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     Du sang lui gicla au visage tandis que son épée s'enfonçait lentement contre la gorge de son adversaire. Celui-ci, le corps tendu par la souffrance et son dernier souffre, s'étouffait dans sa propre hémoglobine. Jeanne hurla dans son effort, couchée dans la boue avec sur elle l'anglais agonisant, laissant son épée se rabattre à ses côtés dans l'élan de son geste, la tête de l'homme roulant non loin de la sienne. Le cadavre s'affaissa contre elle coupant instantanément son souffle, son armure se compressant sur sa poitrine. Elle repoussa le poids mort avec difficulté et réussit à nouveau à respirer. Une main s'éleva devant elle, l'invitant à la prendre pour se relever, ce qu'elle fit sans hésitation. 

"Nous n'avons pas le temps de nous reposer ma dame". 

"Ne m'appelez pas comme cela, Enguerrand" répondit-elle au chevalier qui se mit dos à elle alors qu'elle souriait amusée. 

A son tour, elle se tourna et ils levèrent leurs armes se protégeant de prochaines charges. 

"Je vous épouserai" déclara-t-il non sans rire tandis qu'ils se battaient et s'éloignaient peu à peu l'un de l'autre. 

"Dieu est le seul que je chéris !" répliqua-t-elle la voix forte pour qu'il l'entende. 

"C'est ce que vous dites toutes !"

Jeanne rit, percevant à peine les paroles de son ami. Enguerrand était son bras droit et meilleur camarade sur le champ de bataille, son humour était parfois l'une des seules choses l'aidant à oublier les malheurs de la guerre. Malgré son tempérament de guerrière, la jeune femme n'appréciait guère la violence et se questionnait parfois sur son but. Le Seigneur lui avait confié une mission, mais pourquoi fallait-il tuer pour répondre à ce dessein ? Son épée volait devant elle tandis que les hommes tombaient. Elle finissait par ne plus faire la différence entre les siens et les ennemis, tuant simplement ceux dont les armures étaient marquées de trois léopards dorés et dont les armes étaient décorées de bandeaux bleus. Sur elle, se mélangeait son sang et celui des autres, n'arrivant pas à savoir si elle s'était réellement blessée ou non, mais l'adrénaline l'empêchait de s'arrêter et la voix lointaine d'Ikaris - l'ami de sa mère - lui rappelait de ne jamais flancher devant un opposant. 

Mais elle s'arrêta enfin, n'ayant plus personne à vaincre. La nuit venait à peine de tomber - à moins que la fumée noire ne l'imitait - et seuls les nombreux feus l'entourant pouvaient l'éclairer. Les corps gisaient autour d'elle, des flaques de sang se formaient dans la terre déjà humide de pluie et de larmes. Elle tentait de calmer sa respiration balayant du regard le nouveau cimetière. Ses yeux s'arrêtèrent sur  trois silhouettes, l'une agenouillée sur le sol, le visage faisant face à la terre, les deux autres debout, discutant. Jeanne s'approcha discrètement, puis se mis à trotter, son armure cliquetant au rythme de ses pas, signalant sa présence. Les trois têtes se tournèrent vers elle. 

Enguerrand était celui en position de disgrâce. Il lui adressa un léger sourire rassurant, murmurant dans sa tête de partir, tandis qu'une épée s'élevait au dessus de son crâne. Jeanne refusa de l'abandonner, attrapant une lance sur un cadavre et l'envoyant avec force contre ses assaillants,. Elle atteignit l'un d'eux en pleine poitrine. Le second soldat, sans sourciller pour son compagnon, enfonça sa lame dans la nuque du français qui se retrouva empalé sur le sol à jamais. Jeanne hurla avec peine se ruant vers le meurtrier de son ami mais des bras l'enserrèrent soudainement, l'immobilisant tandis qu'elle se débattait avec fureur ne pouvant quitter des yeux l'éternelle forme de son frère de guerre.

"We must take her to the King" ordonna un anglais qui s'approcha de ceux maintenant la meneuse de troupes. "He'll know what to do with her". 

L'héroïne ferma les yeux, sentant son heure venir. 

