Deuxième Ballade des Morts




Il était une fois, dans une contrée fort lointaine, un Village. Ce Village se nommait Thiercelieux, et était peuplés d'humbles hommes et femmes. Menacés par une guerre sanglante qui faisait rage dans leur pays natal, ils avaient dû fuir, et en voyageant de nuit grâce à la lueur de la Lune, avaient finalement atterrit en ces lieux.

Les Thierceloix dédièrent le succès de leur entreprise à l'astre nocturne, et se mirent à lui vouer un véritable culte. La belle Sélène vit des statues érigées à son égard, on lui écrivit des cantiques, on lui consacra des fêtes ; elle devint la star des Thierceloix.

Mais les divinités sont de tendance jalouse ; c'est de notoriété commune. Aussi tout cet engouement ne plut guère à Aton, frère de Sélène et Soleil de son état, qui décida d'agir, pour ramener les Thierceloix à la raison et au culte du seul et véritable dieu méritant ; lui même.

Fort de cette résolution, Aton descendit sur Terre sous forme humaine et se mêla au Thierceloix. Ceux-ci remarquèrent vite ce nouvel arrivant qui faisait de grands et beaux discours sur celui qu'il décrivait comme le plus louable de tous les dieux : Aton. Obsédés par leur culte lunaire, les Thierceloix ne lui prêtèrent que peu d'attention au début, mais peu à peu, les mots du dieu déguisé firent chemin dans leurs esprits. Il leur promettait richesse, santé, bonheur, ou tout ce qui pouvait les séduire, et bientôt, de nouveaux temples à la gloire du Soleil furent érigés.

Cela ne dérangeait pas Sélène, à qui le bonheur de ses protégés suffisait ; contrairement à son cher frère, le besoin de reconnaissance ne l'étouffait pas. Et la déesse n'avait guère de temps à accorder à des considérations si futiles, trop occupée à filer le parfait amour avec Endymion, un jeune et beau Villageois qui l'adorait.

Le temps passa, et le discours des Thierceloix changea. Influencés par Aton, ils délaissèrent la Lune, et se mirent presque à la dénigrer. Mais qu'on s'en prenne à son aimée n'enchanta pas à Endymion, qui fit dès lors son devoir de la défendre.

Dans le Village, Endymion était un personnage influent, surtout auprès des jeunes, qui l'adulaient. Pour eux, sa parole faisait loi, et avec lui, ils vénérèrent la Lune. Mais Aton ne pouvait le tolérer, il voulait que tous le respecte, que tous le craigne, il voulait être le préféré de tous. Alors il promit milles merveilles aux Villageois, alterna menaces, promesses, séduction, et enfin parvint à les convaincre de ce qu'il n'y avait qu'une chose à faire, pour plaire à Aton et dans leur propre intérêt : tuer Endymion.

Et les Villageois tuèrent Endymion.

Sélène était une déesse bienveillante ; peu exigeante quant au culte qui lui était voué, elle était toujours heureuse d'aider les Villageois. C'était une déesse juste, raisonnable et raisonnée, qui faisait le bien.

Mais le mal d'amour peut atteindre tout le monde, et même chez les meilleurs, il fait des ravages. Quand l'élu de son cœur fut assassiné, Sélène entra dans une rage terrible, et maudit à tous jamais les Thierceloix. Pour leur faire subir sa peine, elle décida que chaque fois qu'elle se révélerait au Villageois, une portion d'entre eux seraient pris d'élans meurtriers et assassineraient leur proche, et ce jusqu'à ce qu'ils soient tous découvert et éliminer du monde des vivants.

Telle fut énoncée la Malédiction originelle, par la déesse la plus juste de tous, devenue folle de douleur, qui se plongea ensuite dans un sommeil sans fin, comme une sorte de suicide divin.

Les Textes Anciens furent écrit par la suite par ses pairs séraphiques, qui voyaient là un divertissement à améliorer. De nombreuses règles vinrent étoffer le spectacle, et aujourd'hui les nuits des loups garous de Thiercelieux sont un programme très apprécié des divinités.

