6. Le quartier Bis

C'est vrai que Mikey n'a pas reçu l'alerte, songea Léa tandis que la capsule se stabilisait.

Un bruit de dépressurisation accompagna son ouverture avant que le groupe n'en sorte pour gagner la surface. Le quartier Bis était le surnom de l'ancien chantier naval de Brooklyn, qui accueillait les mutants de tous types confondus : c'était là qu'avaient élus domicile ceux qui s'étaient évadés de la LSAM, trois ans plus tôt. Enfin, accueillait, le mot était fort. C'était surtout des bâtiments abandonnés dont la plupart n'était plus aux normes depuis longtemps. Certains tombaient même en ruines. Léa leva les yeux vers les façades décrépites tandis qu'ils entraient dans la zone résidentielle. Cela faisait peine à voir.

Les agents se divisèrent en deux groupes de quatre pour interroger les différentes familles des victimes. Avec un pincement au cœur, Lili surprit l'air satisfait de Samuel quand on l'affecta à un autre groupe. Elle le regarda partir avant de devoir suivre ses coéquipiers entre les immeubles. Tous mirent leur casque pour dissimuler leurs visages.

- Bon.》 Intervint le meneur de groupe, un ami de Casey. 《Le mutant dont on s'occupe est un type B issu de l'explosion du laboratoire qui a eu lieu en juin. Soyez délicats.》

Léa hocha la tête et suivit la marche en silence. L'explosion dont il parlait s'était produite dans un laboratoire pharmaceutique de la périphérie, prouvant que du mutagène était toujours en circulation. Tous les cobayes avaient été transformés. La LPM avait réussi à les sauver avant l'intervention des Foots ou de Randy, mais il s'en était fallu de peu. Mystic, entre autres, faisait partie de ces mutants et restait traumatisée par son ancienne vie.
Lili secoua la tête pour chasser ses pensées : elle devait se concentrer sur l'intervention. Ils gagnèrent bientôt l'immeuble de la victime. C'est sa compagne qui vint ouvrir.

- Bonjour, je suis l'agent Harrison Nault.》 Se présenta le chef de groupe en montrant son insigne. 《Mon équipe et moi avons été envoyé par la Ligue de Protection des Mutants à propos de l'incident qui a eu lieu cette nuit.》

- Je vous attendais.》 Murmura la mutante d'une voix abîmée. 《Entrez, je vous en prie.》

- Merci, madame.》

Harrison passa la porte le premier tandis que la lapine anthropomorphe s'écartait. Les oreilles basses, elle ferma à clé quand le dernier agent fut entré, puis les invita à gagner le salon. L'appartement était tellement petit qu'ils n'eurent que quelques pas à faire pour l'atteindre. En silence, Harrison fit signe aux autres agents de se déployer pour fouiller l'endroit.

- Vous a-t-on expliqué en détail ce qu'il s'est passé ?》 Demanda-t-il à la mutante.

- Non, je sais seulement que Carl est allé à l'ouverture de cette boutique de vêtement à l'avenue du parc, mais il n'est pas rentré...》

Léa s'éloigna pour regarder dans une pièce, mal à l'aise. Elle n'aimait pas ce genre de mission, où ils devaient fouiller les gens pour vérifier qu'ils n'avaient rien à cacher. La vie des infectés était loin d'être facile, beaucoup cédaient à la boisson ou aux stupéfiants. Léa soupira en songeant qu'ils n'avaient peut-être pas arrangé les choses en révélant leur existence.

La pièce dans laquelle elle entra était essentiellement remplie de cartons. Une commode reposait contre le mur à droite, une fenêtre donnait sur la courette en contre-bas, mais c'était tout. Curieuse, Lili tendit l'oreille pour suivre la conversation du salon.

- Votre conjoint a été filmé par les caméras de surveillance de l'avenue.》 Expliquait Harrison le plus doucement possible. 《Il a projeté un homme dans la vitrine d'un magasin avant de s'en prendre à un agent de sécurité.》

- Comment? C'est impossible, il n'a jamais levé la main sur qui que ce soit...》

Lili sursauta quand elle entendit un raclement de gorge : l'un de ses collègues la fixait depuis la pièce d'en face. Gênée, la jeune femme fit un sourire contrit puis se mit au travail. Elle se pencha sur chaque tiroir de la commode. Tous vides.

- Carl ne supporte pas la violence...》 Poursuivait la mutante d'une voix où perçait la détresse. 《Vous êtes bien sûr que c'était lui?》

- Regardez par vous-même.》

Un bruissement de papier suivit les paroles d'Harrison ; il devait sortir les captures d'écran des caméras. Comme le meuble était vide, Lili s'agenouilla devant les cartons et en ouvrit un. Il était rempli de vêtements pour bébé.

