6 - Go, before it gets too hard to say goodbye

Warning : Je vous conseille de lire ce chapitre bien confortablement dans votre lit ou canapé, et non dans le bus ou en classe au lieu d'écouter vos cours.

"Pars, avant qu'il ne devienne trop difficile de dire au revoir"

~☆°

Mercredi 3 juillet, 17:12

J'arrive en trombe à l'hôpital avec Hakuryuu. Dans la salle d'attente du rez-de-chaussée, Taiyou attend déjà, et se précipite vers nous dès qu'il nous aperçoit. Son copain le serre dans ses bras durant de longues minutes. Je reste sur le côté, incapable d'initier le moindre contact physique, encore sous le choc.

En voyant que Tenma ne se relevait pas, on a immédiatement contacté les urgences. Même si on était au beau milieu de nulle part, ils nous ont demandé de ne pas le déplacer, au cas-où. J'ai essayé de protester, d'argumenter qu'il serait pris en charge plus vite si on le ramenait au point de rendez-vous, qui débouche sur une route praticable. Konoha a gentiment posé une main sur mon épaule pour me faire comprendre que si je voulais aider Tenma, je devais écouter les consignes qu'on nous donnait.

Le temps qu'ils arrivent, on a prévenu les organisateurs de la course ainsi que notre autre groupe d'amis, qui s'est empressé de venir à notre rencontre. Lorsqu'ils nous ont rejoint, Hakuryuu n'a rien dit. Par contre, il m'a soudainement serré dans ses bras, de toutes ses forces. Je crois qu'il s'attendait à ce que je pleure, voire crie. Mais rien n'est sorti. J'étais même incapable de répondre à son étreinte.

En revanche, j'ignore pourquoi, mais ce simple contact a fait remonter des souvenirs vieux de quatre ans.

Hakuryuu n'a jamais eu de parents. Il a ce qu'on appelle des géniteurs, des personnes qui l'ont mis au monde sans jamais le traiter comme leur enfant derrière. Quand il vivait encore sous leur toît, ils s'occupaient à peine de lui, lui criaient dessus sans raison valable, et faisaient tout pour lui faire comprendre qu'il n'a jamais été voulu.

Un jour d'automne, pendant notre dernière année de collège, Hakuryuu en a eu assez. Il est parti sans rien dire, n'emportant que quelques affaires avec lui. Ses géniteurs n'ont même pas prévenu la police. C'est moi qui ai dû le faire. Ils l'ont retrouvé trois jours plus tard, à 300km de notre ville, épuisé et à bout de force.

Lorsque je l'ai vu sortir de la voiture de police, dans un état minable, j'aurais pu, peut-être même dû pleurer. A la place, je lui ai flanqué une énorme claque. Les mots que j'ai crié juste après, venus droit du coeur, sont gravés à jamais dans ma mémoire :

"Tu te rends compte de ce que t'as fait ? Ca t'amuse, d'attirer l'attention comme ça en inquiétant tout le monde ?"

Et c'est seulement après ça, et après avoir lu le regret de m'avoir blessée dans son regard, que je l'ai serré dans mes bras, de toutes mes forces, en lui faisant promettre de ne jamais recommencer.

Aujourd'hui, c'est lui qui m'a serré dans ses bras. Il ne m'a pas lâché, jusqu'à ce que les urgences arrivent enfin. J'ai demandé à les accompagner, mais ils ont refusé. Je n'ai pu que les regarder, impuissante, toujours aussi ignorante, tandis qu'ils emmenaient Tenma loin de moi. Même là, je n'ai pas réussi à pleurer, pas réussi à hurler, pas même à prononcer le moindre mot.

Hakuryuu et moi, on s'est mis en route pour l'hôpital. Le reste de notre groupe a préféré rentrer chez eux. Après tout, au fond, on ne connaît Tenma que depuis un mois et demi. Alors, même s'ils restent inquiets, ils ont préféré s'en remettre à nous pour leur transmettre les nouvelles dès qu'on en aura.

Sauf que, pour l'instant, rien. Tenma ne s'est pas encore réveillé, et, par conséquent, on ne peut pas encore aller le voir. Alors on s'est assis dans la salle d'attente, forcés de prendre notre mal en patience. Serré contre Hakuryuu, Taiyou tremble et sursaute au moindre mouvement. Il en sait bien plus que nous, c'est évident. Mon ami d'enfance partage le même avis, car il finit par demander :

- Taiyou, qu'est-ce qu'il a, Tenma ?