Mais celle-ci ne vint pas et lorsqu'elle rouvrit à nouveau ses paupières, tout était en feu. Tout autour d'elle brulait alors qu'elle était à genoux sur le sol sec. 

"ENGUERRAND !" vociféra-t-elle se relevant et tournant sur elle même cherchant une sortie. 

Un jaguar la dépassa, l'évitant de justesse, fuyant quelque chose. Totalement désorientée, Jeanne plissa le regard et découvrit avec horreur les arbres d'Amazonie qu'elle connaissait tant. Alors, les cris parvinrent à ses oreilles et elle comprit. Elle s'élança dans la direction opposée à l'animal, n'essayant même pas d'échapper aux flammes dévorantes qui pourtant la terrifiaient. Mais une chose la terrifiait bien plus. 

Elle arriva à la lisière du village et un spectacle macabre s'offrit à elle. Des hommes blancs aux tenues européennes terrassaient son peuple, tuant les hommes, violant femmes et enfants, réduisant tout en cendre. 

Jeanne s'éveilla lentement, le soleil se posant délicatement sur son visage et l'aveuglant légèrement. Elle était allongée dans l'herbe sèche, à l'ombre d'un buisson. Les oiseaux tropicaux chantaient autour d'elle et le flot de l'Amazone la berçait dans son réveil compliqué. Des larmes avaient coulé sur ses joues, qu'elle essuya discrètement de la paume de ses mains. Elle se redressa, s'appuyant sur ses coudes avant de s'asseoir complètement. Druig l'observait au loin, la moitié de ses mollets immergée dans l'eau du fleuve. Il l'avait senti se réveiller de sa sieste et voulait s'assurer qu'elle se portait bien, mais le léger froncement de sourcils qu'il perçut le convint du contraire. 

J'arrive, ne bouge pas, l'arrêta-t-elle mentalement en le voyant sortir de l'eau pour la rejoindre avec son air inquiet habituel posé sur le visage. 

Cela faisait un peu plus de soixante ans qu'ils se connaissaient. Ce n'était pas grand chose pour l'Eternel qui avait vécu plusieurs milliers d'années avant elle, mais de son côté, elle commençait à peine à expérimenter l'immortalité. Ils savaient presque tout de l'un et de l'autre, devenant des piliers importants pour chacun. Ils n'avaient jamais mis de mots à leur relation, s'amusant simplement à se taquiner de temps en temps, à apprendre de l'autre, à se faire confiance, à guider un peuple. Jeanne l'avait supplié de faire construire une école et il ne semblait rien pouvoir lui refuser. Elle se donnait corps et âme dans l'enseignement et il l'avait parfois rejoint quand son planning le lui autorisait, appréciant lui aussi donner des leçons sur le passé. Elle aimait, dans ces cas là, s'asseoir au fond de l'unique salle de classe pour l'écouter parler. Elle pouvait l'écouter parler pendant des heures et des heures durant. Quelque chose dans sa voix l'envoutait, dans sa façon de conter. Lui se faisait plus discret, aimant l'admirer s'occuper des enfants qui ne faisaient que rire à son contact. Elle avait toujours cette pointe de bonheur qu'elle réussissait à transférer aux autres et il adorait cela. Ils avaient fini par prendre l'habitude de s'éloigner du village une fois par semaine, à l'initiative de Druig, pour souffler un peu, prendre du recul. Jeanne aimait plus que tout explorer la grande forêt amazonienne, mais tous les deux s'étaient mis d'accord sans pour autant en parler de s'installer près du fleuve où l'air se faisait plus frais. Ils avaient tout le temps devant eux pour découvrir chaque recoin de la jungle. 

Druig ne comprenait plus tellement ce qu'il se passait dans sa vie et avait décidé d'arrêter de chercher des explications et de vivre pleinement aux côtés de cette femme qui lui apportait cette étrange dose de joie auquel il ne pensait jamais avoir droit. Ils n'étaient pas amants comme Sersi et Ikaris qu'il avait longtemps envié - refusant de se l'avouer - mais la présence même de Jeanne suffisait à le combler. Il s'était toujours senti seul, s'était convaincu qu'il resterait seul pour l'éternité, puis le doux sourire de Jeanne était arrivé et ne l'avait plus quitté. 