- Où est-il?》Demanda la lapine, dans le salon.《L'avez-vous arrêté?》

- Notre directeur est parti le chercher, lui et les autres mutants qui ont eu ces troubles du comportement.》La rassura Harrison.《Votre conjoint avait-il des soucis particuliers?》

- Non, nous nous en sortons bien...》

Lili passa au deuxième carton, rempli cette fois de jouets bon marché. Le troisième, posé contre le mur, semblait contenir un lit à barreau à monter ; la jeune femme se redressa sans l'ouvrir. La voix de la mutante tremblait de plus en plus, dans le salon.

- A-t-il montré des signes de nervosité ou des difficultés à maîtriser son instinct, récemment?》

- Nous ne sommes pas des animaux sauvages! La mutation s'est aussi bien passée que possible, nous sommes suivis et nous faisons tous nos contrôles...Rien d'anormal n'a été signalé chez mon compagnon.》

- Et chez vous?》

Léa entra dans le salon alors que la lapine se recroquevillait dans le fauteuil qu'elle avait investit. Ses prunelles brunes brillaient à la lumière matinale. En face d'elle, Harisson attendait sa réponse penché en avant depuis son propre siège.

- Rien à signaler dans la pièce du fond!》Intervint Lili en se mettant au garde-à-vous.

Le chef lui adressa un hochement de tête avant de reporter son attention sur son interlocutrice.

- Je n'ai pas d'anomalies non plus.》Affirma-t-elle enfin.《Je suis simplement suivie de près au cas où la mutation aurait un effet négatif sur ma grossesse.》

Léa vit Harrison sursauter du coin de l'œil. C'était vrai que comme la mutante portait des vêtements amples, sa maternité n'était pas évidente. Les deux autres agents les rejoignirent à leur tour pour annoncer qu'ils n'avaient rien trouvé de suspect. Harrison se leva finalement et tendit la main pour aider la lapine à se redresser.

- Bien, madame, je vous remercie d'avoir répondu à mes questions et ne nous avoir permis de faire une vérification de votre domicile.》Déclara-t-il.《Nous vous donnerons des nouvelles dès que votre conjoint aura été placé dans nos locaux.》

Il serra un instant sa main alors qu'elle hochait la tête par saccade. Elle semblait prête à éclater en sanglots.

- Ce ne sera pas long, ne vous en faites pas.》

Quand le groupe quitta l'appartement, Léa inspira profondément pour défaire la boule qui lui nouait le ventre. La pauvre mutante se retrouvait seule avec une grossesse à risque, et Sophia était le seul médecin officiel de la Ligue. Les mutants n'avaient accès aux soins qu'en cas d'extrême urgence, car elle était très vite débordée ; aussi, ils n'avaient droit qu'à un suivi psychologique limité après la mutation. Au bout d'un mois, ils étaient livrés à eux-mêmes. Léa secoua la tête pour s'éclaircir les idées : le seul moyen d'aider cette lapine, c'était de lui ramener son compagnon au plus vite. Cela, elle se sentait capable de le faire.

Du moins, c'est ce qu'elle pensa pour se rassurer tandis qu'ils se dirigeaient vers les habitations suivantes.


*


À quelques kilomètres de là, l'escadron de Marc et Sophia remontait les égouts en direction du centre. Renold avait accepté de les rencontrer sur la grand place, à la vue de tous. Chacun venait avec un nombre limité d'agents pour les négociations ; aussi, seuls deux autres membres de la Ligue accompagnaient leurs supérieurs. Par précaution, Marc avait choisi des humains : inutile de provoquer son ancien acolyte.

- Tu ne trouves pas qu'on rentre dans son jeu?》Demanda soudain Sophia.

Le brigadier tourna vers elle un regard surpris.

- Comment ça?》

- J'ai bien vu que tu n'avais même pas convoqué les ninjas.》Affirma-t-elle sur un ton de reproche.

- Nous ne faisons qu'enquêter, pas besoin de mobiliser les meilleurs combattants.》Se justifia Marc.

- Il y a beaucoup de débutants mutants qui auraient pu participer aux recherches.》

Il ne répondit pas. Bien sûr qu'il aurait pu envoyer l'alerte aux mutants de la Ligue, seulement, il avait peur qu'ils ne se sentent impliqués personnellement dans la mission. Son regard se durcit quand il sentit que Sophia le fixait. La discussion était close. Marc n'était pas du genre à remettre en cause ses décisions. Et surtout, il ne s'avouait pas que tant qu'ils n'auraient pas élucider la perte de contrôle des infectés, il peinerait à faire confiance à leurs effectifs. On n'effaçait pas vingt ans de traque anti mutant comme ça.

