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Je regarde ce pseudo-médecin, en colère malgré moi.
— Pourquoi dîtes-vous que je ne suis pas l'hôte, qu'est-ce qui vous fait dire une chose pareille ? explosé-je.
— Regardez, vous ne portiez pas vos lunettes, dit-il en me montrant la vidéo. Dans votre dossier médical, il est inscrit que vous avez une forte myopie. On ne peut pas guérir miraculeusement, aussi, quand Manu a prit votre place, il aurait dû subir le même problème occulaire.
Je hoche la tête, jusque là tout est logique.
— Mais regardez la fin de l'exposé.
Sur la vidéo, je vois Manu finir la présentation et donner la parole à des étudiants pour qu'ils puissent poser des questions. Prévenant, il les appelle même par leurs prénoms. Même les personnes étant placées tout en haut de l'amphithéâtre.
Sans lunettes, je serais incapable de les distinguer correctement, encore moins de les reconnaître...
— Comme je vous l'ai dit, une identité peut se créer des différences comme ne pas tenir l'alcool ou même être aveugle. Ils peuvent se créer des situations de handicap mais tout est psychologique. On ne peut donc pas, même si votre cerveau tente d'y remédier, résoudre un problème de ce genre avec de la volonté...
— Je... je ne suis pas l'hôte ? Mais... mais... mis à part quelques petits blancs, je me souviens de toute ma vie, du moins depuis mes huit ans. Mais tout ce temps, je... je n'existais pas ?
Je sanglote et des larmes s'écrasent en formant des tâches sombres sur mes genoux.
— Un autre argument...
— Quoi, ça ne suffit pas ?
— Comment écrivez-vous votre prénom ?
— E-m-m-a-n-u-e-l-l-e, épellé-je en hoquetant.
— Sauf qu'il ne s'agit pas de celui de l'hôte. Il n'est pas écrit cela sur votre carte d'identité.
— Vous, Emmanuelle, êtes une femme, bien évidemment. Mais vous vivez dans le corps du jeune homme Emmanuel, âgé de dix-neuf ans.
Je déglutis péniblement. Baisse mon regard et m'observe. Aucune différence, je sais que je suis une femme. J'en ai conscience, je me vois ainsi et... et merde. Là, sur ma carte d'identité, maintenant que j'en ai pris conscience, je peux voir inscrit noir sur blanc "Sexe : M". M pour masculin.
Une seconde fois en une dizaine de minutes, mon existence chavire, ma tête tourne et mon cœur saigne.
Je ne suis même pas un être humain. Qui suis-je ? Quel est mon but dans l'existence, ai-je même le droit d'en avoir un ?
Quand je questionne le docteur Shell, il demeure rassurant, posé et calme.
— Vous n'allez pas disparaître. Vous êtes, vous et tous les autres, différentes facettes d'une même personne.
— Vous aller... le guérir ?
— Tout d'abord, nous allons vous permettre de faire connaissance ensemble. Il faudra que je réussisse à trouver l'hôte. Quand tout sera clair et mis en place, nous pourrons travailler sur votre union, afin de former une unique identité en combinant la totalité des identités. Vous avez tout suivie ?
— Heu, je crois bien. Il faut que l'on fasse tous connaissance, c'est bien cela ?
— Tout à fait. Vous serez d'accord pour fixer plusieurs rendez-vous avec moi, pour atteindre ces objectifs ?
Je hoche la tête. J'espère juste que les autres seront d'accord avec ma décision...
— Voyons-nous une ou deux fois par semaine.
J'acquiesce, on note le premier rendez-vous sur nos calendriers respectifs -lui sur son gros agenda de compétition, moi sur mon portable.
J'ai à peine noter la date que je semble voir flou et je me mets subitement à piquer du nez, parcouru par un mal de crâne immense. J'en ai marre de perdre connaissance, mais je commence bizarrement à m'y habituer.
***
Mes paupières se rouvrent presque aussitôt, même doc n'a rien vu, griffonnant sur son carnet archi-gros.
— Puis-je vous poser une question ?
Je ne vois rien avec ces lunettes de malheur mais je les laisse au bout de mon nez.
— Oui ?
— Comment avez-vous réussi à nous percer à jour ? C'est la première fois que ça arrive.
— Oh, laisse-moi deviner, Manu ?
Je grimace, le défiant du regard. Il ne va pas s'en tirer sans répondre à ma question.
— Ma fiancée, commence-t-il par me dire, avait une amie du nom de Sylvia qui était atteinte d'un trouble dissociatif de l'identité...
— Quelle coïncidence. Mais ça n'explique pas que vous soyez presque incollable sur le sujet. Peu de médecins le sont...
— Une des identités dominantes de cette personne était très attachée à Lucie. Quand nous nous sommes fiancés... Luc ne l'a pas vu d'un bon oeil.
— Luc ?
— C'était lui, l'identité masculine de Sylvia, qui était attaché à ma Lucie. À un tel point qu'il a prit le nom de "Luc" à son effigie.
Le doc reste un instant sans parler, perdu dans ses pensées. Je n'ose pas lui reposer de questions. Pourtant, il se lance de lui-même :
— Lucie... a été blessée. Luc a essayé de la tuer.
— Oh putain ! Mais... quoi, comment ?
— Il préférait la voir mourir que de la voir partir pour quelqu'un d'autre.
— Alors, supposé-je, vous devez détester les nôtres ?
Son regard est lointain, emprunt de nostalgie.
— Non, vous êtes des individus, semblables à moi. Sylvia avait vécu de graves traumatismes, ce qui a fragilisé sa confiance en elle. Luc était censé la protéger, être fort et sûr de lui. Si seulement j'avais mieux compris son état à ce moment-là, j'aurais pu les aider...
— Que s'est-il passé ?
— Luc a poignardé Lucie. Juste après, il s'est donné lui-même la mort, emportant Sylvia et ses autres identités avec lui. Je... j'aurais pu les aider. J'aurais voulu les apaiser... à cause de moi, ils n'ont pas eu l'occasion de vivre en paix.
Là, devant moi, le psychiatre fond en pleurs, fissurant du même coup ma carapace.
Démuni, avachi, je le trouve touchant. Il a été blessé par un de mes semblables et pourtant, il souhaite m'aider.
Je fais le tour de son bureau et lui tape maladroitement le dos, dans un geste de réconfort un peu bancal. Il me sourit à travers ses larmes et mon coeur se crispe.
Encore une fois, je suis sacrément dans la merde.
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