Quatrième matin, pouvoir aux enfants
Une fois. Puis trois. La cloche annonça un drame, puis que le conseil du Village devait, encore une fois, se réunir.
Rose trouvait en cette cloche une routine étonnante, dérangeante. Elle refusait de s'habituer aux morts le matin, elle redoutait de finir par concevoir cette horreur comme une banalité. Son impuissance la démangeait, elle n'arrivait pas à comprendre comment les autres supportaient la situation.
Frissonnant, elle se cramponna au bras de sa mère, inquiète quant à celui qui avait trouvé la mort cette nuit.
Au centre de la grande place se trouvait la femme du Maire et son fils. Evan. À leurs pieds gisaient le Maire lui-même, souffrant, haletant.
Rapidement, tout le Village se rassembla. Charlotte la fille du teinturier s'avança : « John notre Maire a été agressé cette nuit, et va en périr. Monsieur le Maire, dévoilez nous votre médaillon, et désignez un successeur, s'il vous plaît.
- J'étais un Voleur, avoua humblement le Maire, en ouvrant son médaillon et en le levant à la vue de tous. Je nomme André, notre Doyen, comme futur maire.
Immédiatement, ses yeux se révulsèrent, et il s'immobilisa, mort. Certains Villageois s'approchèrent de Margaret sa femme et de Evan, pour leur présenter leurs condoléances, tandis que d'autres s'avancèrent congratuler André. Rose et sa mère restèrent assises, la petite fille observait Charlotte, immobile au milieu de la grande place. La fille de la teinturière attendit un instant que l'agitation cesse, puis indiqua au nouveau Maire : « Monsieur, nous devons maintenant observer les traditions, et procéder au vote.
Le père du Planteur acquiesça, et réclama le calme. Peu adepte des longs discours contrairement à son prédécesseur, il demanda simplement si quelqu'un avait une information à transmettre aux autres Villageois.
« Nous devons être plus prudent qu'hier, et surtout ne plus accuser sur un coup de tête, commença Paul le teinturier, avec un regard lourd en direction de la Joaillière.
- C'est ça ! Tu dis ça pour protéger ta fille, pas vrai ? Mais ne t'inquiète pas, on a tous vu clair dans son jeu ! Charlotte est un loup-garou, ça saute aux yeux, vociféra Lavande.
Emilie la teinturière se leva d'un coup, avec l'air de vouloir étriper celle qui s'en prenait ainsi à sa fille, mais son père Samuel l'ébéniste s'avança. « Tu dois apprendre à mesurer tes mots, Joaillière, et cesser d'accuser à tort et à travers. Tu as déjà la mort de Paolo notre feu laboureur sur la conscience, ne salit pas encore une fois de sang tes blanches mains.
- Seraient-ce là des menaces, ébéniste ? Va tu me dévorer ce soir si je n'agis pas comme tu me le commandes ? Ne prends pas cet air étonné ; bien sûr que je connaît ton identité, vieil homme. Pour quelle autre raison défendrais-tu la petite Charlotte ? Pour quelle autre raison vivrais-tu seul, isolé dans les bois ? Mes amis, ne nous laissons pas faire par ce vieillard. Il veut manger nos enfants le soir ; il a déjà mangé mon fils, alors mes amis, vite, agissons !
C'est ainsi que malgré les suppliques de Emilie la teinturière et Johana la cordonnière, clamant l'innocence de leur pauvre père, la majorité des Villageois décidèrent, à la plus grande incompréhension de Rose, d'éliminer Samuel l'ébéniste.
Il s'agenouilla, offrant sa nuque à la hache, et avec un regard de tendresse pour sa petite fille, il la dispensa de sa pénible labeur.
« Je suis le Chevalier à l'épée rouillée. Que ma mort vous bénisse, Villageois, et qu'avec moi meure le plus proche lycanthrope, en guise de représailles ! »
La hache s'abattit, tuant le vieil homme, et simultanément, Evan le fis du Maire décédé se mit à convulser. Un hoquet le saisit, et il s'effondra au sol, mort.
Délicatement, Charlotte récupéra son médaillon, et au plus grand malheur de Margaret, elle murmura : « Evan était un loup garou. »
~ ~ ~ ~ ~ ~
L'atmosphère joyeuse et enfantine de l'école avait viré à celle d'une veillée mortuaire. L'absence de Evan et de Oscar se ressentait comme un trou béant dans la salle de classe, et le mutisme de Anna l'Orpheline n'arrangeait en rien la situation. Anaïs l'institutrice tentait tant bien que mal de distraire les enfants de leur sombre pensée, mais ses efforts semblaient vain. Elle leur proposa donc d'en discuter, arguant que peut être ils s'en sentiraient rassurés. Elle demanda à chaque enfant de se lever, et de tenter de décrire son ressentit, par ordre alphabétique.
Juliette et Inès, les filles de Stéphane le Boulanger, commencèrent et expliquèrent qu'elles ne comprenaient pas grand chose à ce qu'il se passait au Village, mais qu'elles avaient très peur de se faire manger par les loups.
Ensuite Lillian le fils du Planteur et ses deux frères prirent à tour de rôle la parole, en répétant plus ou moins les mots des filles du Boulanger. Le petit Nolan ajouta néanmoins qu'il commençait aussi à avoir peur des adultes, et surtout de Lavande la Joaillière. Il s'inquiétait pour ses parents, et craignait que Lavande ne pousse le village à exécuter l'un deux.
