Chapitre 2
Je souffle un bon coup, mal à l'aise d'avoir autant d'inconnus autour de moi. Je connais la moitié des candidats qui ont obtenu le saint Graal comme moi, mais dans cet endroit en plein Paris, tout me semble impressionnant. Le siège de l'ESA est de loin la chose que je voulais voir un jour, mais maintenant que j'y suis j'ai l'impression d'être une impostrice.
Tous les autres astronautes autour de moi semblent sérieux et un peu excités avec leurs grosses valises, moi non comme j'habite dans la banlieue. La rue était vivante, comme chaque jour dans Paris, le ciel bleu, la brise légère. Mais malgré tout ça, je n'arrive pas à trouver le moral. Entre la conférence de presse qui se rapproche de plus en plus et mes disputes répétées avec Xavier depuis plusieurs jours, je ne sais pas où j'en suis.
Je ne regrette absolument pas ma décision, j'ai le droit de vivre ma vie comme je l'entends et d'accepter des opportunités comme celle-là. Point. Mais cette victoire personnelle me laisse un goût amer sur la bouche. J'en ai parlé à mes parents, et eux ont réagit avec beaucoup de bienveillances, réellement heureux pour moi. Je sais qu'ils détestent Xavier, alors leur parler de mes problèmes de couple pour avoir un conseil... Comment vous dire qu'ils comprennent ma situation, mais qu'ils pensent que je dois être égoïste. Pour eux, mon couple ne tiendra pas, et s'ils me le disent aussi franchement, c'est pour me préserver. Les grandes décisions impliquent de grands changements. Et même si mon coeur souffre en ce moment, je sais au fond de moi qu'elle est la meilleure chose à faire.
Pour le moment, je me refuse d'y penser. Je veux vivre cette conférence comme si c'était l'unique de ma vie, profiter de l'instant, et j'aviserai après.
— Pour la conférence faites attention aux journalistes, nous met en garde un homme dont je n'ai pas retenu le nom, trop occupée à penser à ma vie personnelle. Pas d'intime, pas de personnel, pas d'aliens ou je ne sais quoi. Pensez au public, aux journalistes. Soyez agréables et si question, on est là pour ça. Première apparition publique, rappelez-le-vous tout le long. Pas de pression, mais un peu quand même.
Rassurant... Les minutes qui suivent passent extrêmement rapidement comme on signe un contrat, on s'habille aux couleurs de l'agence et on se prépare mentalement. J'oublie Xavier, souffle un bon coup, et prépare le sourire sur mon visage.
Je me tourne pour jeter un coup d'œil à l'état de mes coéquipiers, mais tous semblent aussi concentrés que moi juste avant. Sauf un.
Luca Calabresi m'observe d'un oeil distrait, amusé par mes grimaces. J'avoue avoir essayé plusieurs têtes pour être la plus naturelle possible, mais ce n'est pas la chose la plus hilarante qui soit. L'italien s'approche de moi à pas de loup en remettant bien les manches de son polo bleu.
— Prête ? Il me demande en anglais avec un petit accent craquant, je l'avoue.
— Pas le choix, on a signé pour ça. Dans dix jours, on commence déjà la souffrance.
— C'est vrai, quelque chose me dit qu'on vient de passer la partie la plus simple, dit-il en ricanant.
Il n'a pas tort. J'ai lu le contrat, signé quand il me semblait parfait, et puis me voilà engagée à commencer dans moins de deux semaines ma nouvelle vie. 10 jours pour prendre une autre décision. 10 jours qui me laissent une opportunité de tout reprendre à zéro.
— Bon, je crois qu'on doit y aller, me prévient Luca en observant les gens bouger autour de nous. Ordre alphabétique, on ne sera pas côte à côte à la conférence mais j'ai hâte de mieux te connaitre. Ciao !
— Moi aussi...
Son attitude me perturbe un peu mais il est plutôt sympathique dans son genre. Nous ne sommes que six, et pourtant je ne connais que deux personnes sans parler de Luca. Une autre femme, une allemande je crois, et un anglais. Maintenant, je connais plus de la moitié de notre promotion, c'est cool. Mais l'attitude décontractée de Luca avec ses airs de mafieux m'a plutôt stressée. Je suis loin d'être la seule à flipper, mais je ne fais que penser aux journalistes qui vont nous canarder de questions. Et le pire, c'est que nous sommes à Paris et que je suis la seule française retenue.
C'est un peu ironique, je vais devenir astronaute mais je flippe comme une idiote ! Je dois me ressaisir, ce n'est pas moi.
Nous prenons place dans une grande salle derrière une table où sont inscrits nos noms et nationalité. Des dizaines et dizaines de caméras sont pointées sur nous, et mes jambes se mettent à trembler sous la table. En réfléchissant un peu, je n'ai pas pensé à tout cet aspect médiatique. J'ai postulé pour l'espace, pour ma passion, pas pour tout ça, même si la communication est importante. Je ne veux pas avoir la même popularité que Thomas Pesquet, par exemple. Je veux juste parler de tout ça, sans qu'on ne m'arrête dans la rue.
D'un coup, une grosse boule lourde et oppressante s'installe dans mon estomac, me coupant le souffle. Il faut que je me calme, trop de choses se bousculent dans ma tête. Comme pour me rassurer, je tourne la tête à gauche où est installé Luca, beaucoup plus loin. Son air serein et calme me rassure, encore plus quand il trouve mes yeux paniqués. Ses iris brunes se plantent dans les miennes, et mon coeur s'apaise un peu. Il souffle tout bas pour m'inciter à respirer comme lui, et tout se calme au bout de deux minutes. Je lâche un merci silencieux et les questions commencent.
On nous épie, nous pose des questions curieuses mais on s'intéresse à nous. On parle de notre passé, de nos travaux. C'est incroyable de voir chaque parcours différent et nos oppositions totales sur certains points. Quand Luca explique sa vie, je suis pendue à ses lèvres au point d'en culpabiliser. Dès qu'il ouvre la bouche, une sorte d'attraction me pousse vers lui. C'est horrible.
J'apprends qu'il détient un doctorat en astrophysique et ses nombreuses recherches sont reconnues dans le monde entier. Dans ces moments là, je me rends compte que je suis un peu ignorante sur certains points mais tant pis. J'essaye de suivre même quand sa vie devient technique et je comprends qu'un peu comme moi, il a postulé au programme sans attentes particulières. Sauf qu'il est avec nous maintenant.
Je vois les autres chercher et saluer discrètement des gens dans le public de temps à autre, mais moi je ne fais rien de tout ça. Mes parents n'avaient pas l'argent pour faire le déplacement, et Xavier n'en parlons même pas. On prend la pose à six, puis c'est le bordel.
D'un coup, alors qu'on m'amène vers les journalistes pour des petites interviews individuelles, j'ai un déclic. Tout ces médias, tout cet engouement, ce nouveau chemin que j'emprunte, je ne peux pas me saboter alors que toutes ces opportunités m'ouvrent les bras. Alors qu'une femme de la communication me tient la main à travers la foule, je sais.
Ma décision est prise.
De grandes décisions impliquent de grands changements, à commencer par mon mariage chaotique où l'amour ne règne plus.
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