Chapitre 6
L’ARMÉE DES ENFERS RÔDE
Taggé trop haut sur un mur de l’entrepôt, Chifuyu préféra jeter son dévolu sur Baji, qui était à ses côtés.
— Alors, pas de paix ? On est plus copains ? ricana-t-il.
Le chef des Black Hearts, qui se tenait juste à côté du graffiti et de ses hommes, sourit.
— On m’avait prévenu que le chef de la première division du Toman était une grande gueule, mais pas à ce point.
Les Black Hearts étaient un de ces gang qui apparaissait de nulle part, détruisait tout sur leur passage, avant d’éclater en morceaux. Ce soir était le moment où tout allait se jouer : la survie ou l’anéantissement. Ils avaient trop longtemps fait joujou sur le territoire du Toman sans en payer les conséquences.
Mikey avança, pour se tenir face au chef adverse. La différence de taille était saisissante : Domeo, puisque c’était son nom, était aussi grand que Draken, et dépassait donc Mikey de plusieurs têtes.
— J’ai toujours rêvé de me battre contre Mikey l’invincible, confia-t-il, heureux.
— Et moi, ça fait longtemps que je veux te casser la gueule.
Un cri, et voilà le quotidien de Chifuyu qui se rejouait. La violence. La peur. La fausse fierté. Les deux gangs se jetèrent dessus, dans un mouvement similaire à celui des Trash Panda contre les White Tigers. Au premier coup reçu, à la première goutte de sang versé, il savait où cela allait le mener.
Il combattait pour finir dans le vide.
Un coup à la mâchoire l’arracha de sa rêverie.
— Ta garde Chifu ! beugla Baji à plusieurs mètres de lui, s’occupant de deux membres des Black Hearts.
Il envoya le premier valser d’un coup de pied, et s’occupa de l'autre, montrant son dos au blond.
— Ton ennemi, c’est moi ! cracha celui qui lui avait asséné le coup.
Chifuyu esquiva de justesse son redoutable crochet, manqua de s'empêtrer dans ses propres jambes. Il n’y était pas du tout, il fallait qu’il agisse, et vite…
— Le Toman n’est qu’un ramassis d’enfants perdus ! vociféra son ennemi en le chargeant.
Il percuta Chifuyu en plein flanc. Ils finirent à terre, dans la poussière et la terre piétinée par des gamins trop jeunes pour tuer. Il reçut un premier coup de poing, avant qu’un autre ne s’écrase dans sa mâchoire. Il cracha. Sa vue se brouillait. Il ne voyait même plus la masse au-dessus de lui, devenu informe, noirâtre. Elle s’étendait dans toute sa vision en un dôme opaque.
Chaque coup noircissait son monde.
Il avait froid.
Quelle merde…
Sa vie n’aura été qu'un désastre.
———
Domeo cracha du sang, le regard perçant. Son genou était à terre, signe de sa défaite.
— C’est pas encore fini Mikey, ce n’est qu’un avant-goût de l’enfer qui vous attend !
— Si tu le dis.
Le plus petit haussa des épaules, puis déclara d’une voix tranchante comme une lame :
— Celui qui s’en prendra au Toman finira comme lui !
Le calme s’écrasa sur le champ de bataille. Les Black Hearts s’écartaient de leur adversaire, voire s’enfuyaient à toutes jambes. Au milieu de ce carnage, Baji souriait.
— Où est Chifuyu ? demanda-t-il avec innocence, comme si ce qu’il venait de se passer n’était rien d'autre qu’une routine.
— La dernière fois que je l’ai vu… commença Draken.
— Il est là ! s’exclama un membre de la première division en pointant le corps au sol.
Le sourire de Baji se fana. Il se précipita à ses côtés, paniqué.
— Chifuyu ?!
Son visage était tuméfié, écarlate par endroit. Son nez saignait abondamment. Ses yeux étaient fermés.
Il ne répondait pas.
Baji plaça une de ses mains sur sa joue.
Froide.
Il retira sa main comme s’il s’était brûlé. Son corps se raidit. Le Toman se rassemblait autour de lui, en cercle oppressant. Il voulait cacher Chifuyu de tous ces yeux qui épiaient, désolés, le pathétique spectacle qui se tenait devant eux.