Vint le tour de June, la fille des menuisiers. Elle haussa les épaules, et ne prononça pas un mot, l'air de trouver parfaitement inutile ce petit exercice. En ce point, Rose partageait entièrement son avis : oui, ils avaient peur, oui, tout cela était incompréhensible, mais il n'y avait rien à rajouter.
" Ne veux tu pas nous parler, June ? lui demanda tout de même l'institutrice.
- Mes parents sont déjà morts, alors peu m'importe de me faire manger à mon tour. Et je ne comprends pas non plus ce qu'il nous arrive, comme absolument tout le monde au Village, car il n'y a rien à comprendre. Donc en effet, non, je ne vois pas d'intérêt à vous partager mon avis.
Après ça, Rose cessa d'écouter ce que disaient les autres enfants, et se contenta simplement de répéter qu'elle aussi était effrayée. Elle préférait observer June. La jeune fille était fermée comme une huître, elle paraissait insensible au monde qui l'entourait. Rose ne parvenait pas à imaginer ce qu'elle pouvait bien ressentir ; ce devait être un calvaire.
Quand sonna la fin de la matinée, elle rejoignit la fille des feu menuisiers : "June, attends !
- Oui, fille de la Semenceuse ?
- Tommy le fils de la cordonnière m'a dit que tu avais dormi seule chez toi hier soir. Tu veux venir chez moi cette nuit ? On est à peu près voisines, et ça ne doit pas être rassurant d'être seule. Et c'est dangereux.
- Oh, c'est vraiment gentil de ta part, Rose. Je veux bien, merci. Surtout que..." June regarda aux alentours puis lui chuchota : "J'ai entendu Catherine la planteuse dire à Paul le teinturier que Lavande voulait m'héberger chez elle. L'horreur !
- Je n'imagine même pas, compatit Rose en explosant de rire. C'est incroyable, elle est complètement folle mais tous les adultes l'écoutent quand même.
- Je pense que le vote de ce matin leur a fait comprendre qu'elle est barjo. Enfin, j'espère... Je pars à l'atelier de bois, à ce soir fille de la Semenceuse !
- À ce soir, June !
Rose s'éloigna en souriant. Elle était contente d'avoir fait sourire la fille des feu menuisiers, qui s'était montré bien plus loquace et lumineuse avec elle qu'en classe. Elle avait toujours bien aimé June, sans vraiment oser être son amie. Plus âgée qu'elle, la fille des menuisiers passait plutôt son temps avec Tommy le fils de la cordonnière et Luna, et leur petit groupe était assez impressionnant pour la petite Rose.
~ ~ ~ ~ ~ ~
L'après-midi, les enfants - même ceux ayant arrêté l'école - furent dispensés de leurs habituelles besognes sur demande express de leur institutrice. Anaïs pensait qu'une telle coupure leur permettrait de se réunir et qu'ils pourraient ainsi mieux se confier qu'à l'école.
Son déjeuner avalé, Rose rejoignit ainsi les autres enfants sur la grande place. Robin le fils de la tisserande faisait jouer les plus jeunes, et Lillian le fils des planteurs tentait d'arranger une dispute entre ses deux frères. Rose s'approcha de June qui lui faisait un signe de la main, et intriguée, elle demanda : "Où est Charlotte ?
- Chez elle, elle avait des choses à faire. Des choses mystérieuses, bizarres et dont nous ne saurons jamais rien, tu la connais, lui répondit Tommy le fils de la cordonnière, assit par terre entre June et Luna.
- Même si elle te le disait, tu ne pourrait pas comprendre. Tu es bien trop bête, et Charlotte est de loin la plus intelligente de ce village. Elle est une des seules à comprendre ce qu'il se passe en ce moment.
- Cela ne voudrait pas dire qu'elle fait partie des loups-garou, Luna ? demanda June.
Choquée de cette accusation envers son amie, Rose fit de grands yeux et s'inclina pour mieux entendre la réponse de la fille du boulanger.
- Bien sûr que non. Charlotte est bien plus puissante qu'un pauvre loup. Et puis, elle est quelqu'un de bien.
- Ma mère est... était aussi quelqu'un de bien, répondit froidement la fille des menuisiers.
- Bien sûr, intervint doucement Rose. Je suis sûre qu'elle n'aurait jamais agit de la sorte si elle en avait eu le choix, June.
La jeune adolescente adressa un regard plein de gratitude à Rose, qui sourit en tentant d'ignorer le rictus moqueur de Luna. Tommy, qui se moquait bien de tous ces bons sentiments, s'agita à leurs côtés : "N'empêche, si ça n'est pas Charlotte, il faut bien que ce soit quelqu'un, et au rythme où vont les choses, Lavande la joaillière aura décimé tout le Village avant qu'on ne puisse découvrir qui.
- C'est vrai qu'elle est complètement dingue, celle-là !
- Mais pourquoi est ce qu'ils l'écoutent tous ? C'est évident qu'elle est devenue folle, depuis la mort d'Oscar !
- Parce qu'ils ont peur, et elle est la seule à prendre les choses en mains, alors ils la suivent, comme un gentil troupeau de mouton, expliqua Luna.
- Alors on doit arrêter ça. A partir de maintenant, nous n'avons qu'à prendre nous même les devants ! On ne peut pas laisser ces adultes irresponsables tous nous tuer, s'exclama Rose, déterminée.
Autour d'elle, les trois jeunes acquiescèrent. Les choses allaient enfin commencer à changer, à Thiercelieux.
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