Chapitre 8

Amanda doit récupérer le bouquin d'Ellie, aujourd'hui. Carrie l'a fini en un peu plus de vingt-quatre heures. Elle m'a dit qu'elle avait pleuré, à la fin.

_ Je t'assure, Mary. Tu devrais le proposer à ta patronne.

_ Je sais, mais Ellie ne veut pas se servir de moi. Elle veut se débrouiller toute seule.

_ Mais est-ce qu'elle connait du monde ?

_ Je ne sais pas, je ne lui ai pas posé la question encore. Elle est journaliste, alors je suppose que oui.

_ Tu devrais en parler avec elle.

Carrie a raison. Il faut que je sache si je peux l'aider ou pas. Mais il faut d'abord que je lise ce bouquin.

_ Et toi, le boulot ?

_ Etre traductrice, c'est plutôt cool. C'est peinard, même. Je suis très contente. Même si au boulot, ce n'est pas la joie.

_ Comment ça ?

Depuis que Carrie est traductrice dans l'entreprise de son oncle, elle vit la vie rêvée. Elle a un boulot en or, un bon salaire et il y a même un homme qui lui plaît là-bas. Seulement, elle n'est pas contente. Elle m'a toujours dit qu'il lui manquait quelque chose.

_ Eh bien... Tu sais, il y a Hugo. Il est très gentil, tu sais. Mais j'ai l'impression que je ne l'intéresse pas.

_ Comment peux-tu le savoir ?

_ Il ne parle pratiquement jamais. Et il reste toujours avec Dana, tu sais ? La fille de la compta. Tu verrais ses jambes. A côté de moi, on dirait qu'elle a des spaghettis et moi, des coquillettes. C'est déprimant.

Je rigole. J'ai déjà vu cette Dana. Un jour, je suis venue chercher Carrie au travail. Et quand Dana est sortie de l'immeuble, elle l'a regardé d'un mauvais œil.

_ Tu te fais du souci pour rien, ma petite Ellie. Je suis sûre que ce n'est rien.

_ Mais quand il lui parle, elle glousse ! Elle me regarde d'un air, aussi ! Comme si elle voulait me dire : « Tiens ! Je l'ai eu et pas toi ! ». C'est frustrant.

_ Arrête, c'est faux. Tu n'as qu'à aller lui parler, toi, à Hugo.

_ Quand les poules auront des dents !

Certaines filles sont très bizarres. Elles veulent que ça leur tombe tout cuit dans la bouche. Je secoue la tête et me sert un thé à la machine, à la réception de Book Bazar. Carrie me dit qu'elle doit y aller et on raccroche. Maddie s'approche de moi avec un petit sourire.

_ Ta meilleure amie écrit un livre ?

_ Oui, elle vient de le finir. Je ne l'ai pas encore lu.

_ Je vois. On organise une petite réception, la semaine prochaine. C'est une tradition que l'on fait tous les mois. Ce sera pour Mercredi prochain.

_ Très bien, j'y serai.

Nous continuons de discuter jusqu'à ce que je remonte à mon bureau. Quand je vais pour m'asseoir, Magda ouvre la porte à la volée. Et tellement elle a fait vite, j'ai sursauté.

_ Oh, désolée Mary ! Je vous ai fait peur ?

_ Ce n'est rien, ne vous inquiétez pas, riais-je pour la rassurer. Il vous fallait quelque chose ?

_ J'avais complètement oublié que j'avais un meeting, cet après-midi. Vous pouvez m'accompagner ? Comme ça, je saurai de quoi vous êtes capable ?

Je suis sidérée. Euh... Un meeting ? Ok, j'ai envoyé Miranda sur les roses mais c'était une fois. Je ne serai pas capable de l'ouvrir devant du monde. Du moins, pas maintenant. On va dire que c'était une montée d'adrénaline.

_ Ne vous en faites pas, ils ne mordent pas. Il n'y aura que des hommes mais je pense qu'on fera l'affaire.

Mes jambes sont du coton. Il n'y a pas quelqu'un qui peut rentrer dans l'entreprise et faire une scène pour me sauver ? Non ? Bon, tant pis, alors.

