Chapitre 7 :

Une brise très légère caressait la joue de Ludwig. Les petits chatouillis qu'elle provoquait le réveilla lentement. Les paupières encore lourdes, sa vue était floue. Il percevait néanmoins des murs constitués de planches de bois. Le lien entre ces éléments et le lieu où il était se fit instantanément. D'autant plus quand il entendit une voix familière. Chester sortait quelques blagues comme s'il était face à un public.

— Elle est vraiment pas mal la dernière, complimenta Ludwig.

Le jardinier sursauta légèrement et se retourna.

— Ah, tu es réveillé. Eh bien tout d'abord merci beaucoup. Et alors ? Tu te sens mieux ?

— Je suis encore un peu barbouillé.

— Tu m'étonnes. Avec tout ce que tu as vomi.

Il lâcha un petit rire qu'il stoppa net en remarquant que cela ne faisait pas rire son locuteur.

— Excuse-moi. J'ai tendance à rire pour tout et rien, expliqua-t-il.

— Chacun son truc. Bref, tu veux bien m'aider à descendre du hamac ?

Ludwig était toujours allongé sur le tissu et ne bougeait pas d'un iota, de peur de tomber. Le jardinier se leva de son tabouret et maintena le lit des deux mains, permettant au jeune homme de toucher le sol. Enfin debout, il remarqua qu'il portait les mêmes vêtements que la veille. Par conséquent, il décida de retourner dans sa chambre. Chester lui demanda juste d'avertir Forrest de retrouver son aîné au cas où il le croisait sur le chemin. Ludwig acquiesça en silence et quitta le cabanon.

Sans faire de détour, le jeune homme fila tout droit vers l'entrée du château. Pendant qu'il traversait les jardins, il examina, par habitude, les nouvelles décorations florales des quatre jardiniers, qui ne chômaient pas par ailleurs. C'est en regardant autour de lui qu'il vit le benjamin de la fratrie au loin. Par quelques gestes de la main, Forrest comprit qu'il devait rejoindre Ludwig. Ce dernier lui fit passer le message. La seule réponse qu'il eut fut une inclination de la tête, le visage inexpressif. Étant habitué à ce genre de réaction venant de la part du jeune jardinier, Ludwig ne releva rien et poursuivit son chemin.

Arrivé dans sa chambre, l'orphelin fut immédiatement assailli par une odeur repoussante.

— On a beau avoir changé mes draps et ouvert en grand la fenêtre, ça sent toujours mauvais.

Il tenta tant bien que mal de ne pas s'en préoccuper et fouilla dans son armoire pour ressortir une tenue propre. Il passa dans la salle d'eau pour se changer. Une fois cela fait, il s'arrêta dans le miroir. Ludwig s'était vêtu d'une veste bleu roi qui appartenait à son frère. Maintenant, elle lui allait parfaitement, contrairement à plusieurs années en arrière. Cela blessait un peu le jeune homme de porter ce vêtement mais il considéra ce geste comme un hommage. Il avait l'impression de le faire revenir à la vie pendant quelques instants. En effet, il semblait le voir dans la glace tellement il lui ressemblait. Devenant petit à petit plus à l'aise, il rangea ses mains dans les poches. Seulement, son geste fut un peu trop brutal puisqu'il en déchira les coutures.

— Merde !

Son désarroi se transforma rapidement en surprise lorsqu'il sentit un bout de papier dans un double fond de la poche droite. Ludwig le sortit avec délicatesse et fut tout aussi consciencieux lorsqu'il le déplia.

Il le lut brièvement mais n'en comprit pas réellement le sens. Cependant, cela lui rappela quelque chose. "Profitez de cette longue journée ensemble."

Dix ans plus tôt :

Comme une fois tous les trimestres, un carnaval se tenait au centre-ville. Il s'agissait de l'événement à ne pas manquer pour les plus dépensiers. Malheureusement, Alphonse et son petit frère ne pouvaient pas se permettre ce luxe. Le carnaval était consacré aux commerces vendant des sucreries et des babioles en tout genre mais aussi des stands de jeu. Les deux garçons profitaient de l'atmosphère festive uniquement pour se vider la tête. Des hommes et des femmes traversaient la foule déguisés en animal et amusaient les plus jeunes et leur offraient des chocolats. Cette fête était une tradition que Ludwig attendait autant que la parade de la Fleur d'Hiver, espérant que son frère puisse enfin le recouvrir de friandises. Une fois n'est pas coutume, le budget du jeune menuisier était très limité.

