Cinquième matin, le gong d'un renouveau




Un rayon de soleil s'infiltra dans la chambre de Rose, lui chatouilla le visage et la réveilla doucement. La petite fille grommela et se retourna dans ses draps. Elle ouvrit les yeux, et regarda sa chambre autour d'elle. Les murs blancs prenaient une teinte rosé sous la lumière matinale, et sur le plafond se reflétait des traces orangés. C'était vraiment jolie, et Rose appela June pour le lui faire remarquer.

Sauf que June n'était plus là.

Paniquée, elle dévala les escaliers en criant le nom de son amie. Elle imaginait très bien ce qui avait pu se passer; après tout, elle avait vu rôder les loups dans les environs la veille. Elle se dépêcha d'avertir sa mère, et toutes deux se pressèrent vers la grande place. Sans attendre d'entendre, pour une fois, la cloche meurtrière.

En arrivant, Rose repéra tout de suite le corps de son amie allongé au sol. Aveuglée par les larmes, elle se jeta aux côtés de l'adolescente, qui grogna, et se retourna.

Paralysée, Rose ne comprenait plus rien. June n'était donc pas morte ? Elle semblait simplement... endormie. Comment était-ce possible ?

Le cri horrifié de Démi interrompit vite ses pensées. Occupée par son inquiétude, Rose n'avait pas fait attention à ce qui se trouvait autour d'elle, et n'avait pas remarqué le corps ensanglanté de Gaëtan, le fils des Planteurs. Affolée, la Semenceuse se pressa au chevet du jeune garçon, en sortant toute une collection de graines de sa poche. Elle pressa sa fille d'aller sonner la cloche, tandis qu'elle cherchait un remède.

Un coup. Puis trois.

Rose trouvait particulièrement étrange d'être aussi proche de la cloche au moment du gong. Elle sentait en elle le choc du métal, il faisait vibrer ses os, ses muscles, tout son être...Elle pensa à Gaëtan. Le fils des Planteurs. Le frère de Lillian, le frère de Nolan. Son petit voisin. Avait-il déjà était aussi près de la cloche, avait-il déjà toucher le métal vibrant ? Rose savait que ça lui aurait plus, tout petit déjà, il adorait jouer avec les différentes sonorités, et à chaque fête du Village, il accompagnait Salvador le Saltimbanque en jouant du tam-tam.

Rose ne sentait même plus les larmes sur ses joues. Ce matin, elle se rendait enfin compte, pleinement, de l'horreur qui les frappait. Elle s'assit à côté de la cloche, s'accordant quelques minutes avant de retourner sur la grande place. Elle ne voulait pas entendre le cri de Catherine, elle ne voulait pas voir l'incompréhension dans les yeux du petit Nolan, elle ne voulait pas voir les larmes de Lillian, elle ne pouvait pas supporter la douleur de cette famille endeuillée.

Pourtant, elle était bien obligée d'y retourner, et elle finit par se décider, alors que la rumeur grossissait sur la grande place. Le Village entier était presque déjà rassemblé, et André le nouveau maire semblait lasse et déprimé, l'air sérieusement affecté par la mort de son petit fils. Ne voulant pas voir plus de tristesse sur les visages, Rose se dirigea tête baissée vers sa place, en courant presque.

À sa droite était déjà assis Lillian. Le jeune garçon avait l'air hagard, les yeux perdus dans le vide. Rose imaginait bien sa peine, et savait qu'aucun mot ne pouvait le réconforter, alors silencieusement, elle prit sa main, la serra fort. "Je suis là, lui dit-elle.

- Je... merci, lui répondit son ami sans même se tourner. Rose comprenait très bien. Lillian n'aimait pas être vu en position de faiblesse, et il cherchait certainement à masquer ses larmes le plus possible. Mais elle n'insista pas : elle savait qu'il finirait par venir, quand il aurait besoin d'elle. Depuis tout petit, ils comptaient l'un sur l'autre et s'épaulaient toujours.

Une fois tout le monde installé, Charlotte la fille des teinturiers s'avança près du petit garçon. June n'était plus étendue au centre: elle avait été réveillée par Démi, et avait rejoint sa place à côté de Salvador le Saltimbanque.

Charlotte s'accroupit à côté du corps, et récupéra le petit médaillon : "Nous déplorons aujourd'hui la perte de Gaëtan, fils des planteurs, qui était un Frère..."

Le Maire ne fit pas de discours, ce matin là, et ouvrit sans attendre le débat. À peine avait-il prononcé ces mots que Lavande la Joaillière s'avança, l'air déterminée et brûlante de dire ce qu'elle avait à dire.