_ Nous prendrons une voiture. Vous conduisez ou je conduis ?, me demande Magda.

_ Je conduis.

Je récupère mes affaires et prie pour que mon courage me revienne. En vain. Oh mince...

Le meeting se tenait dans un grand amphithéâtre. Noir de monde. Surtout parce que tous les hommes portaient des costume-cravate. Nous nous faufilons vers le milieu de la salle. Certaines personnes rechignaient mais on s'installe et le silence revient. Un homme parle dans un micro, sur l'estrade. Je crois le reconnaître mais je n'en suis pas sûre.

_ Qui est-ce ? Son visage me dit quelque chose, sifflais-je à l'oreille de Magda.

_ C'est Roy Lockart. C'est un grand journaliste qui a écrit plusieurs livres sur son travail. Un homme très influent.

_ Je vois. Je me souviens, pendant mes études, nous avons étudié Les faits des choses. J'ai adoré.

Magda me sourit et nous nous intéressons à ce que ce cher Roy a à nous dire. Il discute de tout son parcours. De son déclic pour le journalisme jusqu'à aujourd'hui.

_ Intervenez.

Magda me sort de mes pensées. Je le regarde, apeurée.

_ Non. Pas possible, je ne peux pas. Il y a trop de monde.

_ Allez-y. On ne va pas vous manger. Vous avez affronté Miranda. Elle vaut au moins le triple de cette audience.

Elle me sourit et je réfléchis à une question intéressante que je pouvais lui poser. Je me remémore mes cours et soupire en voyant que rien ne me vient. Oh merde... Magda doit s'impatienter. C'est peut-être une épreuve. Je vais peut-être me faire virer si je ne réagis pas. Soudain, mon regard se porte vers la personne devant moi, quelques sièges plus à droite. Elle tient justement Les faits des choses. Un flash. Mon prof de l'époque nous avait dit que Roy Lockart avait passé un an sans rien sortir, juste avant de recommencer à écrire. Ni article, ni rien du tout. J'aimerais savoir ce qu'il a fait pendant cette année-là. Je suis une fille très curieuse. Peut-être que je vais me faire rembarrer avec finesse mais je tente le coup. Je me lève et Roy s'arrête en posant les yeux sur moi.

_ Oui, mademoiselle ?, prononce-t-il détaché.

Oh... Je fais quoi maintenant ? Je regarde Magda et elle me fait un signe de la main, pour m'inciter à y aller. Je me retourne vers Roy et ouvre enfin la bouche :

_ Juste avant d'écrire Les faits des choses, vous avez passé un an en ne donnant aucune nouvelles. C'était à cause de votre écriture ou parce que...

_ Oh, les femmes...

Toutes les têtes se tournent vers un homme d'une quarantaine d'années, cheveux hirsutes, vers la gauche. Il soupire bruyamment et la frustration en moi monte comme une montagne russe.

_ Eh ! Mou du gland, je parlais !

De petits rires s'échappent de l'assemblée. Même Magda rigole en tapant dans ses mains. Elle lève son pouce. Non mais ! C'est quoi, ce manque de respect ? Je reporte mon regard vers Roy. Il sourit, avec ses petits yeux.

_ Continuez, je vous prie.

Il accepte ma question. Peut-être que la question que je me suis posée pendant un mois va être résolue.

_ Bien. Je reprends ma question. (Je regarde le type qui m'a coupé).

Je remets mon attention sur Roy :

_ Pendant un an, avant de commencer Les faits des choses, il y a eu un silence radio de votre part. Je voulais savoir pourquoi vous n'avez rien sorti. Ni même donner de nouvelles. C'était délibéré ?

Je me souviens que pendant toute cette année, les journaux se sont affolés. Il a même été porté disparu, à cette époque. Et un jour, on l'a retrouvé, en Alaska sur un bateau de pêche, en pleine mer.

_ C'est une question très intéressante, mademoiselle. Pourrais-je savoir votre nom.

_ C'est...

_ Mary Dickens, de chez Book Bazar.

