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1431 après JC

"Sauvez-moi mon seigneur, je vous en supplie."

La jeune femme, en haillons, était agenouillée au centre de sa cellule terreuse. Son visage était sali par la poussière et de lourdes larmes roulaient sur ses joues rosées. Les yeux tournés vers le plafond du donjon, elle priait Dieu, son maître, de lui éviter sa mort prochaine. 

Elle avait combattu vaillamment et avait su secourir le peuple français, des sanguinaires Anglais qui voulaient désormais sa mort. Elle était la meilleure guerrière que le monde est pu connaître, et elle aurait pu le conquérir, si seulement elle n'avait pas été une femme. Certes, ses aptitudes étranges effrayaient, mais ne mériterait-elle pas un peu de gratitude de son peuple ? Ne viendrait-il pas la sauver si Dieu ne le pouvait pas ? 

Elle ne comprenait pas pourquoi celui-ci ne lui venait pas en aide. Avait-elle fait quelque chose de mal ? Avait-elle péché ? Elle était en proie au désespoir et au doute. Et si Dieu n'était pas celui qui s'adressait réellement à elle ? Était-ce le diable ? Ou était-elle bel et bien folle ? Peut être était-elle une sorcière après tout. Pourquoi voyait-elle des choses ? Pourquoi entendait-elle des choses ? Comment savait-elle se battre quand elle avait eu l'éducation d'une pauvre paysanne ? 

Elle ne savait plus qui elle était. 

Elle arrêta de prier, s'écroulant sur elle même, s'affaissant sur le sol, le visage dans la terre que ses larmes transformèrent en boue. Elle redevenait l'enfant perdue dans ses pensées et celles des autres. 

Brûlez-la. 

Elle doit être un serviteur du diable. 

Sorcière.

Elle a tué tout le monde. Brûlons-la. 

Une femme ne devrait jamais diriger une armée.

SORCIERE

Elle avait toujours été sujette et assaillie par les pensées des personnes l'entourant. Tout lui venait sans qu'elle ne le choisisse. Elle n'avait jamais voulu entendre toutes ces choses. Ils pouvaient tout garder pour eux, elle finissait toujours par le savoir. 

Sa tête était coincée dans un étau violement serré et elle ne pouvait pas le retirer. Elle souffrait de pleurer, du mal de crâne que lui procuraient les paroles mentales des anglais,  et de sa peur. Elle n'avait jamais eu aussi peur de sa vie. Peut-être avait-elle peur de la mort ? Pourtant, elle n'avait faibli devant aucun combat. 

Cette fois-ci, elle savait qu'elle ne gagnerait pas. 

"Jeanne."

La guerrière releva la tête, ses cheveux courts lui tombant sur le visage, se mêlant aux larmes et à la sueur. Un gémissement de soulagement s'échappa de ses lèvres. 

"Mère."

Elle se redressa difficilement, les genoux tremblants, et accouru aux barreaux de la cellule, enlaçant comme elle le pu la femme devant elle. Celle-ci avait de longs cheveux bruns épais, de grands yeux chocolat et un sourire triste. Ajak, de son nom, avait adopté Jeanne à sa naissance quand ses parents biologiques, de petits paysans, s'étaient rendus compte de la différence de leur enfant. Ils l'avaient jeté aux porcs, mais la femme l'avait secouru à temps de cette mort certaine. Elle l'avait élevée comme sa propre fille et l'avait intégré à sa petite famille. 

Elle avait donc pu grandir aux côtés d'une jeune adolescente du nom de Sprite, espiègle et aux cheveux oranges. Mais plus les années passaient et plus elle se rendait compte que sa sœur et sa mère ne vieillissaient pas. Elle semblait même désormais plus âgée que la demoiselle. Ayant elle même des capacités étranges, elle n'avait pas posé plus de questions. Toutes les trois recevaient parfois les visites de Kingo, un homme au teint basané et à l'humour aiguisé, ainsi que d'un autre, Phastos, qui s'amusait à lui construire de nombreux jouets étranges. Il arrivait que, de temps en temps, un couple les rejoigne. Sersi et Ikaris s'aimaient tendrement depuis de longues années et Jeanne admirait cette passion qui les habitaient, elle qui ne connaissait que l'amour de ses proches, des combattants et de la guerre qu'elle menait. Elle aimait la guerre, elle aimait se battre. Se battre pour une cause juste, défendre les siens. Se sentir puissante. Un jour, elle reçu même le parchemin d'une amie de sa mère, Thena, la félicitant de ses batailles, impressionnée de savoir que quelqu'un prenait sa suite. Jeanne n'avait jamais vraiment compris ce message, mais elle savait qu'elle irait bien plus loin que n'importe qui. 