Elle ouvrit la bouche, mais fut tout de suite interrompu par Gaël le Planteur : "Non, Joaillière, nous ne t'écouterons pas aujourd'hui. Ta folie vengeresse a déjà causé la mort de trop d'innocents, et je ne te laisserai pas utiliser la mort de mon fils comme argument pour assouvir tes pulsions sanguinaires.

- Mais je... C'est faux !

- Ne t'offusque pas, Lavande, temporisa Démi. Ta colère est légitime, et nous la comprenons, mais elle est vaine dans le combat que nous menons. Sois patiente, cesse d'échauder les esprits, si nous restons logiques et froids, justice sera enfin rendu à vos fils.

- Mais que pouvons nous faire ? demanda Henry, le cordonnier. Jusqu'ici, nous ne faisons rien, nous accusons au hasard et nous perdons nos proches inutilement, ajouta-t-il en saisissant la main de sa femme Johanna, qui portait encore le deuil de son père Samuel l'ébéniste.

- Je peux aider, avança Salvador le Saltimbanque. Confiez moi vos soupçons, puis vous comprendrez ce que je peux faire.

Seulement, personne n'a de réels soupçons, songea Rose. Qui pouvaient-ils accuser ? Et comment ces accusations pouvaient elles convaincre, alors qu'elles se basaient essentiellement sur de vieilles inimités entre les villageois ? D'un autre côté, certains d'entre eux avaient probablement découvert quelque chose, mais la peur de ne pas être crus, ou encore d'être dévoré par la suite les empêchaient de partager ces précieuses informations. Elle même faisait partie de ce second groupe, puisque sa mère lui avait ordonné de rester discrète. Mais moralement, pouvait elle continuer ainsi ?

- Il est difficile de soupçonner ou d'accuser l'un d'entre nous, commença Robin le fils de la tisserande à la surprise générale. Surtout pour nous les plus jeunes, puisque vous les adultes refusez de nous écouter. Mais peut être que si nous nous séparions en groupes plus réduits, le débat avancerait mieux.

- Il a raison, appuya June la fille des feu menuisiers. Des ambassadeurs se chargeraient ensuite de rapporter au Village ce qui a été dit au sein des petites assemblées, et nous pourrions voter avec une meilleure connaissance de la situation.

Autour des deux jeunes, les adultes restaient silencieux, médusés. Malheureusement, au grand dam de Rose, les visages étaient fermés : après tout, ces gens restaient les Thierceloix, un peuple qui n'appréciait pas beaucoup le changement. Mais ces assemblées lui paraissaient être une si bonne idée !

"Bien sûr, ce ne serait d'abord qu'une tentative. Nous pourrions essayer cette mesure temporairement, et l'adopter si elle fait évoluer la situation, ou dans la cas contraire, la révoquer, intervint la jeune file, diplomatique.

- Je suis d'accord avec cette idée, ajouta Tommy le fils des cordonniers en se levant lui aussi à son tour.

- Je suis d'accord, répéta Charlotte.

- Nous aussi, annoncèrent Juliette, Inès, et Luna les filles du boulanger après s'être consultées du regard.

Un à un, les jeunes du Village se levèrent, pour appuyer les propos de Robin le fils de la tisserande et de June. Dépassés, les adultes les regardaient faire sans oser rien dire. André le Maire finit par intervenir et déclara : "Eh bien, puisque vous êtes si convaincus, je n'ai pas de raison de vous refuser votre requête. Cette après midi aura lieu la création des assemblées et les premières discussions, dont dépendra le vote de demain. En attendant, nous devons toujours procéder au vote de ce matin.

- J'ai une accusation à partager, avança Johana la cordonnière. Je ne sais si je suis entièrement rationnelle ou si un désir de vengeance motive inconsciemment mes propos ; à vous d'en juger. J'accuse Hans l'horloger de son attitude étrange et individualiste depuis l'apparition dans le ciel de la Blanche Lune Sanglante. J'accuse Hans l'horloger de ne pas aider à la cohésion du Village, je l'accuse de ne pas avoir refréner la folie de sa femme Lavande alors qu'il en était de son devoir. Je l'accuse des meurtres qui nous terrassent depuis plusieurs nuits.

- Comment oses-tu...

