Chapitre 2

En revenant à l'ascenseur, je croise Luke à nouveau. Son sourire joyeux s'approche de moi.

_ Alors, ce téléphone ?

_ Je viens de le lui rendre, à l'instant, dis-je assurée.

_ Bien. Vous auriez cinq minutes à m'accorder, pour un café ? Je veux m'assurer que vous ne retomberez pas en sortant de cet ascenseur, dit-il jovial.

Je ris légèrement et accepte volontiers. L'ascenseur s'ouvre et nous nous engouffrons à l'intérieur. Heureusement, nous ne nous sommes pas arrêtés, excepté au rez-de-chaussée. Et je ne suis pas tombée. Merci. Merci. Nous nous aventurons dans une rue parallèle à celle du bureau de Landry Corporates, dans une petite boulangerie. Nous nous installons dans le coin restaurant et nous commandons un café et un thé. Il finit par briser la glace.

_ Alors comme ça, vous supportez mal le blanc ?

Je manque de m'étouffer avec mon thé. Aurait-il entendu ma remarque faite plus tôt à Julian? Pourtant je ne me rappelle pas qu'il était dans le coin...

_ Oui. Les gens chez Landry ont l'air tellement robotisés et sans émotion que je ne pourrais pas travailler ici. Ça me donne la nausée tellement c'est aseptisé.

_ C'est si horrible que ça ?, rit-il doucement. Parlez-moi de vous, ma chère.

_ Pardon? Je n'ai rien à raconter vous savez.

_ Je n'en suis pas aussi certain.

Euh... Je le connais depuis même pas cinq minutes et il veut déjà me percer à jour. Où suis-je tombée?

_ Eh bien... Je suis Mary Dickens, j'ai 27 ans. Je travaille en tant qu'assistante d'une éditrice basée ici même, à New York.

Je me demande d'ailleurs comment ça se fait que je n'ai pas eu de SMS de la part de ma patronne, d'ailleurs. Ah oui, c'est vrai. Je n'avais pas mon téléphone. Je le sors vite fait et appuie sur une touche. Rien. Tant mieux, ça me fera des vacances. Je reprends :

_ Je ne vois pas ce que je peux vous dire d'autre.

_ Votre travail vous plaît ?

_ Mon travail, oui. Ma patronne, moins. A vrai dire, je voudrais ouvrir ma propre maison d'édition indépendante mais ça ne marche pas comme ça. Alors j'ai commencé l'an dernier en tant qu'assistante de Miranda Kreep.

_ Miranda Kreep ? La Miranda Kreep ? Alors ce que l'on raconte sur elle est fondé.

_ Effectivement.

_ Pourquoi ne pas monter votre boîte ?

_ Manque d'argent. Je ne suis qu'une assistante. J'ai été voir plusieurs banques mais aucune ne veut me faire un prêt. C'est un placement à risque, d'après eux.

_ Je vois.

Je doute qu'il s'intéresse à la moindre chose que je baragouine, mais je continue sur ma lancée. Après tout, un café et un thé, c'est fait pour discuter.

_ Et à part ça, comment se passe votre vie ?, poursuit Luke.

Sa question me met mal à l'aise...

_ Je ne vois pas d'alliance à votre doigt, comment cela se fait-il qu'une jeune femme aussi belle que vous ne soit pas mariée?

_ Euh... Eh bien je ne suis pas mariée mais je ne suis pas célibataire. Pourquoi vous voulez savoir tout ça ? Vous pourriez être mon père Luke, dis-je en plaisantant.

_ Juste par curiosité. Vous m'avez l'air sympathique et on a envie d'apprendre à vous connaître. Et puis, ça fait du bien de parler à quelqu'un de vivant.

_ Je vois. Et vous alors ?

Luke me regarde en haussant les sourcils, l'air surpris. Quoi ? J'ai quelque chose sur le visage ?

_ Je suis marié depuis bientôt trente ans. Nous fêtons notre anniversaire le mois prochain et je suis le co-fondateur de Landry Corporates. A vrai dire, Julian est mon neveu.

Ça alors. Je ne l'aurais pas deviné.

_ Vous fuyez aussi votre neveu en quittant le bureau, alors ?, le taquine-je.