Excepté peut être en amour. Elle n'avait jamais pu le connaître, le sentir dans son cœur, dans son corps, comme une douce chaleur agréable qui l'enveloppait. Mais désormais, elle ne pouvait espérer l'approcher. 

"Oh Jeanne, je suis tellement désolée." 

Ajak serrait fortement sa fille contre elle, laissant s'exprimer ses émotions, pleurant discrètement. Leurs pleurs respectifs résonnaient dans les murs de pierre du donjon, et les autres prisonniers écoutaient l'échange sans un bruit, touchés par ces adieux brisants. 

"Mère, sauvez-moi, par pitié."

"C'est ce que je voudrais mon enfant, mais je ne peux pas."

Jeanne pleurait un peu plus fort, sentant son intérieur se détruire peu à peu. 

"Je le veux de tout mon cœur, mais je n'ai pas le droit."

Ajak attrapa le visage de sa magnifique fille, l'observant d'un amour si triste. Elle savait depuis le jour de sa rencontre - Sprite l'avait même averti - que sa mort serait la plus douloureuse chose qu'elle vivrait, mais elle ne l'imaginait pas si violente et terrible. Elle aurait du savoir que son enfant deviendrait la plus grande femme de sa période et qu'un mauvais sort lui serait jeté, mais elle avait été aveuglé par l'amour qu'elle lui portait. 

"Excuse-moi mon enfant, je t'en prie pardonne moi."

"Je vous pardonne mère" pleura chaudement Jeanne, ne réussissant même pas à voir les beaux traits de la femme qui l'avait élevé tant ses yeux étaient embués. "Je vous remercie de la vie que vous m'avez donné. Je suis honorée d'avoir pu vivre à vos côtés". 

La jeune femme, grande vengeresse des français, meneuse de massacres, redevenait l'enfant effrayée et douce qu'elle avait toujours été. 

Tu ne dois pas interférer avec le destin des humains. 

Elle a vécu son temps. 

Une solution. 

Je veux qu'elle vive. 

Arishem. 

SORCIERE. 

BRULEZ-LA. 

Elle peut vivre. 

FAÎTES LA SOUFFRIR. 

Elle doit vivre. 

Jeanne, reprenant doucement sa respiration, reniflant bruyamment, leva les yeux vers sa mère sans comprendre. Ajak lui adressa un regard, tout autant empli d'espoir et de fierté que de peur. Elle lui sourit tendrement, laissant s'échapper quelques dernières larmes. 

"Tu as entendu mes pensées."

"Ce n'était pas intentionnel."

"Je le sais Jeanne" la rassura-t-elle. "Te rappelles-tu de la fois où tu t'es mise à voler ?"

Jeanne fronça les sourcils, ne sachant pas où elle voulait en venir. 

"Ikaris m'entrainait à me battre."

"C'est cela." Ajak s'égaya un peu plus voyant les rouages s'enclencher dans l'esprit de son enfant, comprenant lentement. "De la fois où tu as transformé les pierres qui bloquaient le ruisseau en eau ?"

"Sersi. Sersi me tenait la main."

"Et tu maintenais Ikaris au sol avec. Tu absorbes les énergies Jeanne. Tu prenais leurs capacités le temps d'un instant."

Le monde de Jeanne sembla s'éclaircir. Voilà pourquoi elle réussissait tant de chose. 

"En quoi cela va-t-il me sauver mère ?"

Ajak rit tristement, caressant le doux visage de la jeune femme. 

"J'ai le pouvoir de guérison ma chérie. Je suis immortelle, bien plus que les autres qui pourraient mourir à la moindre blessure."

"Vous voulez que je prenne votre pouvoir ?"

"Je te le donne."