Je me retourne sur Magda. Elle savait que je comptais juste dire mon prénom. La vipère. Et apparemment, vu les chuchotements de l'audience, certains me connaissent déjà. Plusieurs personnes se retournent sur moi. Super ! Et moi qui voulais rester discrète pendant cette conférence. Eh bien, c'est râpé, ma cocotte !

_ Ah ! Alors c'est vous ?

_ Moi ?

_ Miranda...

Mes joues s'empourprent. Pourquoi je lui ai dit ses quatre vérités, à celle-là ?

_ Nous ne sommes pas pour parler de moi, mais de vous.

Je force mon regard pour lui dire d'arrêter. Il me sourit et porte le micro à sa bouche.

_ Venez me voir, après la conférence. Je vous expliquerai tout.

Magda agrippe ma main. Je me tourne furtivement vers elle et elle fixe Roy.

_ Merci, monsieur Lockart.

Je me rassois et secoue ma main.

_ Magda ?

Elle se retourne sur moi, encore hébétée. Je relève un sourcil. Mais qu'est-ce qu'elle a ?

_ Vous allez bien, Magda ?, demandais-je inquiète.

_ Vous êtes un génie, Mary.

Euh...

_ Ah ! La fameuse Mary ! Et, vous devez être Magda Garden, je me trompe ?

_ Non, vous avez tout juste, commente cette dernière.

Nous pénétrons dans une petite loge derrière la salle de conférence. Roy Lockart nous fait entrer et nous nous rendons compte qu'il n'est pas seul.

_ Je vous présente monsieur...

_ Julian Landry..., coupais-je Roy.

Julian se retourne, aussi surpris que moi. Nous restons là sans bouger. Mais qu'est-ce qu'il fiche, ici ?

_ Vous connaissez mon fils ?

Son fils ? Oh, mes aïeux !

_ Oui, papa. Je connais cette jeune femme.

_ La femme du téléphone ? C'est celle...

_ Oui, papa.

Nous restons tous statiques. Je ne sais même plus où me mettre. Heureusement, Magda nous sort de cette situation.

_ Et si nous nous asseyons ?

Je la regarde et lui sourit. Nous nous installons sur canapé. Roy et Julian s'assoient en face de nous, sur des fauteuils. Ok. C'est une situation très bizarre.

_ Alors comme ça, vous vouliez savoir pourquoi je n'ai plus rien sorti pendant un an ?

_ Cette question me trotte dans la tête depuis que j'ai étudié votre bouquin Les faits des choses.

_ Je lui ai demandé d'intervenir pour voir comment elle allait s'en sortir. C'est ma nouvelle assistante, intervient Magda.

Pendant qu'elle parlait, Julian ne me lâche pas. Le rouge me monte aux joues. Il faut qu'il arrête. Il remarque ma gêne et sourit légèrement.

_ Je vois, reprend Roy. De toute évidence, je ne pouvais pas garder ça pour moi plus longtemps.

_ Sachez que quoi que vous disiez, cela reste à titre personnel. Nous ne voulons pas vous nuire, je le préviens.

_ Mary, ça ira.

Julian me réconforte avec un sourire sincère.

_ Mon fils a tenu à participer à cet entretien. Je pense savoir pourquoi... Mais je n'en suis plus très sûr...

Il hésite et, finalement, se tourne vers moi et libère sa conscience.

_ La mère de Julian, ma femme, est décédée cette année-là.

Oh mon dieu... Pourquoi ai-je posé cette putain de question ? Je me déteste. Je me déteste. Je me déteste. Je me déteste. Je regarde Julian, encore plus mal à l'aise qu'avant. Il a la tête baissée. Je me hais, maintenant.

_ Elle détestait ce que je faisais. Elle me disait que c'était un océan de requins. L'homme qui vous a coupé, et que vous avez brillamment remis à sa place, est un de ceux qui me haïssent le plus.

_ Pourquoi venir vous voir, alors, s'il vous déteste ?, intervient Magda. Pourquoi ne pas rester chez lui ?

_ Parce que c'est un mou du gland...