La mine de l'intéressé s'assombrit, si c'est encore possible. Il avance d'une voix hésitante :

- Je... je sais pas si je devrais être celui qui vous en parle.

- Taiyou, s'il te plait.

Ce sont les premiers mots que je prononce depuis qu'on est arrivé. Mon regard est rivé sur celui de Taiyou, le suppliant d'apporter des réponses à mes questions. Depuis le début, je pensais que ça ne me regardait pas, qu'il y avait des choses que Tenma avait le droit de garder pour lui. Craignant que la vérité ne mette fin à notre histoire naissante, je me suis voilé la face pour l'esquiver.

Mais, au vu de l'ampleur qu'elle vient de prendre, je n'ai d'autre choix que de l'affronter, désormais. Et à chaque seconde qui passe, ne rien savoir me détruit un peu plus de l'intérieur.

Taiyou finit par détourner le regard, s'avouant vaincu. Mais, compte tenu des paroles qui s'échappent de ses lèvres, il n'est clairement pas le seul perdant dans cette histoire. Nous le sommes tous, Tenma en particulier.

- Tenma... a une maladie grave. Encore plus grave que ce que j'avais. Lui, c'est son cœur qu'elle touche.

Il déglutit difficilement. Hakuryuu profite de cette pause pour demander :

- Mais... ça peut être soigné ?

- Techniquement... le truc, c'est qu'il lui faut une greffe de cœur, et les donneurs sont presque impossibles à trouver. Et s'il est pas opéré à temps...

Des sueurs froides s'écoulent le long de mon dos. Ma vue devient floue, le son des inconnus traversant les couloirs se brouille. Seule ma propre voix demeure audible, et je l'entends résonner bien trop fort dans mon crâne lorsque je demande :

- Combien ?

Je ne reçois pas la moindre réponse. Pourtant, quelque chose me dit que la voix de Taiyou ne s'est pas mêlée au reste du brouhaha ambiant. Alors je répète, plus fort, à m'en briser les tympans :

- Combien de temps ?

Cette fois, j'entends une réponse. Et je regrette instantanément ma question.

- Les médecins pensent qu'il tiendra pas jusqu'à août.

Ce n'est plus ma voix que j'entends dans un écho assourdissant, mais les sanglots de Taiyou. Alors que je demeure immobile, mes sens complètement embrouillés, les pleurs de mon ami résonnent, s'entrechoquent avec mes propres sentiments qui refusent de sortir.

- C'est de ma faute... je l'écoute se lamenter. Je savais que ça allait mal se finir. Il était pas en état de faire du sport, mais j'ai rien fait pour l'arrêter ! J'ai cédé parce qu'il m'a dit qu'il voulait passer du temps avec...

Il ne termine pas sa phrase. Je devine malgré tout qu'il parle de moi. Je ne parviens pas à bouger, pas à parler, pas à pleurer, pas à faire sortir la moindre once d'émotion. Par contre, ce poignard qui me transperce en plein cœur, je le ressens à une puissance décuplée, si bien que l'espace d'un instant, j'ai l'impression de perdre conscience. Cependant, je reviens brusquement à la réalité lorsqu'une voix nous annonce :

- Il s'est réveillé.

D'un coup, je récupère ma vision et mon ouïe. Une infirmière se tient face à nous, un sourire placardé sur son visage. Je sais que c'est une histoire de professionnalisme, mais j'aimerais tellement le lui arracher. Il n'y a aucune raison de sourire, pas quand l'être que j'aime souffre autant.

- Vous pouvez aller lui rendre visite, il est chambre 108, elle poursuit. Mais ne le brusquez pas, son état est encore un peu fragile.

N'ayant rien d'autre à ajouter, elle s'en va. Malgré ses dires, aucun de nous trois ne bouge. Du moins, jusqu'à ce que Taiyou s'adresse à moi :

- Vas-y Kyouka.

Je me tourne vers lui, et il m'offre à son tour ce sourire un peu triste qui m'horripile au plus haut point.

- J'imagine que vous avez des choses à vous dire. On passera le voir un peu plus tard.

