage. Voilà, c'est à peu près tout...
« Ah oui, j'oubliais, le stock se situe derrière la porte du fond, m'informe-t-elle en me la montrant du doigt. Dans cet espace, tu trouveras un évier, un micro-onde, de quoi te préparer une boisson chaude et grignoter, un grand placard refermant l'aspirateur, la serpillière et les produits ménagers et tu verras deux autres portes. Une mène aux toilettes, l'autre à mon appartement. Tu ne peux pas te tromper, il y a un écriteau sur le battant. Pendant que je vais remettre les rayons en ordre, tu peux dépoussiérer et laver le sol.
J'acquiesce puis me dirige vers la porte. Il ne me faut pas plus d'un quart d'heures pour nettoyer.
Marissa a remis à leur place les romans dispersés par les clients, refait les piles de livres à l'entrée puis elle est passée derrière l'ordinateur. Je m'approche d'elle, prête à recevoir les nouvelles instructions. Elle m'explique comment fonctionne la caisse, mais m'assure qu'au début, je me contenterai d'aider les clientes et une fois à l'aise, je pourrai m'occuper des paiements. Même chose pour le rachat des livres.
Il est alors l'heure d'ouvrir la boutique et Marissa se charge de retourner la pancarte.
Ce que j'aime dans cet endroit, c'est son côté vintage. Les bibliothèques, les tables et les meubles de la caisse sont assemblés dans un bois foncé aux nuances chaudes. Il y a deux fauteuils Chesterfield bruns dispersés dans la pièce, joliment patinés par les gens. Une odeur de poussière, de papier, d'encre et de cire flotte dans l'air. Si le parquet roux grince par endroits en revanche, les lames cirées et vernies resplendissent d'un bel éclat, tel un pied de nez au temps qui passe. On ne distingue que peu les murs en pierre, dissimulés sous les bibliothèques, mais là où ils apparaissent, apparaît aussi la beauté du granit Breton.
En attendant l'arrivée des premiers clients, je relève sur les reliures des ouvrages, le nom des dernières sorties ainsi que celui de leur auteur pour tenter d'en mémoriser le plus possible. Je connais quelques écrivains, j'aimais beaucoup lire quand j'étais plus jeune ; cependant, j'ai très vite été distraite par mon adolescence. Ce qui explique mes lacunes.
Quand j'étais au collège, j'adorais la littérature fantastique, en particulier les sagas Harry Potter de J.K Rowling, L'héritage de Christopher Paolini et À la croisée des mondes de Philip Pullman.D'ailleurs ce sont les seuls livres que j'ai continué à acheter au fur et à mesure qu'ils sortaient.
— Jade, tu devrais regarder dans le rayon Fantasy/Fantastique et romance. Comme tu n'as que vingt ans, tu seras peut-être plus à l'aise à conseiller les adolescents et les jeunes adultes au début et ce sont surtout eux qui lisent ce type de littérature. Tu devrais aussi en emprunter un ou deux ; plus tu connaîtras d'histoires, mieux tu parviendras à orienter les lecteurs.
— Il ne faut pas me le dire deux fois !
Un rire lui échappe puis, après m'avoir adressé un clin d'œil, elle me glisse joyeusement :
— Profites-en, il n'y a personne. Et puis tu peux aussi me tutoyer tu sais, je préfère... Je me sens moins vieille !
— OK !
Je lui souris puis retourne auprès des livres.Les étagères du rayon Fantasy sont alléchantes. Mes yeux se posent sur un titre : La première leçon du sorcier. Je l'extrais, puis regarde encore et trouve le premier tome des Chevaliers d'Émeraude. Je les mets de côté tout en informant Marissa. Et puis les premiers clients se montrent enfin.
Une femme est à la recherche d'un livre d'art, ma petite dame aux cheveux d'argent la conseille. Je me charge d'un étudiant en quête de Balzac et la petite tailleuse chinoise, de Daï Sijie. Je regarde dans les S et sors le roman de l'étagère. Marissa se charge de l'encaisser en même temps que sa cliente.