Roy me regarde, amusé. Je me tasse dans le canapé et pose ma main sur mon front. Il faut que j'apprenne à tenir ma langue, moi. Je vais prendre des cours.

_ Ne vous en faites pas, Mary. Mon père a grandement apprécié le geste. Et moi aussi.

Ma main se retire et je vise ma tête dans la direction de Julian. Il sourit.

_ Cependant, un mois plus tard, j'ai trouvé une lettre que ma femme m'avait écrite avant que le cancer ne l'emporte. Elle l'a écrit deux jours avant de nous laisser, mon fils et moi. Elle disait qu'elle n'avait pas le droit de m'interdire de faire ce que j'aime, que je devais juste faire attention.

_ Vous avez arrêté d'écrire pour elle, en sa mémoire ?, continuait Magda.

_ Exactement.

Eh bien... Magda s'affaisse dans le canapé. Sidérée par la réponse. Je suis ultra gênée, je dois dire. Savoir tout ça, c'est... C'est pour ça que Julian avait hésité quand nous avons dansé, peut-être. Ou alors, il a vraiment une fille dans sa vie. Je le regarde. Il semble perdu, dans le vide. Je tourne mon regard vers Magda et lui sourit. Elle me le rend.

_ Bien, je pense que nous allons vous laisser, dis-je en me levant. Nous avons pris beaucoup de votre temps.

_ Oui, en effet. Merci de nous avoir reçues, monsieur Lockart, me suit Magda.

_ Tout le plaisir était pour moi, mesdames.

Nous lui sourions et nous les quittons tout doucement. Dans le couloir pour sortir du complexe, nous nous faisons arrêtées par une voix familière.

_ Mesdames, attendez !

Je me retourne et vois Julian se précipiter vers nous. Magda me regarde, puis ses yeux font le chemin de moi à Julian.

_ Oui ?

_ J'aimerais inviter mademoiselle Dickens, à déjeuner. Ce midi.

Quoi ?

_ Euh... Je ne peux pas, nous avons du travail, je...

_ Elle se fera un plaisir d'accepter !

Elle a dit quoi ? Je hausse les sourcils en direction de Magda. Elle a un petit air conspirateur.

_ Revenez vers quinze heures au bureau. Il est midi et demi. Vous aurez largement le temps de déjeuner. Bon appétit !

_ Mais vous n'avez pas de voiture. Comment allez-vous retourner à Book Bazar.

_ Les taxis existent, Mary.

Elle me fait un clin d'œil et tourne les talons, me laissant seule avec ce cher P-DG. Je me retourne sur lui et lui sourit. Et maintenant ?

_ Où voulez-vous déjeuner ?, me demande-t-il.

_ Euh... Aucune idée, je...

_ D'accord. Il y a un restaurant très bien, pas très loin d'ici. On y va ?

_ Ok.

Le restaurant est à deux pas du complexe. Et je dois avouer qu'il est très bien, très discret. Parfait pour un déjeuner. Nous nous installons à une table au fond, près d'une fenêtre. Plus intime, on ne peut pas. Julian déboutonne sa veste noire et s'installe. Je l'imite. Deux secondes plus tard, un serveur nous accoste.

_ Bonjour et bienvenue. C'est pour déjeuner ?

_ Oui.

_ Un apéritif ?

_ De l'eau ?, me conseille Julian.

_ Oui, ce sera parfait.

Le serveur agite son stylo sur le papier et s'en va sans détour en cuisine pour revenir avec une carafe et deux menus. J'ouvre le mien et remercie le ciel qu'il n'y ait pas d'escargots farcis. Je regarde un peu les desserts et choisis le mien. Crumble aux pommes ? Pourquoi pas. Puis une salade césar ira parfaitement. Je repose mon menu et regarde par la fenêtre. Julian continue de réfléchir. Le serveur revient quelques minutes plus tard.

_ Vous avez choisi ?

_ Oui. Je prendrai une tarte aux fraises. Mary ?

Je le retourne, abasourdie. Il prend un dessert ? En premier ?

