2 - It's not a tragedy, let's take things slowly

"On n'est pas dans une tragédie, n'allons pas trop vite"

~☆°

Vendredi 17 mai, 16:13

J'aime bien le vendredi. On a qu'un seul cours dans la journée, en plein après-midi. Je peux faire la grasse mat le matin, et bosser un peu avant d'aller à la fac. Enfin, quand j'en ai le courage. Et comme presque tout le monde est déjà en week-end, les couloirs sont calmes. J'arrive donc un peu en avance, avec dans l'idée de me poser en buvant un chocolat chaud. Je crois que Sakura m'a refilé son addiction.

Alors que je bois mon breuvage chaud tout en scrollant sur mon téléphone sans réfléchir, je sens une présence s'approcher de moi, jusqu'à ce qu'une voix vienne casser le silence du couloir presque désert :

- Salut Kyouka !

Je lève la tête et sourit en rangeant mon téléphone. J'apprécie le calme du vendredi, mais, parfois, il arrive que j'apprécie encore plus la compagnie humaine, dépendant de qui il s'agit.

- Hey, Tenma.

Il me sourit à son tour, avant de se tourner à son tour vers les distributeurs, parcourant du regard les différents choix qui s'offrent à lui tandis qu'on échange quelques banalités. Depuis lundi, on l'a officiellement adopté dans notre petite bande. Comme il débarque tout juste, il a besoin d'aide pour pas mal de cours. Mais, il n'y a pas que ça. Sakura et Ran se sont vite attachés à sa présence joviale et positive. Et je mentirais si je disais que ce n'était pas également mon cas.

Alors que Tenma jette finalement son dévolu sur une canette de jus d'orange, il relève la tête et inspecte les alentours, comme cherchant quelque chose. Finalement, il demande :

- Ran et Sakura sont pas encore là ?

- Sakura arrive jamais en avance. Et Ran a redoublé, donc elle a déjà validé certains cours, je l'informe.

- Oh, je vois. Attends... elle ? il s'étonne.

- Ran est genderfluid. Utilise les pronoms que tu veux, iel s'en fiche. Perso, je switch régulièrement.

Tenma hoche simplement la tête sans poser plus de questions. Ca aussi, c'est quelque chose que j'aime dans cette licence. C'est cliché de dire ça, mais on est tous un peu queer à notre manière. Alors, forcément, il y a beaucoup d'inclusivité, et bien moins de regards en coin et de remarques désobligeantes comme au lycée. Ça fait du bien, de ne pas avoir à corriger les gens toutes les cinq minutes parce qu'ils continuent de te genrer au masculin tout en prétendant accepter ton identité.

Alors que je finis de boire mon chocolat chaud, je sens mon téléphone vibrer dans ma poche. C'est un message de Sakura.

< Fleurdecerisier : J'ai loupé le bus TwT

Fleurdecerisier : J'ai pas le temps de venir du coup, désolée :')

Fleurdecerisier : Tu peux me prendre les cours ?

Edgymyrm : Je vais faire semblant d'être choquée

Edgymyrm : Je t'envoie ça ce soir quand je serai rentrée

Fleurdecerisier : Merciiiiiii <333 >

J'informe Tenma de l'absence de Sakura. Il me répond simplement :

- Heureusement que je suis là pour te tenir compagnie, alors.

Oh, ça. Heureuse, je le suis, bien plus que je ne pourrais l'admettre à voix haute. C'est pourquoi, au lieu d'approuver directement ses dires, je rétorque :

- Crois-moi, tu vas regretter d'avoir dit ça d'ici quelques minutes.

Il arque un sourcil, et, sans ajouter plus de précision, j'attrape mon sac et on se dirige vers l'amphithéâtre L. Normalement, quand on a cours en amphi, on est à peu près deux cents élèves entassés dans la même salle, dans un brouhaha monstre qui a de quoi faire criser le premier asocial, moi inclue. Sauf que c'est vendredi soir, et que le cours en question est... particulier, comme va bientôt le découvrir Tenma.

L'amphi est déjà libre, alors on s'installe directement du côté des fenêtres, vers le devant pour bien entendre vu que le micro du prof fonctionne une fois sur deux. Quelques autres élèves sont déjà présents, et, à mon avis, on n'en verra pas beaucoup d'autres débarquer. On sort tous les deux nos ordinateurs portables, et Tenma jette un œil à mon fichier word.

- Du coup, on parle de Roméo et Juliette, c'est ça ? J'ai pas encore eu le temps de le lire, mais ça a pas l'air passionnant...