Quant à Aton, dégoûté de ces heures sanguines sans le moindre raffinement, il préféra abandonner les Thierceloix à leur triste sort.

Toute cette histoire a été oubliée des Thierceloix, effacée de leur mémoire. Mais au fond de sa caverne, la belle Sélène attend toujours d'être réveillée.

~ ~ ~ ~ ~ ~

La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...

Ô bien-aimée.

L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...

Rêvons, c'est l'heure.

~ ~ ~ ~ ~ ~

C'est l'heure.

Tout est fini à présent ; Titouan s'est fait bannir du monde des vivants, et la grande prêtresse a scellé son sort en révélant son identité aux Villageois. Son âme s'évapore ; attirée par le pouvoir lunaire comme un papillon attiré par la lumière, elle s'envole vers la Caverne.

Titouan est pris au piège. Il est maintenant enfermé dans la Caverne, il n'en ressortira plus.

~ ~ ~ ~ ~ ~

Les nouveaux arrivants ne se font pas remarquer dans la Caverne.

Les spectres ici-bas n'ont pas conscience du temps, ils n'ont pas de mémoire pour se souvenir des secondes qui s'écoulent, aussi tout leur paraît comme ayant toujours été.

Mais il y a un fantôme différent des autres. Un fantôme qui se refuse de partir, un fantôme qui voudrait se racheter, et dont la culpabilité est si grande qu'elle le cloue au sol rocheux de la Caverne.

Evan souhaite retourner dans le monde des vivants, et aider.

C'est impossible. Mais ce vœu le maintient conscient, aussi conscient qu'un mort puisse l'être. Et seul éveillé au milieu des spectres amnésiques, il erre.

Une lueur vacille dans la Caverne.

La déesse attire à elle de nouvelles âmes damnées, qui s'égareront dans l'immensité de la petite Caverne.

Les âmes de la Caverne, même les plus résistantes comme Evan, perdent toujours leur identité.
En descendant en ces lieux, ils retrouvent la mémoire perdue de leurs ancêtres, et rapidement, le souvenir collectif l'emporte sur les faibles individuelles identités.

Alors Evan sait tout.

À quoi cela peut il lui servir ? Il aimerait partager tout cela avec les Vivants, il voudrait les sauver, pour se racheter.

Mais c'est impossible.

~      ~      ~      ~      ~      ~

Deux âmes se reconnaissent dans la Caverne.
Deux spectres se retrouvent. Se souviennent. Se comprennent. Comment est ce possible ? Les deux âmes ne cherchent pas de réponse ; ce miracle leur suffit.

Ils étaient frères avant, frères de nuit, frères de meurtres, frères dans le sang ; ils le sont toujours maintenant, leurs âmes sont liées, elles partagent la même culpabilité.

Ensemble, ils veulent agir.

Dans le monde des esprits, la volonté est consacrée, puisque de toutes façons, les résidents ne sont plus capables de désirer. Dès lors, qui pourrait empêcher Titouan et Evan d'agir ? La Suprême déesse est endormie ; elle ne peut rien contre eux.

Les deux petits fantômes ont pris leur décision. Pour aider, ils doivent informer les Villageois de ce qu'il se trame réellement. Et pour cela, ils doivent passer par la seule personne dans le Village capable de communiquer avec les esprits.

Leurs pauvres mémoires amnésiques ont eu bien du mal à se souvenir ; mais ils ont réussi. Maintenant, ils savent quoi faire.

Ils doivent aller parler à la Voyante.

Ils doivent parler à June.

~      ~      ~      ~      ~      ~

« Poses ta question » chantent les esprits à la Voyante, comme ils le font tous les soirs depuis que Sélène est haut dans le ciel. « Poses ta question... »
Pourtant cette fois ci la petite Voyante a peur ; les esprits lui semblent différents.
Pas menaçants. Mais oppressants.

~      ~      ~      ~      ~      ~

Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la Lune.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top