« Si jamais je le pouvais, chaque repas commencerait par le dessert. On ne sait jamais quand c'en sera fini de nous, alors pourquoi se poser des limites ? »

Je souris en me remémorant ma phrase à la réception du Plaza. Je me tourne vers le jeune homme qui prend nos commandes. Il a un regard assez amusant, à vrai dire. Il est chamboulé. Cela doit être la première fois que quelqu'un commande un dessert avant le plat.

_ Un crumble aux pommes.

_ Et pour les entrées ?

_ Nous prendrons le dessert en premier. Nous verrons le reste plus tard, merci.

Le serveur est complètement perdu. Je glousse en le voyant retourner en cuisine, les épaules affaissées. Je tourne la tête vers Julian. Il me sourit et reposant son dos sur le dossier de sa chaise.

_ Vous vous en êtes souvenu ?, plaisantais-je.

_ Une petite voix m'a dit qu'il fallait profiter tant qu'on avait encore le temps.

Je souris et regarde par la fenêtre. C'est comme si le temps s'arrêtait dans le restaurant, mais qu'à l'extérieur, tout était précipité. C'est bien New York, ça.

_ Comment allez-vous ?

Julian me tire de ma rêverie.

_ Je vais bien. Et vous ? Comment vont les affaires ?

_ On ne peut mieux.

Puis, le silence revient. Ok, alors ça va être ça ? On va s'échanger trois mots et puis c'est tout ? Super !

_ Comment ça se passe, chez Book Bazar ? Vous vous y plaisez ?

_ Très. C'est très différent de ce que je faisais chez Miranda. Chez Magda, je m'occupe de lire des bouquins et nous partageons nos ressentis, elle et moi. Nous allons publier un livre, d'ailleurs.

_ C'est excellent. De quoi parle-t-il ?

_ Secret défense.

Il rit et nous sert de l'eau.

_ Je suis désolée pour la question, à la conférence. J'ignorais que...

Je m'arrête quand Julian cesse de bouger. Oh non... Il repose la carafe et soupire.

_ Mary, ce n'est rien. La vérité devait sortir un jour où l'autre. Je ne voulais pas que vous l'appreniez comme ça, mais quand je vous ai reconnu, j'ai insisté pour être là. Pour mon père, mais pour vous aussi.

_ Pourquoi vous inquiéter pour moi ?

Je suis perdue. Où veut-il en venir ? En fait, je crois savoir mais je veux me persuader du contraire.

_ Parce que... Vous êtes une belle personne, et je vous apprécie, Mary. J'apprécie votre compagnie. Et entre personnes qui se sont sauvé la vie, je pense qu'il est préférable d'être honnête, l'un envers l'autre.

Je souris et examine mes doigts de près. Je n'ose même pas le regarder dans les yeux. Je sais qu'il me déstabiliserait une fois que nos regards se seront croisés.

_ Et désolé d'avoir raccroché si précipitamment, hier soir. Je ne voulais pas vous déranger.

_ Ce n'est pas de votre faute. Ils écrivent n'importe quoi, de toute façon. Sauf si vous leur avez soufflé un moindre mot, je ne vous en veux pas.

_ J'apprécie. Merci.

On se sourit. Je bois un peu d'eau et l'écoute lorsqu'il reprend.

_ Et vous, vos parents ?

J'ai failli m'étouffer tellement je suis surprise par sa question. Comment arrive-t-il à partir d'un sujet pour rebondir sur un autre totalement différent ? C'est déroutant.

_ Eh bien...

Je ne veux pas tellement parler d'eux. Mais vu ce qu'il vient de se passer, je m'y sens obligée.

_ Mes parents ne sont plus là.

Rien que ça et Julian se sent comment dire... Totalement merdique. Ça commence bien.

_ Oh... Je vous prie de m'excuser, je n'aurais pas dû vous poser la question.

_ Vous ne pouviez pas savoir, Julian.

_ Même, je...

_ Julian, je vous en prie. Changeons de sujet, voulez-vous ?

Mon ton s'est fait un peu plus ferme, et Julian s'engouffre dans sa chaise. On dirait un enfant qui vient de se faire gronder. Et c'est à mon tour de me sentir merdique.