_ C'est quelqu'un de très professionnel. Nous ne nous voyons qu'au travail. Cela fait longtemps que je ne l'ai pas vu en tant que simple neveu.

_ Oh, je vois.

A vrai dire, imaginer ce cher Julian dans une autre personnalité que celle que j'ai vu tout à l'heure me paraît improbable. Presque impossible. Son regard au commissariat. Il me fait froid dans le dos. Je frissonne et me reprend en voyant le regard amusé de Luke Lockart. Cet homme a l'air d'être un amour.

_ Vous aimez lire ?

_ Bien sûr ! Sinon je n'aurais jamais fait des études littéraires.

_ Je vois. Et les soirées mondaines, vous aimez ?

_ Pas vraiment. Je n'y vais qu'en présence de Miranda, habituellement.

_ D'accord, je vois.

Pourquoi me demande-t-il ça ? Aucune idée. Seulement je ne peux pas continuer la conversation. Mon téléphone sonne. La tête d'un bouledogue s'affiche sur mon téléphone avec le nom PATRONNE inscrit au-dessus. C'était trop beau pour être vrai. Je m'excuse auprès de Luke et prend l'appel. Je me revois tout à l'heure au Starbucks, éloignant mon téléphone de mon oreille. Miranda qui ne crie pas ne serait pas Miranda. Bon Dieu, aidez-moi.

_ Mary ? Où êtes-vous ? Ça fait des heures que j'essaie de vous joindre ! J'ai besoin de vous sur le champ ! Rappliquez immédiatement !

Et elle raccroche. Luke se tord de rire face à moi. Je ne sais plus où me mettre. Moi, Mary Dickens, 27 ans, je viens de me faire gronder!

_ Je vois que votre chère amie est d'une humeur d'ogre !, se moque Luke.

_ Vous ne vous trompez pas du tout. Je suis vraiment navrée mais je dois vraiment y aller. Je vous prie de m'excuser, dis-je en me levant.

Il me dit qu'il comprend en m'imitant. Cet homme est une vraie guimauve. Rien à voir avec ces collègues de chez Landry Corporates. Je lui souris et nous retournons à son immeuble. Avant que je ne descende au parking souterrain, il m'interpelle :

_ Repassez me voir dans la semaine si vous avez une minute. Histoire de me sauver de l'ambiance morne de mon lieu de travail et des gens qui y grouillent.

_ Ce sera avec plaisir, Luke.

Il me tend sa carte de visite, avec son numéro personnel. On se sourit et nous nous séparons. Ne me demandez pas ce qu'il vient de se passer, je ne pourrais même pas vous répondre. Mais avant de me rendre au sous-sol, je lève une dernière fois la tête vers le haut de l'immeuble en me posant une seule question : qui est vraiment ce cher Julian Landry ?

Meredith, ma collègue de travail, attrape mon bras et me tire vers nos bureaux, juxtaposant celui de la grande patronne. Et d'après la tête qu'elle tire, elle n'a pas l'air contente. Du tout.

_ Désolée, mais ce matin était vraiment mouvementé.

_ Je n'ai rien à faire de tes excuses, murmure-t-elle tout bas mais sans perdre une once d'énervement. On a essayé de te joindre toute la matinée. J'ai dû récupérer tout ton boulot ! Et j'espère que tu vas bien me le rendre parce que sinon, ça va mal aller pour ton matricule !

_ Moi aussi, je suis ravie de te voir, Meredith !, souris-je faussement.

Une chose est sûre. Dès que j'arrive dans ce bureau, je me fais toujours jeter pour un oui ou pour un non. Tu n'as pas fait ci ! Tu n'as pas fait ça ! Tu aurais dû faire de cette façon-là ! Mais Meredith a été sympa avec moi plusieurs fois et, maintenant, quand elle me dit que je lui en dois une, ça veut dire : « Tu vas me passer le sac à main que tu as ramené la semaine dernière, pour une soirée ! Vu ? » Oui, c'est tout Meredith, ça.

_ J'ai eu un PV ce matin. Vu que je n'avais pas eu d'appel, j'ai décidé d'aller au commissariat de suite après l'avoir trouvé. En arrivant là-bas, je me suis faite bousculée par un type froid et aigri. On a fait tomber nos téléphones et il se trouve que nous avions le même. Malencontreusement, on les a échangés. Et j'ai été le lui rendre.

