Royce

Salut! Petit message pour prévenir que, suite aux nombreuses demandes concernant les pdv de Royce, je commence à rattraper mon retard de ce côté-là et il y aura donc, pour vous, un petit retour en arrière. Ce chapitre se déroule entre le chapitre 20 et le chapitre 21, soit juste après que Royce et Lily quittent l'Eclipse pour aller chez Diego. Bonne lecture!


Il me faudrait un contrôle technique d'urgence. Et un retapage en règle, tant qu'à faire. Pour moi, pas pour ma caisse. Clairement, j'ai un truc qui déconne, une défaillance majeure bien plus vicieuse que des plaquettes de frein déglinguées ou des feux stop en panne.

Les emmerdes me tombent dessus à la chaîne, je devrais me poser deux secondes, réfléchir à une façon de me retirer de l'échiquier sur lequel j'ai posé le pied avant que le fou me tombe dessus. Je suis grillé, c'est plus qu'une question de temps avant que le soviétique revienne cogner à ma porte pour réclamer sa dette. C'est plus qu'une question de temps avant que j'accepte.

Il lui parlait. J'étrangle mon guidon en y repensant, mon cœur me boxe. Il avait un coude sur le bar et il jouait avec son verre en la scannant avec son sourire de dégénéré comme s'il voyait déjà son sang perler. Couler. Juste parce qu'il se l'est figuré, parce qu'il en a imaginé la couleur et qu'il a gratté un peu de son oxygène, j'aurais pu le tuer.

Sous mon haut trempé de sueur, j'ai senti mon semi-automatique me geler la peau pour approuver. Je l'aurais fait. J'aurais descendu cette vermine au milieu de cette boîte de nuit blindée de monde. Les deux bulldogs qu'il avait postés près de l'entrée principale m'auraient abattu dans la seconde, mais pas avant que j'aie collé du plomb dans le corps de leur boss.

J'allais viser le dos et l'effacer d'une seule cartouche. Je rate jamais ma cible. Diego m'a évacué du club avant que j'aie le temps de dégainer. Je l'ai laissé faire sans lui déboîter le bras parce que son plan puait pas autant la merde que le mien, même s'il était carrément moins jouissif.

C'était une perte de temps au final, et pas qu'à cause des talents d'acteur en carton d'Hunter. On le savait pas, mais on était déjà baisés par la rouquine aux pare-chocs. Pendant que je balisais à m'en fissurer les côtes sur le parking, Vadim se payait nos tronches à poser à Lily des questions auxquelles il avait déjà toutes les réponses.

Maintenant, je sèche. J'ai pas la moindre putain d'idée de ce que je vais pouvoir faire. Et au lieu de trouver un moyen de gérer ce bordel monumental, mon cerveau aliéné préfère faire un focus malsain sur les cuisses toutes fines de Lily, coincées entre les miennes.

Sur la façon dont elle enserre le réservoir de ma bécane avec.

Sur son petit cul en jean, pressé au mauvais endroit.

Sur ses doigts intacts et laiteux, qu'elle a crispés près du commutateur d'allumage, au centre du guidon, pour éviter de perturber ma conduite.

Sympa, mais inutile. Je salue l'effort, mais quoi qu'elle fasse, elle me perturbe. Elle met le souk dans ma vie, dans ma tête, c'est plus fort qu'elle. C'est infernal. J'aurais pas dû la faire asseoir à l'avant de la moto.

Je lui ai demandé de se poser comme ça pour limiter les dégâts au cas où son esprit alcoolisé lui soufflerait de toucher le ciel pendant le trajet. Cette config tiendrait jamais avec quelqu'un d'autre, mais elle est XXS, on trouve difficilement moins encombrant comme meuf.

Le problème, c'est mon nez dans ses boucles, son shampooing de merde qui sent top bon pour ma santé mentale et me dégomme les neurones un par un. Un truc fruité qui accroche l'odorat. Sûrement une connerie qui doit lui couter une blinde en supermarché, mais dont elle pense même pas à regarder le prix. Je me demande ce que ça me ferait si elle foutait son odeur de fille pétée de thune dans mes draps. Pour ça, faudrait déjà que je la mette dedans...

Tu débloques. Va te faire soigner.

Ouais. Elle m'intoxique. J'ai grave besoin d'une révision.

J'écarte le moins brutalement possible sa godasse avec ma botte. Elle capte vite le signal et avance la jambe pour me laisser passer les vitesses. Je pousse le sélecteur vers le faut pour engager la troisième et laisse derrière nous le centre-ville grouillant de drapeaux américains et de fêtards comateux qui ont pas encore saisi qu'on est plus le quatre juillet.

Je dépasse pas les quatre-vingt kilomètre-heure, mais Lily laisse échapper un petit glapissement en entendant le moteur feuler. Je me plaque contre son dos et penche la tête par-dessus son épaule pour choper son expression au vol.

Elle a plissé les yeux pour les protéger du vent et je regrette machinalement de pas lui avoir pris de casque, je suis habitué à me faire flinguer les cornées par la vitesse, mais pas elle.

Elle tourne un peu le menton. Derrière ses paupières à demi-fermées, son regard émerveillé me cueille comme une putain de plante verte. L'haleine froide de la célérité rend ses joues plus foncées. Ça et sa bonne humeur pathologique.

Sa bonne humeur alcoolisée.

Je mets un peu de gaz et grimpe à cent-dix pour tester sa réaction. Un sourire large comme le Texas se met à lui bouffer les lèvres, sa dentition nickel chrome m'éblouit comme un flash. Je cligne des yeux et ma bête à roues fait un écart.

C'est n'importe quoi.

Je reporte mon attention sur la trajectoire avant de quitter définitivement la route. Plus on approche de la frontière Nord, moins le chemin est éclairé. Les lampadaires fonctionnels se raréfient comme le pétrole et au bout d'un moment, il reste plus que la lumière crachée par mes phares. Lily se marre toute seule dans le noir, la tête basculée sur mon épaule droite, ses mèches encombrantes et horriblement soyeuses me balayent la joue.

Elle a pas l'air traumatisée, c'est déjà ça. Elle ressemble à tout sauf à une gamine qui vient de taper la causette avec une pointure du crime. Mon sang se remet à fumer à ce rappel, je la revois à quelques centimètres de cette pourriture, garder mes secrets sans même y penser et écouter son baratin.

Il lui a parlé de Bianca, il a mis sa proie la plus mémorable sur le tapis et, même si Lily est complètement passée à côté de la « blague », j'ai reçu le message cinq sur cinq. Tant qu'elle est là, piégée entre mes bras, elle est intouchable. Tant que je l'ai dans mon champ de vision, je peux faire entrer et sortir l'air de mes poumons à peu près correctement.

Qu'est-ce que ce sera quand je la perdrai littéralement de vue, demain ou après-demain ? Jusqu'où il serait prêt à aller pour me ravoir ? Des arrêts sur images sanglants me cisaillent l'esprit. Je fais défiler la boucle rayée de tous les crimes que je l'ai aidé à camoufler, toutes les exécutions auxquelles j'ai assisté, les mains dans le dos, dans la plus froide indifférence.

Plus celles auxquelles t'as procédé à sa place.

Les phalanges et les rotules que j'ai explosées pour lui, les corps que j'ai fait disparaître, ceux qu'il m'a demandé de laisser bien en évidence pour délivrer des messages percutants. J'ai commencé à le fréquenter y a plus de dix ans et je connais toujours pas ses limites. Pas sûr qu'il en ait.