Je m'esclaffe malgré moi, récoltant cette fois un regard inquiet de mon voisin. Je ne lui donne à nouveau aucune explication. Après tout, on dit souvent qu'il faut le voir pour le croire. Et ce cours est effectivement difficilement croyable tant qu'on ne l'a pas vu de ses propres yeux... Justement, le professeur arrive, et entame son cours après avoir galéré dix minutes avec le vidéo-projecteur. Dès fois, je me demande si être nul avec la technologie n'est pas une qualification requise pour devenir prof.

Roméo et Juliette, c'est un classique. Et, avant de commencer cette licence, je pensais que c'était juste une histoire d'amour impossible clichée et cucul. Sauf qu'en fait, il s'avère que Juliette a 13 ans, et que beaucoup de choses dans ce bouquin insinuent qu'elle et Roméo ont fait plus que dormir ensemble. Elle était censée se marier avec son cousin, aussi. Sans parler du fait que l'autre jour, le prof nous a sorti que la mort avait couché avec Juliette. Donc en plus d'être une œuvre pédophile et incestueuse, on a aussi de la nécrophilie. Vraiment la romance la plus inspirante de la littérature.

Conclusion : Shakespeare était taré. Et moi, je suis trop assexuelle pour ces conneries.

Je jette un œil vers Tenma. Le pauvre, il a l'air traumatisé. Je m'en veux presque de ne pas l'avoir prévenu à l'avance. Mais bon, moi et Sakura aussi, on est passé par là, et Ran s'est bien foutu de notre gueule. Chacun son tour.

- Alors ? Passionnant, n'est-ce pas ? je remarque avec un sourire en coin.

Il lui faut quelques secondes avant d'articuler :

- ...pourquoi le prof parle de métaphore sur les légumes ?

Je lui expliquerais bien, si j'en savais quelque chose. Au bout d'un moment, j'ai arrêté de chercher à comprendre d'où le prof nous sortait toutes ces analyses. L'autre jour, on en est venu à parler d'attirance sexuelle pour le chocolat. Je ne sais même plus d'où c'est sorti. De toute façon, personne ayant étudié cette pièce en long, en large et en travers ne peut être sain d'esprit. Je tape gentiment l'épaule de Tenma pour le réconforter, avant de plaisanter :

- Nan, mais, tu comprends pas ? En fait, la véritable tragédie, c'est qu'ils sont condamnés à manger des légumes toute leur vie.

Le visage de Tenma se crispe dans une grimace peu naturelle. Il essaye de retenir un fou rire. Le mot clé étant essayer. Il se met finalement à pouffer de manière peu discrète, si bien que le prof nous jette un regard agacé, sans pour autant interrompre ses propos. Certains élèves également se tournent vers nous, levant les yeux au ciel ou tendant l'oreille, curieux de savoir ce qu'on trouve de si drôle.

- Bah bravo, on se fait remarquer à cause de toi, je lance ironiquement.

- C'est toi qui me fait rire aussi ! il s'indigne entre deux gloussements.

Puis, toujours plongé dans une hilarité à peine dissimulée, la tête de Tenma vient se poser contre mon épaule, comme s'il essayait de se cacher du reste de la salle. Je me fige de surprise tandis que je sens son corps trembler sous l'effet du rire. Je reste immobile, ne sachant pas comment réagir. Ce n'est pas tellement que je déteste les contacts physiques, tant qu'il s'agit de personnes en qui j'ai confiance. Disons plutôt que, quand ça arrive soudainement, je me retrouve souvent désemparée.

Tenma semble soudain prendre conscience de notre position. Il s'écarte d'un seul coup, son fou rire soudain calmé, et commence à bégayer :

- D-désolé ! J-je voulais pas... enfin...

Je cligne plusieurs fois des yeux, sentant alors que mon rythme cardiaque s'est accéléré, et que ma température corporelle a monté. Je ne suis pas idiote. Je sais très bien ce que ça signifie. Et, intérieurement, je ne peux qu'espérer que, la prochaine fois qu'il initie un tel contact, j'arrive à y répondre comme il se doit.

- C'est rien, je le rassure, incapable d'ajouter quoi que ce soit d'autre pour l'instant.

Je le vois jouer nerveusement avec ses mains. Malgré tout, il finit par m'offrir un sourire un peu gêné, que je lui rends. Suite à cet incident, on se reconcentre enfin sur le cours. Roméo et Juliette se sont confessés alors qu'ils se connaissaient depuis quatre heures, mariés le lendemain, et sont morts le jour d'après. Mais, dieu merci, la vie n'est pas une tragédie Shakespearienne.