Elle, n'imaginait tout simplement pas cette vie paisible. Elle avait été persuadée par ses croyances qu'elle avait été élevée pour tuer et que ses sentiments étaient vains. Elle ne méritait pas de ressentir quoique ce soit, retirant elle-même l'âme de personnes qui ne pourraient plus vivre pour aimer. Elle devait être morte et voilà qu'elle avait ressuscité dans les bras de cet homme.

Elle le rejoignit alors, baignant à son tour ses pieds, puis ses jambes, sous le regard interrogateur de Druig qui gardait le silence. Il adorait l'admirer, passionné par ses petites mains qui caressaient les herbes longues bordant l'eau, sa bouche rosée aux lèvres fines qui feignaient un sourire et ses grands yeux noisettes encadrés de longs cils qui semblaient capable de le transpercer agréablement d'un simple regard.

"Qu'as-tu vu ?" 

"De vieux souvenirs" soupira-t-elle tout en essayant de ne pas raviver ses larmes. "Et notre village."

"Notre village ?" sourit-il taquin, le regard en coin. 

"Il était en feu Druig" révéla-t-elle laissant retomber ses épaules tristement. "Je déteste le feu."

"Je le sais" répondit-il, toujours un rictus sur les lèvres, attendri, avant de lui attraper le visage d'une main. "Ça n'arrivera pas. Pas sous ma surveillance."

Elle rit face à son assurance et il sourit un peu plus, appréciant ce doux bruit bien plus que toutes les musiques qui habitaient ses oreilles depuis la nuit des temps. 

Il la lâcha et ils abandonnèrent leur discussion, reprenant le silence comme ils aimaient tant faire. Leur corps se rencontrant machinalement, l'Eternel l'embêtait de gentils coups d'épaules qui, tout en la berçant, lui faisaient perdre l'équilibre. Un sourire habitait le visage de la jeune femme dont les yeux revoyaient son dur et douloureux passé. Peut-être, après tout, méritait-elle sa paix. Enguerrand le lui avait toujours promis. Elle devait lui faire honneur et profiter de cette vie qu'on lui offrait, qu'Ajak lui avait donné. Grâce à elle, elle n'avait jamais été plus heureuse qu'à l'instant même. Les images du village en feu lui revinrent en tête, et elle perdit sa joie. 

"Je ne sais pas si je vais pouvoir continuer" lâcha-t-elle et se fut à son tour à lui de voir s'envoler son plaisir. 

"Qu'est-ce que tu veux dire ?"

"Et si ma vision se concrétisait ? J'aime trop cette vie pour qu'elle disparaisse dans un nuage de fumée."

"Je serai à tes côtés ma belle Jeanne, ta vie ne s'arrêtera pas" lui promit-il, la faisant légèrement rougir. 

"Tu m'as comprise."

Druig essayait de voir les choses plus positivement depuis l'arrivée de la fille et il avait du mal à percevoir l'éventualité d'un malheur, se persuadant d'être suffisamment fort pour la protéger elle et les siens. 

"Et si ça devient trop dur pour toi, je continuerai de t'entendre" lui confia-t-il au creux de l'oreille. 

Elle tourna son visage vers le sien et ils se retrouvèrent soudainement très proches. Leur respiration respective, bien que calme, venait se poser sur la peau de l'autre et leurs yeux ne réussissaient pas à se poser sur un détails particuliers de leurs traits. Habituellement, ils laissaient leur front se rencontrer avec bonheur, partageant un lien silencieux, mais cette fois-ci quelque chose de nouveau se créait, l'attraction était différente. Tous les deux savaient pour la lumière que voyait Jeanne, qu'un jour ils appartiendraient à l'autre, mais ils avaient préféré laisser la vie faire les choses et nouer leur relation en temps voulu. 

Un nœud agréable se créa dans l'estomac de Jeanne tandis qu'elle nageait dans le bleu intense des yeux de son ami qui n'arrivait pas à choisir quelle partie du visage de la fille il préférait. Il adorait le grain de beauté à peine dessiné sur le haut de sa pommette droite et tandis qu'il continuait de l'admirer en silence, les lèvres de la jeune femme vinrent caresser les siennes. 