_ Je suis désolée, je ne voulais pas...

_ Je sais.

Il me regarde avec un air de compassion. Finalement, nous ne sommes pas si différents que ça. Je bois encore un peu d'eau et décide de me livrer un peu plus.

_ Ils sont partis, il y a trois ans de ça. Ça a été difficile, pendant quelques temps. J'étais encore dans mes études et du jour au lendemain, je me suis retrouvée toute seule. Heureusement, ils m'ont laissé l'appartement dans lequel je suis actuellement et assez d'argent pour finir mes études. J'ai aussi récupéré la maison de vacance, dans les Hamptons. Je n'y suis pas retournée depuis plusieurs mois. Je n'ai pas le temps.

Julian m'écoute attentivement. J'arrête mon monologue quand nos desserts arrivent sur notre table. Je regarde mon crumble et l'eau me monte à la bouche. Je saisis mon couvert et attaque le dessert. Il est très bon, d'ailleurs. Je regarde Julian, qui m'ausculte du regard.

_ Si vous ne la voulez pas, je peux vous en débarrasser.

_ De quoi ?

_ De votre tarte.

Il la regarde et rit. Je rigole avec lui et nous commençons à manger. Julian est... Très mystérieux. Il est... Attirant. Bon, ok. Il y a toujours Nathanael mais Julian... C'est autre chose. Quelques minutes, notre table est débarrassée et nous commandons les entrées.

_ Que faites-vous la semaine prochaine ?

Julian me pose cette question. Il veut quoi ?

_ Quel jour ?

_ Vendredi soir prochain.

_ Rien pour le moment.

_ Bien. Nous organisons une réception avec tous les bureaux de Landry Corporates. Celui de New York, de Londres et de Paris. Voulez-vous venir ?

Je vais faire tâche là-bas. Je suis une littéraire, pas une économiste.

_ Je doute avoir ma place dans ce genre d'endroit.

_ Si vous vous habillez, il n'y aura aucun soupçon sur le fait que vous faites partie de la maison.

_ Mais je n'en fais pas partie.

_ Je vous en prie. Je vous invite. Et Luke et Caroline y vont également.

Je réfléchis. Après tout, ce n'est qu'une réception.

_ Pourquoi Landry ? Et pas Lockart ?

Il s'arrête et me regarde. J'ai dit un truc qu'il ne fallait pas ? Oh non... Mince, j'aurais dû le deviner.

_ C'était le nom de votre mère ?, demandais-je en baissant la tête.

_ Oui.

La boulette. Je me renfrogne. J'aurais dû me taire.

_ Je viendrai vous chercher. Je vous emmènerai.

_ Ce sera où ?

_ Dans... Les Hamptons.

Oh... Euh...

_ Très bien.

_ Vous êtes sûre ? Je n'aurais peut-être pas dû vous demander.

_ Ce n'est rien. Je viendrai. Ne vous en faites pas.

Il sourit faiblement. Il n'a pas l'air convaincu. Je pose ma main sur la sienne et essaie de le réconforter du mieux possible.

_ Julian, je viendrai.

Il lève les yeux vers moi puis les rabaisse sur sa main. Je suis son regard et regarde nos mains jointes. Je retire la mienne délicatement. Vraiment attirant. Mais mon téléphone me réveille d'un coup. Encore mon... Banquier... Ça va devenir du harcèlement... Je m'excuse auprès de Julian et m'éloigne de la table, le téléphone à l'oreille.

_ Allô ?

_ Mademoiselle Dickens ? C'est encore moi. Votre banquier.

_ Bonjour monsieur Gordon. Tout se passe comme vous voulez ?

_ Non. Vous n'avez toujours pas réglé votre découvert. Et le temps presse, je...

_ Ah... Exc-... Krrr ! Moi...

_ Allô ?

_ Krischhh ! Je ne v-... Ent-... Krischhh ! Je vous rappe-...

_ Mademoiselle Dickens, vous m'entendez ?

_ Krischhh ! Je pass-... Sous un-... Tunnel... Krischhh !

