•|3|•
Jeanne s'éveillait de son cauchemar. Le soleil se levait lentement sur la forêt amazonienne et son esprit à elle se battait dans la nuit de ses songes. Depuis le réveil de son sommeil de quatre mois, elle ne dormait plus tranquillement et les visions se faisaient plus présentes, lui rappelant le feu de joie dans lequel elle brulait, ou encore les nombreuses batailles sanglantes auxquelles elle avait du participer. Ses visions ne la prévenaient plus d'évènements futurs mais la hantaient avec son passé tortueux. Elles lui permettaient simplement de voir de temps à autre les lumières des gens et leurs rêves. Elle tourna son regard vers le sol, où Druig dormait paisiblement sur un futon.
Cela faisait trois mois qu'elle était arrivée au village de ce dernier et il s'était vite rendu compte des crises nocturnes de la jeune femme puisque ses cris réveillaient tout le monde. Il avait installé un matelas au pied de son lit pour veiller sur elle et tenter de calmer son esprit torturé. Il s'était vite rendu compte que, malgré le courage et la façade que Jeanne s'était construite, elle était profondément traumatisée, et même ses puissantes capacités ne suffisaient pas à la calmer. Ce matin pourtant, elle s'était réveillée moins violemment qu'habituellement, bien que vidée de toutes forces. Elle l'observait dormir. Il semblait fatigué lui aussi, bien qu'il lui jurait impossible pour lui de s'épuiser étant un Eternel. Elle s'en voulait qu'il utilise ses puissances pour elle, mais cela ne paraissait pas spécialement le déranger.
A vrai dire, il utilisait plutôt cette excuse pour passer du temps avec elle.
Il respirait un peu fort, les cheveux en bataille et le visage détendu par le sommeil réparateur. Sa couverture était légèrement tombée sur le côté : il faisait particulièrement froid la nuit dans la forêt, et la fraîcheur de l'aube prenait parfois du temps à laisser sa place à la chaleur humide de la jungle. Il rêvait. Elle voyait un nuage de couleur autour de sa tête, représentant les étoiles brillantes du ciel et des planètes. C'était la première fois qu'elle pouvait lire ses pensées, lui qui se réveillait généralement avant elle. Jeanne avait encore tant de choses à apprendre de lui.
Elle souriait en l'admirant. Ses cauchemars s'étaient envolés à la vue du visage reposé de l'homme.
Elle réalisa sa bêtise, soupira discrètement et sortit de son lit sans faire un bruit. Elle attrapa des vêtements propres puis sortit de la cabane. Elle lui jeta un dernier regard et peinée le rejoignit rapidement pour remonter la couverture sur ses épaules. Elle le quitta finalement.
Depuis la nuit de sa fausse mort, elle semblait s'être imprégnée de la chaleur du feu. Elle supportait difficilement la température de la forêt, sa peau à elle étant déjà particulièrement chaude. Elle savait, grâce à Ajak, qu'elle avait la capacité de prendre l'énergie de personnes, d'objets, d'éléments. Jeanne se demandait si elle n'avait pas récidivé avec les flammes. Elle avait donc pris l'habitude, pour faire descendre sa température, de se baigner deux à trois fois par jour dans un étang non loin du petit village. Là bas, elle était tranquille, dans le silence de la jungle, elle n'avait pas à subir les pensées turbulentes des habitants. Elle avait beau commencer à comprendre certaines bribes de leur langage, elle peinait encore à suivre les discussions. Leurs songes lui étaient alors toujours un peu douloureux.
Elle arriva devant l'étang. Il n'était pas très grand, mais suffisamment pour qu'elle ne le traverse pas à la nage. Elle préférait rester au bord de l'eau, là où elle pouvait toujours voir le fond et où ce dernier ne se dérobait pas sous ses pieds. Ajak pourtant lui avait appris à nager dans la rivière derrière chez eux, mais la Française ne faisait pas encore suffisamment confiance à la faune et à la flore de l'Amazonie pour se risquer seule dans les coins sombres. L'étendue d'eau était bordée d'arbre. Elle se trouvait vraiment, telle une anomalie, au centre d'hauts arbustes.
Jeanne quitta sa tunique de la nuit puis s'avança dans l'eau, appréciant le doux et froid contact sur ses petits pieds. Elle s'immergea entièrement, lentement, soupirant de soulagement. Elle ne mourrait enfin plus de chaud. Elle en profita pour laver son vêtement et l'étendre sur une branche. Puis elle profita de l'eau et du silence, s'asseyant face au ciel bleu et sans nuage de l'Amérique du Sud.
