3 - This kinda feels like a double date
"On dirait un peu un double date"
~☆°
Samedi 1e juin, 10:31
On a tous nos habitudes pour se mettre à travailler. Certains préfèrent se rendre dans une bibliothèque ou un café pour se couper d'autres distractions. D'autres attendent la dernière minute pour carburer à l'énergie du désespoir. Je fais plus partie de cette deuxième catégorie que j'aime l'admettre. Mais, surtout, je ne travaille jamais sans musique dans les oreilles. Avec des écouteurs, bien sûr, et toujours le volume au maximum.
Je crois que je vais finir sourde d'ici mes trente ans.
Forcément, quand j'écoute de la musique aussi fort, je n'entends rien autour. L'alarme incendie pourrait se déclencher, le temps que je m'en rende compte, les flammes m'auraient déjà piégée. Ça veut aussi dire que je ne remarque pas les gens qui s'invitent dans ma chambre sans autorisation.
Je sens une tête se poser par-dessus la mienne pour épier ce que je fais. Je mets ma musique sur pause en soupirant avant de râler :
- Haku, casse-toi, je bosse.
- Depuis quand ça bosse les littéraires ?
Je me retourne et tente de lui refaire le portrait avec mon stylo noir. Mais évidemment, Hakuryuu étant Hakuryuu, il se contente de s'écarter, de sourire narquoisement et d'aller s'asseoir confortablement sur mon lit, comme si c'était sa chambre. Et, à force de s'incruster sans prévenir et sans me demander mon avis, c'est un peu devenu le cas.
Hakuryuu, c'est mon ami d'enfance. On a toujours été fourrés ensemble, de la maternelle au lycée. Quand on était enfants, c'était même impossible de nous trouver l'un sans l'autre. Aujourd'hui, forcément, c'est un peu différent. Moi, je suis en LLCER, et lui, en fac de science. Ca me faisait bizarre, au début, d'aller en cours sans lui. Et, à vrai dire, ça reste un peu le cas. J'aime beaucoup mes amis de la fac, mais, avec Hakuryuu, il y a toujours eu quelque chose en plus que je ne pourrai jamais retrouver avec qui que ce soit.
En revanche, ça ne veut pas dire qu'on se voit moins qu'avant, loin de là. Déjà, nos universités sont sur le même campus, alors, parfois, on peut se retrouver pendant les pauses. Et, surtout, Hakuryuu a emménagé dans notre appartement en début d'année. Yuuichi dit qu'on l'héberge, moi, je dis qu'il squatte sans payer le loyer. On évitera de mentionner que nous non plus, on ne paye pas, vu que l'appart appartient à nos parents.
Et puis, je ne le dirai jamais à voix haute, mais j'aime le voir chaque matin et chaque soir.
- Bon, et sinon, tu me veux quoi ? je demande, voyant à son expression qu'il a quelque chose derrière la tête.
- Y'a Taiyou qui propose qu'on aille en centre-ville cet aprem. Viens avec moi, il déclare sur un ton qui indique plus un ordre qu'une proposition.
- Ça ira, j'ai pas envie de tenir la chandelle, je refuse malgré tout.
- Lui aussi il ramène un pote, c'est pour ça que je te dis ça.
- Donc en gros, je suis censée venir pour que son pote soit pas celui qui se retrouve à tenir la chandelle ?
- Félicitations, t'as tout compris.
Je ne vois pas ce que ça peut me faire, qu'un gars que je ne connais pas se retrouve seul avec les deux tourtereaux. Mon regard se plante alors dans les iris de mon ami d'enfance. Après des années à se côtoyer tous les jours, on a développé des techniques de communication supérieures au commun des mortels. Là, par exemple, si on traduit en langage courant ces trente secondes passées à se fixer dans le blanc des yeux, ça donnerait à peu près ça :
"Viens, ça te fera sortir un peu."
"J'ai pas envie."
"Flemmarde."
"T'es mal placé pour critiquer."
"Je bougerai pas de là tant que t'auras pas dit oui."
"Forceur."
"Et fier de l'être."
Je finis par détourner les yeux, et Hakuryuu lâche un ricanement de victoire. Je le déteste, des fois. Je le vois sortir son portable, probablement pour informer Taiyou de ma venue cet après-midi. Pourtant, même une fois cela fait, il ne semble pas décidé à bouger de mon lit.
- Tu comptes dégager, un jour ? J'ai des devoirs à finir.
- Et moi j'ai une partie de FE4 à continuer, il répond du tac au tac.
- Super, bah va continuer tout seul. Ailleurs, je précise.
- Je viens de recruter Arthur. Avec Forseti.