_ Mademoiselle Di-...

Et je raccroche au nez de mon banquier. Non mais oh. Je déjeune. Un peu de respect. Je fais un pas vers la table et me rends compte d'une chose. Il n'y a pas de tunnel dans New York... Oh seigneur... Ah non, si ! Il y a le Lincoln et le Holland Tunnel. Je suis sauvée. Merci mon Dieu !

Nous sortons du restaurant et nous nous engageons vers le complexe.

_ Merci pour le déjeuner. C'était agréable, dis-je en refermant mon manteau.

_ Maintenant, je mangerai le dessert en premier, rit-il.

_ Mary ?

Je m'arrête et me retrouve face à Nathanael. Julian se tend et Nathanael fait de même.

_ Bonjour.

_ Bonjour.

Ok. Trouvons une solution.

_ Que fais-tu ici, Nath ?

_ Je vais au bureau. J'y vais en avance un peu. Dis, je pourrai te parler quelques minutes ? Seul ?

Il fixe Julian et son regard se durcit.

_ Ok. Laisse-nous deux secondes.

Nathanael s'éloigne, nous laissant seuls, Julian et moi.

_ Je suis désolée d'écourter ce moment.

_ Ne vous inquiétez pas, Mary. Il vous reste une heure encore avant de repartir au travail. Profitez-en.

_ Avec lui, ça va être dur.

Julian s'approche de moi et attrape ma main. Je regarde vers Nathanael mais il ne regarde pas vers nous. Tant mieux. Je me reconcentre vers Julian.

_ Si jamais vous vous ennuyez, envoyez-moi un sms. Je me ferai un plaisir de vous tenir compagnie.

Il se penche et embrasse ma joue. Puis, il me contourne et s'en va. Il me déroute, ce garçon. Nath revient vers moi et je l'emmène vers le Starbucks du coin.

_ Tu sors avec lui ?

Je me retourne furtivement sur lui. Il m'énerve.

_ Non. Arrête de croire tout ce que l'on dit dans les journaux, Nath.

_ Arrête de me prendre pour un con. Je vous ai vu, au Plaza. Ça crève les yeux que tu lui plais.

Je secoue la tête. Je crois que je vais devenir dingue, avec lui.

_ Tu voulais me parler alors je t'écoute.

_ Je veux qu'on recommence.

_ Le café est terminé, au revoir.

Je bouscule deux personnes en m'excusant et retourne dans la rue, plus irritée que jamais. Mais il ne lâche pas le morceau.

_ Mary, arrête ! S'il-te-plaît !

Il m'attrape le bras et me force à me retourner. En plein élan, ma main claque sa joue. Je suis furibarde. Avec le choc, il me lâche. Tout autour de nous, les gens s'arrêtent, surpris par ce pic de colère. Je vois rouge.

_ Comment oses-tu ? Après ce que tu m'as fait ? Tu n'as pas honte de toi ? Non mais !

_ Mary, s'il-te-plaît. Je t'en supplie, je te jure que je peux me racheter. Je t'en prie, fais-moi confiance. Je ne recommencerai pas.

_ Con un jour, con toujours !, scandais-je en tournant les talons.

_ Mary ! Merde, à la fin ! Je t'aime !

Je m'arrête d'un coup. Les mots restent en suspens dans l'air. Je me retourne sur lui, désemparée. Je respire fort. Je fais quoi, maintenant ?

_ Je t'aime. Je sais, j'ai fait le con. Et tu dois sûrement penser que j'ai du culot de te balancer ça comme ça. Mais c'est vrai. Je n'ai jamais été aussi sûr de moi. Je t'aime, et je me hais de t'avoir fait du mal. S'il-te-plaît, pardonne-moi.