Druig arrivait discrètement près de l'étang. Il se réveillait à peine mais voulait s'assurer qu'elle aille bien. Il savait où la trouver, c'est lui qui l'y avait amené la première fois, et elle y était à chaque fois qu'elle échappait à son regard. Il l'aperçut enfin, dos à lui, les cheveux mouillés. Il avait accès à sa peau blanche, à peine touchée par le soleil, aux quelques cicatrices de guerre. Les reflets roux de sa chevelure ressortaient un peu plus qu'à l'habitude, et lui qui ne croyait en rien, paraissait assister à une apparition divine. La jeune femme l'hypnotisait depuis son arrivée, et il n'arrivait pas à savoir comment et pourquoi. Il avait eu l'occasion de croiser de nombreuses humaines, mais aucune ne l'avait autant attirée que celle-ci. Peut-être était-ce parce qu'elle n'en était plus une ?
Jeanne l'entendit arriver. Elle savait déjà de qui il s'agissait. Seul Druig la rejoignait dans ces instants de répits. Elle aimait partager ce petit coin de son jardin secret avec lui. Ils se retrouvaient rarement seuls pour discuter, Druig ayant de nombreuses responsabilités envers les siens qui le demandaient souvent. Elle tourna la tête vers lui, ne percevant qu'une silhouette de son coin de l'œil, tandis qu'il pouvait voir son profil. Elle lui sourit gentiment.
"On m'a dit que je pouvais te trouver ici" déclara-t-il de sa voix groggy.
Elle rit, s'avançant dans l'eau pour se cacher et pouvoir lui faire face. Il lui sourit à son tour, appréciant grandement de voir son visage, tout en se frottant les yeux, encore fatigué.
"Cet endroit n'est même pas un secret pour toi Druig. Bien dormi ?"
Il s'assit à même le sol, enserrant ses jambes de ses bras, tout en acquiesçant. Il n'arrivait pas à quitter le regard noisette de la baigneuse qui s'amusait elle aussi à ne pas rompre le contact visuel. Depuis la soirée de leur rencontre, ils aimaient se lancer des œillades plus ou moins profondes, sans pour autant échanger mot. Ils n'avaient jamais parlé de ces échanges silencieux, même leur pensées se taisaient à ce sujet, préférant profiter de l'instant sans y mettre d'étiquette.
"Je ne t'ai pas réveillée cette nuit ?"
"Tu as un peu parlé dans ton sommeil" la taquina-t-il. "Non, vraiment, tu n'as pas rêvé. C'est bien la première fois."
Elle ne voulait pas lui parler du cauchemar qui l'avait éveillée : la pointe d'espoir qui habitait les yeux clairs de l'homme face à elle la touchait agréablement. Autant lui faire croire à son rétablissement, si de son côté elle apprenait à contrôler ses réveils violents.
"Toi par contre..."
Il fronça les sourcils, retroussant son nez sans comprendre. Elle lui sourit malicieusement, aimant qu'il se questionne. Dans ces instants là, il lui arrivait de baisser sa garde et elle pouvait entendre des bribes de ses pensées. Sa voix à lui était la seule qui ne la dérangeait pas vraiment, puisqu'il savait la retenir, la contrôler. Elle lui fit signe de regarder dans sa tête, relevant le menton d'un air joueur. Elle le sentit entrer dans son esprit et elle revit alors son lever, les nuages colorés au dessus du crâne du brun, les étoiles et les planètes. Puis, elle s'observa à nouveau le recouvrir de sa couverture et s'en aller.
"C'est mignon" plaisanta-t-il tandis qu'elle sentit ses joues chauffer légèrement. "Je rêvais de chez moi."
C'était au tour de Jeanne de ne pas comprendre. Lui ne savait pas s'il devait vraiment tout lui révéler, il avait peur que cela l'effraie : à vrai dire, elle n'avait que vingt ans et était née dans une période où le monde était peu développé. Il ne doutait pas de l'enseignement d'Ajak, et de l'intelligence de son amie, mais il craignait qu'elle ait du mal à y croire.
"Ta mère, les autres et moi, venons de la planète Olympie. Nous ne sommes pas originaires de la Terre, nous venons d'ailleurs."
Il leva la tête vers le ciel. Elle l'imita, réfléchissant.
"Je ne crois en aucun dieu, si c'est ce que tu essaies de me faire croire."