Alors inutile de presser des sentiments tout juste naissants.

17:53

Contrairement à moi qui ai déjà fini ma journée, Tenma a encore une option après le cours des enfers. Je le plains, c'est dur d'enchaîner sur autre chose après avoir entendu parler de Roméo le nécrophile. On s'est donc dit au revoir pour aujourd'hui. Seulement, je ne rentre pas encore chez moi pour autant. Tout en marchant, je tape un message et ne tarde pas à recevoir une réponse.

< Edgymyrm : Je suis en chemin, je te retrouve où ?

Gentlemyrm : Salle d'attente A, c'est au 1e étage

Edgymyrm : Kay, j'arrive >

J'arrive rapidement devant l'hôpital, et commence à parcourir les couloirs sans avoir besoin de demander mon chemin. Je croise quelques infirmiers qui me reconnaissent et me saluent ou m'offrent un sourire. Il faut dire qu'à une époque, je venais à peu près quotidiennement. Heureusement, ces jours sont révolus.

Après quelques détours dans cet endroit un peu labyrinthique, je parviens à destination. En entrant, une présence familière me fait immédiatement signe. Je souris, et vient aussitôt m'asseoir à ses côtés.

- Coucou petite soeur. C'est gentil de venir attendre avec moi.

- C'est normal, je réponds en haussant les épaules. T'attends depuis longtemps ?

- Une trentaine de minutes, je dirais.

Et, connaissant l'hôpital, on va sûrement devoir encore attendre le triple. Heureusement, à deux, le temps passe un peu plus vite. Une discussion tranquille s'entame entre Yuuichi et moi. Mon frère vient de passer un examen complet, pour s'assurer que ses jambes se rétablissent bien. C'est une étape régulière dans sa rééducation, alors on a l'habitude de l'attente qui s'ensuit.

Il y a quelques années, Yuuichi a subi un accident qui l'a rendu paraplégique. Je n'aime pas trop repenser à cette période, elle me rappelle de mauvais souvenirs. Pendant longtemps, on n'était pas certains qu'il puisse remarcher un jour. Yuuichi essayait de rester fort pour ne pas m'inquiéter. Mais je sais qu'au fond, ça le terrifiait, parce qu'un jour, en venant lui rendre visite, je l'ai entendu pleurer seul dans sa chambre. Moi, je faisais des tas de cauchemars. L'idée que mon frère puisse ne jamais reprendre une vie normale me hantait.

Heureusement, les choses ont fini par s'arranger. Yuuichi a pu être opéré, et, si la rééducation s'est montrée longue et éprouvante, aujourd'hui, il peut marcher à peu près normalement. Bien sûr, il y a encore du chemin à parcourir. Il est toujours incapable de courir, et ses jambes fatiguent bien plus rapidement que la moyenne. Néanmoins, il s'accroche, comme il l'a toujours fait.

C'est pourquoi je suis persuadée qu'un jour, Yuuichi se rétablira complètement.

Notre discussion se poursuit paisiblement. Puis, alors que je lui parle de ma journée, un sourire se dessine sur mon visage sans que je m'en rende compte. Mon frère, lui, le remarque, et ne manque pas de m'interroger à ce sujet :

- Dis-moi Kyouka, t'as l'air de meilleure humeur, ces derniers jours. Il se passe quelque chose ?

- T'insinue quoi, au juste ? je rétorque, perplexe.

- Oh, mais je n'insinue rien du tout, il réplique, levant les mains pour se donner un air innocent. Je constate simplement.

Je lève les yeux au ciel, sachant très bien ce qu'il voulait dire. Yuuichi est trop perspicace, c'est impossible de lui cacher quoi que ce soit. Et, des fois, il ne peut pas s'empêcher de me charrier à ce sujet, comme n'importe quel grand frère.

- Y'a quelqu'un qui s'est rajouté dans notre groupe de potes, cette semaine, je lâche finalement.

- "Quelqu'un", hein ?

Comprenant parfaitement les sous-entendus de mon frère, je lui donne un léger coup de coude.

- Arrête, on se connait depuis cinq jours...

- Dans ce cas, tu pourras l'inviter à passer, pour que vous appreniez à mieux vous connaître.

- Yuuichi ! je m'exclame, sentant mon visage devenir rouge.

Il rit doucement, visiblement amusé de ma réaction. Je lâche un soupir d'exaspération, passant une main sur mon visage pour essayer de reprendre contenance. Je sais bien que ce n'est pas méchant, mais ça m'agace, quand il me taquine comme ça. Cependant, je suis bien incapable de lui en vouloir plus de quelques minutes. Bien vite, la conversation reprend :

- Je peux au moins savoir comment il s'appelle ? demande Yuuichi.