Il ne réagit pas tout de suite, pris par surprise, et le baiser doux ne dura que quelques secondes. Jeanne, embarrassée, tourna la tête à l'opposé, retroussant son nez et plissant les yeux, se retenant de mordre son poing par honte de son geste auquel l'homme ne lui parut pas réceptif.

Jusqu'à ce que la large main de l'Eternel viennent délicatement enserrer son cou pour la tourner vers lui à nouveau, l'embrassant à son tour avec passion. Ses mains à elle se retrouvèrent dans la nuque du brun et tous les deux perdirent la notion du temps. Un flot d'émotions et de sentiments les envahir sans prévenir et alors ils découvrirent ce qu'ils attendaient depuis toujours sans pour autant en avoir conscience. 

Ils se séparèrent, riant doucement, à nouveau front contre front. Druig déposa à nouveau un rapide baiser sur les lèvres de la fille avec bonheur. Son sourire était grand permettant à ses fossettes de se dessiner, ce qui ne fit fondre qu'un peu plus Jeanne dont le sourire de l'homme était la plus grande faiblesse. 

"C'est donc ça de vivre" échappa-t-il dans un souffle. 

"Il semblerait" répondit-elle, timide de ce qu'elle ressentait pour la première fois. "Vivre éternellement n'est peut être pas si mal finalement" conclut-elle en riant.

⚜️ 

Ils revinrent en début de soirée au village, main dans la main. Ce n'était pas la première fois qu'ils rentraient les poignes liées, mais définitivement la première fois que ce geste avait tant d'importance pour eux. Ils avaient discuté tout le long du trajet, réfléchissant à l'avenir de leur peuple, au leur, l'un avec l'autre. 

Le village était silencieux et les torches n'étaient pas allumées comme à leur habitude. Quelque chose ne se passait pas comme prévu. Les deux héros se séparèrent, sondant les alentours avec leurs capacités, essayant de comprendre ce qu'il pouvait bien se passer. Jeanne ne perçu rien, mais Druig, lui, avait compris la perturbation. Il reprit la main de son aimée avec plus d'appréhension cette fois-ci. Une vague de tristesse avait submergé son regard océan et la jeune femme le remarqua bien assez tôt. 

"Que se passe-t-il Druig ?" s'inquiéta-t-elle.

Il l'embrassa sur le front, la prenant contre lui avec tendresse et réconfort sans qu'elle ne comprenne, cherchant à tirer des liens avec ce soudain silence. 

"Je suis désolée Jeanne."

Une expression d'incompréhension l'habitait alors que lui gardait cette pitié énervante sur le visage. 

"Emmène-moi" lui ordonna-t-elle sèchement. 

Il ne prit pas sa main cette fois-ci, ressentant la colère montante de la fille. Il n'avait tout simplement pas le courage de lui avouer ce qu'il se déroulait. Il lui ouvrit le chemin, avançant rapidement, faisant attention à ce qu'elle le suive bien. Il était toujours surpris par la détermination de Jeanne qui, malgré sa plus petite taille, réussissait toujours à être à sa hauteur de marche. 

Petit à petit, ils croisèrent des villageois qui les saluaient respectueusement avec peine d'un geste de la tête, regardant tous en direction d'une petite habitation. La respiration de Jeanne s'accéléra, de même que son pas et elle finit par dépasser Druig, courant jusqu'à la maison de Yara. 

"Jeanne !" l'appela son compagnon mais elle n'entendait plus rien. 

Elle se créa un chemin dans la foule à l'entrée de la maison, atteignant l'intérieur. Les enfants de sa meilleure amie, déjà bien grands se tenaient à son chevet, les joues humides et les yeux bouffis. Jeanne fit forte figure et pris la fille aînée dans ses bras lorsque cette dernière s'y précipita. Yara était désormais une vieille femme et ses forces voulaient la quitter aujourd'hui. L'ancienne guerrière étaient au petit soin avec elle depuis plus d'un an après que la santé de la villageoise ait commencé à se détériorer. Elle n'arrivait pas à se résoudre à la laisser partir, préférant aspirer la douleur de son amie plutôt que de la voir souffrir, mais aujourd'hui était le jour de son départ et une fois encore Jeanne ne l'acceptait pas. Joao était décédé cinq ans auparavant, laissant sa femme, ses enfants et ses petits-enfants derrière lui. Yara ne s'en était jamais remise et voilà où elle en était. 