Ils s'immobilisèrent quelques instants plus tard sur la place, un peu à l'écart des civils qui y passaient. Ils s'étaient donné rendez-vous à onze ans tapantes, il était 10h57. Randy ne tarderait plus.

Et comme si penser à lui l'avait fait apparaître, la silhouette de l'ancien directeur de la LSAM se découpa bientôt dans la lumière matinale. Les vitres des gratte-ciel reflétaient les rayons du soleil, si bien que les agents adverses n'étaient que des ombres en mouvement ; Marc plissa les yeux pour se protéger de la réverbération. Ils étaient cinq. Le brigadier grogna.

- Ne commence pas.》L'avertit Sophia dans un murmure.

Les nouveaux venus s'immobilisèrent à quelques mètres de là, juste à portée de voix. Ce fut le signal pour les deux amis de s'avancer. Renold en fit de même, seul. Un nuage permit à son visage de retrouver ses traits. Les cheveux de ses tempes avaient blanchis et ce n'était plus seulement son regard qui était glacial, c'était toute son attitude qui traduisait sa froideur et un profond mépris. Marc serra la mâchoire pour ne pas froncer davantage les sourcils. Ils devaient parler, pas se battre.

- Marc Parks et sa fidèle camarade.》Lança Randy en guise de salutations.

- Renold.》Rétorqua Sophia avec un hochement de tête sec.

Ils se jaugèrent un instant avant que la jeune femme ne reprenne la parole :

- J'ai cru comprendre que vous étiez intervenus pour protéger les citoyens, hier.》

- C'est bien ça.》Confirma Randy.《Nous avons agi aussitôt l'alerte lancée.》

- C'est tout à votre honneur.》

- Où sont les mutants?》Coupa Marc d'un ton tranchant.

Son ancien ami le détailla avec une expression indéchiffrable, visiblement songeur. Il esquissa un rictus qui lui fit serrer les poings.

- En phase d'analyse dans notre laboratoire.》Expliqua-t-il enfin en calant ses mains dans ses poches de pantalon.《Ils sont bien traités, ne t'en fais pas.》

C'est ça! Faillit crier Marc. Il connaissait suffisamment leurs pratiques pour savoir que les mutants étaient tout sauf bien traités. Sophia posa une main sur son bras pour le dissuader de répliquer.

- Nous pouvons peut-être trouver un terrain d'entente.》Dit-elle en portant le regard sur Renold.《Qu'est-ce qui pourrait te convaincre de nous laisser la responsabilité de ces mutants?》

Le directeur de l'OPH sortit une main de sa poche pour se frotter le menton, l'air d'y réfléchir sans être réellement concentré. Il gardait un œil sur Marc et les poings qu'il serrait en silence.

- Toujours conciliante, chère Sophia.》Déclara-t-il enfin.《Je suppose que, si après une semaine d'analyse, nous ne trouvons rien de concluant, nous vous passerons le relai.》

Sophia se crispa.

- Notre matériel et nos techniques sont plus évolués que les vôtres.》Insista-t-elle avec une pointe d'inquiétude dans la voix.《Tu sais comment je travaille. Dès que nous saurons ce qui a provoqué ces crises, nous vous tiendrons au courant.》

- Que c'est aimable.》Randy faisait grincer ses dents sous l'effet de l'impatience.《Je crains que nous ne puissions pas faire cela, malheureusement. Trop de vies humaines sont en jeu.》

- Ce ne sont que quelques cas isolés!》Protesta le médecin.

- Mais ils ont eu lieu au même moment avec la même violence.》La contredit Randy.《Vous n'êtes pas sans savoir que d'autres mutants pourraient être affectés à leur tour, si j'en juge par le choix de votre escorte.》

Les yeux de Marc se plissèrent encore jusqu'à n'être que des fentes. Il ne rêvait pas, Renold s'amusait de la situation. Le brigadier fit un pas en avant en montrant trois doigts.

- Trois jours.》Demanda-t-il.《Trois jours et nous vous donnerons une compensation pour les moyens que vous avez déployés.》

Le regard de Randy s'illumina sous l'effet de la surprise. Un sourcil haussé, il finit par esquisser un sourire sans chaleur avant de hocher la tête.

- Ça me paraît raisonnable.》Assura-t-il.《Allons nous asseoir pour en discuter plus en détail.》

Sophia adressa une œillade de mise en garde à son collègue ; la Ligue ne roulait pas sur l'or, c'était même le contraire. Marc secoua la tête pour lui faire comprendre qu'ils n'avaient pas le choix. Il s'éloigna pour suivre Randy vers l'un des bancs de la place, la mine sombre.

Les négociations ne faisaient que commencer.

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