Est-ce qu'il oserait la toucher ? Et s'il le faisait ? Instinctivement, je resserre les jambes autour d'elle. Même si je le vois mal se risquer à supprimer la dernière Williams, qu'est-ce qui l'empêche de charger un sous-fifre d'aller lui péter les doigts ?

Y a pire s'il veut t'emmerder. Il pourrait aussi envoyer un de ses gars lui rafler son innocence.

Bordel.

Bordel !

Mon estomac se révulse face à l'idée atroce qui vient de me traverser comme une balle. Ma conscience tangue en même temps que la Ducati. Je prends feu, ça me crame l'intérieur. La fureur me taille à nouveau en pièce, comme sur le parking, et je me mets à trembler. Le dernier truc à faire à moto. Je suis même plus certain d'être sur la bonne voie. Un reste de raison me décide à laisser filer quelques kilomètres-heure.

Je suis en train de déconner. Ça me le fait jamais en conduisant. Sur la route, mon cerveau a pris la bonne habitude de décrocher. Il bloque sur le goudron, le marquage au sol réfléchissant, les gémissements du vent. Il me fout la paix.

Mais ça, c'est quand je sens pas le cœur de la fille battre comme un dératé contre mon torse. Quand j'ai pas la bonne idée de l'asseoir à l'avant de ma bécane. Quand je suis pas obligé de me demander si elle finira violée ou refroidie dans un sous-sol à cause de mon entêtement à la con.

Merde !

Ça va pas le faire.

Mon pouls devient cinglé, je le sens partout, dans mes tympans, dans ma paume, à ma tempe... Je sens ma carotide qui pompe plus fort, comme le signe avant-coureur de mes coupures de courant. Je sens le monstre de rage qui squatte ma poitrine se faire les griffes et me déchiqueter. Je transpire. L'arrière de ma chemise me colle comme une algue visqueuse. Je me démène pour planter les ongles dans la réalité, je m'y accroche comme je peux, mais j'ai plus de chance d'enfermer de la bière dans mon poing.

Je serre les dents et plisse les yeux. Le coin est désert, faut que je passe au point mort. Je vois flou. Il fait trop sombre. Je vais finir par nous buter.

Le rythme cardiaque en cavale, je me dépêche de relâcher l'accélérateur. Avant que j'aie pu taquiner le frein arrière du pied droit, Lily s'agite sur la selle et polarise ce qu'il me reste d'attention. Elle retire une main du guidon et, pour une raison qu'elle est la seule à connaître, fourre son index dans l'un des trous de mon jean et effleure mon genou. Effet immédiat. Dans mon thorax, la bête se casse la gueule et retourne pioncer dans sa niche.

Je reprends le contrôle du véhicule et de mon esprit malade en respirant à fond par le nez. Le parfum sucré de ma passagère me nettoie les poumons d'une suie imaginaire. Je vire quand même son poignet et repose ses doigts de filles sur les commandes avant qu'elle nous expédie tous les deux dans le décor.

Une fois recentré sur ma voie, je rumine le choc de ce qui vient de m'arriver. Une première. Je garde toujours la tête froide quand je roule. Faut croire qu'elle m'a enlevé ça aussi.

Qu'est-ce que je vais faire d'elle, putain ?

Après ce qui s'est passé au club, il aurait fallu que je laisse Diego la ramener chez elle au lieu de l'embarquer sur ma moto, ça aurait été la meilleure chose à faire. La seule, même. Je peux encore l'y déposer, je vais pas tarder à doubler le domaine, un kilomètre et j'y suis. C'est pas l'enthousiasme qui m'étouffe, mais on s'en tape.

Par contre, si je fais ça, si je la rends à Williams, y a intérêt à ce que ce soit définitif. Plus moyen de retourner l'emmerder quand je suis en manque d'elle ou de me servir de mon pseudo-job là-bas pour reprendre ma dose. J'enverrai Hunter chercher mon bordel au garage et je refoutrai plus jamais une semelle dans cette propriété.

Plus qu'une quarantaine de mètres. Mes tripes se tordent de protestation face à ce qui se profile. Pas plus emballé qu'un type qui s'apprête à poser son cul sur la chaise électrique, je fixe d'un œil sombre le portail en fer forgé qui va gratter le ciel, les cocotiers tape-à-l'œil qui dépassent de la façade et la baraque démesurée.

Je la gicle ou pas ?

Putain, j'en ai pas envie.

De toute façon, Lily choisit ce moment décisif pour faire mumuse avec mon klaxon. Le bruit m'explose les oreilles et j'oublie de m'arrêter. Je dépasse l'entrée prétentieuse sans la calculer. Après, c'est pas comme si y avait embouteillage, je peux encore faire demi-tour sans problème.

Retournes-y. Pour une fois dans ta putain de vie, fais ce que t'as à faire.

Non. Flemme.

C'est bon, je connais la chanson. Ce plan foireux-là, j'ai déjà donné, ça prend plus. Je la traite comme un torchon, elle s'accroche quand même parce qu'elle est complètement givrée et il lui faut pas dix minutes pour foutre mes résolutions à l'eau. Où est l'intérêt, je sais très bien que je tiendrais pas.

Je redonne du peps à mon compteur de vitesse, l'italienne de carbone vibre plus fort entre nos jambes et Lily achève de bousiller ma détermination en s'appropriant mon poignet. Elle joue quelques secondes avec le bracelet de ma montre et vu que je réagis pas, elle finit par poser timidement les mains sur les miennes, comme pour se donner l'impression qu'elle pilote aussi.

Ok, elle est marrante.

Je me penche encore une fois par-dessus son épaule et guette son expression. L'air gelé lui fait chialer les yeux, mais elle s'acharne à les garder grands ouverts. J'hésite qu'un instant avant de choper ses doigts trop parfaits pour les enrouler autour du guidon et refermer les miens dessus.

Oublie le contrôle technique, Walters. T'es bon pour la casse.

Je longe la côtière comme ça, sans accorder un œil à la mer en bordel. La caravane de Diego est complètement au Nord, lui par contre, aucune idée. Pas moyen de savoir s'il est à la traîne loin derrière ou s'il a une longueur d'avance. Je partirai sur la première option. Il a dû s'engouffrer dans l'île, il aime pas se taper la route littorale de nuit, c'est pas assez éclairé pour lui.

Je m'accorde un temps mort. J'essaye de plus me prendre la tête avec ce qui s'est passé pendant dix minutes. Je me foire. J'ai pas parcouru cinq kilomètres que je me remets à cogiter. J'avale les bornes en me repassant les morceaux décousus que Lily est parvenue à nous rapporter de sa conversation alcoolisée avec Vadim.

« Il m'a demandé si t'étais amoureux de moi ».

Je grince des dents.

J'ai du mal à comprendre pourquoi je fais une fixette là-dessus. Peut-être à cause du malaise qui m'a pris quand elle m'a balancé ça à la gueule en me braquant avec ses grands yeux polis et vides de vices. Ou parce qu'elle a violemment pris des couleurs en me répétant ces conneries sur un ton d'excuse.

Elle avait pas à se sentir gênée, c'est pas elle qui a pondu cette aberration. Par contre, ça ressemble bien à ce taré de déblatérer des merdes pareilles. C'est compliqué à expliquer, mais il a toujours eu ce côté « romantique » qui me débectait déjà à l'époque. C'est plus le mélodrame que la romance qui l'excite, à mon avis, mais j'imagine que l'un va pas sans l'autre.