Après quelques secondes de vaine résistance, je balance mes écouteurs et mon stylo sur le bureau avec agacement, ce dernier roulant jusqu'au sol sous la force de mon lancer. Je le laisse là, me lève et vient m'affaler lourdement à côté de Hakuryuu, qui ouvre le jeu, son insupportable sourire moqueur toujours collé au visage.
Ami d'enfance ou pas, des fois, j'ai vraiment envie de lui en foutre une.
14:32
Je crois que je ne me suis jamais senti aussi conne de toute ma vie.
J'ai enfin compris pourquoi mon frère et moi, on avait déjà entendu le prénom de Tenma quelque part. Il faut dire que Taiyou, il raconte beaucoup de choses, et pas toujours des plus passionnantes. Forcément, c'est facile d'en occulter la majorité de sa mémoire. C'est donc seulement lorsque je vois l'intéressé débarquer à ses côtés que je me souviens que le meilleur ami de Taiyou s'appelle Tenma.
Un gros silence s'ensuit tandis qu'on se fixe sans rien dire, déconcertés par la situation. Taiyou et Hakuryuu nous regardent tour à tour, eux aussi confus.
- Il se passe quoi, au juste ? demande Taiyou.
Puis, après quelques autres secondes à se fixer, Tenma et moi éclatons de rire en même temps, au plus grand désarroi de nos deux acolytes. Hakuryuu, plus perspicace que son copain, saisit la situation en premier :
- Attends... vous vous connaissez ?
On lui explique rapidement les circonstances ayant mené à notre rencontre. Taiyou arbore un grand sourire lorsqu'il s'exclame fièrement :
- Tu vois Ryuu ? J'avais raison quand je disais que fallait inviter Kyouka ! Je l'ai senti !
L'intéressé lève les yeux au ciel, mais Tenma ajoute à son tour :
- C'est vrai, t'as eu raison ! C'est une super occas de passer du temps ensemble ! Pas vrai Kyouka ?
- H-hein ? Euh, oui, c'est vrai, j'hésite, ne sachant pas trop quoi répondre.
Je sens le regard de Hakuryuu sur moi. N'ayant pas envie de jouer au chat et à la souris tout l'après-midi, je l'affronte directement.
"Un ami de la fac, hein ?"
"Toi, commence pas."
"Je me disais bien que t'avais l'air à l'ouest ces derniers temps."
"Ça t'arrive, de t'occuper de tes affaires ?"
Taiyou embarque soudain Tenma devant, nous forçant à presser le pas pour suivre le rythme tandis qu'ils s'enfoncent dans les ruelles du centre-ville. Hakuryuu se penche alors vers moi pour conclure :
- On dirait un peu un double date, n'empêche.
Je le fusille du regard, et il m'ignore royalement pour rattraper les deux autres. Agacée, j'accélère malgré tout également pour ne pas les perdre dans la foule du samedi après-midi. On ne sait pas trop où on va, à vrai dire. C'est toujours comme ça, quand on improvise des sorties à l'arrache : on déambule jusqu'à croiser quelque chose qui nous inspire. La bonne humeur reste tout de même au rendez-vous, en particulier chez Tenma et Taiyou.
Taiyou, c'est le copain de Hakuryuu. Ils sortent ensemble depuis trois ans, mais on le connaissait déjà avant ça. En fait, il a passé une bonne partie de sa vie à faire des aller-retours entre chez lui et l'hôpital à cause de sa maladie. Il s'est lié d'amitié avec Yuuichi à l'époque où mon frère était également hospitalisé.
Il y a quelques mois de ça, Taiyou a enfin subi une opération pour le soigner de sa maladie. Depuis, comme mon frère, il va beaucoup mieux, et doit simplement se rendre à l'hôpital de temps en temps. Toutefois, il a décidé de ne pas se lancer dans les études supérieures cette année, pour se concentrer sur son rétablissement. Après tout, il a pour ambition de devenir sportif de haut niveau, et, malgré toutes les fois où il s'est enfui de l'hôpital en douce pour aller jouer au football, il sait qu'il n'atteindra pas son rêve s'il ne prend pas soin de son corps.
N'empêche, une question me trotte dans la tête. Comment Taiyou a-t-il rencontré Tenma ? A cause de sa maladie, il a suivi des cours à distance depuis le collège. Est-ce qu'ils se connaissent depuis la primaire, dans ce cas ? Ou peut-être que leurs familles sont amies ? J'imagine que je pourrais simplement leur poser la question. Seulement, quelque chose me retient. Et, tandis qu'on continue de déambuler dans les rues d'Inazuma, je repousse ces interrogations dans un coin de ma tête.
J'imagine que ça ne me regarde pas.
