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Mon ventre se tord d'angoisse. Je déteste parler aux autres. Sur une messagerie virtuelle, il n'y a aucun soucis. Mais en face à face, j'ai une sérieuse tendance à perdre mes moyens.

Tu n'as pas le choix, me répété-je encore et encore.

La plupart de mes camarades n'ont pas cours, mais certains ont un TD, soit un cours de travaux dirigés, de huit à dix heures. Quand j'arrive devant la salle, les élèves en sortent en chahutant bruyamment. Soudain, je vois la tête d'une amie, à moitié dissimulée derrière deux grands gars plutôt baraqués.

— Elisa, l’interpellé-je en lui attrapant le coude, je peux te poser une question ?

— Ah, salut Manu.

Je ne sais pour quelle raison, tous mes camarades m’appellent de ce surnom, alors que mon prénom complet est Emmanuelle. Mais cela ne me dérange pas vraiment. Soudain, je reviens à moi et lance la conversation sur un ton que j’espère léger.

— Tu sais, pour l’exposé de méthodo qu’on devait faire ensemble…

— Ah ! Je dois te remercier, grâce à toi je suis sûre qu’on aura une excellente note.

— Sauf que je ne souviens pas l’avoir fait. Je suis désolée, je t'importune encore une fois…

Elisa me regarde de biais et me sourit, rassurante. J’aimerai tellement pouvoir lui ressembler avec ses pommettes hautes, ses mignonnes taches de rousseur.

— Encore ? s’exclame Elisa, c’est de plus en plus fréquent, non ?

Je me mordille les lèvres. Elle a raison. Sauf que d’habitude, il m’arrive de ne pas me souvenir d’une heure ou deux, rien de bien grave. Elisa est l’une des rares personnes au courant. Comme elle est très observatrice, elle a rapidement aperçu que quelque chose n’allait pas.

— Tu sais, Manu, tu devrais aller consulter un médecin. Ce n’est pas normal d’avoir de si fréquentes pertes de mémoire. Peut-être qu’il pourra savoir d’où ça vient et t’aider.

Je n’ose pas lui avouer que j’y songe depuis quelques temps. Mais comment lui annoncer que j’ai peur d’aller voir le corps médical. Si j’avais un problème au cerveau ? S’ils m’annonçaient une nouvelle pire que ce que j’imagine déjà ?

Je passe les prochaines heures avec Elisa et nous déjeunons à la cafétéria. Je farfouille dans mon sac sans réussir à mettre la main sur mon porte-monnaie. Je suis pourtant sûre de l’avoir comme je l’ai utilisé durant la matinée. Certes, il n’y avait plus grand-chose dedans mais il me reste toujours ma carte bleue, même si j'ai peu d'argent dessus.

Je m'accroupis pour mettre mon sac à plat par terre. Pourquoi y a-t-il un tel imbroglio à l’intérieur ?

— Oh, mon Dieu, Manu, tu t’es fait tatouer ?

— Pardon ?

Elle désigne le bas de mon dos où mon t-shirt trop court, ce traître, est remonté. Je frôle ma peau. Il y a quelque chose qui cloche. Ça me fait un peu mal.

— Elisa… gémis-je,  je ne me suis jamais fait tatouer. Je n’ai jamais voulu de tatouage.

J’ai les larmes aux yeux.

— Maintenant, ça suffit, éclate la jeune femme, tu vas appeler ton médecin illico presto et il te conseillera un spécialiste.

Je hoche la tête, découragée. En rentrant ce jour là, je me retrouve dos au miroir. Au bas de mon dos sont tracés d’élégantes et fines arabesques noires, qui jure un peu sur mon corps athlétique. Au moins ce n’est pas un papillon ou pire… un dauphin.

Une semaine plus tard

Nerveuse, je me rends chez le neurologue. Mon médecin généraliste voulait qu’il regarde si mon cerveau a un problème. Je trépigne de joie -ironiquement bien sûr.

La grande façade blanche de l’hôpital qui me fait face à des airs menaçants de bâtiment hanté. Affronter un spécialiste me stresse visiblement.

Une heure plus tard, après une longue conversation et un scanner cérébral, le neurologue et ses collègues sont sans appel : mon cerveau va bien. La zone du cerveau qui contient ma mémoire n’a aucune anomalie.

Je suis envoyée au troisième étage de l’hôpital. Direction la psychiatrie. Je serre les dents. Je n’arrive pas à m’habituer aux odeurs da désinfectant et d'antiseptique. Alors quand j’entends un homme pousser un long hurlement avant de traverser le couloir en courant comme un dératé, se cognant momentanément contre les murs, je suis pétrifiée.

Ai-je ma place parmi eux, ces dérangés ?

Un docteur finit par mettre la main sur le fou furieux et le calme par des mots apaisants.

— Allons-y, Monsieur Dubois, les aliens ne sont pas là, je vous le promets. Vous ai-je déjà menti ?

— Non, pleure l’homme, complètement désemparé, ils vont m’emmener sur leur planète ! Mais je ne peux pas y aller, je peux pas. Là bas, c’est pas comme ici, je pourrais pas y respirer. Je vais mourir !!

— Je vous protégerai, monsieur Dubois. Personne ne vous emmènera là-bas, aller, suivez-moi.

— Emmanuel ? me demande un second médecin que je n’ai pas entendu arriver.

Je sursaute et hoche aussitôt la tête et le suis jusqu’à son bureau, qui me semble aussi calme et ordonné que son propriétaire.

Une fois de plus, je donne une vision de mes symptômes sous les hochements de tête et le grattement du papier. Il semble passionné par ce qu’il écrit à mon propos. Quelques fois, il me questionne ou souhaite approfondir une notion.

À force de réfléchir et de stresser, je sens mon éternel mal de tête revenir avec brusquerie. Je retiens une grimace, me masse la tête distraitement.

— Cela arrive-t-il souvent ? me demande-t-il, l’air de rien.

— De quoi ?

— Vos maux de tête.

— Oh. Oui, pas mal.

— Avez-vous des pertes de mémoires avant et après vos pertes de souvenir ?

Je n'ai jamais fait de liens évident avec cette notion mais maintenant qu'il en parle... je hoche la tête, abasourdie. Quoi, il a une piste ?

— Vous avez une idée de ce que j'ai ? demandé-je surexcitée.

Là, ma tête lancine de plus belle, mais je m'en moque. Je veux simplement entendre sa réponse, connaître son hypothèse. J'ignore ma migraine et me concentre sur les mots qu'il prononcent.

Jusqu'à ce que je perde conscience et que je m'écroule de ma chaise.

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