Il la regarda à nouveau, amusé.
"La grande Jeanne d'Arc ne croit plus en Dieu ?"
"Ne m'appelle pas comme ça" se froissa-t-elle sévèrement. "Il m'a laissée tomber. Je crois en moi, ça m'est suffisant."
Il approuva ses dires dans un silence, réalisant qu'elle rapportait cela à la nuit du grand brasier où elle avait pu difficilement se sauver seule.
"Je ne suis pas un dieu."
"Malgré ce que tu fais croire aux tiens."
Il haussa les épaules, raillant de la situation.
"Ils croient à ce qu'ils veulent."
Elle semblait réfléchir à ce que lui disait l'homme, les yeux sombres de jugement. Après tout, ne s'était-elle pas non plus prise pour une divinité à mener une armée dans une guerre sanglante et sans fin ?
"Ils te considèreront comme tel quand ils verront que tu ne vieillis pas non plus."
"Parce que tu crois que je vais rester ici pour toujours ?" ricana-t-elle.
"Je l'espère."
Ils se turent. Druig cherchait désespérément une réponse dans le regard de la jeune femme qui gardait le silence. Lui s'était retrouvé seul trop longtemps, et la compagnie nouvelle de Jeanne réchauffait son cœur qui se protégeait des blessures de la vie. Il tentait de ne plus s'attacher aux humains personnellement, leur mort le détruisant à chaque fois. Mais l'arrivée de la chevalière avait ravivé ce besoin de ressentir quelque chose. Elle, avait besoin d'un pilier, d'une aide, de quelqu'un à aimer. Elle n'avait connu que la violence malgré sa vie douce aux côtés d'Ajak, elle avait souvent l'impression d'être simplement née pour tuer.
Dans sa bulle de pensée, Jeanne eut à peine le temps de voir le visage de Druig se morfondre dans une peur panique, avant de s'engouffrer dans l'eau violement, une douleur fulgurante à la jambe. Elle était tirée vers le fond de l'étang, et la force de ce qui l'entrainait dans les profondeurs ne lui permettait pas de se débattre. Ses poumons se remplissaient d'eau lentement. Elle se retourna difficilement et découvrit une créature étrange, à la peau d'argile et aux yeux jaunes. Sa grande mâchoire aux dents puissantes était refermée sur l'une de ses jambes, désormais ensanglantée. Elle n'avait jamais vu pareil animal et celui-ci semblait tout droit sortit des enfers. De sa jambe libre, elle frappa la bête dans le cou à plusieurs reprise, tentant de le faire ralentir mais cela ne semblait pas l'arrêter. Elle se redressa durement, atteignant la gueule de la chose, tentant de se défaire son emprise à main nues, tirant avec le peu de force qu'il lui restait pour espérer ouvrir la mâchoire serrée. Mais celle-ci étaient verrouillée, et Jeanne commençait à penser que la créature allait la démembrer. Alors que l'eau s'immisçait en elle et qu'il lui était de plus en plus difficile d'entrevoir le ciel, Jeanne, prise d'une impulsion, plaça ses mains sur la peau rêche de l'animal. Une lumière orange et une chaleur intense s'échappa de ses paumes, la surprenant. Elle les observa un instant, les reposant brusquement sur la carapace de la bête, réalisant qu'elle pouvait lui infliger de terribles blessures. La peau épaisse se mit à fondre sous le feu de ses doigts et l'animal la lâcha brutalement, l'abandonnant dans les profondeurs sous la douleur.
Jeanne remonta à la surface avec peine, le corps lourd d'eau et la jambe la tiraillant. Elle réussit enfin à sortir la tête de l'eau, recrachant toute celle amassée dans ses poumons. Elle avait du mal à respirer, à se tenir à la surface, terrifiée que le monstre revienne la chercher. Druig nageait rapidement en sa direction, le visage tordu dans une expression d'inquiétude. Il la saisit fortement par les bras et la força à s'accrocher à lui, la priant d'utiliser ses dernières forces pour retourner à la berge.
Arrivée sur la petite plage, il l'enveloppa dans une serviette pour la sécher et lui accorder un peu d'intimité, puis il se plaça devant elle, l'analysant avec grande inquiétude. Jeanne était à moitié inconsciente tant la panique la figeait. Elle tremblait terriblement et son regard vide était tourné vers l'eau. Il se permit d'entrer dans son esprit, voulant l'apaiser, mais il se prit un violent mur. Les yeux noisettes de la jeune femme se plantèrent dans les siens avec peur, emplis de larmes.
