Chapitre 4 :
Jusqu'à l'heure du déjeuner, Ludwig feuilleta un livre pour s'occuper avant qu'on ne le convoque à la salle à manger. Là-bas, l'ambiance était tendue et il y avait un silence de mort. Le roi, encore dans son état passif, lançait régulièrement des regards assassins à Ludwig. Le jeune homme essayait de ne pas en prendre compte mais se sentir fixé lui rendait la tâche compliquée. Savoir qu'il portait déjà des soupçons à son égard concernant son frère lui donnait un stress différent de celui qu'il a ressenti constamment depuis presque deux ans. Gardant toujours la tête baissée, il la releva lorsque la reine fit une intervention.
— Concernant la parade de la Fleur d'Hiver, commença-t-elle à l'adresse de son mari en posant sa main sur celle de ce dernier, un des jongleurs ne pourra pas être présent. Il est cloué au lit paraît-il et sera sûrement incapable de venir.
— Mince alors, répondit le roi sur un ton posé et sincère. Bon, ses collègues ont dû s'organiser en conséquent. J'espère seulement que ce brave homme retrouvera bientôt la forme.
Comme habituellement, les discussions entre les deux époux étaient douces et chaleureuses. On sentait l'alchimie entre les monarques. À aucun moment ils n'haussaient le ton lorsque l'un s'adressait à l'autre. Cela créait une coupure avec l'ambiance anxiogène que Ludwig pouvait subir. Quand la reine était présente, son conjoint se contenait du mieux qu'il pouvait de commettre la moindre bavure, que ce soit à l'oral ou dans ses gestes. Évidemment, elles ne sont pas complètement inévitables.
— D'ailleurs, ajouta ce dernier, le pâtissier n'est toujours pas arrivé.
— C'est vrai ça, répondit son épouse.
S'ensuivit une conversation concernant l'organisation de la fête qui ne concernait en rien Ludwig. Ainsi, dès qu'il avait fini de manger, il quitta la table et s'enferma dans sa chambre.
Cette pièce lui a toujours servi de recueillement. Et elle fut encore plus utile ces derniers jours. Le jeune homme ferma les rideaux plongeant l'alcôve dans le noir. Il retira rapidement sa veste couleur moutarde et sa chemise qu'il laissa joncher sur le sol. Tel un assassin, Ludwig se déplaça sans un bruit vers la partie salle de bain. Il y souleva une dalle proche de la cabine de douche et prit un couteau caché juste en dessous. La lame était encore immaculé de rouge foncé. Ludwig passa son doigt sur le plat de l'instrument et remarqua que la tache était sèche. Il se releva et se fixa longuement dans le miroir malgré le peu de lumière que laissait passer les rideaux. Ensuite, il colla le poignard contre son torse.
— J'espère que tu es plus en sécurité où tu es qu'ici...
Il lâcha une profonde expiration. N'étant toujours pas prêt, le jeune homme replaça l'arme à sa place, tout comme la dalle. Ludwig continua de regarder son reflet dans la glace. Il y voyait un garçon, seul, littéralement seul. Il s'observa un moment afin de dénicher le moindre détail chez lui qui pouvait le faire sourire.
— J'aime bien ma mèche, c'est ça ?
Étonné, Ludwig pivota subitement vers la source de cette voix. Il vit à l'entrée de la salle de bain un homme qu'il connaissait bien. Il s'agissait de Davy, l'un des jardiniers.
— Comment es-tu entré ? demanda le jeune homme en croisant ses bras.
— Apparemment tu ne sais pas fermer une porte, se moqua gentiment le brun. Pour moi, une porte entrouverte signifie que l'on peut venir.
— Enfin, on ne va pas passer une heure sur ce sujet. Peux-tu sortir ? questionna Ludwig qui commençait sérieusement à rougir.
— Comme tu voudras. Par contre, pour changer, tu peux citer autre chose, conseilla le brun.
— Sincèrement, quand je me regarde, je n'ai l'impression de n'être que l'ombre de moi-même.
— Qu'est-ce que tu racontes ? s'insurgea Davy. Tu es parfait comme ça ! Tu as tout pour toi ! Sauf... Ah je vois. Ça concerne...
— Tu peux le dire...
— Ton frère ?
Le jardinier posa sa main sur la joue de l'orphelin et la tourna vers sa direction avant d'approcher sa tête de celle de ce dernier qu'il repoussa d'une petite gifle.
— Combien de fois devrais-je te dire "non" Davy ? questionna Ludwig qui présentait déjà une joie de vivre plus marquée.
— Jusqu'à ce que tu craques.
— Si tu le dis. Changeons de sujet maintenant.
— Tu passes à autre chose comme ça donc ?
