Premier matin
Rose se leva avec un mal de crâne terrible. Elle avait fait un drôle de rêve cette nuit, et elle n'y avait pas compris grand chose. Sa mère lui dirait que c'était à cause de la Lune.
De toute façon, quoiqu'il arriverait aujourd'hui, les villageois en tiendraient la Lune pour responsable. Cette haine envers le pauvre astre était une tradition à Thiercelieux, car chacune de ses rares apparitions s'accompagnait de terribles événements.
Et malheureusement, hier soir, la Lune s'était levée. Rien de bien méchant, juste un tout petit croissant que Rose avait trouvé magnifique. Mais sa mère n'avait pas été de cet avis, et lui avait rapidement ordonné de rentrer dans leur chaumière, en sécurité.
Rose descendit dans la salle à manger. Sa mère était déjà debout, à s'affairer aux fourneaux. Démi était encore une belle femme, que le soleil des champs avait marqué de trente-neuf printemps. Au village, elle passait pour savante, car elle connaissait toutes les plantes, et pouvait déterminer d'un simple coup d'œil quelle fleur était comestible ou non. Démi détenait ce savoir de sa mère, qui l'avait elle même appris par sa propre mère, et la culture des plantes se transmettaient ainsi, de générations en générations, aux femmes de la famille.
Démi était la Semenceuse. Après chaque moisson, c'était à elle d'indiquer au reste du village quelles graines planter pour la saison nouvelle.
Elle déposa une galette de blé dans l'assiette de sa fille, et s'installa face à elle pour déjeuner. Dehors, les cloches sonnaient.
Une fois, pour un événement heureux.
Deux fois, pour un drame.
Trois fois, pour une réunion de tous les villageois.
Ce matin là, les cloches sonnèrent trois fois : le maire voulait tenir un conseil. Rien de moins surprenant, avec l'apparition de la Lune. Mais tout ce petit manège exaspérait profondément Rose. Certes, c'était sa première Lune, elle ne pouvait pas s'exprimer en tant que connaisseuse, mais enfin, comment tous ces adultes pouvaient se montrer si peu rationnels ?
Elle remonta dans sa chambre s'habiller, puis partit avec sa mère en direction de la grande place. Tous les habitants du petit village commençaient déjà à affluer vers le centre, où les bancs de bois du conseil avaient été installés.
Chacun avait son siège attribué : dans un aussi petit village, c'était un luxe que l'on pouvait se permettre. Rose devait s'asseoir entre sa mère et son ami-voisin Lillian le fils du Planteur, un petit garçon de son âge. En face d'elle se trouvait le maire, entouré de sa famille. Il n'avait pas de siège, mais à la place se trouvait une petite estrade.
Ainsi, perché sur son estrade, le maire attendait que tous prennent place. Il se racla la gorge, et revêtit son air grave des jours austères. D'une voix très dramatique - c'en était presque comique, selon Rose - il prit la parole :
"Mes chers concitoyens, mes chers amis. Hier soir, la Lune a décidé de revenir parmi nous. La dernière fois que nous la vîmes, nombreux furent les drames qui s'ensuivirent. Nous ignorons ce qu'il adviendra dans les jours à venir. Alors pour votre sécurité, je vous en conjure : barricadez vous dans vos maisons le soir, ne sortez sous aucun prétexte. Toutes les mesures de sécurité nécessaires seront prises, mais surtout, nous ne voulons pas répéter les mêmes erreurs qu'il y'a quinze ans..."
Ce fut suffisant pour Rose, qui décrocha. Elle n'en pouvait plus de ces vieux croûtons qui ressassaient perpétuellement le passé ! Pour se distraire, elle observa les visages autour d'elle. Tout le monde était plus ou moins concentré sur les paroles du maire. A côté d'elle, Lillian se disputait avec son petit frère. Sur la gauche, Salvador, le saltimbanque, faisait des grimaces à Juliette et Inès, les filles du Boulanger.
Et à droite, Charlotte, fille de la teinturière, était complètement dans la Lune - sans mauvais jeu de mot. Mais en même temps, Charlotte avait toujours l'air ailleurs. Rose l'aimait bien, elle était gentille, mais force était d'admettre qu'elle était aussi très bizarre.
"... en tout cas, nous nous devons de rester unis. Bonne journée à tous, et que la chance soit avec nous !" Sur ces derniers mots, les villageois se levèrent, quittant la grande place par petits groupes pour vaquer à leurs occupations. Ils avaient beau être terriblement superstitieux, ils restaient des artisans qui vivaient essentiellement de l'agriculture, et les champs ne se labouraient pas d'eux mêmes.
Rose rentra chez elle, emballa son déjeuner dans un torchon et reprit la route vers l'école après avoir embrassé sa mère. Tous les enfants de Thiercelieux, à partir de cinq ans, se retrouvaient chaque matin dans la classe d'Anaïs, l'institutrice du village. Ils y apprenaient à lire, à écrire et à compter; et une fois ces savoirs parfaitement maîtrisés, ils recevaient leur diplômes et pouvaient rejoindre leurs parents dans les champs.
Pour Rose, la période scolaire touchait à sa fin. En effet, Anaïs lui avait dit la veille qu'elle passerait son examen dans la semaine, et que si elle le réussissait, elle obtiendrai son diplôme. Elle deviendrait alors une grande, comme Luna, la fille du boulanger, et Tommy, le fils de la cordonnière ! Rose n'avait plus qu'à espérer
que l'apparition de la Lune ne bouleverse pas ses projets.
~ ~ ~ ~ ~ ~
A l'école, tous les enfants paraissaient inquiets. Enfin, sauf Charlotte, bien entendu. Charlotte la fille de la teinturière n'exprimait jamais d'émotion.
"Madame Anaïs, est ce qu'on va mourir ? demanda Nolan, le jeune frère de Lillian.
- Il n'y a pas de raison que cela arrive, fils du planteur, le rassura l'institutrice.
- Mais la Lune est dans le ciel, madame Anaïs !
- Ne t'inquiète pas Juliette, fille du boulanger, le maire nous protégera. Allez, les enfants, on va commencer à travailler, ça vous empêchera de penser à toutes ces histoires. Prenez vos ardoises !
Rose regarda Lillian, qui lui sourit en levant les yeux au ciel. Apparemment, lui aussi avait hâte de s'échapper de là. Après tout, il n'y avait plus que des petits, ou des froussards dans cette classe !
Après la matinée de leçons, Rose prit le chemin de sa maison en compagnie des trois fils du planteur, Lillian, Nolan et Gaëtan. Perdue dans ses pensées, elle laissa les garçons déblatérer sur le discours du maire de la matinée. Autant s'y habituer de toute façon, ce serait le sujet de toutes les conversations ces prochains jours !
Rose passa l'après midi aux champs avec sa mère, tentant de retenir les noms de toutes les graines que Démi lui indiquait. Le soir, épuisée, elle s'endormit rapidement et s'enfonça dans un lourd sommeil sans rêves.
~ ~ ~ ~ ~ ~
Jusqu'à ce qu'un hurlement la réveille.
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