Et là, une situation du film de Sex And The City me revient en tête. Le moment où Miranda apprend que Steve l'a trompé. Et tout ce qu'il se passe après. Et soudain, je ressens à quel point je me sens proche d'elle. Je ne me vois pas peser le pour et le contre dans un café tout de suite et me retrouver comme une adolescente en voyant ma bouche recouverte de mousse, mais... Après tout, je... C'était lui que je voulais. Et je le veux toujours. Et... Pourquoi c'est toujours sur moi que ça tombe ? Je soupire et secoue la tête. Je scrute les alentours et vois tout le monde nous regarder. Un grand cercle s'est formé autour de nous. Tout le monde nous regarde nous donner en spectacle. Je reporte mon regard sur Nathanael. Mon cher Nath. Qu'est-ce que je vais faire de toi ? Si je lui dis non, je vais me faire passer pour une conne. Dis non. Dis non. Dis non. Dis non. Oh et puis merde. Tout le monde a le droit à une seconde chance.

_ Ok.

Tout le monde crie et applaudit. Nathanael sourit d'une oreille à l'autre et s'approche de moi. Je ne réagis pas. Il pose ses mains sur mes joues et m'embrasse tendrement. Je dois être honnête, il m'a manqué. J'approfondis le baiser, tout en le serrant contre moi.

_ Mais qu'est-ce que t'as foutu ?

Ça, c'est Amanda qui vient de gueuler. Ok.

_ Tu es exaspérante ! Julian arrive dans ta vie pile le jour où tu redeviens célibataire et tu refuses de voir le signe ?

_ Quel signe ?

Ellie intervient :

_ Amanda pense que Julian est ton âme sœur.

_ Amanda, la reprenais-je. Ce n'est pas parce que ta spécialité c'est les romans d'amour que tu dois ressortir des théories vaseuses à tout bout de champ. Julian n'est rien pour moi. Je m'entends bien avec son oncle. C'est tout.

_ Et le déjeuner de ce midi ?

_ On a déjeuné ensemble, point final.

Amanda secoue la tête et fait les cent pas dans mon salon.

_ Je n'y crois pas. Tu n'es pas possible.

_ Ce n'est pas parce que Nath a fait une erreur une fois que je ne dois pas lui pardonner. Il m'a dit qu'il m'aimait ! Et tout le monde a le droit à une seconde chance. Et on n'oublie pas une personne comme ça, du jour au lendemain. Je le veux toujours. Et quand il m'a dit « je t'aime », je...

_ Et tu le crois sur parole ?

_ Oui.

Amanda secoue la tête et ramasse sa veste.

_ Où tu vas ?, demande Carrie.

_ Je m'en vais. Je ne veux pas discuter avec une crêpe.

Elle claque la porte. Le même bruit retentit dans mon cœur, où une petite fissure s'est formé à l'instant même où la porte s'est refermée sur elle. Je baisse la tête et mes yeux commencent à me piquer. Carrie s'assied à côté de moi et Ellie me dit qu'elle va lui parler. Ellie s'en va et Carrie me sert contre elle. Amanda est très importante pour moi. C'est comme ma petite sœur. Comme Ellie et Carrie. Mais, c'est différent avec elle. Je l'ai aidé dans beaucoup de choses. Et le fait qu'elle me lâche comme ça, ça me fait mal. Tout dérape. Mais je reste sur ma position. Je dois donner une seconde chance à Nath. Hormis son écart de conduite, il était parfait. Je soupire.

_ Ça va aller. Tu sais comment elle est.

_ Oui, mais ça fait mal quand même.

Une larme coule sur ma joue et on reste comme ça pendant quelques minutes. Puis Ellie revient.

_ Bon, elle ne veut rien entendre. Elle est repartie.

_ Tu peux prendre les pots de glace dans le congélateur, s'il-te-plaît ?, lui demandais-je dépitée.

_ Bien sûr.

Et moi qui pensais que tout allait s'arranger. Maintenant, j'ai deux trucs à payer. Mon découvert et l'estime qu'Amanda a pour moi.

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AVANT DE ME DETESTER, IL VA Y AVOIR D'AUTRES CHAPITRES ! CE N'EST PAS FINIT!

J'espère que vous allez bien, et que vous avez passé une bonne journée!

Demain, 20h, vous aurez la suite, ne vous en faites pas! :D

Gros bisous,

Joëlle SADOK-QUILICHINI

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