On atteint l'allée couverte, où se trouvent en majorité des boutiques de mode et des restaurants, en plus de la salle d'arcade où Hakuryuu et moi avons passé d'innombrables heures. Alors que Taiyou semble en pleine réflexion concernant notre prochaine destination, je vois mon meilleur ami se tourner vers moi avec un sourire en coin. Je n'aime pas ce sourire. Mais alors vraiment pas.
Il attrape Taiyou par le bras et l'entraîne à toute vitesse vers la première boutique venue, donnant pour seule explication :
- Viens, j'ai besoin de toi pour un truc !
Tenma et moi, on se retrouve seuls, lui complètement perdu, moi me demandant comment j'ai pu me lier d'amitié avec un individu pareil. J'ai déjà précisé que j'avais envie d'étriper Hakuryuu ? Tenma finit par se tourner vers moi, me demandant, hésitant :
- On fait quoi ? On les suit ?
- Non, laissons-les en amoureux, je lâche en soupirant. Y'a quelque chose en particulier que tu veux faire ?
Son regard se perd dans le vide un instant, le temps d'une réflexion. Puis, ses pupilles s'illuminent, et il me demande d'un enthousiasme non dissimulé :
- Taiyou m'a parlé d'un café qui vend des cookies super bons par ici. Tu sais où c'est ?
J'hoche la tête en souriant. Il a de la chance, c'est grâce à moi et Hakuryuu que Taiyou connait l'adresse. J'y ai aussi emmené Ranmaru et Sakura, et je sais que Haku a fait pareil avec ses amis de la fac. C'est un de nos lieux de rendez-vous réguliers quand on a de grosses pauses entre les cours.
On entre dans le café, dont la devanture aux tons vert pastel indique "Soleil sucré". Forcément, comme on est samedi, en plein après-midi qui-plus-est, l'endroit est assez bondé, et il y a la queue. On doit patienter quelques minutes avant d'enfin pouvoir passer commande. C'est Tatsuya, le gérant, qui tient le comptoir aujourd'hui. Je le connais bien, à force de venir et de lui apporter de nouveaux clients. Il me salue d'une voix enthousiaste :
- Kyouka, bonjour ! Tiens, tu ramènes un nouveau client ? Ou cliente ? il hésite.
- Client. Il s'appelle Tenma, on est dans la même fac, je clarifie.
- Euh, enchanté monsieur, ajoute timidement Tenma.
- Je t'en prie, c'est Kyouka qui t'amène, alors appelle-moi Tatsuya ! Comme d'habitude, j'imagine ? il demande à mon attention.
C'est vrai qu'à force de parler, les gens derrière nous commencent à s'impatienter. J'acquiesce, et règle ma commande habituelle, un cookie au chocolat noir et un cappuccino, pendant que Tenma fait son choix. Voyant qu'il ne parvient pas à se décider, je me penche vers lui et lui glisse :
- Ils sont tous bons, sauf celui au chocolat blanc. Mais le meilleur, ça reste quand même le chocolat noir.
Tatsuya, qui nous a entendu, rétorque :
- Je comprends décidément pas ton problème avec le chocolat blanc. C'est très bon !
Je lui lance un regard faussement outré. Tenma hésite encore quelques secondes, avant de se décider :
- Je te fais confiance Kyouka. Va pour le chocolat noir !
On échange un sourire pendant que Tatsuya note sa commande, supplémentée d'un jus d'orange. J'ai remarqué que Tenma aime beaucoup le jus d'orange. Il en achète tout le temps, aux distributeurs de la fac. J'ai toujours eu une préférence pour les boissons chaudes, mais le jus d'orange fait aussi partie de mes favoris. Est-ce que c'est niais, de se réjouir qu'on ait un point commun aussi banal ? Probablement. Il faut croire que la bonne humeur simple et enfantine de Tenma est contagieuse.
La commande de Tenma réglée, Tatsuya nous informe :
- Vous pouvez aller vous installer, on vous apporte ça dans quelques minutes. Bonne dégustation, et profitez bien de votre rencard !
Je cligne des yeux. Plusieurs fois. A répétition. Du coin de l'œil, j'aperçois Tenma dont le visage a viré au cramoisi. Je ne dois pas être mieux. On se met à bégayer en même temps :
- N-non, c'est pas...
- On est pas... enfin...
Tatsuya sourit d'un air amusé, et se contente de répondre :
- Allez-y, vous bloquez la file.
On finit par s'exécuter, non sans remarquer le clin d'œil qu'il nous envoie avant de reprendre un air professionnel tandis qu'il s'adresse au client suivant. Je ne savais pas Tatsuya si fourbe, et je dois dire que ça ne me plait pas tellement. Nous trouvons une table libre au fond de la salle, contre le mur. Un silence pesant s'installe. Tenma joue nerveusement avec ses mains, et moi, avec les mèches qui dépassent de ma queue de cheval.