— Tu es sûr que tu n'as pas assez pour cette sucette ? lui demanda-t-il en faisant les yeux doux.

— Je suis sincèrement désolé Ludwig mais si je t'achète cette sucette, les fins de mois seront encore plus difficiles qu'elles ne le sont déjà.

— Sûr, de sûr, de sûr ?

— J'en ai bien peur.

Le petit garçon fit la moue mais il s'y attendait. Pour se remonter le moral, il se rappela qu'il allait passer toute la journée avec son frère. Il chérissait chaque jour férié plus que tout au monde.

Tandis que les deux frères, jetant des coups d'œil aux stands, slalomaient entre les passants, le plus jeune se fit légèrement bousculer par une personnes déguisée en lapin. Cette dernière s'arrêta un court instant et vit Ludwig qui affichait une mine attristée, quémandant par le regard le moindre chocolat. La personne costumée n'ajouta rien et partit comme si de rien n'était. Les larmes montèrent alors aux yeux du garçon qui ne put contenir quelques sanglots. Alphonse tenta de le calmer mais rien n'y faisait. Voir un minuscule espoir se détruire brutalement avait heurté le cœur de Ludwig. Son frère comprit rapidement ce qu'il devait faire. Il prit le garçon par la main et l'emmena rejoindre le lapin à quelques mètres d'eux, offrant un chocolat à une jeune fille.

— Excusez-moi ! lança-t-il.

Le lapin pivota pour se retrouver face à la petite fratrie.

— Vous aviez très bien vu comment était mon frère. Pourquoi vous ne lui avez rien donné ?

— Je ne vais pas donner un chocolat simplement parce qu'il l'a demandé, expliqua l'acteur. Ce serait mal l'éduquer.

— Et le faire pleurer est une bonne éducation dans ce cas ?

— Calmez-vous jeune homme. Nous sommes en train de débattre pour une malheureuse friandise.

— Que je me calme ? s'exclama-t-il sur un ton légèrement humoristique. Vous faîtes pleurer mon frère je vous rappelle ! Écoutez, nous vivons tous les jours plus difficilement que quiconque ici ! Notre toit est fait de bois et de feuilles, nous dormons dehors, donc pas de chauffage. Je suis l'unique parent que ce petit garçon connaisse. Vous pensez que c'est une vie agréable pour lui ? Donc maintenant, arrêtez de faire l'enfant et donnez-lui son chocolat.

Quelques passants s'arrêtèrent afin de prêter une oreille à la dispute. Alphonse était remonté et le lapin comprit qu'il ne servirait à rien de lui tenir tête plus longtemps. Il lâcha donc, un peu avec dégoût, le chocolat dans la main de Ludwig, avant de traverser la foule, bien que minime. L'attroupement se démantela juste après et tout redevint comme avant l'accrochage.

Le garçon ne manqua pas de remercier son frère infiniment et s'attaqua à la friandise. Pendant qu'il la dégustait, Alphonse fut interpellé par une jeune femme.

— Approchez jeune homme, approchez, déclara celle qui tenait un stand de voyance.

— Désolé mais je ne crois pas en ces choses-là.

— Je vous ai observé à l'instant et je me dois de vous féliciter. C'est un geste honorable que vous venez de faire.

— Eh bien... merci. Mais je l'ai fait pour mon frère. C'est naturel.

— Venez, venez, laissez-moi prédire votre avenir. Et gratuitement.

Le jeune homme hésita un instant puis accepta. Après tout, c'était gratuit. Il s'assit sur un tabouret avec une assise en velours mauve et Ludwig resta debout à côté de lui. La voyante agita ses mains autour de sa boule de cristal et prononça des mots qui n'avaient pas particulièrement de rapport entre eux. Elle demanda alors à Alphonse de regarder ce qu'il voyait dans la sphère magique. Il prit tout d'abord une expression fermée puis leva un sourcil.

— Je ne vois rien.

La voyante acquiesça comme si elle savait que certains ne percevaient aucune image. Avant que les deux frères ne s'en aillent, elle griffonna sur un papier et tendit ce dernier à Alphonse qui le prit tout de même.

— Profitez de cette longue journée ensemble, dit-elle finalement.

— Qu'est-ce que cela peut bien signifier ? Fumée ? La cheminée du château ? Et puis cinq fois "g" point frère ? Ce doit être moi le frère en question. Mais cela n'a aucun sens... Enfin peu importe, ce doit être une ânerie.

Ludwig mit en boule le papier, le jeta dans un coin de sa chambre et quitta la pièce.

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1399 mots.

Publié le 16/01/2021

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