Chapitre 9

TW : body horror

Un jour, peut-être des semaines plus tard, on toqua à sa porte, alors que sa mère n'était pas là. 

— Qui c’est, grogna-t-il. Il n’avait envie de voir personne. Il voulait pourrir dans son coin, était-ce trop demander ?

— Quelqu’un, lui répondit la personne derrière. Une voix de jeune adolescente. 

— Si c’est pour des cookies, dit-il en ouvrant la porte, désolé on a pas une thune.

— Ce n’est pas pour des cookies. 

Il avait devant lui une jeune fille blonde, avec une mèche rouge proéminente, un sourire aux lèvres. Elle portait l’uniforme des Trash Panda.

— Qu’est-ce que tu me veux ? cracha-t-il en croisant les bras. 

— Tu as perdu quelqu'un qui t’es cher, n'est-ce pas ? 

Baji recula sur le coup, comme s’il s’était pris un coup de poing. 

— Qu’est-ce que ça peut te foutre ?

— Je veux juste t’aider, dit-elle d’une voix blanche. 

— M’aider comment ? Tu fais de la nécromancie ? 

Un rire amer perça ses lèvres. Il détestait cette putain de journée. 

— Non, pas tout à fait. J’ai… Hum, non, je ne vais pas te le dire, en fait. 

Elle recula d’un pas, puis se ravissa, se rapprocha de nouveau, toujours son sourire aux lèvres. 

— Si tu pouvais changer une chose dans ta vie, ce serait quoi ? 

Baji n’était pas d’humeur à jouer à ces jeux. 

— Casse-toi. 

— Quelle impolitesse ! Je veux juste… -elle se pinça les lèvres-, t’aider, toi, en particulier. 

Elle tourna sur elle-même. 

— Parce que c’est ce que j’aime ! 

Baji lui claqua la porte au nez. 

— Très bien, soupira-t-elle, tu ne veux plus revoir Chifuyu.

Chifuyu. 

— Comment connais-tu son nom ?!

— Un adolescent qui meurt avec une inscription bizarre à côté de lui, ça se sait. Mais ça ne répond pas à ma question ; veux-tu le revoir ? 

Baji fixa sa porte comme si elle menait vers un autre monde. Un monde avec Chifuyu. Était-ce encore possible ? Il avait pourtant passé l'âge de croire aux contes de fée. 

— Oui, souffla-t-il. Je veux le revoir, plus que tout. 

— Alors ouvre la porte. 

Il le fit. 

Il se réveilla dans une douleur insupportable, comme si on lui arrachait le cœur à mains nues. Il sentait le moindre nerf de son corps hurler, la plus petite parcelle de peau trembler. On le tuait. On l’avait tué. Il était ressuscité. 

Le soleil lui tapait sur le crâne. Il rouvrit les yeux et vit :

L'ARMÉE DES ENFERS RÔDE

Chifuyu regarda le tag, les sourcils froncés.

— C’est quoi, l’armée des Enfers ? 

Baji voulait pleurer. 

— J’sais pas, mais ça a l’air important, lâcha-t-il comme si de rien n’était, comme si chaque mot ne lui déboitait pas la mâchoire. 

— Faudrait p't’être qu’on demande.

Il acquiesça. Son cou se tordait, fondait dans sa gorge, ressortait dans un magma de peau.

Pourvu que Chifuyu ne se retourne pas, ne te retourne pas-

Chifuyu se retourna. Son regard ne changea pas. Il lui sourit et dit :

— T’as une idée d’où commencer ?

S’il avait une idée ? Pas la moins du monde,  dans le vaste univers de Tokyo, c’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin.

Mais il avait compris une chose : là où l’armée des enfers rôdait, Chifuyu mourrait. 

Et il ne laisserait personne lui reprendre Chifuyu. 

Les douleurs ne s'arrêtèrent pas quand il rentra chez lui, Chifuyu sur les talons. Sur la route, une idée avait malgré tout germé dans son esprit :

Doméo

Il devait le voir. Pour parler affaires, mettre les choses au clair, bien sûr. Mais la question se posait : devait-il prévenir le blond de sa décision ?

Il secoua la tête. Non. Il se rappela de Smiley, de ce qu’il lui avait dit. Si Doméo savait des choses sur Chifuyu, il était préférable qu'il ne soit pas là pour les entendre. 

Ils étaient sur le point de se séparer dans les couloirs de leur immeuble, quand Baji se surprit à dire :

— Viens, dors chez-moi. 

Parce qu'il ne voulait plus être séparé de Chifuyu. Plus jamais. 

Celui-ci acquiesça, ne se rendant même pas compte de sa mortalité, de sa propre fragilité, qu’il y a quelques heures encore, il était mort, enterré sous la terre froide et gelée. 

Il avait envie de vomir. 

— J’vais aux chiottes, lâcha-t-il, distingué, tandis que Chifuyu s’étirait sur le canapé du minuscule salon. Salon qui ressemblait à celui de Chifuyu. Chiottes qui ressemblaient à celles de Chifuyu. 

Ils vivaient dans la même boîte à sardines, privés de soleil. 

Il vomit le peu qu’il avait mangé ses derniers jours. La bile lui remontait à la bouche, son goût infâme se répandant dans son être.

Baji se releva en titubant. Il avait peur de se voir dans le miroir. Il osa malgré tout un petit, tout petit, ridicule coup d’œil, et eut un haut-le-cœur. 

Sa mâchoire inférieure était défoncée. Comme si on l’avait tabassée à coups de pieds, à tel point qu’elle était rentrée dans son cou. Celui-ci avait fondu, ressemblant à une œuvre ratée d’un sculpteur fou. 

C'était un monstre de foire. 

Il eut une remontée acide dans sa bouche. Il se pencha de nouveau devant les toilettes. 

On toqua. Ce n’était pas sa mère. 

— Tout va bien, Baji ? J’aimerais utiliser les toilettes, aussi. 

— Ouais ouais, souffla-t-il, cinq… cinq petites secondes.

Il se releva avec peine, tira la chasse, et ne voulut même pas croiser le regard de Chifuyu quand il ouvrit la porte. 

Chifuyu, qui était mort.

Chifuyu, qui était là. 

Chifuyu, qui ne voyait rien. 

Mais peut-être était-ce lui l’aveugle. 

Baji inspira, comme si c’était suffisant pour dégager toute cette douleur qu’il ressentait, aussi bien physique que mentale, et s’allongea sur le canapé de tout son long, pour calmer la douleur. 

Ses pensées allaient à toute allure : tout reposait sur Doméo, et ce qu’il allait lui dire. Il n’avait rien pour croire qu’il en savait plus que lui, si ce n’était l’apparition soudaine de son gang qui coïncidait avec les tags, et qu'il s’était affronté dans un lieu où il y en avait un. 

Il ne voulait pas le tabasser, ça ne lui apporterait rien, si ce n'est qu’un défouloir futile. Non, il devait être plus malin. Aller dans son sens, peut-être. En apprendre plus sur lui. Peut-être… peut-être se faire passer pour son ami, quitte à faire croire à une trahison du Toman. 

Il passa une main dans ses cheveux, troublé. 

Il en tomba une poignée. 

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