Il pousse le délire un peu loin, là. J'aimerais bien savoir ce qui s'est passé dans la tête de Lily à ce moment-là. Putain, j'arrive pas à croire qu'il lui ait demandé un truc pareil ! Si ça lui a paru ne serait-ce qu'un tout petit peu réaliste quand il l'a prononcé à haute voix, c'est qu'il est encore plus perché que je le croyais. Comme si les types comme nous étaient capables d'éprouver des pulsions aussi propres.

Niet. Ça, c'est pour les gens cleans, ceux dont le cerveau tourne à l'endroit et dont les mains empestent pas l'odeur fictive du sang de toutes leurs victimes. Lily y aura droit un jour avec quelqu'un, y a pas de raison. Elle est la cible rêvée pour ce genre de folie. Elle mettra pas longtemps à croiser un gars qui aura le coup de foudre pour elle et je l'aurais tellement habituée à rien qu'elle pourra que se réjouir de la plus petite attention.

Et probablement qu'elle ressentira aussi ce genre de certitude pour un mec à un moment ou un autre, quelque chose de définitif et de quasiment irréversible. Cette possibilité – forte probabilité – est pas loin de me causer un ulcère. Je dois m'obliger à détendre les muscles avant de lui broyer les doigts sans y penser.

Je sais pas qui touchera le Jackpot, mais j'ai pas besoin de connaître ce petit merdeux pour l'avoir dans le collimateur. Je connais même pas encore son visage que je crève déjà d'envie de l'aplatir sous ma botte et de le bousiller. Je ferais rien. Ça me regarde pas. D'ici là, je serais sûrement en taule et elle à la fac.

En attendant, je vais prétendre qu'elle est à moi. C'est pas le cas, mais je me gêne pas pour faire illusion. Je détache ma main gauche de la moto en espérant que celle de Lily que j'ai laissée sans surveillance n'essayera pas de prendre les commandes. Je sens ma passagère trembler quand j'enroule le bras autour de son ventre par-dessus son chemisier. Je crois qu'elle baisse le regard pour vérifier ce que je fais.

On commence à contourner les docks à l'abandon. En dehors de quelques camés errants qui s'en servent comme planque, plus personne fréquente cette zone morte. Les machines délaissées tombent en ruine et s'entassent dans les coins avec trois tonnes de déchets et de canettes écrasées, la saleté s'accumule et grignote l'espace comme partout dans le secteur et la lune se réverbère fadement sur des flaques d'huiles.

À l'occasion, ils organisent des soirées défonce dans la zone. Là, y a pas âme qui vive.

Au lieu de garder le cap, je me déporte sur la gauche et fais un léger détour pour traverser le vieux port. C'est complètement con, une vraie perte de temps. On a qu'à dire que je laisse de l'avance à Diego. À l'avant, Lily retient brutalement son souffle quand je nous insère dans l'espace quasi inexistant qui sépare deux conteneurs défraîchis.

Les parois rouillées des caissons métalliques se referment sur nous comme des murs et nous frôlent en sifflant sur dix mètres, juste ce qu'il faut pour donner le frisson à une débutante. Je sais ce que je fais. Je sens Lily inspirer plus que je l'entends, les petits muscles discrets de son dos se crispent contre moi.

En jetant un œil à son visage, je dois me mordre la joue pour ravaler l'espèce de sourire qui cherche à taper l'incruste sur mes lèvres. Elle est à deux doigts d'avaler une mouche. Juste pour voir où se situe son seuil de tolérance, je resserre ma prise autour d'elle, presse l'accélérateur et fonce droit sur un autre conteneur.

T'as vraiment rien à foutre de ta vie.

J'y vais franco, je donne l'impression de vouloir nous encastrer dans la façade. Lily essaye de reculer sur le siège, mais à part me coller de plus près, y a pas grand-chose qu'elle puisse faire. Tout son corps se tend instinctivement pour anticiper la collision, ça s'arrête là.

Elle crie pas, elle se débat pas non plus. Elle attend de voir. Elle a même pas l'air d'avoir peur. Zéro réflexe de survie, cette mioche. Je comprends mieux pourquoi elle me colle aux basks'. L'obstacle enfle, le cœur de la fille décolle en mode Boeing.

Deux secondes avant l'impact, je braque le volant d'une main ferme, la roue arrière dérape un peu sur le sol défoncé, le cul du véhicule vire violemment à gauche pour calquer le mouvement et Lily éclate de rire.

Son rire est loin d'être aussi désagréable que ceux des autres meufs qui ont tendance à me coller la migraine. Elle a quand même un grain. Et moi aussi vu que je suis obligé de coller ma bouche dans le col de son haut pour écraser mon rictus amusé. Elle est forte, putain.

Je quitte les Docks et regagne la route principale en faisant rugir le moteur pour zéro raison comme le dernier des abrutis. Sur la dernière ligne droite, le bitume se fait encore moins praticable, mais la pente devient légèrement ascendante. Ça me donne une sale idée.

Je me mets en deuxième et reprends le contrôle à deux mains sans décélérer. J'incline le buste en avant, obligeant Lily à faire la même, et fais basculer notre poids vers le tableau de bord. Là, je tire sèchement sur le guidon et débraye, monte jusqu'au régime de puissance maximale et donne un petit coup de cirette pour décoller ma roue avant de l'asphalte.

La Ducati me fait pas attendre, elle se cabre violemment. Je la lève au max sans dépasser le point d'équilibre, un pied sur le frein arrière. Aspirée par la gravité, Lily glisse direct sur la selle et s'écrase sur moi. Je l'avais anticipé.

Je tends et bande les bras pour nous soutenir. J'ai pas de mal à faire tampon alors qu'elle émet un bruit tordant, comme une inspiration d'agonisant, et je crois l'entendre gueuler « c'est illégal ! », mais la seconde d'après elle recommence à se bidonner toute seule. Impossible de déterminer si c'est l'adrénaline ou la picole qui parle. Sûrement un peu des deux.

Tous les muscles braqués, je joue du frein et de l'accélérateur pour maintenir la position sur la distance.

Tu frimes ou je m'y connais pas ?

C'est clairement de la frime.

Un Wheeling, sérieux. T'as quel âge putain ?

J'ai arrêté de jouer les acrobates sur mon italienne vers quinze-seize ans, ça fait un bail que ce genre de clowneries m'amusent plus et je suis pas loin de considérer ces figures comme une activité de blaireau en rade d'attention. Même le freestyle m'emballe plus.

Par contre, ma passagère est pas aussi blasée que moi, mon turbo au feu qu'elle trouve ça fun. Je prenais bien mon pied, au début. Autant qu'elle profite de la balade, même si elle est probablement trop bourrée pour en garder un souvenir net. Elle doit pas voir de bouffonneries de ce style ailleurs que sur un écran.

C'est sûr que c'est pas son futur mec qui la fera tripper à moto sur une nationale instable, sans casque, à quatre heures du mat'. Tu gères.

Je taquine le frein arrière de ma botte pour reposer la roue à terre sans collision. Je crains pas de perdre l'équilibre, plutôt de niquer mes joints spi.