Perdue parmi les milliards de pensées et d'émotions qui me traversent actuellement, je finis tout de même par hocher la tête et me lever. Avant de sortir, mon regard croise celui de Hakuryuu. Et, si mes jambes tremblaient déjà à chaque pas, là, mon corps entier, la moindre parcelle nerveuse recouvrant mes os est parcourue d'un frisson me glaçant les entrailles.

Je n'ai pas compris ce que le regard de Hakuryuu voulait me dire.

J'erre quelques minutes dans les couloirs avant de m'arrêter devant une porte fermée. L'écriteau indique "chambre 108 - Tenma Matsukaze". Alors c'est bien vrai. Il est vraiment à l'intérieur, mal en point à cause de son cœur malade. Et il n'a rien voulu nous dire pour ne pas nous inquiéter. Pour ne pas m'inquiéter. Je serre le poing, sentant mes ongles s'enfoncer dans ma peau jusqu'au sang. Je frappe, et une voix, sa voix, celle que j'affectionne tant, m'invite à entrer.

Les murs sont blancs. La pièce est vide, en dehors du lit qu'il occupe. Les machines qui l'entourent laissent échapper un bip régulier et angoissant. Tout est trop uniforme, trop terne. Un ange rayonnant comme Tenma, qui a su illuminer ma vie d'un simple sourire, n'a pas sa place ici. Pourtant, il est bien allongé sur ce lit aux draps tristement blancs, m'accueillant avec le sourire comme si de rien n'était.

- Kyouka ! C'est gentil d'être venue.

Sans rien dire, je m'assois sur la chaise placée à côté de son lit. Je vois sa main droite reposant près du bord. J'aimerais la prendre, mais je n'ose pas. J'ai peur. Peur que le moindre toucher suffise à aggraver son état. Un silence pesant menace de s'installer. Seul le son des machines se fait entendre, et, très vite, menace de me rendre folle. Je suis incapable de me taire plus longtemps.

- Taiyou m'a tout dit, je finis par lâcher.

Je garde la tête baissée, le regard rivé sur mes mains s'agrippant à ma jupe. Je n'ai pas besoin de regarder Tenma pour savoir que son sourire de façade s'est effacé. Bientôt, le son de sa voix emplit la pièce, et, pour la première fois, je me surprends à penser que je préférerais qu'il se taise :

- J'en avais marre de passer mes journées chez moi ou ici. Ma tante, Taiyou, les infirmiers... ils me regardent tous comme une chose fragile sur le point de s'effondrer. Alors, même si tout le monde m'a dit que c'était une mauvaise idée, je me suis inscrit à la fac. Je voulais aller quelque part où personne ne saurait rien, où je pourrais enfin mener une vie normale.

- Même en sachant que ça pouvait pas durer ?

Les mots m'ont échappé sans que je m'en rende compte. Je n'arrive toujours pas à lever les yeux vers lui. Quelques secondes s'écoulent avant qu'il ne réponde :

- Je sais bien que c'était égoïste de ma part de rien vous dire. Taiyou me l'a bien fait comprendre. Mais je passais tellement de bons moments avec toi et les autres... Plus ça allait, plus je voulais que ça dure. J'ai repoussé et repoussé le moment de vous expliquer, puis...

Je l'entends déglutir. La voix tremblante, je termine à sa place :

- T'as accepté de nous suivre pour la course d'orientation, alors que ton corps était incapable de le supporter...

Il ne répond rien. Ça m'agace. Pas lui. La situation en elle-même. Ça m'énerve. Mes mains tremblent. Le bip des machines continue de résonner. J'en ai assez de l'entendre. J'ai envie de le fracasser pour qu'il s'arrête. Je relève la tête d'un seul coup. Je ne pleure pas. Par contre, cette fois, je crie :

- Comment t'as pu te mettre en danger comme ça ? T'as perdu la tête ou quoi ???

Je fais enfin face à son regard. Tant d'émotions s'y mêlent qu'il en devient indescriptible. Mais ce qui me marque le plus, c'est la douleur que j'y retrouve. Une douleur crue, percutante, qui résonne dans ses prochains mots :

- Bien sûr que j'ai perdu la tête. Comment veux-tu que je la perde pas, avec ce qui m'arrive ?

Il a à peine murmuré ces paroles, mais je les entends aussi nettement que s'il les avait criées à pleins poumons. C'est alors qu'il prononce la phrase de trop, toujours accompagné du son infernal des machines :

- Je suis désolé... j'aurais jamais dû débarquer dans vos vies en premier lieu. A cause de moi, vous allez être triste alors que vous auriez pu continuer vos vies tranquilles.