Jeanne s'approcha d'elle, les yeux humides mais gardant le menton haut pour ne pas laisser couler ses larmes. Elle tandis ses mains haut dessus du corps de sa sœur et des courbures blanches se dessinèrent autour de ses paumes et de ses doigts. Le corps de la villageoise se retrouva enveloppé d'un cocon de lumière douce qui semblait apaiser la mourante dont le visage ridé se détendait dans son sommeil de douleur. 

"Arrêtez s'il vous plaît" pleura le fils cadet. 

Jeanne tourna son visage vers le jeune homme, l'observant avec peine, cherchant à ne pas craquer. Elle avait élevé le petit Necalli avec la mère de ce dernier et il avait toujours voulu jouer les plus forts. Il avait une place importante au sein de la communauté et il passait beaucoup de temps avec Druig pour discuter des améliorations à faire dans le village, comme son père avait pu faire auparavant. Le voir aussi émotif ne la rendait que plus triste. Elle tendit une main vers lui et il s'en approcha, les jambes tremblantes. Il déposa sa joue dans la main brillante de la femme et redevint l'enfant qu'elle avait vu grandir. De sa magie, elle le calma lentement et ils partagèrent quelques pleurs ensemble. Le chef du peuple apparut enfin à l'embrasure de la porte, découvrant la scène avec peine. Il resta en retrait ne souhaitant pas bousculer les aurevoirs. 

"Jenn..."

La guérisseuse tourna son regard vers sa meilleure amie dont les yeux verts commençaient à disparaitre derrière un voile de fatigue blanc. Jeanne se sépara de Necalli et leva à nouveau sa main pour rejoindre l'autre et amplifier sa magie. 

"Laisse-moi partir. S'il te plaît."

L'immortelle ferma les yeux laissant des larmes rouler sur ses joues. Les enfants de Yara la rejoignirent, posant une main sur ses épaules, appuyant la volonté de leur mère malgré leur tristesse. Jeanne, épuisée par l'effort, arrêta, tombant à genoux complètement vidée par les émotions terribles qui la traversaient. Comment pouvait-elle passer la plus journée de toute sa vie et la plus terrible à la fois ? Elle avait connu la mort de beaucoup d'amis, Enguerrand en étant la preuve la plus douloureuse, mais celle de Yara était autre chose. Elle l'avait vu vivre, l'avait vu évoluer, construire une famille. Tandis qu'elle, ne vieillissait pas et continuait de courir, sa sœur n'arrivait plus à la suivre. Elles avaient vécu soixante merveilleuses années ensemble et il fallait que tout s'arrête maintenant. 

La main - abîmée par le temps - de Yara chercha à attraper Jeanne effondrée sur la terre du sol. Cette dernière rampa vers le petit lit, saisissant avec douceur les doigts fatigués de la femme s'y accrochant comme à sa propre vie. Elle était inconsolable, ses sanglots étaient si forts que le village déjà silencieux ne se tue qu'un peu plus et certains ne supportant pas la douleur de la femme si habituellement joyeuse qu'ils partirent se réfugier chez eux. Druig comprit à cet instant que celle qu'il aimait était le poumon de son peuple et que sans elle, il n'était plus sûr de savoir comment faire. 

"Soit forte" murmura Yara "soit forte Jenn. Pour eux." 

Jeanne releva son regard embué par les larmes et hocha la tête affirmativement, lui faisant une promesse silencieuse. 

"Je t'aime tellement Yara."

"Moi aussi" répondit difficilement la vieille femme en retour, une larme s'échappant de ses yeux endoloris. "Tu sais ce qu'il te reste à faire."

"Je ne peux pas" bégaya la jeune femme en se séparant de son amie d'une peur que personne ne comprenait. "Je ne peux pas."

"On en a déjà parlé Jenn" soupira avec peine Yara "je ne veux pas partir en souffrant."

Jeanne refusait de la regarder, observant le sol tristement, une certaine colère montant en elle. Pourquoi devait-elle vivre cela ? Pourquoi devait-elle assister aux départs des personnes qu'elle aime ? Pourquoi était-elle éternelle ? Dans cet instant de malheur, elle se mit à maudire Ajak et son cadeau empoisonné. 