"Jeanne, parle-moi."
Agenouillé face à elle, il observait chaque recoin de son visage y cherchant un signe mais elle restait mue dans son silence lourd. Les larmes roulaient sur son visage et il ne pouvait rien faire que de la regarder, ne sachant pas ce qui lui arrivait. Il avait pu remarquer pendant ces trois semaines que la guerrière avait un pouvoir parfois trop fort, même pour lui, et cela l'inquiétait à l'instant même. S'il ne pouvait rien faire pour la sauver, à quoi cela servait-il qu'elle reste ici ?
Peiné, il tenta de lui prendre la main mais il se brûla automatiquement. Il recula brusquement, tombant sur les fesses, choqué par la couleur vive que prenait sa paume. Sa chute et son cri de douleur sembla éveiller Jeanne et elle jeta un oeil à ses propres mains. Sa respiration s'accéléra, son souffle se coupant entre chaque bouffée d'air qu'elle tentait de prendre.
Dans ses poignes dansaient de grosses flammes oranges, parfois jaune. Paralysée, elle n'arrivait pas à les éteindre. Elle ne savait que faire. Et peu a peu ses pensées se gorgèrent des bruits alentours, des songes des habitants et d'anciens souvenirs hantés.
SORCIÈRE
BRÛLEZ LÀ
C'EST UNE TUEUSE
ELLE A MASSACRÉ TOUT UN PEUPLE
FAITES LA SOUFFRIR
ELLE MÉRITE DE MOURIR
BRÛLONS LA
SORCIÈRE
SORCIÈRE
ASSASSIN
HYSTÉRIQUE
FOLLE
TUEZ-LA
ELLE A TUÉ TOUS MES FRÈRES
AU FEU
AU BÛCHER
TUEZ-LA
A MORT
A MORT
A MORT
Druig était tout aussi paniqué. Il ne pouvait pas la toucher tant elle bouillonnait, il ne pouvait pas entrer dans son esprit. Il était impuissant et la puissance provoquée par la peur de la demoiselle l'inquiétait tout autant. Elle allait finir par se détruire. Il se concentra sur elle, détournant sa propre douleur de ses pensées, et il tenta à nouveau de pénétrer dans l'esprit torturé de Jeanne, forçant les portes fermées. C'était la première fois qu'il souffrait autant à pénétrer dans la tête de quelqu'un, mais c'était aussi la première fois qu'il se donnait autant à sauver un humain. Il aimait secourir des groupes, parfois des individualités mais rien n'avait été plus compliqué qu'à cet instant, et il ne regrettait aucunement le combat qu'il menait pour sauver la fille.
Il prit lentement le contrôle des mains de la chevalière, éteignant difficilement le feu qui les habitait et calmant la chaleur de sa peau. Ses yeux dorés cherchaient les réactions de Jeanne avec espoir et elle paraissait s'apaiser un peu, reprenant doucement son souffle. Mais sa tête grouillait toujours de pensées terribles et Druig se perdait dans les méandres des paroles silencieuses. Il la trouva recroquevillée dans sa tête, les mains sur les oreilles, attaquée par son malheur.
Jeanne déposa son front contre celui de Druig, tentant de se retenir de tomber, essayant de se connecter avec la réalité. Lui, tenait tendrement son visage, toujours aussi inquiet.
Dans l'esprit de la fille, il la prit dans ses bras, le serrant fortement contre lui.
Je ne m'entends plus, murmura-t-elle mentalement.
"Moi je t'entends."
Un soupir de soulagement s'échappa des lèvres de Jeanne et tout sembla se calmer. Ils restèrent là, l'un contre l'autre, dans un silence paisible.
⚜️
Hello hello!
Petit chapitre (dans le sens où il se passe pas non plus énormément de choses) mais qui permet de développer un peu plus leur relation et pour vous de découvrir les pouvoirs de notre chère Jeanne en même temps qu'elle même.
Bon, un peu moyen quand même mais j'espère qu'il vous plaira!
D'autant plus qu'il paraît hyper moyen, parce que je reviens avec ce chapitre, deux semaines après le précédent... J'avais mes partiels et j'étais assez malade, d'où mon retard... Mais je vais reprendre ardemment, ces personnages ont trop d'importance pour moi et j'adore écrire leur histoire !!!
J'espère que vous l'aimerez autant que moi ;)
Merci encore d'être là et d'avoir patienté ! Gros bisous ❤️
Marikabelle
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