J'entends le son du verre brisé. Je ne parviens pas à savoir s'il provient du vase que j'ai fait tomber en envoyant ma chaise valdinguer contre la commode à côté de son lit, ou de mon cœur qui vient de voler en éclats. Le blanc omniprésent de la pièce brouille ma vue, m'empêche de voir clairement la réaction de Tenma.

- Tu te fiches de moi, là ?

Ma voix a pris une tonalité grave que je déteste. Mon corps entier tremble, mais pas autant que mon esprit. Pourtant, plus rien ne peut arrêter le flot de paroles qui se déversent désormais sans filtre :

- Depuis le début. Depuis le début, chaque moment qu'on a passé ensemble était important pour moi. Parce que je t'aime ! Je suis amoureuse de toi, Tenma ! Quand je t'ai serré dans mes bras l'autre jour, je m'en fichais de pas savoir ce que tu cachais, je voulais juste être là pour toi ! Et toi... Et toi, t'es en train de me dire que tout ça, c'était une erreur ? Que j'aurais jamais dû ressentir tout ça..?

J'ai parlé tellement vite que je suis à bout de souffle. Malgré tout, je prends la peine de conclure :

- Tenma... les médecins vont trouver un donneur à temps, pas vrai ? Alors... laisse-moi rester à tes côtés, s'il te plait.

L'optimisme, ça n'a jamais été mon fort. C'est la présence rayonnante de Tenma qui m'a donné envie de croire aux miracles, aux coups de foudre, et à tous ces trucs clichés, au moins une fois dans ma vie. Taiyou a dit qu'il restait environ jusqu'à août. Ça nous laisse un mois. Un mois, ça suffira pour trouver un donneur, pas vrai ? Ils feront sûrement passer Tenma en priorité dans les listes, vu l'urgence de son cas. Alors...

- Kyouka... tu sais, j'ai arrêté d'y croire depuis longtemps. Je sais très bien que, d'ici un mois, je serai plus là.

Cette fois, ce n'est plus simplement mon cœur, mais le monde entier qui s'effondre autour de moi. Parce que, par réflexe, j'ai relevé la tête, et j'ai croisé une expression terrifiante tant elle ne correspond pas à Tenma. Les yeux de l'ange se sont durcis, son sourire s'est tari, et, surtout, l'éclat de ses pupilles s'est éteint. Puis viennent ses prochains mots, plus tranchants que l'acier :

- Va-t-en.

Je reste figée sur place, incapable de lui obéir. Je ne le reconnais plus, si bien que je refuse de croire qu'il s'agit réellement de Tenma. On me l'a enlevé, on a injustement arraché celui que j'aime de mes bras, c'est impossible. Pourtant, c'est bel et bien sa voix, ô combien chérie, ô combien destructrice, qui répète, plus durement encore :

- Pars, j'ai dit !

Cette fois, je ne parviens pas à résister. Mes pas me dirigent machinalement vers la sortie, mon esprit incapable de formuler la moindre pensée cohérente. Alors que j'ouvre la porte, le bip insupportable des machines se noie enfin dans les divers bruits traversant le couloir. Rien en revanche ne peut étouffer les dernières paroles qui me parviennent pourtant dans un murmure à peine audible :

- Pars, avant que ça devienne trop difficile pour toi.

La porte se referme derrière moi sans que je ne fasse quoi que ce soit pour la retenir.

~☆°

Comment ça va ? :)

J'espère que vous survivez émotionnellement, parce que personnellement je n'ai pas survécu à l'écriture de ce chapitre, et j'ai vu ma beta-lectrice traverser les cinq étapes du deuil en accéléré suite à la lecture. Je m'excuse donc d'avance pour tous les dommages psychologiques que cette fic pourra vous provoquer (haha tu es drôle Eden, comme si tes fics pouvaient avoir le moindre impact c'est pas des romans de grande littérature redescends), c'est que le début.

Précision importante : je ne suis ni médecin, ni un expert en quoi que ce soit relatif à la santé. Tout ce qui touche à la maladie de Tenma est purement fictif et a uniquement été pensé pour servir les besoins du scénario. Merci de ne pas venir m'emmerder avec le réalisme, je l'ai déjà enterré six pieds sous terre. 

Sur ce, à la prochaine 💜

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