"S'il te plaît."

Jeanne se releva s'empêchant de faire face à la situation, se tournant simplement vers les enfants de Yara. 

"Il est temps" leur souffla-t-elle de façon à peine audible. 

Necalli et Itotia aquiescèrent douloureusement et appelèrent leurs enfants respectifs. Druig entra dans la hutte pour laisser entrer la famille nombreuse qui se précipita avec douceur au chevet de la matriarche. Il se rapprocha de Jeanne et glissa sa main dans la sienne. Elle ne le regarda pas mais le laissa faire, sa présence seule l'apaisant dans sa peine. Il se permit alors d'entrer dans son esprit et de venir l'enlacer, calmant se douleur intérieure, lui retirant un peu du supplice qu'elle vivait, lui qui avait désormais l'habitude de perdre des vies chères. Il était triste, mais les années lui avaient appris à panser ses plaies aussi rapidement qu'elles s'ouvraient. Il savait que cela n'allait pas être chose facile pour Jeanne mais qu'elle y arriverait. 

Tous les deux observaient les derniers instants de la femme souriante avec les siens avant qu'elle ne leur adresse un regard. Druig sentit une pression sur sa main et bien qu'il ne sache pas ce qui allait se dérouler, il accepta d'accompagner le jeune femme jusqu'à Yara. Il se sépara de Jeanne et attrapa la poigne frêle de l'enfant qu'il avait vu grandir et s'épanouir. Son cœur se déchira, comme à chaque fois. Il lui embrassa les doigts et elle lui sourit. Il recula après l'avoir saluer une dernière fois d'un mouvement de tête et laissa la place à Jeanne qui - grâce aux soins mentaux de son amant - réussit à offrir un sourire faible et un regard à son amie. Elle déposa un baiser sur le  front de Yara avant de venir l'enlacer. 

Tout doucement, Jeanne aspira l'énergie restante de la vieille dame, l'aidant à partir avec douceur, pleurant à chaudes larmes sentant sa sœur lui échapper à jamais. 

⚜️

Yara était partie. 

Jeanne se sentait si vide. Et pourtant, les dernières forces de son amie resteraient avec elle à jamais. Elle ne savait pas vraiment si cela la réconfortait. Druig, ne supportant pas de la voir si détruite, l'avait invité chez lui. Il avait veillé sur elle pendant deux jours, l'aidant à se consoler comme il le pouvait, n'étant pas le meilleur dans ce domaine. Elle, n'avait pas réussit à dormir, ayant trop peur de recommencer à cauchemarder, de voir les visages de tout ceux qu'elle avait pu perdre. 

Mais alors que Druig l'enlaçait tendrement dans leur lit et qu'il la poussait lentement à s'assoupir, elle n'avait comme seule pensée que sa vie se résumerait à voir celle des autres s'envoler. Puis elle réalisa que la plus importante de toute resterait à jamais auprès d'elle. 

Parce que cette vie là,  appartenait à un Eternel. 

⚜️⚜️⚜️

Hello tout le monde!
Petit chapitre pas très joyeux, et pourtant... Druig et Jeanne 🥳 ce n'est pas une scène bien folle, mais leur amour est tellement naturel dans ma tête que ça devait se faire en douceur et sans chichi. Donc voilà ! À voir ce que l'avenir leur réserve ;)
Il fallait que Jeanne réalise l'impact de son immortalité. Elle avait déjà perdu beaucoup de gens à la guerre et voilà qu'elle va en perdre toute sa vie. Pas cool, heureusement que Drudru est là (bon même si elle sait se gérer seule mais faut lui laisser du temps la pauvre).

Bref, j'arrête de blablater pour rien. J'espère que le chapitre vous aura plu !
Je suis désolée si je prends un peu de retard ! Je travaille beaucoup en ce moment sur un concours pour une école que je veux intégrer + j'ai repris les cours et je taffe dans un restau donc pas le meilleur des plannings pour écrire ! Mais je pense à cette histoire (et à une autre sur les éternels... #Oups) chaque ptn de jours hahaha

Au plaisir de vous retrouver en commentaires !

Gros bisous
Marion

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