"Je ne peux pas accepter."

"Je ne te laisse pas le choix Jeanne" finit Ajak en haussant la voix. 

Jeanne réféchit un instant, évaluant les possibilités qui lui restaient.

"Cela n'a jamais marché plus de cinq minutes."

"Tu peux le faire mon enfant. Tu es plus forte que n'importe qui."

Jeanne ferma les yeux, ne sachant pas réellement quoi faire d'autres, tentant de faire taire les voix dans sa tête. Elle laissa ses mains glisser dans celles de sa mère puis les serra gentiment. Elle se concentra silencieusement, prenant de grandes bouffées d'air comme si ce dernier venait à lui manquer. Un halo lumineux entoura leurs poignes liées, chauffant légèrement leur peau.  Du haut de ses vingt ans, Jeanne aspirait l'énergie de celle qui l'avait élevée, une femme sans âge qui avait vu l'humanité naître et grandir. Elle se sentait lentement revivre de ses blessures passées, reprenant un gain d'énergie, elle se sentait différente. 

D'une manière ou d'une autre, elle su quand s'arrêter. Elle rouvrit les yeux, au même instant qu'Ajak qui paraissait un peu plus fatiguée. 

"Tu ne m'as pas tout pris."

"Si je dois vivre, ce doit être avec vous mère."

Elles se sourirent. 

Plusieurs gardes firent irruption dans les murs du donjon, et d'un battement de cils, Ajak s'était évaporée, laissant la pauvre Jeanne face à son sort. Ils la sortirent violement de sa cellule, l'attrapant fortement par les bras, ne lui laissant pas le temps de marcher, l'obligeant à traîner ses pieds nus sur le sol. Ceux-ci s'écorchèrent rapidement, mais aussitôt, ses blessures se refermèrent. Lorsqu'elle s'en rendit compte, elle remercia silencieusement celle qu'elle appelait mère, et non plus son Dieu qu'elle vénérait un peu plus tôt. 

A l'extérieur, ils l'attachèrent à un pilier en bois où un tas de brindilles et de branches étaient jeté à l'extrémité. Les cordes lui serraient les mains et les pieds, elle ne pouvait plus bouger. Une foule immense de soldats anglais s'était amassée dans les rues de Rennes, et chacun d'entre eux la huait, lui lançait des objets, scandait sa mort. Elle réalisa soudainement que, malgré sa nouvelle immortalité, elle ressentirait toute la douleur que le feu allait lui infliger. Et la panique finit par s'imprégner d'elle. 

Son bourreau s'approcha, chacun de ses pas se faisaient lourds et lents, les secondes paraissaient durer des heures pour Jeanne qui appréhendait sa fin. Torche en main, la flamme mortelle se reflétait sur la peau de son visage, et la jeune femme craignait les douleurs prochaines. Il abaissa son bâton enflammé vers le bois mort qui s'embrassa petit à petit. 

Les flammèches orangées commençaient à ramper vers elle, consumant tout sur leur passage, dévorant et brulant la moindre molécule. Elles arrivèrent à ses pieds, la brulure fut fulgurante. La foule s'était tue. Un hurlement déchira la nuit, déchira le silence. La douleur qu'elle ressentait était indescriptible, elle sentait sa peau fondre, se reconstruire, et à nouveau disparaître. Le feu l'avalait peu à peu, elle se décomposait dans cet élément destructeur sans pouvoir essayer de se défendre. 

Peut-être allait-elle réellement mourir ce soir ? Peut-être était-ce son destin, et magie ou non, elle devait périr dans les flammes des Anglais ? 

Tout brûlait en elle. Ses poumons, ses yeux, sa peau. Elle souffrait, et le feu ne semblait pas vouloir prendre fin. Il ne prendrait pas fin tant que sa vie à elle ne s'éteignait pas. Elle hurlait. Elle n'avait jamais hurlé auparavant. Pas de cette manière tout du moins. Elle n'entendait même pas sa voix. Était-ce à cause de sa gorge prise d'assaut par la fumée, ou était-ce à cause de toutes les voix dansant dans son esprit ? Ses ennemis voulaient la voir morte, mais ils ne s'attendaient pas à ce que ses hurlements les hantent toute leur vie. 

