Septième Nuit, Lune Nouvelle
Cupidon se promenait dans les rues.
Il ignorait ce qu'il faisait dehors ; il était en plein dilemme. Pouvait-il toujours croire en l'amour ?
"Les histoires d'amour finissent mal, les histoires d'amour finissent mal en général" chantait une voix dans sa tête. *
Pouvait-il prendre ce risque, après ce qu'il s'était passé ? Il se sentait si coupable... Sa mère était morte, assassinée d'amour, mais il était l'amour. Il ne voulait plus être l'amour. Lui qui était si optimiste autrefois, lui qui pensait être la solution de tous les maux des Thierceloix. Il avait cru qu'apporter l'amour dans le cœur de chacun annoncerait une ère nouvelle, une ère de paix.
Eh bien, il avait été servi : une ère nouvelle était survenu, consacrant la mort, le chagrin et le désespoir. Une larme roula sur sa joue, et un rayon de lune la fit briller.
Cupidon leva ses yeux vers l'astre argenté. Ô, diabolique Sélène**, comme il aurait voulu la détester ! Mais elle était si belle, si brillante, que pour elle il pouvait y croire encore. C'était même plus fort : pour elle, il devait y croire encore.
Alors le petit ange saisit une flèche, banda son arc, et tira en plein dans le cœur de la plus maussade des jeunes du Village. Si quelqu'un était le plus à même de survivre, c'était très certainement elle, et si quelqu'un avait besoin d'amour, cela faisait encore moins de doute qu'elle était la cible toute désignée.
Puis il se dirigea vers la maison de la Semenceuse, où vivait son amie.
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L'enfant Sauvage sortit de sa tanière. Elle avait été si sage, jusque là !
Mais Ils avaient commis l'irréparable.
Et Ils allaient le payer. Très, très cher.
Elle ignorait tout de leurs lois, la bienséance ne lui revenait pas : elle était l'Enfant Sauvage.
Mais lui, il avait été là, il l'avait guidé pas à pas, il lui avait expliqué cette société qu'elle ne comprenait pas.
Et Ils l'avaient tué.
Sur le moment, elle avait voulu hurler, crier, pleurer sa peine, sa rage, son envie de tous les détruire, mais aucun son n'avait franchi ses lèvres ; ô, pauvre petite orpheline muette !
Mais elle se vengerait d'eux. Puisque son mentor n'était plus, le seul qui lui apportait de l'humanité, elle rejoindrait les ennemis des ces Villageois Imbéciles.
L'Enfant Sauvage allait devenir un loup garou.
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Que de monde, ce soir là ! La petite famille des loups s'était bien agrandi.
Voir ces deux nouvelles têtes ne pouvait que réjouir l'Infect Père des Loups. Il avait perdu deux enfants plus tôt dans la semaine, mais ce soir il avait comme l'impression que la Lune lui accordait ceux-là à la place. Tout lui semblait parfait ; et pour encore rajouter à son bonheur, le plan qu'il avait conçu la veille avec ses enfants pour enfin en finir avec le Renard avait marché à merveille. Son aînée avait répandu la nouvelle auprès des Villageois de l'orée de la forêt ; son cadet s'était fait l'avocat du diable, afin de dissiper les doutes, et même la louve rebelle avait joué son rôle parfaitement.
Toutefois, ce succès ne pouvait pas être mentionner devant les deux nouveaux : il ne fallait pas prendre le risque de les choquer, et l'Infect Père devait s'y prendre en douceur avec eux.
Il leur sourit tendrement, du plus tendrement que ses canines proéminentes le lui permettaient. Oui, ce soir là, tout allait bien.
Ou presque. Il n'y avait qu'une ombre au tableau que formait cette jolie famille cannibale : le visage tuméfié et sanglant du plus jeune loup, qui s'était fait tabasser dans la journée. Mais de tels actes ne resteraient pas impunis.
L'infect père esquissa un rictus cruel, leva sa gueule vers le ciel et adressa un sombre hurlement à la Lune. C'était le signal qu'attendait la meute : aussitôt, ils galopèrent jusqu'à la maison des Planteurs et, même si ça n'avait pas l'air de plaire à l'aînée des enfants loups, ils ne firent qu'une bouchée du jeune Lillian.
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June dormait enfin à poings fermés ; Rose pouvait enfin se lever et partir à la recherche d'information. Comme la veille, elle se posta devant une fenêtre et attendit que passe quelqu'un.
Dans le creux de son cou, un picotement la dérangeait, comme si elle s'était faite piquer par une guêpe ou une abeille.
Les abeilles et les autres insectes étaient-ils affectés par la malédiction ? Peut être y'avait-il des fourmis-garous, qui terrassaient les autres fourmis de leur fourmilière, et peut être même qu'il y avait une petite fourmi qui, comme elle, se réveillait chaque nuit pour essayer d'en savoir plus.
Perdue dans ses rêveries, Rose finit par s'endormir sur son poste d'observation. Quelques instants plus tard, qui auraient tout aussi bien pu être quelques minutes comme quelques heures, une étrange sensation la réveilla. Une sorte de besoin impératif, de pressentiment, comme si quelqu'un était là pour elle, quelqu'un qu'elle avait toujours attendu.
Dans la sombre nuit, Rose crut voir les deux beaux yeux de Luna.
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La petite louve blanche était perturbée. Quelque chose n'était pas à sa place dans l'Univers. Ce quelque chose lui faisait ressentir d'étranges sentiments. En fait, ce quelque chose lui faisait justement ressentir des sentiments, ce qui n'était déjà pas habituel.
Qu'est ce que ça pouvait bien être ? Même le fait d'avoir tuer sa propre sœur ne l'avait pas tant affecté.
Pire encore, l'élément perturbateur de l'Univers semblait venir d'elle. Mais que lui arrivait-il ? Elle n'était même pas d'humeur à assassiner qui que ce soit ce soir.
Un picotement sur la clavicule la démangeait. En se grattant le cou, la louvette rentra chez elle, se reprochant mentalement sa faiblesse.
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Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable
Le Joueur de flûte a sorti sa lyre ce soir ; quelle ironie morbide : il porte du noir
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune
On croirait voir vivre
Et mourir la Lune
Mais quelle atmosphère étrange dans le Village ; les Thierceloix font de cette histoire tout un fromage
Comme des nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées
Il part en direction de la forêt ; ce soir il a deux cibles privilégiées
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune
On croirait voir vivre
Et mourir la Lune
Le joueur de flûte rit pour la voûte étoilée ; ce soir deux charmantes sœurs seront ensorcelées
Corneille poussive
Et vous, les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive ?
Émilie et Johanna, Bonsoir.
Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable
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* La chanson à laquelle pense Cupidon existe, c'est Les histoires finissent mal ( pas évident ) des Rita Mitsouko
** Sélène est, dans la mythologie grecque, la Titanide en charge du char de la Lune avant que Artemis ne récupère le rôle. Ainsi la Lune est souvent désignée par son nom, ou par celui de Phébé, qui est la mère de Léto donc la grand mère de Artemis. Un troisième équivalent est Diane, la version romaine de Artemis
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