_ Il était canon, au moins ?

_ Je m'en fiche s'il est canon ou pas ! Il est mystérieux, certes, mais sans plus.

_ Comment il s'appelle ?

Il l'intéresse. Ah la la ! Cette Meredith ! Une seule ombre d'homme sans cœur et elle court comme une personne se précipiterait derrière le dernier bus de la soirée pour rentrer chez elle. Je pouffe de rire et me débarrasse de mes affaires avant de me mettre à mon bureau pour voir ce que j'ai à faire. Une longue liste m'attend. Mais je remarque que personne ne crie.

_ Où est Miranda ?, demandais-je.

_ Elle est partie au restaurant avec Richard il y a cinquante minutes, me répond Meredith en regardant sa montre. Nous la reverrons donc dans trois... Deux... Un...

Et là, tout le monde se fige dans le couloir. Une masse de poils longs et gris arrive vers nous, posée sur deux fines baguettes noires et des chaussures à talons assorties. Le dragon est là. Elle avance d'un pas frénétique vers nous et, une fois la porte en verre de notre bureau passée, tout le monde retourne à ses activités. Miranda me regarde de haut en bas en baissant ses lunettes de soleil - qui ne servent à rien vu qu'il ne fait pas beau du tout - aujourd'hui. Elle ne réagit pas et me balance ses affaires. Elle lève les yeux au ciel et se retire dans son bureau. Oui, je confirme. Elle est vraiment en colère. La fumée sort de ses naseaux comme un volcan en éruption. Bonté divine, je suis dans de beaux draps, moi ! Je saisis le manteau de fourrure et le sac Fendi et les range dans l'armoire, derrière moi. J'entends soudain mon prénom venant du bureau de ma patronne. Je regarde Meredith. Un simple claquement de doigt et elle balance son bras vers la direction de la voix. Ça va barder. Je respire à fond, me lève et je vais affronter le danger public qu'est Miranda Kreep.

_ Ah ! Enfin vous voilà ! Vous pensez que je suis qui ?

_ Pardon ?

Je me reprends de suite en voyant le regard insistant de Miranda. Ouh la. Non. Marche arrière.

_ Vous êtes Miranda Kreep... et vous êtes ma patronne.

_ Bien. Alors pouvez-vous me dire pourquoi vous ne répondiez pas au téléphone ? Et où étiez-vous ?

_ Je... J'étais... Hum...

Je ne peux pas lui dire ce qu'il s'est passé ce matin. Elle me tuerait. Oui, j'ai été boire un café avec un des co-fondateurs de Landry Corporates. J'ai aussi échangé mon téléphone avec le P-DG. Non. Je tiens à mon boulot, même si la personne qui me sert de donneuse d'ordre est imbuvable. Je partirai d'ici. Je partirai d'ici. Je partirai d'ici. Mais pas aujourd'hui.

_ Non, en fait, je m'en moque. Je voudrais que vous me rendiez un service.

_ Ah oui ?

_ Je voudrais que vous prépariez vos affaires. Je n'ai plus besoin de vos services.

Euh... Quoi ?

_ Je vous demande pardon ?

_ Vous êtes virée, mademoiselle Dickens. Sortez.

Elle me dit le dernier mot en agitant sa tête pour me montrer par où je dois aller. Je n'y crois pas. Elle me met dehors. Je suis virée. Après un an de bons et loyaux services. Bien. Je me dirige vers mon bureau mais, avant de passer la porte du sien, je me retourne et, prise d'un élan de courage, je me lance.

_ Vous êtes imbuvable, Miranda.

_ Comment ?

Tout le monde s'arrête. Plus aucun bruit ne se fait entendre. Tout le monde a les yeux rivés vers nous deux, nous faisant face. Elle, surprise. Moi, je-ne-sais-pas-quoi. T'as commencé, tu finis, ma vieille.

_ J'ai dit que vous étiez imbuvable. D'ailleurs, tout New York le pense. Vous vous prenez pour la reine de la fourmilière mais regardez-vous. Vous vous comportez comme si vous étiez la rédactrice en chef d'un magazine de mode alors que vous n'êtes juste que la figure d'une maison d'édition. Tout le monde sait que c'est Douglas qui fait le boulot à votre place. Et pourtant, vous continuez à péter plus haut que votre cul et vous ne vous arrêtez jamais. Rassurez-vous, c'est avec plaisir que je pars.