Je ne sais pas s'il demande ça pour continuer de me charrier, ou s'il est simplement curieux. Après tout, il connaît déjà plus ou moins tous mes amis. Je décide de lui accorder le bénéfice du doute.

- Tenma, je l'informe simplement.

Yuuichi fronce alors les sourcils d'un air perplexe. Intriguée, j'arque un sourcil et demande :

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Non, c'est juste que... ça me dit quelque chose.

C'est vrai que moi aussi, son prénom m'a semblé familier, quand il s'est présenté. Je ne sais toujours pas pourquoi, d'ailleurs. Et Yuuichi ne trouve pas plus de réponse à cette question, puisqu'il reprend :

- J'imagine que je me fais des idées. Tenma, ce n'est pas si rare, comme prénom.

Je suppose qu'il a raison, bien que sa réponse ne soit pas tellement satisfaisante. Malgré tout, la conversation passe sur un autre sujet, et ces interrogations sont vite oubliées.

On attend encore. Longtemps. Très longtemps. Une bonne heure passe sans qu'on ne voit la moindre trace d'un médecin ou d'un infirmier. C'est toujours comme ça, de toute façon. Ils font poireauter Yuuichi des heures, pour finalement lui dire que tout va bien. J'allume l'écran de verrouillage de mon téléphone pour la énième fois pour vérifier l'heure. J'en connais un qui va râler, s'il prend la peine de nous attendre pour manger.

- T'es pas obligée de rester, tu sais. Hakuryuu doit déjà être rentré, en plus. Je vous rejoindrai, m'incite Yuuichi face à mon ennui évident.

- Mais nan, je vais rester avec toi, je l'assure. Haku peut bien nous attendre un peu.

Cependant, malgré mes dires, je sens ma gorge s'assécher de minute en minute. Comme je n'ai qu'une heure de cours, le vendredi, je ne pense jamais à emporter une bouteille d'eau. Sentant qu'on va encore poireauter ici un bon moment, j'attrape mon portefeuille dans mon sac et me lève.

- Je vais chercher à boire au distributeur. Tu veux un truc ? je demande à Yuuichi.

- Je veux bien un jus de pomme, oui, il répond en souriant.

J'acquiesce, et quitte la salle d'attente pour redescendre à l'étage inférieur. Il y a un distributeur à chaque étage, mais celui du rez-de-chaussée offre plus de choix. J'achète un jus de pomme pour mon frère, et prends un jus d'orange pour moi. Les canettes en main, je fais demi-tour et m'apprête à retourner auprès de Yuuichi.

Soudain, j'aperçois une chevelure brune familière disparaissant au coin d'un couloir.

Je cligne plusieurs fois des yeux, surprise, et un peu perdue. La vision n'a duré qu'une fraction de seconde. Si bien que je ne suis même pas sûre de l'avoir vraiment vu, en fait. Je reste fixée sur place pendant quelques secondes avant de me secouer. Autant aller voir, histoire d'être sûre...

Mes pas, plus hésitants que je ne le voudrais, me mènent tout de même jusqu'à ce couloir. J'atteins l'angle où j'ai cru le voir disparaître, et me tourne à mon tour dans cette direction. Rien. Je ne vois personne. Pas un visiteur, pas un patient, pas un membre du personnel médical. Juste un couloir vide. Et certainement aucune trace de cette chevelure brune pourtant si présente dans mon esprit.

J'ai dû rêver...

~☆°

Sachez que toutes les conneries sur Roméo et Juliette dans ce chapitre sont vraiment des trucs dont on a parlé en classe. Notre prof fumait clairement un joint avant chaque cours. Je suis traumatisé par ce CM. En plus il fait partie des trucs que je dois repasser en exam la semaine prochaine. Je suis pas allé à un seul CM pour pas me retraumatiser, j'ai juste gardé mes notes de l'année dernière et je vais devoir tout revoir d'un coup. Sauvez-moi. Je hais Shakespeare. 

Edgymyrm = "edgy myrmidon", "épéiste edgy", un archétype de Fire Emblem
Gentlemyrm = "gentle myrmidon", "épéiste gentil", le contraire de ce même archétype
Hakuryuu aura aussi un pseudo qui match un peu avec les leurs, mais vous le verrez quand il apparaitra. Hakuryuu lui-même apparait au prochain chapitre, d'ailleurs. Tout comme un certain sunshine. 

Sur ce, à la prochaine 💜

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