— Bien sûr. C'est interdit ? s'amusa le jeune homme.
— Non mais cela ne me dissuadera pas de te lâcher, rétorqua Davy. Bref, je n'étais pas venu pour ça à l'origine. Rhabille-toi mon beau garçon et rejoins-moi dehors à l'arrière du château.
Le jardinier tapota l'épaule de son ami avant de rire et de quitter la suite. Son locataire, quant à lui, s'exécuta rapidement et se précipita de sortir du bâtiment. Une fois à l'extérieur, il retrouva son ami accompagné de ses collègues de travail. En réalité, ces derniers n'étaient autres que ses frères. En effet, les quatres jardiniers faisaient partie de la même famille. Il y avait donc Chester, le comique, âgé de presque trente ans. Puis Linwood, le sage, d'environ vingt-cinq ans et Davy, né un an après le cadet. Et enfin Forrest, majeur depuis quelques mois, qui n'est encore qu'un apprenti. Tous les quatre s'entendaient à merveille et travaillaient de concert. Comme chaque année, cette période était celle pendant laquelle ils se tuaient à la tâche. Avec la fête de la Fleur d'Hiver, les quatres frères devaient préparer un très grand nombre de compositions florales.
À ce que Ludwig avait compris, Davy voulait lui montrer leur travail. Les cinq hommes traversèrent donc les jardins. Chaque chemin était délimité par des petites haies verdoyantes dûes à un entretien minutieux. Ils passèrent sous plusieurs arches toutes différentes par les fleurs qui les composaient comme des roses, un classique, mais aussi des hortensias, des gypsophiles, des chrysanthèmes ou encore des gerbéras. Au bout de l'allée principale se trouvait un immense cabanon qui servait d'atelier. Linwood ouvrit la structure de bois en insérant une clé en argent dans la serrure, qui, finalement, ne servait que pour la forme.
L'intérieur donnait raison aux clichés sur les garçons. Les quatre murs étaient longés par de longs hamac en tissu tandis que le centre était occupé par plusieurs tables collées les unes aux autres qui servaient de plan de travail. Un grand objet avait été posé dessus mais il faisait trop sombre pour que l'on puisse bien la distinguer. On pouvait percevoir des outils en tout genre, certains très dangereux, qui se trouvaient un peu partout. Les frères jardiniers appelaient cela un "bazar organisé" mais Ludwig doutait du nom donné à ce lieu. D'ailleurs, ce dernier sentait une odeur qui lui chatouillait le nez, et non parce qu'elle semblait agréable. Étant donné qu'il était assez proches des artisans, le jeune homme s'autorisa à ouvrir les fenêtres incrustés sur chaque mur.
— Il faut aérer de temps en temps, fit-il remarquer gentiment.
— Désolé mais avec tout ce travail pour la fête, nous devons garder le cabanon fermé. Le roi et la reine tiennent à ce qu'ils ne voient nos œuvres que le jour-même, expliqua Chester.
Ludwig n'avait écouté qu'à moitié puisqu'il était en admiration devant une de leur création. Le fameux objet sur le plan de travail était une fleur à l'allure bien particulière. Tout d'abord, la tige était entourée d'autres tiges plus fines. Les feuilles étaient d'un vert dont Ludwig ne pensait pas qu'il puisse exister. Il s'agissait d'une couleur foncée mais quelques pigments s'illuminaient. Enfin, la cerise sur le gâteau, la fleur en elle-même. Les pétales étaient réellement spéciales. Selon l'angle dans lequel on les regardait, ils changeaient de teinte. Si on tournait autour, ils passaient du bleu au vert puis au jaune, au orange, au rouge, au violet et revenait au bleu.
— Je savais que vous étiez des magiciens de la nature mais comment avez-vous fait cela ? demanda-t-il, abasourdi par tant de beauté.
— C'est Linwood, répondit Davy. Il nous a avoué que cela fait plusieurs années qu'il travaille dessus en secret.
— Eh bien c'est... vraiment splendide ! Je n'ai jamais rien vu de tel ! Cette fleur est réellement magnifique !
— Merci, lâcha le premier concerné, un peu gêné par les louanges.
— Le roi et la reine vont être impressionnés quand ils vont voir cela, assura Chester. Ça c'est un jardinier qui gère. Au fait, comment vas-tu appeler ce chef-d'œuvre ?
— Ça paraît évident de lui donner le nom de son créateur, fit remarquer Davy. Une linwood, ça le fait non ?
Le cadet paraissait embarrassé d'être au centre de la conversation. Ses frères décidèrent de le laisser respirer et donc de passer à autre chose. Finalement, ils présentèrent à leur invité le reste de leur création pour la parade du lendemain.
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1435 mots.
Publié le 05/12/2020
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