Je lui fais une révérence et la laisse, plantée derrière son bureau, médusée. Je me glisse vers l'armoire sous le regard ébahie de Meredith. Elle me lève son pouce et s'assied derrière son ordinateur, un sourire satisfait aux lèvres. Fallait bien que quelqu'un la remette à sa place, non ? Je saisis mon manteau et mon sac, je fais frapper mes talons et m'en vais dans le couloir, où tout le monde me regarde, les yeux en forme de billes alors que je leur montrais qui portait vraiment la culotte.

Dès que je sors de l'immeuble, je respire à nouveau. Comme si un poids s'était enlevé de mes épaules. Et puis, je réalise. Je n'ai plus de job. Oh mon dieu. Je n'ai plus de travail. Je suis au chômage. Oh non. Et qu'est-ce que j'ai dit à Miranda ? Oh non, ça, je ne le regrette pas le moins du monde. Mais, mon job ? Et si elle me grillait dans toute la ville? C'est atroce. Je vais faire quoi, maintenant ? Bon, ne paniquons pas. Du calme. Je me glisse dans ma voiture et sors mon téléphone. Je supprime le numéro de Miranda, d'abord. Mon téléphone me dit merci. Puis, je vais dans mes messages. J'en ai deux d'Ellie et un d'Amanda. Je décide d'appeler Nathanael, d'abord. Oh quoique... Je vais aller directement chez lui. C'est mieux.

Je démarre la voiture et m'engage sur la route. Je me dirige vers l'Upper East Side et me gare devant son immeuble. Je claque la portière et m'avance vers l'entrée. Le portier m'adresse un sourire chaleureux.

_ Bonjour Mary.

_ Bonjour Marc !

Il m'ouvre la porte et je monte au vingt-troisième étage. Je ne vous ai pas parlé de Nathanael Haarp. C'est un type extraordinaire. Et c'est mon mec.

Nous nous sommes rencontrés lors d'un gala. Je n'étais l'assistante de Miranda que depuis un mois. Nathanael venait d'empocher son nouveau job à son cabinet d'avocat. Nous avons donc discuté de ça, autour de deux Martini blanc, le soir suivant. Il m'a fait la cour pendant des mois, mais je sortais d'une histoire houleuse et je n'avais pas la tête à ça. Mais hier soir, on a vraiment officialisé ça. En réalité, ça fait plus de deux mois que nous sommes ensemble et, il y a deux jours, il m'offrait mon premier cadeau. Un magnifique bracelet de chez Tiffany's. Je n'en revenais pas. Nathanael est vraiment quelqu'un d'extraordinaire. Il a tout pour lui. Un beau physique, un visage d'ange, l'appartement parfait, le job parfait, la voiture parfaite. Je dirai même que c'est le Ken de la vraie vie. J'en ai de la chance. Il est vraiment parfait. Je suis heureuse avec lui, sincèrement. Il m'a redonné confiance en moi et en l'amour.

Mon bonheur retombe comme un soufflé sortant du four quand je pénètre dans son appartement. Je le vois, lui sur le canapé, allongé à l'horizontale, au-dessus d'une chevelure blonde platine. Mes yeux sont comme deux balles de ping-pong. Ils ne m'ont pas entendu rentrer. Je secoue ma tête de gauche à droite pour rassembler mes idées et me racle la gorge. Leurs deux têtes se lèvent vers moi et Nathanael me regarde, horrifié. Il se lève d'un coup et la fille se couvre avec des coussins. Il s'avance d'un pas mais je lui dis de s'arrêter seulement avec mon index lever en l'air.

_ Même pas t'y penses, dis-je sèche avant de partir en claquant la porte.

Je vous disais quoi déjà? Ah oui, il m'a redonné confiance... Connard!

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Coucou tout le monde !

J'espère que vous allez bien !

Jusqu'à ce soir minuit, je publierai des chapitres, histoire que vous ayez quelque chose à vous mettre sous la dent :) Alors le troisième chapitre sera posté à 21h et le quatrième à minuit tout pile!!

Gros bisous,

Je vous adore!

Joëlle SADOK-QUILICHINI

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