Heureusement, comme promis, le serveur arrive rapidement pour nous apporter notre commande. Je remarque qu'il semble avoir notre âge. C'est probablement un étudiant qui travaille ici à temps partiel. Dans tous les cas, l'arrivée de la nourriture aide à briser le silence gênant qui s'est installé à cause de Tatsuya. Tenma goûte son cookie, et, aussitôt, son visage s'illumine.
- C'est super bon !
- T'as vu ? Tatsuya fait les meilleures pâtisseries de la ville. Si seulement il pouvait faire réviser ses lunettes, aussi... j'ajoute en marmonnant.
- Bah, ça arrive à tout le monde de se tromper, répond Tenma avec un rire gêné.
- C'est vrai...
Je sens une soudaine baisse de moral sans trop comprendre pourquoi. Par chance, Tenma est trop occupé à déguster son cookie pour le remarquer. Je mange le mien distraitement, par petits bouts, repensant aux remarques de Hakuryuu et de Tatsuya. Peut-être qu'en effet, cette sortie aurait pu être un rencard, ou même un "double date" comme l'autre idiot disait. Peut-être qu'en effet, il est temps que je me lance.
- Kyouka ? Tout va bien ?
Je sursaute, et remarque que Tenma me regarde d'une mine inquiète. J'imagine que j'ai dû fixer le vide pendant un bon moment.
- Désolée, j'étais perdue dans mes pensées.
- C'est rien, il me rassure gentiment.
Son sourire est doux, tellement doux qu'il me fait fondre. C'est comme la première fois qu'on s'est rencontré, sa simple présence irradie tellement de lumière et de gentillesse que j'ai l'impression de faire face à un ange tout droit venu des cieux. Sauf que, cette fois, cet ange, j'ai appris à un peu mieux le connaître. Alors peut-être...
Je m'apprête à prendre la parole quand je vois l'écran de mon téléphone, posé sur la table, s'allumer. Agacée, je vérifie tout de même la notification, au cas-où.
< Whitemanakete : On vous attend au niveau de la salle d'arcade
Whitemanakete : Enfin sauf si vous préférez rester tous les deux :)))))
Whitemanakete : C'était Taiyou je précise
Whitemanakete : Mais j'approuve ses dires, on vous en voudra pas si vous préférez prendre du bon temps à deux >
- Tenma ?
Son attention se tourne de nouveau vers moi. Il vient tout juste de finir son jus d'orange, et il ne me reste que quelques gorgées de cappuccino. On pourrait partir maintenant... ou commander autre chose. Je me mords la lèvre, sachant très bien quelle solution me tente le plus. Et pourtant, malgré tout, je finis par lâcher :
- Les autres nous attendent, on devrait y aller.
- Oh, c'est vrai, il serait peut-être temps qu'on aille les retrouver !
Lorsqu'on sort du café, je ne peux m'empêcher de lâcher un soupir résigné. Je mène Tenma au point de rendez-vous pendant qu'on discute de tout et de rien. Toutefois, lui aussi semble plus distrait qu'avant, et je remarque qu'il traîne légèrement le pied. Le même "peut-être" que tout à l'heure refait surface, celui qui me fait presque regretter ma lâcheté.
On retrouve nos deux acolytes du début. Tenma se précipite aussitôt vers Taiyou, toute trace de possible peine s'effaçant aussitôt de son visage angélique. Je sens le regard perçant de Hakuryuu posé sur moi, et, cette fois, je ne parviens pas à l'affronter. Je ne peux que tenter de calmer les battements effrénés de mon cœur.
J'imagine que je ne suis pas encore tout à fait prête.
~☆°
T'inquiète Kyouka, t'as tout le temps du monde. C'est pas comme si le titre et le prologue indiquaient une quelconque forme de pression temporelle... Sinon, oui, le fait que Kyouka et Yuuichi avaient entendu le nom de Tenma c'était pas un big deal au final. C'est juste Taiyou qui parle tellement qu'au bout d'un moment ses paroles rentrent par une oreille et ressortent par l'autre.
Merci Gab pour la suggestion de Tatsuya qui gère un café, je savais pas trop qui mettre et il est juste parfait. On va dire que dans cet univers il en a eu marre des gosses du coup il les a refilé à Haruya et Fuusuke. Petite pensée pour ces pauvres enfants probablement martyrisés par la cuisine de la tulipe.
White manakete = manakete blanc. Les manakete sont des personnes pouvant se métamorphoser en dragon dans Fire Emblem.
Sur ce, à la prochaine 💜
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