Neuvième Nuit, Lune Paisible


La Voyante se réveille. Elle ignore si ses pouvoirs agiront ce soir ; son don de vision sera-t-il, lui aussi, affecté par la venue de la pleine Lune ? 

Les esprits ne sont pas encore là. Seule dans le noir, elle attend. Elle n'entend pas leurs bas chuchotements inintelligibles qui annoncent habituellement leur arrivée ; et l'air ne change pas non plus.

Ou presque pas. La petite Voyante cligne des yeux ; deux petits spectres sont apparus. Les autres nuits, les esprits étaient si nombreux qu'elle n'avait jamais songé à les compter ; mais ce soir, il ne reste plus que ces deux là.

"Tu ne nous reconnaît pas ? demande tristement le premier.

- Ce n'est pas grave, le rassure le second. Petite June, écoute nous bien..."

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Les Loups s'étaient rassemblés. 

La Lune, à moitié cachée derrière les nuages, ne leur autorisait pas de dîner ce soir, et ils souffraient tous de cette diète. Mais la promesse d'un festin prochain les rassurait, et leurs estomacs affamés s'en réjouissaient d'avance.

Ils n'avaient aucune obligation de se lever cette nuit là, mais tous l'avaient fait, et la meute était au complet. 

Il y avait d'abord l'Infect Père, dont le corps si jeune détonnait avec l'esprit si vieux qui l'habitait. À ses côtés, son bras droit, son aînée, peut être la plus fidèle de ses enfants, dont les sentiments se mélangeaient : l'esprit, Alpha, combattait la faiblesse du corps, tandis que le corps combattait la cruauté de Alpha. Alpha avait choisi comme hôte une villageoise qui aurait pu être parfaite, si elle ne subissait le deuil de deux de ses fils. La tristesse qu'éprouvait la villageoise émoussait ses sens, l'assourdissait et lui faisait comme une rage de dents, ce qui n'était pas du tout au goût de Alpha.

Ensuite, il y avait le nouveau, Oméga, que le Père avait invoqué trois nuits plus tôt. Un esprit jeune, fougueux et fier d'avoir enfin une occasion de faire ses preuves. L'Infect Père avait l'air heureux de sa présence dans la meute, et pour prouver sa légitimité, Oméga était prêt à tout accepter.

Oméga n'était pas le seul nouvel arrivant. Avec lui était venu un nouveau loup, une toute jeune louve pleine de colère, mais coopérative. Elle ne faisait pas réellement partie de la famille ; elle était même d'une toute autre espèce. Mais son objectif était le même que le leur, alors Père l'avait accueilli à bras ouvert dans la meute.

Et puis enfin, il y avait le mouton noir, le vilain petit canard. La louve au blanc pelage, qui se distinguait en tout, qui détonnait parmi ses frères tout gris. Elle était venue ce soir, ce dont Père se félicita ; peut être enfin la louve rebelle se déciderait elle à rentrer dans les rangs. Mais il continuait de se méfier d'elle car, s'il connaissait à l'avance tous ses enfants, cette louve là ne semblait être habité par aucun esprit de sa progéniture.

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La Sorcière était d'humeur magnanime ; elle ne tuerai pas l'assassin de son fils ce soir, et lui laisserai un jour de plus à vivre. Et ça n'était pas seulement parce qu'elle n'avait pas le choix et que la Lune l'y forçait. Elle allait profiter de cette nuit de plus pour concocter un sortilège plus terrible encore.

Au milieu de ses potions, en haut de l'étagère, une enveloppe avait été laissé à son intention. À l'intérieur se trouvait le nom du coupable, de celui qui avait poussé Lillian à se battre contre son fils, de celui qui avait mené tout le Village à exécuter son enfant.

La Sorcière déplia le petit papier, et hoqueta de surprise. Ça n'était pas un nom qu'elle souhaitait voir. C'était le nom de quelqu'un qu'elle appréciait, et dont elle s'était chargé de la protection. C'était le nom de quelqu'un dont les parents furent autrefois ses plus proches amis, en plus de ses plus proches voisins. C'était le nom de quelqu'un qui avait grandi avec ses fils, qui jouait et se disputait avec eux, et qu'elle avait même parfois considéré comme sa fille.

C'était le nom de June.

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Le Joueur de flûte a un rendez vous ce soir. 
Un rendez vous particulier, un rendez vous d'ordre professionnel. Le Joueur de Flûte espère bien obtenir une promotion, d'ailleurs. Agir dans l'ombre, c'est amusant quelques siècles, mais au bout de plusieurs millénaires, il faut bien avouer que c'est quelque peu lassant. 

" Tu m'as demandé, affirme une voix dans l'ombre.

- Bonsoir, Maître.

- Ne m'appelle pas comme ça. 

- Comme tu as l'air heureuse de me voir...

- Non mais à quoi est ce que tu t'attendais ? Des félicitations ? Bravo, tu m'as découvert ! se moqua la voix. 

- Tu es aussi aimable que tes prédécesseurs, ma chère.

- Que me veux tu ?

- Je veux un rôle. Cette fois ci, les choses semblent différentes. J'ignore ce que tu manigances, j'ignore même si les bouleversements dans la malédiction sont de ton fait, mais je sens que quelque chose n'est pas à sa place. 

- Super. Mais tout ça ne te regarde pas. Depuis quand les affaires du Village t'intéressent-elles ? Retourne jouer avec ta flûte, et laisse moi gérer les choses sérieuses.

- Petite Charlotte, je te demande de mieux parler à tes aînés. Aussi omnisciente que tu penses être, tu découvre tout cela pour la première fois, quand j'y baigne depuis des milliers d'années. Associons nous. Donne moi l'importance que je mérite. 

- Fais attention à tes problèmes de désir de reconnaissance. Tu sais où l'égo mal placé de Aton nous a déjà mené.

- Garde tes leçons de moral pour toi, je te prie, jeune fille, et évite de tels blasphèmes. De toute façon, et je te prie de m'en excuser, tu n'as guère le choix. Tu méprises ma flûte ; mais, pauvre petite, tu lui es soumise. 

Le Maître ne lui répond pas ; le Joueur de Flûte décide d'interpréter comme une victoire.

Si si mi, sol la do

Bientôt, ce sera lui le maître de ces lieux ; bientôt, ils valseront tous.

Le ciel est de cuivre 

Sans lueur aucuneOn croirait voir vivreEt mourir la Lune

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