On y est. Diego a intérêt à être là, je compte pas poireauter devant sa porte. Je ralentis en captant l'odeur de sable mouillé et les délimitations approximatives du camp de mobile-homes dans lequel il crèche. Je finis par freiner et poser pied à terre pas loin du « garage ». Une espèce d'enclos grillagé dans lequel ils parquent leurs véhicules à deux balles.

Je déteste me garer là, j'évite quand je peux. Je pourrais m'introduire dans cette remise pour chourer chacune de leurs bouses à moteur les yeux fermés si ça me disait.

Ça me dit pas, mais rien ne me certifie qu'un des clodos qui squattent ce coin paumé sera pas tenté par mon bijou. À elle toute seule, la bécane vaut plus que tout leur bordel réuni. J'ai pas déboursé un sou pour pouvoir l'enfourcher, mais c'est pas la question.

Sans lâcher le guidon, ni les mains de Lily qui s'y cramponnent encore, je pose un œil méfiant sur la porte entrouverte du local qui s'agite mollement avec le vent. Pas loin, une bête de cadenas craqué traine dans le sable comme un bon gros fuck.

Putain.

Je vais pas me garer là, si ?

Dans ce cas, laisse Lily et casse-toi.

C'est ça, ouais.

Je pourrais la ramener chez moi.

Essaye d'être un peu plus con, juste pour voir.

Qu'est-ce qu'elle viendrait pioncer chez Diego, je capte mal la logique. Il a qu'un seul pieu.

Toi aussi. Et t'as le bordel d'Hunter en prime. Ses fringues sales, ses magazines pornos et ses restes de bouffe puants qui traînent partout.

Ouais, non. Idée de merde.

J'ai à peine renoncé à ce plan foireux, mais méchamment attrayant, que la voix fluette de mon problème s'invite dans le silence.

- Royce ? Est-ce qu'on descend pas ? elle demande patiemment en se dévissant le cou pour m'interroger du regard.

Je prends pas la peine de répondre, je me détache simplement d'elle pour lancer une jambe par-dessus la selle et me lever. Elle galère un peu à m'imiter et réussit à se prendre le pied dans la couronne de transmission.

J'essaye de pas juger en gardant à l'esprit qu'elle a un coup dans le nez, ça m'empêche de souffler pour la forme quand elle trébuche sur son propre lacet et manque de se gameler bien comme il faut. Je la rattrape, histoire de lui éviter de s'entailler les genoux sur les fragments de bouteille de bières éparpillés que je vois briller dans le noir et la remet debout en me dispensant de commenter.

Deux secondes plus tard, je suis accroupi comme un con à refaire le nœud de ses pompes. Je serre fort pour lui éviter de se casser la gueule et me défouler. Je dégage sa main curieuse quand elle profite de ma positon pour me la passer dans les cheveux.

- Je suis plus grande que toi, elle se marre d'en haut.

Ok.

Je me relève sans épiloguer, tire son sac à dos de gamine du boîtier de mon véhicule et le lui fous sur le dos avant de la contourner.

La grille du local émet une espèce d'avertissement sinistre quand je la pousse, je traîne quand même mon véhicule et une Lily bizarrement silencieuse à l'intérieur de ce foutoir. Dedans, des relents de pisse de chien se mélangent aux odeurs de mécanique et il fait plus noir que dans un cercueil.

D'ailleurs c'en est un, tous les engins qui pioncent ici méritent des funérailles bas-de-gamme. Je tape dans deux trois canettes vides qui traînent sur mon passage avant de trouver une case libre. Je cale ma bestiole à moteur entre une mobylette Honda dégueulasse et un vieux VTT qui devait vaguement avoir de l'allure sous Bush père.

Lily me colle au train pendant que je double l'antivol. J'en garde toujours deux sur moi pour des endroits comme celui-là. Je fais passer les chaînes au-dessus des étriers de frein et je case dedans deux fourreaux de fourche et un bâton de roue.

Je vois rien à ce que je fais, je me démerde pour boucler les cadenas à tâtons en me demandant ce que cherche Lily en chiffonnant ma chemise entre ses doigts. Je laisse couler et me focalise sur ma tâche.

- Royce ? elle m'appelle en chuchotant. J'ai vu quelque chose bouger là-bas.

Elle pointe du doigt une zone d'ombre au fond de l'enclos, mais je regarde même pas. Je suis trop occupé à ne pas faire de blocage sur la façon dont son accent british déforme mon blaze. Ça me casse les couilles qu'elle le prononce dès que ça lui chante. Je peux compter sur les doigts d'une main les gens qui utilisent ce prénom de merde pour attirer mon attention, mais Diego et Hunter me donnent pas l'impression de boire la tasse quand ils le font.

- Royce...

Ça recommence.

Comment elle s'y prend pour me rendre faible avec cinq putains de lettres ?

- Quoi, t'as peur des rats ? je la nargue en testant la solidité de mes chaînes pour éviter de sur-analyser les réactions absurdes qu'elle provoque en moi pour des motifs encore plus branlants.

Elle agrippe toujours mes vêtements comme une noyée, je suis obligé de lui jeter un coup d'œil. Je plisse les yeux en tentant d'analyser son expression. J'y vois quasiment rien, mais elle a vraiment pas l'air bien. Elle a la respiration bégayante, elle cligne des yeux deux fois trop vite et jette des regards inquiets autour d'elle, l'air aussi rassurée qu'un mec surendetté qui dîne avec ses créanciers.

- Non les rats sont gentils et ils savent cuisiner comme Rémi, elle répond sur un ton extrêmement sérieux, comme si j'avais le décodeur pour traduire ses divagations. C'était pas un rat que j'ai vu, c'était quelqu'un.

- T'as vu un type bouger, je reformule platement en posant un regard sceptique sur la zone qui la flippe. Ici ?

- Oui. Peut-être. Non, je ne l'ai pas vu parce qu'il fait trop noir, mais justement, c'est possible que quelqu'un ait bougé sans qu'on le sache. Est-ce qu'on peut sortir, s'il te plaît ?

Je me détourne complètement de ma Ducati pour concentrer mon attention sur la petite blonde stressée qui s'accroche à ma chemise. C'est vrai qu'elle supporte mal les endroits sombres, j'avais zappé ce détail. Je décroche un à un ses doigts de mes vêtements pour coincer ses deux micro poignets dans une seule de mes mains.

- De quoi t'as peur ?

Je connais déjà la réponse. Elle se défile pas et confirme cash :

- Du noir.

J'ai pas besoin de lumière pour deviner qu'elle rougit en me livrant sa vérité.

- Pourquoi ? je creuse.

- Parce que... On ne voit rien, on peut se faire attaquer.

- Tu crois que je laisserais quelqu'un t'attaquer ?

Je suis pas loin de trouver ça vexant. Elle me regarde droit dans les yeux, puis descend fixer l'endroit où je la tiens pour revenir chercher mon regard, l'air un peu perdue. Au bout de dix secondes, elle secoue la tête.

- Non.

Bonne réponse.

- Viens, on se casse de là.

Je la pousse vers la sortie parce que ça me plaît moyen de la voir trembler et que ce cagibi puant commence à réveiller mon côté claustro. Les premières caravanes commencent à une bonne cinquantaine de mètres. C'est plus fort que moi, en l'entrainant vers le camping permanent, je fais remarquer, acerbe :

- T'as peur du noir, mais les psychopathes, c'est tranquille. Tu tapes même la discute avec.

- Les psychopathes comme Vadim, tu veux dire ?