Il le secoua, mêla ses cheveux à la terre, le salissant encore plus.
— CHIFUYU !
Ses mains tremblèrent. Il essaya maladroitement de faire un massage cardiaque, sans savoir si c’était la bonne chose à faire, s’il agissait bien, si le sol était assez dur, s’il n’était pas déjà trop tard.
Il se retourna pour beugler :
— Qu’est-ce que vous faites !? Bougez-vous le cul ! Appelez une ambulance, au lieu de me regarder comme si j’étais un macaque !
Aussitôt, les membres du Toman s’activèrent, des téléphones furent décrochés, mais l’ambulance tardait à venir.
— Chifuyu ! Réveille-toi !
Il ne savait plus ce qu’il faisait. Ses mouvements étaient désorganisés. Le cercle était amincie, avec juste Mikey et Draken à ses côtés.
— Ne t’inquiètes pas, Chifuyu va s’en sortir, c’est un dur, tenta Draken. Mikey resta silencieux.
Quand l’ambulance arriva, un poids se souleva de la poitrine de Baji. Il lui arracha Chifuyu sans même pouvoir lui dire au revoir.
Au revoir. Pas adieu.
Pas adieu.
Pas adieu.
———
Ils se regardèrent dans le blanc des yeux.
Chifuyu se gratta l’arête du nez.
Baji éternua.
— À tes souhaits, fit le blond.
— Merci.
(Baji détestait les hôpitaux, trop blancs.)
Ils se regardèrent dans le blanc des yeux. Une seconde, puis deux…
— Donc en gros je me suis vu mourir, expliqua Chifuyu.
— D’accord.
— Et je crois que ça a un rapport avec ce tag que l’on voit partout.
— D’accord.
— Et tu m’avais dit qu’on enquêterait ensemble.
— D’accord.
(Baji remarquait ses bras recouvert de bandages, jusqu'au poignet.)
— Tu peux dire autre chose que d’accord ? J’ai l’impression d’être avec ma mère.
Il voulait rétorquer qu’il l’avait vu mourir, que c’était assez pour le tuer, et qu’être bloqué sur le seul mot qu’il se sentait capable de sortir sans s’effondrer n’était pas un signe de désintéressement. Mais comme il était stupide, tout ce qu'il trouva à dire était :
— Mais tu l’aimes ta mère ?
Le plus jeune resta muet. Baji s'apprêtait à parler quand il lâcha un :
— Oui.
Comme si cela ne le concernait pas.
(Baji trouvait que Chifuyu allait trop à l’hôpital, ces temps-ci.)
— Tu me raconteras tout ça plus tard, essaya-t-il de promettre.
— Si tu veux, répondit Chifuyu, en se grattant une nouvelle fois le nez.
— Baji…
Son cœur bondit.
— Oui ? dit-il trop rapidement pour que ce soit naturel.
— Je crois que je…
Baji plaça tous ses espoirs dans les prochains mots de Chifuyu.
— Je crois que je devrais quitter le Toman.
Il le regarda.
Chifuyu le regarda.
Il regarda Chifuyu le regarder.
Chifuyu le regarda le regarder.
Ils se regardèrent.
Si Chifuyu n’était pas alité, il l’aurait frappé pour sa stupidité.
— Non.
— Comment ça, non ?
— Je refuse.
— Tu as le droit de refuser ça ?
— Je suis chef de division, je refuse ce que je veux.
— C’est de l’abus de pouvoir !
— Je suis dictateur, y’a zéro problème.
— Baji, sois sérieux s'il-te-plaît, fit Chifuyu, doux. Je ne fais que vous ralentir.
— Ne quitte pas le Toman, s’empressa de dire Baji. On a besoin de toi. Tu ne nous ralentit pas. Jamais. Tu peux demander à Draken et à Mikey, ils pensent pareil que moi ! T’es un bon combattant, c’est… c’est moi, j’aurais dû faire attention…
Le regard de Chifuyu se chargea de mélancolie.
— Je suis pas en sucre, regarde ! J’ai encore toutes mes dents.
Le blond sourit, un sourire forcé, qui rouvrait les plaies de ses lèvres. Du sang s’échappa de l’une d’entre elle, coula sur son menton, s’écrasa sur le drap blanc de l’hôpital.
— Tout va bien, promit Chifuyu.
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