Chapitre 7
TW : MENTION ET DISCUSSION DE SCARIFICATIONS
—
L’armée des enfers rôde
Baji avait imprimé cette phrase sur sa rétine.
Elle y était quand il avait cherché Chifuyu à l'hôpital, pour sa sortie. Elle trônait à l’entrée du bâtiment, toute-puissante, en lettres noires et grasses.
Tout le monde s’en foutait.
Les infirmières et infirmiers, les médecins, les spécialistes de tout et de rien, ceux qui inspectaient les cerveaux ou les trous du cul, les jardiniers et jardinières qui arrosaient les mêmes plantes crevées, les balayeurs et balayeuses et leur dos cassé…
Tout le monde s’en foutait.
L’armée des enfers rôde dans l’indifférence générale, les problèmes quotidiens, la poussière.
Quand ils étaient sortis, elle était toujours là.
Couché dans son lit, il comptait les taches sur le plafond.
Une, deux, trois, quatre… Elles formaient des petits points qui, si on les reliait ensemble, créaient des formes géométriques. Des cercles, beaucoup de carrés ou de rectangles mal foutus.
— Tu penses à quoi ? l’interrompit Chifuyu, sa voix endormie, pâteuse, s’élevant depuis le sol où il dormait.
— Comment tu sais que je pense ?
— C'est ce que tous les humains font, ce que je fais un peu trop.
— Tu penses trop oui.
Du coin de l’œil, il voyait Chifuyu se relever de son matelas, s’allonger doucement sur le côté, pour ne pas rouvrir ses blessures. Il le devinait au craquement du plancher, comme si l’appartement menaçait de se fendiller à chaque pas. Il voyait les bandeaux sur ses bras et ses mains, symbole de questions qu’il posera peut-être un jour.
— C’était comment, quand j’étais pas là ? osa Chifuyu.
— Je me suis fait chier, je te raconte pas, un enfer.
— Et les Black Hearts…?
— Démantelé, écrasé, piétiné. On raconte que leur chef est parti chialer chez les Trash Panda. Allez savoir ce qu’il foutrait chez un gang de nanas, mais bon, il est libre d’essayer.
— Je suis content qu'ils ne vous causent plus de soucis.
— Arrête de parler en “vous” comme si tu faisais plus partie de la bande, j’ai refusé ta démission je te rappelle.
Chifuyu sourit sans chaleur.
— C’est vrai. Désolé.
— T’excuses pas, t’es relou quand tu fais ça.
Le plus jeune se mordit l’intérieur de la joue, sûrement pour étouffer un “pardon”. Baji retourna contempler son plafond tacheté.
— C’était comment, à l’hosto ?
— La bouffe était dégueu, on m'a posé des questions bizarres, mais sinon ça allait.
— Quoi comme questions bizarres ?
Il entendit Chifuyu se rallonger.
— Des questions bizarres.
— J’irais pas cafter à ta mère, donc ça sert à rien de jouer au grand mystérieux avec moi.
— Si tu le dis.
Chifuyu changea encore de position.
— T'es chiant quand t’es comme ça.
— Comme ça ?
— Dans ta tête.
— T’aimerais y être ?
— Je suis sûr qu’il s’y passe des choses plus intéressantes que dans la mienne.
— Pourquoi ?
Il laissa quelques instants de silence, pour rassembler ses mots et son courage.
— Parce que tu sais écrire sans faire cinq fautes par caractère, c’est forcément mieux.
Chifuyu voulut répondre, mais il le coupa aussi sec.
— Me raconte pas de conneries en mode “le plus important c’est que tu essaies !”, je sais même pas écrire le nom de mes potes ! T’imagines, toi, être ami avec quelqu'un qui sait même pas orthographier ton nom ?
Le regard fixé au plafond, il attendait la réponse du blond, qui ne venait pas. Il liait des yeux les taches, créait de nouveaux kanji qu’il saurait écrire.
— Ne te lance pas la pierre, Baji, l’interrompit Chifuyu de sa voix ensommeillée. C’est tout ce que je te demande.
— T’es trop mou avec moi. J'ai parfois besoin d’être secoué, tu vois ?
Il tourna la tête, vit que Chifuyu avait encore changé de position (mais pas de pansement).
— Ta mère c’est une pute si tu changes tes bandages ou quoi ?
— Baji !
— Je pose la question, c’est tout.
— Respecte ma mère, elle fait de son mieux. C’est pas facile d’avoir un enfant comme moi.
— Je confirme, t’es casse-couilles.
— Merci de me soutenir, c’est sympa.
Il pouffa, ce qui fut suffisant pour vexer Chifuyu.
— T’inquiète, je suis pas non plus un enfant facile, donc on est un peu pareil sur ce point-là.
— Sauf que moi je suis blond.
— Et t’as les cheveux courts.
— On est un peu des opposés.
— Mais les opposés s’attirent, nan ? C’est peut-être pour ça qu’on est ensemble.
— Peut-être…
Chifuyu bailla, ce qui le fit bailler.
— Faudrait qu’on se couche, en conclut Baji.
— C’est naze, je meurs toujours dans mes rêves.
— T’es sûr que c'est pas plutôt des cauchemars ?
Chifuyu rit. Le cœur de Baji se serra.
— Ouais, plutôt des cauchemars, t’as raison.
Un silence plana entre les deux, et il crut que le blond s’était endormi.
— Chifuyu ?
— Hum ?
— Tu peux t’installer dans mon lit, tu sais.
Chifuyu écarquilla les yeux.
— Pardon ?
— Je vois bien que tu galères à dormir.
— T’es sûr que ça te dérange pas ? Je gigote beaucoup et je ronfle-
— Oui, fais pas ta chochotte et viens ! s’impatienta-t-il.
Chifuyu se glissa dans le lit, à la limite du rebord. Il fixa le plafond. Peut-être que lui aussi s’amusait à lier les taches entre elles. Ils pouvaient le faire à deux.
Baji savait qu’il abusait de la gentillesse de Chifuyu, mais il demanda quand-même :
— Tu peux me tenir la main ?
Sa main trouva la sienne, dans la chaleur des couvertures. Il pouvait sentir les pansements sous ses doigts.
Quelques minutes de silence passèrent, relaxantes, douces. Baji avait l’impression d’avoir gagné le gros lot, qu'il ne pouvait pas y avoir plus à cet instant.
Chifuyu vint briser cette tranquillité avec une phrase :
— On m’a demandé… si j’avais déjà eu des pensées auto-destructrices.
Baji resta silencieux, trop choqué pour parler.
— C’était genre… trop bizarre, de demander ça ! J’avais l’air malin. Je leur ai dit, aux infirmières ; “C’est un peu trop pour moi en ce moment, je préfère ne rien dire”.
— Et du coup ?
Il resserra sa main dans la sienne.
— Tu promets que tu ne le diras à personne, hein ?
Baji n’aimait pas ça. Il n’aimait pas ça du tout.
— Dis, lança-t-il simplement. Si ça peut te libérer d’un poids, je suis là pour le porter avec toi.
— Je… Non, laisse tomber. C’est ridicule.
— M’en fiche si c’est ridicule, je veux savoir.
Chifuyu prit une grande inspiration, puis la retint. Baji comptait les secondes. Une, deux, trois, quatre…
— J’me scarifie.
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