Ça va, pour une meuf pompette, elle percute assez vite. Par contre, je supporte très mal d'entendre sa bouche d'enfant de chœur mentionner le nom de ce déchet humain. J'acquiesce en faisant crisser mes molaires. Elle fait une halte et se baisse pour ramasser un coquillage. Ce qu'elle croit être un coquillage. Je lui arrache la boucle de ceinture rouillée avec laquelle elle joue.

- Je ne trouve pas qu'il soit très effrayant, elle balaye avec un haussement d'épaule insouciant.

Sans déconner.

Je la regarde essayer de piéger son ombre avec des gestes vifs qui visent à l'en détacher en m'interrogeant pour la quinze millième fois sur ce qui cloche chez elle. Les filles de son espèce sont pas supposées être aussi... étranges, encore moins attachantes. Elles sont lisses et prévisibles comme des Twingo, bonnes qu'à tringler pour enculer leurs vieux. Elles vont pas se jeter dans les bras des pires ratés de la société à part pour se prouver qu'elles ont sont capables.

« Elle l'a menacé ». C'est ce qu'a dit Hunter. « Elle lui a balancé presque cash que s'il te mettait dans la merde, elle enverrait son oncle le buter ». Je suis encore sur le cul. Ça joue les petites filles modèles pour contenter sa daronne le matin et ça provoque des mafieux le soir, on est bon. Je sais pas quoi penser de ça.

Je devrais même plus être surpris, c'est pas la première fois qu'elle sort une dinguerie de ce genre, mon agent de probation a déjà fait les frais de ses quelques milligrammes de mauvais caractère. J'ai buggé le jour où elle a viré ce tas de graisse de chez eux assez salement pour le faire abdiquer. Ce délire bizarre qu'elle a à vouloir me protéger, c'est le truc le plus absurde que j'ai jamais vu.

Tu voulais dire touchant ?

Juste absurde.

- Je trouve que tu fais plus peur que lui, des fois, reprend Lily en s'arrêtant pour fixer le rivage sur notre droite.

Je me ramasse sa réplique à la gueule comme une droite bien envoyée. Ma cage thoracique prend un sale coup de froid et ma salive devient indigeste. Quoi, je lui fais peur ? Cette éventualité me fait pas plus de bien que si je m'étais ramassé un cardan ou une rotule de direction sur la tête.

Lily est toujours occupée à mater les vagues mal éclairées qui roulent sur la plage comme si elle venait pas de me niquer le moral. Je me plante face à elle sans m'inquiéter de lui bouffer la vue et case mes mains au fond de mes poches.

- Je te fais peur ?

C'est vrai que ce serait surprenant, c'est pas comme si t'avais tailladé un mec sous ses yeux y a deux jours.

Elle m'étudie avec ses yeux trop bleus pour son bien, un petit v de concentration en haut du nez.

C'est pas compliqué, putain. C'est oui ou c'est non.

- Est-ce que tu aimerais ? elle se renseigne sans me lâcher du regard.

Je fronce les sourcils.

- Quoi ?

- Est-ce que ça te plairait que j'ai peur de toi ?

C'est quoi ce délire ?

Je suis mal.

- Non.

- Ah.

Là, entre deux palmiers bossus, elle me rend mon souffle sans même y faire gaffe :

- Non, tu me fais pas peur, je parlais juste pour les autres. Quelque fois, t'es un peu... Pourquoi j'aurais peur de toi, moi ?

J'ai même pas le temps de digérer sa franchise rafraîchissante qu'elle me contourne comme un plot et s'excite :

- Eh ! Tu veux qu'on se baigne dans la mer ? S'il te plaît, on peut ?

Ah ouais, d'accord.

Elle me désigne l'océan de l'index, comme si je risquais de pas comprendre à quoi elle fait allusion. Je fais semblant de considérer la question.

- Je sais pas, t'as envie de te foutre à poil ? je la bouscule de mon timbre de connard.

Silence. Ses jolies lèvres forment un mini « O » choqué sur lequel je m'interdis de bloquer, ses yeux de biche s'agrandissent.

- Vas-y. Déshabille-toi, je te suis, je pousse en me mordant la lèvre pour empêcher mon rictus de prendre forme.

Son visage prend un violent coup de soleil et elle se détourne sur un vague « non, c'est bon ». Gentille fille. Bourrée oui, mais pas stupide, la gamine. J'envoie promener mon regard plus loin, devançant mon cerveau de mâle attardé qui cherche à lui retirer ses fringues en pensées.

- On bouge.

Le tapage que fait le ressac nous poursuit jusque dans la zone d'habitation, encore plus chiant qu'un moteur Diesel en fin de vie.

Entre le bruit des vagues et le crissement infâme que produisent les insectes nocturnes en planque dans les buissons, je vois pas comment Diego se démerde pour fermer l'œil dans ce trou perdu. Quand je pense que je suis pas capable de débrancher si j'entends l'eau goutter dans le lavabo de ma salle-de-bain.

Je fréquente rarement le coin et quand les ignobles couleurs pastel des roulottes dépareillées, se mettent à me détruire les rétines malgré l'obscurité, je me rappelle pourquoi. Diego vivait déjà ici quand il était gosse, avec ses vieux et l'autre emmerdeuse.

Ses parents ont vendu la caravane et leur parcelle avant de se barrer et il s'est arrangé pour les racheter à peine sorti de taule en espérant reconquérir sa frangine. D'après ce que j'ai cru comprendre, le nouveau proprio était pas emballé pour vendre et il s'est fait un bon paquet de fric pour un carré de sable et un cabanon qui valent pas grand-chose.

Cet endroit pue la merde. Seulement au sens métaphorique, c'est déjà ça. Les palmiers plantés n'importe comment gangrènent l'espace comme une espèce de mauvaise herbe volumineuse, ça accentue l'effet jungle de la zone.

La boîte de conserve à taille humaine de Diego est tout au fond, on n'a pas d'autre choix que de se taper tout le parc. On peut pas marcher sans se prendre le pied dans une trottinette ou autre babiole de môme, les jouets s'entassent dans le sable entre les « porches ».

Vu la quantité de bibelots et de sapes miniatures qui sèchent sur les fils à linge, ça doit être ingérable la journée, quand les demi-portions à qui appartiennent toutes ces merdes sont debout.

Y a encore de la lumière à certaines « fenêtres », on voit plus où on pose les semelles. On croise pas grand monde. Un mec en survêt qui pionce dans un hamac et un groupe de gitans en train de faire des grillades derrière leur mobile-home. À quatre heures du mat'. Ça sent fort l'animal mort, c'est toujours mieux que l'odeur de citronnelle qui flotte dans le reste du camp.

Je serre les dents en dépassant une Cobra 63 complètement désossée. Des barils d'essence, des glacières abandonnées et des chaises en plastoc défoncées s'entassent dans les coins. C'est le gros bordel, mais sans trop de surprise, Lily trouve quand même le moyen de s'extasier en silence.

Elle avance d'un bon pas en tirant sur les bretelles de son sac-à-dos en peluche comme un petit scout. Entre ses longs cils clairs, ses yeux s'ouvrent plus grand pour détailler l'environnement et les coins de ses lèvres remontent avec enthousiasme.

Quand un chien au pelage douteux vient lui renifler le genou, elle tend naturellement le bras pour le toucher et je suis forcé de la tirer en arrière avant qu'elle aille foutre ses doigts dans ce nid de puces. J'écarte la bête avec mon genou et la fille me jette un regard offensé auquel je prête à peine attention.

