Deuxième matin

Le lendemain, Rose se réveilla en ayant, une nouvelle fois, bien trop mal au crâne, et toujours avec le souvenir d'un nouveau drôle de rêve.

Quoique... était-ce vraiment un rêve ? Les chaussures au pied de son lit étaient tachées de boue. Vite, elle les cacha sous le sommier avant que sa mère ne les aperçoive. Cela la rendrai malade d'inquiétude.

En parlant du loup - toujours sans mauvais jeu de mot, évidemment - Démi était justement en train de lui annoncer cordialement qu'elle était terriblement en retard au déjeuner et que si elle ne descendait pas immédiatement, la menace de la Lune ne serait qu'une broutille à côté de la punition qu'elle recevrait.

N'ayant aucune intention de rivaliser avec la Lune, Rose dévala les escaliers à toute vitesse puis engouffra tout aussi rapidement son petit déjeuner.

Comme la veille, les cloches avaient sonné, trois fois. Les villageois se retrouvèrent donc sur la grande place, pour écouter le maire s'enorgueillir de l'absence de victime, laissant même entendre que peut être rien ne se passerait du tout.

Rose partait pour l'école, quand elle fut bousculé par Anna, l'orpheline, qui tentait de rattraper Oscar, le fils de la joaillière. Leur amitié était assez étrange, songea Rose, et ne devait sûrement pas être au goût de Lavande, la mère du petit garçon, une femme très snob qui n'appréciait pas beaucoup la petite orpheline.

Mais Rose soupçonnait le petit Oscar d'être un petit peu amoureux de Anna. Il paraissait bien timide et gauche, mais quand la volcanique orpheline était dans les parages, il s'efforçait toujours - avec plus ou moins de succès - de cacher son côté poltron.

Ils marchaient tous les deux devant elle, et se faisaient mille messes basses. La conversation semblait houleuse, mais Rose ne parvenait pas à en saisir le moindre mot, et de toute façon, ça ne l'intéressait pas. L'heure de rentrer en classe approchait, et elle avait tout juste le temps de saluer Lillian.

~ ~ ~ ~ ~ ~

Rose marchait vers les champs, d'une humeur massacrante. La classe avait été ennuyeuse, elle ne supportait plus de rester enfermée avec les petits pendant que les autres se rendaient utiles à l'extérieur. En plus de ça, sa mère ne l'avait pas attendu et elle avait du manger seule.

En chemin, elle croisa Luna, la fille du boulanger, qui portait deux sacs de farine plus gros qu'elle.

"Bonjour, Rose, fille de la semenceuse.

- Bonjour Luna. Veux-tu de l'aide pour les sacs ?

- Ce n'est pas de refus, merci, lui sourit la jeune fille d'une façon un peu étrange. Tu es une gentille petite, Rose. Mais méfie-toi, tout le monde n'apprécie pas les gentilles petites.

- Qu'est ce que tu veux dire ?

- La Lune brille dans le ciel, reste prudente. Et merci, pour le sac !

Surprise, Rose posa le sac de farine devant l'entrée de la boulangerie, sans trop comprendre l'attitude un peu étrange de Luna. L'adolescente semblait avoir laissé ces histoires de Lune lui monter à la tête. Rose était déçue; Luna était un modèle pour elle, et elle s'attendait à plus de rationalité et de clairvoyance de sa part, mais apparemment, la fille du boulanger était aussi superstitieuse que les autres.

"Tu as mis du temps, Rosie ! reprocha la mère à sa fille en la voyant arriver.

- Pardon, maman, j'aidais la fille du boulanger.

- Comme elle est serviable ta fille, Démi ! s'exclama Catherine la planteuse. Les miens ne font que le strict minimum pour avoir à manger le soir.

- Oui bon ça va aussi, on est juste à côté, ronchonna Lillian.

Rose éclata de rire, et passa son après midi à travailler le plus près possible de son ami pour pouvoir le taquiner. Heureux de passer du temps avec elle, il multiplia les singeries pour la faire rire, jusqu'à ce que sa mère ne vienne lui frapper l'arrière du crâne, arguant que "ce n'était pas en faisant l'imbécile que les patates se planteraient !"