La matinée se déroule sans encombre, j'ai vendu plusieurs romans sans trop d'efforts, puisque les gens venaient avec un titre précis en tête. Nous fermons la boutique à treize heures, Marissa réouvrira de quinze heures trente à dix-neuf heures. Moi, j'ai terminé ma journée.
Sur le chemin, je réfléchis à ce qui va se passer à mon retour à l'appartement. Laëtitia ne sera pas encore rentrée du travail et Julien non plus. Je pense manger rapidement puis m'enfermer dans ma chambre pour lire. Ma culpabilité au sujet de la chatonne revient me hanter, me poussant à presser le pas.
Comme prévu, il n'y a personne à l'appartement. Je me rends immédiatement à la cuisine et trouve ma petite protégée dans son petit carton, roulée en boule sur mon pull. Mon intrusion la tire de son sommeil. Elle ouvre les paupières puis baille longuement en me fixant. Après lui laissé le temps de faire le gros dos pour s'étirer, je l'extirpe du carton puis la pose au sol. Armée du peigne à puces, je pars à la recherche des éventuelles puces récalcitrantes et ne découvre, à mon plus grand soulagement, que des cadavres.
Ensuite, je lui sers des croquettes et la regarde manger en silence, assise à ses côtés.
Lorsque je la vois rassasier, je lui roule une boule d'aluminium pour qu'elle puisse jouer. Après avoir extirpé des restes du réfrigérateur, je mange en l'observant mettre de petits coups de pattes dans ce jouet improvisé tout en me demandant si elle va survivre, si elle sera en bonne santé, de quelle couleur seront ses yeux. Pour le moment, ils sont gris. Dès l'instant où je l'ai trouvée, j'ai senti quelque chose naître en moi. Un besoin de veiller sur elle, de la sauver. Il ne m'a pas fallu plus d'une seconde pour l'aimer.
Mon repas terminé, je débarrasse la table, fais la vaisselle, puis attrape la touffe de poils pour m'enfermer dans la chambre avec elle. Je ne sais pas par quel livre commencer, j'ai envie de faire une pause avec La délicatesse car Marissa a bien choisi. Il me correspond tellement..
Je me charge donc d'abord de lire la quatrième de couverture des romans pour me décider. Comme les deux m'intriguent énormément, je choisis Les chevaliers d'émeraude car je le finirai plus vite étant donné son nombre de pages moins important et sa police plus grosse.
À peine ai-je ouvert le volume que je plonge dans un univers fantastique, aux côtés des chevaliers, de Wellan et de la reine Fan, sur les terres d'Enkidiev. Je dévore les pages, la chatonne assoupie sur mon ventre.
J'ignore depuis combien de temps je lis, complètement partie dans un autre monde, quand Laëtitia fait irruption dans la chambre tel un boulet de canon et se plante devant moi. Je ne l'ai même pas entendu rentrer tant j'étais prise dans l'histoire.
Levant le visage vers elle, j'abandonne mon livre sur ma couverture, prête à me confronter à la discussion.
— Tu as dormi où ? attaque-t-elle sans préambule.
Ses yeux noisette, perçants, me laissent entendre qu'elle ne tolérera pas de mensonges. Prise de remords, je me fais la réflexion que je n'aurais pas dû m'emporter contre elle hier soir. Son histoire est différente de la nôtre, je n'ai pas à la juger. Et je n'ai pas non plus eu un comportement digne d'une amie. Si elle n'est plus amoureuse de Ben, à quoi bon se forcer à rester avec lui ?
— J'ai essayé de t'appeler environ une vingtaine fois ! reprend-elle, la voix tremblante. Je savais que tu n'avais pas envie de me parler, sauf qu'en ne te voyant pas rentrer, je me suis vraiment inquiétée, tu vois ! Et Julien aussi, au passage. On a eu peur qu'il te soit arrivé quelque chose.
Ma culpabilité ne cesse de se renforcer.
— J'ai agi égoïstement hier, admets-je. Je n'en ai aucune, mais je te présente quand même mes excuses.