Sans se démonter, elle se penche pour ramasser un cerceau qui traine. D'un coup de godasse, je vire le jouet de notre chemin, toujours sans calculer la moue agacée de mon accompagnatrice. Je finis par la choper par la main, c'est plus simple. Plus radical.

Je resserre ma poigne par prévention, au cas où elle veuille se dégager, mais ça semble pas lui effleurer l'esprit. Son air renfrogné fond plus vite qu'un cube de glace sous cent degrés Fahrenheit. Son regard trop expressif agrippe le mien et elle s'arrange pour imbriquer ses doigts avec les miens.

J'ai pas la force, putain.

Je fais de mon mieux pour pas remarquer qu'elle s'amuse à calquer son pas sur le mien et pour la trouver chiante quand je le remarque quand même. Je devrais la trouver chiante. Si c'était quelqu'un d'autre, ça fait trois plombes que je l'aurais dégagée.

Au lieu de ça, je me décale sur la gauche pour lui cacher le type qui se fait sucer à quelques mètres, adossé à un camping-car, le froc sur les chevilles.

Je me taperais bien une barre en guettant sa réaction si elle crame ce qui se passe et en général, ça m'amuse de la voir rougir, mais je préfère lui éviter le trauma de voir une meuf à genoux faire de la gorge profonde sur un type qui a l'air de confondre sa bouche avec sa chatte.

De toute façon, elle est trop distraite par l'espèce de gros cageot en suspension dans un arbre qu'elle zieute avec une expression de joie pure pour remarquer autre chose.

- Royce ? Y a une cabane !

- Ok.

- On peut y aller ?

- Non.

J'évite de regarder dans sa direction, si je me laisse aller à croiser ses billes bleues suppliantes, je serais fichu de la faire grimper dans les branches. Je résiste trois secondes avant de reposer les yeux sur elle.

Elle a un peu détourné la tête. Ses commissures tirent légèrement vers le bas et elle fronce ses sourcils pâles. Ça fait un léger creux entre les deux et je dois me retenir de passer le doigt dessus. Je rêve ou elle boude ? Même quand elle boude, elle est mignonne.

Pends-toi ou fais quelque chose.

- T'as quel âge, bordel ? Dix ans ? je la tacle pour faire bonne figure et enterrer cette dernière pensée flippante.

- Et toi, pourquoi t'es vieux dans ta tête ? elle me renvoie du tac au tac.

Ça taille.

Je plisse les yeux et les baisse sur elle, pris de court.

- Développe, je lui tends le bâton pour me faire battre par simple curiosité.

- Tu veux pas danser dans des boîtes de nuit, tu ne rigoles jamais aux blagues et tu n'écoutes pas de musique dans ta voiture. C'est quand le dernier film que tu as regardé ?

Rambo, quand j'avais huit-neuf ans.

Je la ferme en réfléchissant à ce qu'elle vient de dire et elle rigole doucement comme si je venais de confirmer sa théorie de génie :

- Tu vois ? T'es jeune, mais t'es vieux. Tu sais pas t'amuser.

Chaud.

Elle m'a coupé la chique, je suis scotché. Je vois ce qu'elle veut dire globalement, même si ses arguments sont pourris. Ce qu'elle peut pas comprendre, c'est que le contrôle et l'austérité sont pas là pour faire beau. Ils sont plus en option, pour moi. J'ai pas toujours été aussi rigide, mais ça m'étonnerait qu'elle ait envie de connaître le Royce qui se lâchait.

Un cocaïnomane de dix-sept piges complètement allumé qui tirait à blanc dans les foules pour se distraire, massacrait des mecs sur l'octogone, puis les arbitres qui tentaient de s'interposer, et s'enfilait les meufs ou les filles de ses ennemis pendant ses plages libres.

Non, elle a même pas besoin de savoir que ce mec existe.

Ce que tu veux dire, c'est que toi, t'as pas besoin qu'elle le sache.

Je mets une quarantaine de secondes à retrouver mon répondant.

- Tu te trompes, y a bien des trucs qui m'amusent, je lâche d'une voix traînante en repérant la bonne caravane.

Celle de Diego est un peu moins gerbante que les grosses boîtes saumon ou violette qu'on a pu croiser, mais c'est toujours pas ça. Elle a toujours l'avantage de pas être repérable à trois kilomètres. La lumière éteinte et les stores baissés m'arrachent un soupir agacé. Qu'est-ce qu'il branle, il fait un détour par Miami ou quoi ?

- Comme quoi par exemple ? s'intéresse Lily en appuyant le menton sur la rambarde du court escalier qui permet d'accéder au mobile-home fermé.

- Pas des choses pour les filles qui veulent monter dans les cabanes ou faire du cerceau, je la rembarre sans raison en fouillant le pot de fleur ringard qui occupe le perron préfabriqué.

C'est là que Diego planque son double quand il y pense. Il y a pas pensé.

- Oh.

C'est tout ce que Lily trouve à répondre. J'ai balancé cette pique pour plaisanter, je pensais même pas qu'elle allait capter la vanne, mais elle a l'air de le prendre personnellement. Elle fait deux pas en arrière, passe une main nerveuse dans ses boucles et fuit mon regard comme la peste.

Merde.

C'était trop dur de fermer ta grande gueule ?

Elle referme les bras sur sa poitrine et reluque le vide comme elle le fait parfois, paumée dans le labyrinthe de son esprit bancal et incompréhensible. Faudrait que je rectifie le tir, mais je vois pas comment. Je préfère largement quand elle déconne et me sourit pour rien. Je serais même prêt à la faire monter dans sa cabane de merde si c'est ce qu'il faut pour virer ce truc mélancolique de ses yeux.

- Détends-toi, je me foutais de ta gueule.

Les filles sont des petites choses susceptibles, Lily fait exception pour pas mal de choses, mais pas pour ça.

- Non, tu le pensais, elle lâche à voix basse, toujours sans me calculer. Et je sais très bien de quoi tu parles. Les choses qui t'amusent, c'est pour les blondes, les brunes et les rousses.

De quoi ?

- T'es blonde.

J'ai rien trouvé d'autre, mais ça devait pas être la bonne réponse parce qu'elle gonfle les joues et souffle en levant les yeux au ciel comme elle se le permet jamais sobre.

- Tu comprends rien.

Clairement, y a un truc qui m'échappe. Et je m'entends pas cogiter à cause du bruitage de poulailler que je perçois dans mon dos. Je me retourne et il me faut pas trente secondes pour repérer les deux pré-ados à l'origine de ce son emmerdant.

Elles sont perchées à la fenêtre de la boîte de conserve voisine dans leurs débardeurs microscopiques et nous matent en gloussant comme si on était leur feuilleton à deux balles du dimanche. En voyant qu'elles sont grillées, elles explosent de rire comme des petites connes.

C'est pas censé dormir, à cette heure-là ?

Bordel, mais il se magne, l'autre ?

- Eh ! Psst. Psst, fait l'une des mioches en faisant signe à Lily d'approcher.

Je crois délirer quand elle me fait faux bond pour rejoindre les deux attardées, le petit sourire engageant et poli qu'elle réserve aux inconnues retrouve rapidement le chemin de ses lèvres de poupée malgré son état d'ébriété avancé. Je dois lutter pour pas la retenir et la rapatrier contre mon flanc.

Laisse-lui de l'air, Walters. T'es étouffant.