Un peu avant le goûter, Démi libéra sa fille. C'était aujourd'hui les quatorze ans de Charlotte, la fille de la teinturière, et si aucune fête n'avait été prévue, Rose comptait bien tout de même lui offrir un cadeau. Elle passa d'abord chez le boulanger, où, à son plus grand soulagement, Luna n'était pas. Elle observait les pâtisseries sur l'étalage, quand Stéphane le boulanger entra : "Quelque chose te ferait plaisir, Rose, fille de la Semenceuse ?

- Bonjour Stéphane ! Je voudrai trois galettes de miel, s'il te plaît.

- Très bien, trois galettes pour toi ! Non, ne sors pas de monnaie, tu ne me dois rien : je devais un service à ta maman, elle m'a fourni les graines pour guérir Juliette l'hiver dernier.

- Merci beaucoup, Stéphane, bonne journée !

Toute contente, Rose s'éloigna et rangea dans son panier les trois galettes de miel, à côté du bracelet qu'elle avait fabriqué pour Charlotte.

Son amie habitait presque à l'extérieur du village, et le chemin le plus court qui menait à sa maison traversait une petite forêt. Toujours aussi guillerette, Rose avançait dans le bois en cueillant des fleurs qu'elle piquait dans ses cheveux, quand soudain une voix la surprit : "Comme on se retrouve, fille de la Semenceuse ! Que fais tu seule dans les bois ?

- J'apporte des galettes de miel à Charlotte, la fille de la teinturière, parce que c'est son anniversaire.

- Charlotte habite bien loin, et c'est dangereux de se promener seule dans la forêt pour une petite fille, murmura Luna. N'a tu donc pas peur du grand méchant loup, petite Rose ?

- Je n'ai peur de rien, déclara froidement Rose en s'efforçant de garder la tête haute devant l'adolescente.

- Et pourtant, tu devrais, petit ange, tu devrais, lui susurra Luna avant de filer.

Surprise, Rose faillit en lâcher son panier. Elle n'avait pas peur de Luna, parce qu'elle était persuadée, sans trop comprendre pourquoi, que la fille du boulanger ne lui ferait aucun mal. Mais son attitude restait tout de même inquiétante.

Rose reprit son chemin et décida de ne plus y penser, parce qu'elle n'aimait pas se soucier des choses importantes de toute façon. Elle arriva devant chez Charlotte, et toqua à la porte. Une grosse voix lui répondit : "Tire la bobinette et la chevillette cherra !

- Hum, pardon ?

- Oh, Paul, arrête tes bêtises ! s'exclama à l'intérieur la voix de Emilie la teinturière. Pousse fort la porte, petite Rose, elle est un peu rouillée.

Rose entra, et découvrit le couple de teinturiers, les mains dans la peinture, en train de se chamailler.

"Bonjour Paul, bonjour Emilie.

- Bonjour Rose, fille de la Semenceuse ! Tu es venue voir Charlotte ? Ça lui fera très plaisir.

- Chaaaarlotte, tu as une invitée, cria Paul vers l'étage.

S'il y avait un vrai mystère dans ce village aux yeux de Rose, c'était de savoir comment deux personnes aussi drôles et pleins d'énergies que Emilie et Paul avaient pu enfanter une fille aussi calme et pleine de sagesse que Charlotte.

Cette dernière entra dans la salle à vivre, et sourit gentiment à Rose : "Bonjour, je suis contente de te voir.

- Joyeux anniversaire, Charlotte ! Je t'ai apporté des galettes de miel, et un cadeau.

La petite fille récupéra les cadeaux de Rose, et lui embrassa les joues pour la remercier. Elle l'emmena dans la cuisine, pour partager un morceau de galette, et lui dit tout bas d'un air grave : "C'est très aimable de ta part, d'avoir fait ça. Tu es quelqu'un de très gentil, petite Rose. Une des rares à l'être avec moi. Tout le monde ici n'aime pas forcément les petites filles gentilles, mais je me souviendrai de toi et je te protégerai."

Rose n'avait pas vraiment compris le discours de Charlotte, et c'était vraiment bizarre de se faire appeler "petite" par quelqu'un de son âge. Alors elle mangea vite sa part de galette, et se dépêcha de rentrer chez elle avant que ne tombe la nuit.

Mais le plus bizarre, pensa-t-elle avant de s'endormir, c'est que Charlotte lui avait tenu absolument le même discours que Luna quelques heures plus tôt.

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