Son visage se radoucit aussitôt. Se laissant tomber sur mon lit, Laëti me demande avec douceur :
— Comment s'appelle-t-il ?
Je suis soulagée de constater que mon amie n'éprouve aucun ressentiment à mon égard, pourtant elle aurait toutes les raisons de m'en vouloir.
— Léo.
— Tu me racontes ?
La joue appuyée contre sa main, le coude enfoncé dans la couette, elle me scrute avec curiosité. Je nous revoie des années en arrière, lorsque nous étions adolescentes et que tout était plus facile.
— D'accord.
Je le lui dois bien.
Laëtitia change de positon pour avancer à quatre pattes jusqu'à moi. Afin de lui laisser de la place, je me décale en maintenant d'une main la chatonne endormie sur mon ventre. Mon amie s'installe, puis pose mollement sa tête contre mon épaule, attendant que je me lance dans le récit de la nuit dernière. La crainte d'être jugée me pousserait presque à passer quelques détails sous silence. Pourtant, je le sais, elle me l'a assez prouvé dans le passé : Laëti ne me jugera pas.
À cette pensée, mon comportement d'hier me revient en pleine figure, comme un boomerang. J'ai réagi avec une telle rigidité, une telle dureté quand elle cherchait simplement à se confier. Quand elle espérait du soutien. Une attitude indigne d'une véritable amie.
Et à nouveau, comme trop souvent ces derniers temps, remords et culpabilité viennent m'assaillir.
— Bon, tu accouches ?
Son impatience m'amuse et me touche en même temps. Un sourire aux lèvres, je finis par me lancer dans mes explications.
— Je l'ai rencontré dans un bar, il y a quelques jours. Le courant est bien passé entre nous, il m'a fait rire... ça faisait longtemps qu'un inconnu n'y était pas parvenu...
« J'avais... J'avais envie d'essayer de...Je ne voulais plus qu'Alex soit le dernier tu vois.
« Hier quand nous nous sommes disputés, je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé à lui. Ça me semblait comme « logique » de chercher une sorte de réconfort auprès de lui. Alors que ça ne l'est pas du tout.
— Il te plaît ?
— Il est... gentil, attentionné. Doux. Bel homme. Il a un chat...
Ma meilleure amie éclate de rire avant de lancer du tac au tac :
— Ah ben s'il a un chat, on est sauvé ! Enfin, sauf si son chat ne l'aime pas, car dans ce cas, tu es sûre d'être tombée sur un pauvre type. Son chat l'aime ?
— C'est une chatte et elle a l'air de l'adorer.
— Bon, ben on valide !
Un bruit semblable à un grognement d'incrédulité et à une sorte de gloussement s'échappe de ma gorge face à une telle réponse. Au moins, cette discussion insensée a le mérite de nous rapprocher et de nous divertir.
— Je crois que je ne le reverrai plus, reprends-je une fois que nous nous sommes calmées.
— Pourquoi ? s'étonne Laëtitia.
Mes pupilles viennent se poser sur la petite chatte, toujours roulée en boule sur mon ventre. Les secousses provoquées par les rires ne l'ont même pas réveillée, témoignant de l'épuisement dans laquelle son épreuve l'a laissée.
— Je ne veux pas qu'il y ait... un genre de relation qui s'installe entre nous. Non seulement c'est trop tôt pour moi, mais en plus il est divorcé. Je ne voudrais pas qu'il souffre à nouveau.
Surtout pas par ma faute, car je ne suis pas disponible.
Je demeure bloquée dans une autre histoire. Dans une histoire où le héros s'est barré en mettant le feu en plein milieu d'un chapitre. Dans une histoire où, malgré qu'il n'y ait plus rien à écrire, je m'acharne à inventer une suite sur des pages qui tombent en cendres à mesure que je les tourne.