- Salut, t'es nouvelle ici ? On te connaît pas. Je m'appelle Kimberley, mais on m'appelle Kimi et elle, c'est Lara. Toi, c'est quoi ton nom ? Attends, c'est un vrai Ralph Lauren, ton haut ? T'es riche ou quoi ?

Putain, la plaie.

- Je suis... Je m'appelle Lily, souffle la seule personne civilisée du coin pendant que je leur tourne le dos pour passer les doigts sur le chambranle de la porte d'entrée.

Il l'a foutu où, cette putain de clé ?

- T'es au lycée ? T'as trop de bol d'être dehors à cette heure-là, nous on a que la permission de minuit. C'est qui le mec avec toi ? Il est trop putain de frais, continue de piailler la gamine qui a pas l'air de piger que j'entends toutes leurs conneries.

Sans commentaire.

Je m'accroupis pour soulever le paillasson ridicule décoré de personnages de dessin animés jaunes et assez dégueulasses. RAS. Ça recommence à pouffer derrière moi, j'ai pas la patience. Cette nuit est vraiment en train de virer au n'importe quoi. Je suis dans la quatrième dimension.

- Mais grave, moi aussi, je me le tape.

Elles vont se taper que dalle, elles ont quoi, treize ans ? Quatorze ? Elles ont une idée de ce qu'elles disent ? C'est menstrué, à cet âge, déjà ? Je veux même pas savoir.

J'ai envie d'une clope.

Au lieu de m'en griller une, je sors, puis rallume le portable que j'ai éteint pour plus le sentir vibrer comme un dingue et éviter que Williams fasse sauter ma messagerie avec son insistance. J'ai onze appels en absence de cet enculé et trois messages vocaux que je dégage direct.

Je fouille mes poches pour en tirer ma recharge téléphonique et une pièce de monnaie pour gratter la zone grise.

- C'est ton petit-ami ? vérifie une des deux petites.

Je tends l'oreille comme le dernier des cons en flashant le QR code que je viens de déblayer. Je suis pas déçu.

- Oui, répond Lily sans hésiter une seconde.

C'est bon à savoir.

Elle doit aussi partir du principe que je suis sourd.

Impossible de rester de marbre. Je résiste à l'envie de me retourner. Je me passe une main en bas du visage pour annuler le rictus satisfait et hors de propos qui vient squatter mes lèvres.

- Ah oups, déso. Et Diego ?

Ça se remet à pouffer, on se croirait à la maternelle.

Williams rappelle, je le bascule d'emblée sur messagerie. Il va finir par percuter.

- Diego quoi ? demande ma « petite-amie ».

Je secoue la tête tout seul tellement le qualificatif est à mourir de rire.

- Ben, Diego Lopez, le mec qui vit en face. Tu le connais ? Il est célib ? l'interroge une des mômes entre deux caquètements gênants.

Ok, je vois le genre.

J'ouvre la liste de contacts et cherche « le mec qui vit en face » pendant que les deux créatures se lâchent dans mon dos.

Moi : T'as l'intention de passer la seconde à un moment ou faut que je sorte le sac de couchage ?

- Lara, t'abuses. Non, mais lui réponds pas, c'est trop une obsédée, elle a des fantasmes crades sur ce gars. Et Lara, je lui dis ou pas ?

- De quoi ? Non... Bon Ok, vas-y.

Diego : Les sacs de couchage*, prends pas la confiance. Je suis plus très loin.

- L'autre jour, elle l'a vu avec juste une serviette. Depuis, elle rêve de lui.

Moi : Tu fais des stripteases à des mineurs pendant ton temps libre ?

Diego : Mec, t'es pas bien ? Je suis au volant.

- Kimi ! Attends, mais la vérité, vous avez vu ses abdos ou pas ? Et ses tattoos, vous les avez vus ? Je kiffe trop la croix sur son torse. Je rigole même pas, il me donne des frissons. Toi, tu le trouves comment ?

- Qui ? s'incruste le timbre pur de Lily au milieu du bavardage de cassos que tiennent les deux autres.

- Diego. Il est sexy, non ?

- Ah. Eh bien... Je suppose que oui, d'un point de vue strictement objectif, il est... charmant.

Je joue avec le muscle de ma mâchoire pour me distraire. Je le sors, je le rentre, je le sors et je recommence.

C'est bon, leurs gamineries, c'était fun deux minutes – et encore -, là, ça m'a soulé.

Moi : Sois là dans dix minutes où je fous le feu à ta cabane.

Diego : ???

- On est d'accord ! Du coup, il est libre ou pas ?

- Euh... Je ne sais pas s'il sort avec quelqu'un, mais est-ce qu'il n'est pas un peu trop vieux pour vous ? hésite Lily.

- Quoi, nous faut qu'on sorte avec les nullos de notre classe qui jouent à la play et se mouchent dans leurs manches ? No way. T'es pas... Oh putain, y a maman ! Lara, bouge, bouge ! C'était cool de faire ta connaissance, meuf ! À la prochaine !

La fenêtre claque, mais je me retourne pas. J'ouvre un nouveau fil de discussion et active les pouces sur le clavier numérique, passablement distrait par la chaleur corporelle de Lily qui perce la barrière de ma chemise quand elle mange la distance entre nous. Elle est derrière moi, j'ai du mal à me concentrer sur ce que je tape.

Moi : Vadim a un nouveau déserteur dans le viseur. Trouve-moi qui c'est.

La réponse se fait pas attendre.

Michael : Ok.

Heureusement que l'albinos est pas du genre à épiloguer parce qu'au final, j'ai même pas deux secondes à consacrer à son dernier message. Mon tel a à peine vibré qu'un corps de fille que je commence à reconnaître trop facilement pour que ce soit normal se plaque contre mon dos raide. Avant que je puisse percuter ou réagir, deux bras graciles me ceinturent la taille sans aucune raison valable.

Putain de merde, il lui prend quoi ?

Elle a joint les mains au niveau de mon ventre et pendant un moment, la totalité de mon être reste coincé là-dessus, sur ses doigts, trois millimètres au Nord de ma ceinture. Impossible de refouler la pensée qui aimerait bien voir ces doigts descendre.

Ensuite, elle cale son front entre mes omoplates et je me calme illico. Ça me fait légèrement vaciller. Et vriller. Ma cervelle se fout de ma gueule en clignotant comme une ampoule périmée. Allumé. Éteint. Allumé. Éteint. Je perçois le contact de sa bouche qui se presse pile au mauvais endroit et mes poumons se déchirent comme du tissu, bons pour la déchèterie.

C'est toi qui es bon pour la déchèterie.

Je respire plus. J'inspire plus. J'expire plus.

Un tremblement que je parviens pas à empêcher et qui peut pas échapper à mon pot de colle me secoue la moelle épinière. À part ça, je reste aussi figé que le mur contre lequel je devrais m'adosser pour reprendre mon putain de souffle. Elle a pas l'air prête à lâcher prise, donc je me démerde pour inspirer et expirer dans cette configuration.

Elle est au courant qu'elle a pas le droit de toucher à mon dos, je le lui ai fait comprendre plusieurs fois. Mais elle plane un peu et c'est pas comme si elle me tripotait vraiment. Non, elle a juste foutu son visage dans ma chemise et elle me serre de manière très peu naturelle. De ma vie, j'ai jamais vu une meuf choper un mec comme ça.

Elle est barrée.