Les flammes rouges l'enlaçaient d'une brulure intense et l'aveuglaient de leur lumière. Elle se sentait lentement partir. Mais pouvait-elle vraiment mourir ?  

⚜️

Jeanne s'éveilla dans un cri soudain. Son corps entier la brûlait. 

"Calme-toi ma belle, tout va bien se passer."

Elle ouvrit les yeux, essayant de reprendre ses esprits et de calmer sa respiration beaucoup trop rapide. Elle n'avait pas reconnu la voix. Un homme au visage rond et aux traits asiatiques l'observait bienveillamment assit à ses côtés sur un tabouret en bois. Derrière lui, une femme magnifique aux longs cheveux blonds s'inquiétait pour la survivante du bûcher. De l'autre côté, Ajak lui tenait la main et Sprite se tenait en retrait, ne voulant pas que la peine qu'elle ressentait pour sa petite sœur soit perçu. 

"Tu es chez nous. Je suis Gilgamesh, et voici Thena."

Dans sa douleur, elle leur offrit un léger sourire reconnaissant, puis resombra dans un sommeil lourd. 

"Pourquoi tu ne l'as pas laissé partir ?" s'indigna Sprite, visiblement touchée par le malheur de son amie. "Elle ne cessera jamais de souffrir !"

Ajak garda le silence, soupirant tristement. Thena vint l'enlacer gentiment. 

"Je vais la remettre sur pieds" soutint Gilgamesh. 

"Tu réussis déjà très bien avec moi" confirma celle qui partageait son toit. 

Cette dernière était atteinte d'un mal ancien ne pouvant toucher que les Eternels, qui l'avait mené à s'isoler avec son ami, semblant être le seul à pouvoir l'aider. 

"Tu ne vas pas pouvoir le faire éternellement" les arrêta Sprite "avec tout mon respect, ça t'est déjà compliqué avec Thena. Imagine si elles te font une crise en même temps."

Tous grimacèrent. Ils n'avaient pas pensé à ce problème. 

"En trois mois, les quelques fois où elle s'est éveillée n'ont duré que quelques minutes" rappela finalement Ajak. "J'aurais peut être du la laisser mourir."

Un silence prit place dans le groupe. Tous savaient qu'elle avait raison, mais personne n'osait le dire. Elle avait choisi d'aller à l'encontre de ses propres règles et voilà où ça l'avait mené. 

 "Et si son esprit l'empêchait de s'éveiller ?"

Ils se tournèrent vers Thena. 

"Je sais que, lorsque ça m'arrive, je ressens du stress, de la peur, de l'angoisse... Peut être que son esprit la protège de la douleur."

"Le feu la fait peut être toujours souffrir ?" avança Sprite

"Comment ça ?" questionna Gilgamesh

"Si elle récupère les énergies, peut être a-t-elle emmagasiné celle du feu ?"

Ils se turent, encaissant les informations du mieux possible. Comment allait-elle pouvoir un jour reprendre le cours de sa vie si le feu qui la faisait tant souffrir l'habitait pour toujours ? Après tout, elle devait mourir ce soir là. 

"Druig." 

Ajak avait prononcé le nom d'un vieil ami qu'aucun d'entre eux n'avaient revu depuis plusieurs millénaires. Celui-ci, ne supportant plus de voir l'humanité s'entre tuer, s'était séparé des siens pour aider les humains à vivre dans une paix éternelle.

"Quoi Druig ?" s'interrogea Sprite, encore rancunière du départ du jeune homme. 

"Druig pourra l'aider à se réveiller."

"S'il le veut" rappela Gilgamesh. 

"Il aime trop les Hommes pour la laisser mourir" avoua Thena qui approuvait l'idée d'Ajak. "Il faut la confier à Druig."

Tous se penchèrent au chevet de la jeune femme endormie, espérant silencieusement que leur camarade au tempérament fougueux accepterait de les aider. 

⚜️

Bonjour bonjour, me revoilà avec une nouvelle histoire.
Je l'aime déjà énormément et j'espère que ce début vous aura séduit aussi.
Je posterai le second chapitre demain.

Au plaisir de lire vos commentaires, gros bisous ❤️

Marikabelle

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