Comme pour me sortir de mes pensées, la main de Laëtitia vient saisir la mienne. Tournant le visage, je viens poser mon front contre le sien puis ferme les yeux. Mais si sa présence parvient presque toujours à m'apaiser, aujourd'hui, elle n'a pas ce pouvoir. Car soudain, j'ai l'impression de sentir le vide s'ouvrir sous mon corps et de chuter.
Mes petits démons, quant à eux, viennent enserrer mon estomac de toutes leurs forces, glissent leurs doigts crochus le long de ma trachée pour l'écraser.
En douceur, je m'extrais des draps tout en essayant de ne pas perturber le sommeil de la petite chatte, puis cours jusqu'à la fenêtre et l'ouvre en grand afin d'inspirer de l'air. Crise d'angoisse. Des brûlent larmes mes yeux et des perles de sueur froide recouvrent mon front.
— Jade, ça ne va pas ?
— Si... ne t'en fais pas... réponds-je entre deux brèves inspirations.
— Qu'est-ce qui t'arrive ?
— C'est rien, ça va passer. Ça m'arrive de temps en temps depuis qu'Alex m'a quittée.
Mon amie s'est levée et s'approche de moi, l'air désolé. Comme je ne tiens pas à discuter de mon état, j'embraye sur elle.
— Ton test était négatif ou positif ? m'enquiers-je d'une voix essoufflée.
À mesure que l'air frais me fouette le visage, mon anxiété s'apaise.
— Négatif. Mais je l'ai plus fait pour avoir la conscience tranquille qu'autre chose...
Nous entendons soudain le grincement de la porte d'entrée puis un claquement. Julien est rentré du travail. Son pas indique qu'il se dirige vers ma chambre. Je m'essuie le front avec les doigts pour chasser les quelques gouttes de sueur.
— Pas un mot de ça à Ju ! ordonné-je à Laëti qui acquiesce aussitôt d'un signe de tête.
Mon ami ouvre la porte, un large sourire vient étirer ses lèvres en constant ma présence.
— Ah tu es là ! s'exclame-t-il, soulagé. Je suis content de te voir.
Il s'assied au bord du lit et enchaîne :
— On fait quoi ce soir ? Ça vous dit un Macdo et une soirée télé ?
— Ouais, j'en salive d'avance, répond Laëti.
— Je suis partante aussi.
— OK, j'irai commander... Vous me direz vos menus, je vais prendre une douche. Tu devrais fermer la fenêtre, il fait froid dans ta chambre ! lance-t-il en quittant la pièce.
Je m'exécute puis nous retournons nous asseoir sur le lit pour cajoler la petite chatte.
— Tu n'as toujours trouvé comment l'appeler ? s'intéresse mon amie en caressant l'échine du petit félin, décidant pour mon plus grand bonheur de ne pas reprendre la discussion là où nous l'avons laissée.
— Non, pas encore.
Julien entre à nouveau dans la pièce, prend nos commandes sur son téléphone et s'en va. Après avoir récupéré la télévision dans la chambre de Ju, je la dépose dans le salon où mon amie me rejoint, la petite chatte dans les bras.
Nous jouons un peu avec elle, puis je la ramène à la cuisine afin de lui donner à manger. Une fois qu'elle a terminé, je l'y enferme car la laisser divaguer à travers tout l'appartement à son âge serait bien trop dangereux pour elle.
Lorsque Ju est de retour avec le repas, l'odeur alléchante des hamburgers et de la friture qui se déverse à travers le salon nous met rapidement au supplice.
— Vite avant que ça refroidisse ! s'exclame mon ami en distribuant les menus.
Regroupés autour de la table basse, nous dévorons nos sandwichs comme si nous n'avions pas mangé depuis une semaine. De la sauce coule entre nos doigts, une tomate sournoise essaie de s'échapper du M de Laëtitia, la salade tombe de mon Big Mac et Julien se brûle avec ses potatoes. Une fois les Mac Flury engloutis, nous sommes repus et atteints de flémingite aiguë. Nous nous glissons tous les trois dans le canapé, puis Julien lance le film. Cinq minutes après les premières images, je m'endors contre l'épaule de mon ami.
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