Elle me fatigue.

Même pas, en fait, c'est ça qui fait le plus chier. Une chaleur suspecte me ravage la cage thoracique. La sensation prolifère, impossible à dégommer ou ignorer. Je déteste. Lily remplace son front par sa joue. Je devrais l'éjecter. Je peux pas faire autrement. Elle a bu comme un trou, ça lui donne une excuse recevable pour ses conneries, mais j'en ai aucune pour les tolérer.

Et avec le bordel qu'elle a foutu sous mon crâne, j'ai presque oublié le flingue que j'ai coincé à l'arrière de mon jean. Dans cette positon absurde, elle va finir par le remarquer. Je l'écarte avant que ça arrive, détachant d'abord ses mains l'une de l'autre pour pouvoir virer ses bras.

Elle se laisse faire sans résister, ni protester pendant que je récupère un espace vital salutaire, mais bizarrement chiant. Mon portable se manifeste à cet instant en faisant vibrer ma paume. Pas besoin de checker l'écran pour voir qui appelle, c'est trop évident.

Il tombe bien cette fois, j'ai envie de me défouler. Je vais l'envoyer chier, il va rien capter. Avant de décrocher, j'appuie sur les épaules de Lily pour la faire asseoir sur les marches du perron en plastoc. Encore une fois, elle m'oppose aucune résistance, l'air et l'esprit aussi intraçable que d'habitude.

- Je dois prendre cet appel, bouge pas de là.

C'est un ordre, donc j'attends pas de réponse de sa part pour m'éloigner de plusieurs mètres. Une fois assez loin pour lui épargner la suite, je baisse des yeux blasés sur le nom qui s'affiche et décroche, une main dans la poche.

- Je sais pas où elle est, va harceler quelqu'un d'autre, j'attaque direct sur un ton froid, sans cérémonie.

- On peut sauter le moment où tu prétends que vous avez pas passé la soirée dans l'un de mes nightclubs pour aller directement à celui où tu me dis ou tu l'as emmenée ? réplique Williams qui se branle visiblement autant que moi des politesses d'usage.

Je cille pas devant son degré d'information sur la situation. C'était prévisible.

- Qui t'a prévenu ? je l'interroge d'une voix atone en m'adossant au premier palmier qui se présente.

- J'y étais, il décoche sur le même ton neutre

- Toute la soirée ?

- Assez longtemps pour voir Jane vous entuber.

Ça me prend trente secondes pour percuter.

- Jane ? La rouquine ? Tu te fais cette salope ? je raille jaune.

J'étais sûr d'avoir déjà croisée cette chienne quelque part, c'était probablement chez lui.

- J'ai déjà payé ses services.

Sans déconner.

- Elle valait le coup ? C'était quoi, cinq cent dollars la pipe et le double pour qu'elle te laisse l'étrangler avec ta cravate ?

Ma provoc lui passe au-dessus.

- On l'emploie pour aller à la pêche aux infos. On l'envoie comme un appât draguer des imbéciles trop bavards et elle monnaie ce qu'elle a entendu. Elle s'est fait un nom dans le milieu, je suis pas le seul pour qui elle bosse. Qu'est-ce que te veut Kotova ? il embraye sans détours alors que je digère encore le fait d'avoir laissé cette sale pute me la mettre aussi facilement.

Sa dernière question me tire quand même une réaction.

- T'as pu voir ta progéniture faire connaissance avec le big boss, je fais mine de le narguer alors que j'essaye juste de déterminer à quel point j'ai envie de le dézinguer.

Voilà pourquoi j'ai snobé ce bouffon toute la soirée. Il me crispe, c'est comme une sorte de talent, chez lui. Ça fait pas trois minutes qu'on discute et je suis déjà tendu comme l'arbalète avec laquelle j'aimerais le viser.

- Mhm, il élude comme le vieux con qu'il est.

- Pourquoi t'es pas intervenu ?

- Elle se débrouillait très bien toute seule.

S'il était devant moi, j'aurais déjà mes mains autour de sa gorge. Je le regarderai bleuir et je lui cracherais à la figure.

- Pourquoi. T'es pas. Intervenu, je siffle entre les dents que je suis en train de me fêler à force de contracter la mâchoire.

- J'ai mes raisons et elles ne te concernent pas.

- Heureusement que t'as laissé un autre mec faire le job à ta place, t'es un père en carton.

Il marque un silence, mais enchaîne vite sans paraitre s'émouvoir :

- Comment elle va ?

- Elle est torchée.

Comme ça, c'est clair.

- Alors c'était le plan ? Attendre qu'elle soit ivre pour la ramener chez toi ? énonce mon interlocuteur en laissant volontairement l'écœurement imprégner son timbre. Je t'interdis de la toucher.

Je m'enflamme. Mes tripes se remettent à fumer comme un pneu au feu, mon pouls vire cauchemardesque et ma respiration devient sifflante. Il cherche quoi, putain ? Il s'imagine quoi ? Que j'ai poussé la fille à se souler la gueule pour pouvoir l'allonger et lui passer dessus ? Je vais le... Bordel ! J'avais prévu de garder mon calme, mais c'est mort. Je vais le démarrer.

- Tu sais comment elles sont après dix verres, elles deviennent dociles et elles supplient. C'est comme ça que je les préfère, je susurre en déterrant mes accents de racaille les plus parlants.

Puisque c'est le rôle que je dois tenir, autant jouer le jeu à fond. Je serre le poing à m'en démonter les phalanges dans la poche de mon jean. Sans que ce soit prémédité, mes doigts crispés emprisonnent la breloque en tissus qui traine à l'intérieur.

Je sais très bien ce que c'est, j'ai pris la mauvaise habitude de déporter ce bracelet de meuf à chaque fois que je change de fringue. J'évite en général d'intellectualiser là-dessus, c'est probablement un des trucs les plus flippants que j'ai jamais fait et ça vient d'un habitué du glauque.

Tripoter cette babiole après ce que les merdes que je viens de sortir est pas loin de me mettre mal à l'aise.

- Je pourrais te tuer, est-ce que t'en es conscient ? m'informe l'ancien, sinistrement calme. On sait tous les deux pourquoi je tolère tes écarts de conduite sans broncher, mais ne va pas t'imaginer que tu es intouchable.

Mes litres d'hémoglobines se changent violemment en lave et me carbonisent les vaisseaux. Au lieu d'éclater mon appareil contre un tronc d'arbre comme une pulsion brutale me hurle de le faire, je décoche d'une voix éraillée de fureur :

- J'essayerais de garder ça à l'esprit pendant que je baiserais ta fille tout-à-l'heure.

Je coupe la communication et le silence à l'extérieur me déguste comme une bête. Je mets un moment à m'en rendre compte parce que mon rythme cardiaque déjanté s'acharne à me tabasser le crâne, mais je me raidis en reconnectant avec la réalité. Une réalité où la gamine éméchée de dix-huit piges dont je viens de parler en sale est posée douze mètres derrière, à attendre bien sagement que j'ai fini d'échauffer son vieux.

Merde, j'ai parlé fort ?

Je pivote pour aller la chercher en réalisant que ça m'arrangerait pas mal qu'elle ait pas prêté l'oreille à ce que je viens de balanc...

Merde !

Mon corps se refroidit à la vitesse grand V et j'accélère le pas, mon palpitant dans le congélo.

Il aurait mieux valu qu'elle entende tout, j'aurais encore préféré ça.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top