- Il suffit, Lavande, interrompit Hans l'horloger en retenant sa femme. Johana, je t'estimais ; tu me déçois. Ne t'imagine-tu pas mon désespoir après la perte d'Oscar, mon fils unique ? Ne conçois tu pas toutes ces nuits, où, questionnant le destin, je me répétai, "pourquoi ?". Pourquoi lui et pas moi ? Pourquoi lui en tout premier ? Pourquoi lui, si jeune ? La douleur m'étouffait, m'étouffe toujours, et j'essaie de supporter le deuil, à ma façon, en m'isolant de votre agitation qui maintenant me paraît vaine, tout comme Lavande tente de surmonter tout ça par sa soif de justice. Je ne suis pas un meurtrier, Johana. Je suis un homme meurtri."

Confuse, Johana la cordonnière baissa les yeux, acceptant cette réponse. Emilie la teinturière s'approcha d'elle pour la soutenir ; elle la comprenait parfaitement, toutes deux avaient toujours été très proches de feu leur père, et elles souffraient énormément de l'absence de l'ébéniste.

- Tout ça est très émouvant, mais nous n'avançons toujours pas, dit Gilles le souffleur de verre.

- As-tu connaissance de faits que tu voudrais nous partager, souffleur de verre ?

- Pas encore, monsieur le maire. Pas encore, lui répondit Gilles, une lueur de défi dans le regard.

Rose voulut se lever, et dire que oui, elle, elle en avait, des accusations. À commencer par le maire, dont l'assurance lui répugnait. Mais sa mère lui saisit la main et murmura : "Non, Rose ! Ne dis rien, ou ils te tueront comme ils ont tué ton père !

- Mais c'est lui, maman ! Je l'ai vu pendant la nuit, André fait partie d'eux !

- D'accord, mais ne dis rien mon cœur, je t'en prie. Je m'en occupe.

Et sans laisser le temps à Rose de lui répondre, Démi se leva et prit la parole : "Moi, j'ai des accusations, Monsieur le Maire. Je vous accuse, vous, de faire partie de ces bêtes qui dévorent nos enfants et nos proches la nuit.

- Et d'où vient une telle calomnie, chère Démi ?

- Je ne peux répondre, sans me compromettre. Mais votre attitude étrange a pu être remarqué par tous ici.

- Ce sont là de bien maigres preuves. Si vous ne pouvez...

- Attendez, intervint Salvador. J'ai les moyens de vérifier ses dires, et vous n'avez d'autres choix que de vous y soumettre, André.

- Eh bien, si je n'ai d'autres choix, accepta le Maire, l'air presque amusé.

- J'utilise en ce matin mon pouvoir, pour connaître la vérité. J'utilise en ce matin le rôle qui m'est confié, et par la vérité à mes questions vous répondrez. Jurez, et acceptez de vous confesser, psalmodia Salvador.

- Je le jure, répondit André, comme en transe.

- Êtes vous responsables des meurtres récents, Doyen ?

- Oui, j'en suis responsable, en grande partie.

- Et êtes vous un loup garou ?

- Non.

Les Villageois, qui avaient retenu leur souffle pendant le dialogue, se mirent tous à parler d'un coup, et un bruyant brouhaha résonnait sur la grande place. Nombreuses étaient les accusations contre André, mais beaucoup d'adultes pensaient toutefois que tout ça n'était qu'une manigance de Salvador. Pour pouvoir trancher, il fut décidé que chacun écrirait sur un bout de papier son avis, puis que l'on exécuterait celui récoltant le plus de voies.

Tout cela fait, Charlotte comptabilisa les votes, et stupéfaite, annonça : "Il y a une parfaite égalité. Selon les anciennes traditions, c'est... dans ce cas, le bouc émissaire doit prendre la place des accusés. Je... je suis désolée."

Ainsi, malgré les cris et les protestations de Anaïs l'institutrice, on exécuta son mari Charles.

Le Bouc émissaire avait été sacrifié.

~ ~ ~ ~ ~ ~

Lune, en notre mémoire,
De tes belles amours,
Lune, l'histoire
T'embellira toujours

Et toujours rajeunie,
Tu seras du passant,
Tu seras bénie
Pleine lune ou croissant.

~ ~ ~ ~ ~ ~

NDA

Bonjour !

Dans ce chapitre de nombreux personnages du Village sont mentionnés, certains que vous connaissiez déjà, d'autre qui avaient été à peine cités. À ce stade, tous les Thierceloix se sentent impliqués, et donc tous interviennent.

Néanmoins, si vous êtes perdus parmi les noms (ce qui est normal, il me semble qu'en tout il y en a 30), le travail de chacun, les rôles etc, n'hésitez pas à me demander des rappels ou des explications en commentaire.

Salutations,

une auteure à la bourre

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