Royce
Oui, quoi ?
Allez, accouche, tu quoi ?
Je me crispe en attendant des précisions qui tardent à se pointer.
Bon, ça vient ?
Mais non. Elle est même plus avec moi, le coin des yeux plissé d'amusement, elle se marre doucement en fixant les danseurs dans mon dos. Putain, j'ai pas la patience. Je crochète vivement son menton en essayant de capter son attention défaillante.
- Eh !
Elle ne lutte pas et revient direct à moi. Là, elle me troue de ses deux billes océan avec lesquelles les néons arc-en-ciel déconnent. C'est pas vraiment océan, en fait. C'est plus une espèce de bleu absurde qu'on trouve généralement pas en boutique. Du délire. Un machin limpide qui tire vaguement sur le vert et te remue le bide sans que t'aies rien demandé.
C'est des yeux, Walters. Reprends-toi.
Ouais, juste des putains d'yeux. Pas matière à épiloguer. Qu'est-ce que j'en ai à branler qu'ils soient bleus, verts ou roses, de toute façon ? Ils sont clairs, point, à la ligne.
J'essaye de garder le cap malgré son regard curieux qui fouille sans frein les quatre coins de ma face. C'est dingue, elle me bigle comme si j'avais une carte routière de l'Alaska placardée sur la tronche. C'est pas le cas, à ma connaissance. Elle cherche quoi ?
Je marque un temps d'arrêt, vaguement déstabilisé.
Ça arrive que Lily me reluque. Sans m'avancer, je peux dire que ça arrive assez fréquemment. Cette fille aime regarder. Ce qui est moins commun, c'est qu'elle y aille aussi franco. En général, je la grille. Je la prends sur le fait et elle me fuit aussitôt en emmêlant ses doigts ou en rougissant de malaise. Là, on dirait qu'elle...
Elle est grise.
Ah ouais. La lèvre inférieure avancée dans une sorte de moue rêveuse et les yeux agrandis de concentration, elle me passe au peigne fin.
Toute ma gueule y a droit. Mon menton, ma bouche, mon nez, mes sourcils, mon front, mes tifs...
Ok.
Heureusement que je suis plutôt bien fait, elle rendrait n'importe qui nerveux avec son attitude. En vrai, c'est plutôt flatteur. Ça regonfle l'ego. Pas que le mien ait besoin d'être boosté, mais ça fait pas de mal. N'importe quel gars se rengorgerait d'avoir une meuf qui le reluque de cette façon, comprendre avec une collection d'étoiles dans les yeux. Je fais pas exception.
Pour les étoiles, c'est pas cent pour cent sûr, y a moyen que ce soit l'éclairage. Mais plus elle me mate, plus ses joues foncent et... bordel, c'est tripant ! Putain, ça fait quoi... deux minutes ? Et elle est déjà en train d'effriter ma rogne avec ses petits doigts. La bête est retournée pioncer, j'ai plus de ses nouvelles.
Lily fait ça. Elle gratte doucement avec ses ongles miniatures tout propres et bien coupés, et elle descend au calme toutes les barrières en tôle que tu te casses le fiak à monter. Elle pourrait le faire en sifflotant tellement ça parait simple. Pour la centième fois en un mois, je me demande comment se démerdaient ses vieux pour l'engueuler sans flancher.
"Garde-ça pour Mister nœud-pap", j'ai envie de grincer quand elle me fait cadeau d'un microsourire conquis.
Sûr ?
Ouais, non. J'ai rien dit.
Ensuite, je déchante parce que, qu'est-ce que ça a de si absurde ? Qui a dit que j'avais le monopole de son attention ?
Depuis que je suis entrée en collision avec elle le premier jour et que j'ai touché à la came de son regard collé à mes basks, je suis bêtement parti du principe que ça m'appartenait. Que c'était un délire à moi et que j'étais le seul à savoir ce que ça fait, quand cette fille-là vous dédie la version illimitée de son intérêt.
La vérité, c'est que je sais que dalle.
Elle dessine. Elle dessine, ce qui signifie, en gros, qu'elle doit s'intéresser à peu près à tout ce qui se trimbale dans son champ de vision. C'est un truc d'artiste, 'me semble. Ces gens-là sont capables de fixer du gravier ou une bouche d'égout et de trouver ça fun. Le gosse de riche a probablement eu droit à son propre shot, avec sa belle gueule de fiotte.
Ma haine reprend vite du volume, elle se ramène en faisant vrombir le moteur. Je la sens enfler comme une bulle boueuse et éjecter tout ce qui encombre pour se ménager de l'espace dans ma poitrine en feu. C'est Lily qui finit par la faire sauter.
- J'ai des fourmis, déclare brusquement la source de toutes mes emmerdes sans prendre la peine de ravaler son air béat.
Quoi encore ?
Putain, elle est fatigante.
Je devrais la trouver fatigante, je crois.
- De quoi tu parles ?
- Dans le bras, j'ai des fourmis, elle s'explique patiemment, mais je mets trois plombes à percuter parce qu'elle caresse le dos de ma main de la sienne en passant.
Qu'est-ce qu'elle...
Oh bordel ! Je la libère en quatrième vitesse quand je saisis que c'est son bras que je suis en train d'essorer comme une serpillière.
Merde, merde, merde.
C'est minable. Petite bite ou pas, ça m'étonnerait que le Mike ait passé sa colère sur elle, lui. Je pense pas non plus qu'il soit du genre à lui broyer un membre sous prétexte qu'il est de mauvais poil. Mon cœur la boucle brutalement le temps que je constate les dégâts.
Ça va.
Sa peau crémeuse m'a l'air intacte. J'ai pas dû serrer aussi fort que je l'imaginais. Merci, putain ! J'ai vraiment pas besoin de ça. Je referme quand même les bras sur mon torse par précaution.
Imperturbable, Lily continue de me fixer. Elle continue de me sourire. Elle en a pas marre à force ? Cette fille a clairement un truc qui déconne. C'est sérieux. C'est pas la première fois que je me fais cette réflexion, elle devrait penser à consulter.
C'est toi qui parles ?
- Je t'ai posé une question, je l'accule parce que je suis largué et que jouer les enflures est la seule réaction que je maîtrise à peu près dans ces cas-là.
J'ai le droit à zéro explication, c'est même pas certain qu'elle m'entende depuis son nuage alcoolisé. J'expire lentement par le nez.
Tu joues à quoi, Walters ? Lâche lui la grappe. Laisse cette pauvre fille en paix, merde !
C'est vrai, ça. Je joue à quoi ? Je merde en beauté. Je fais que ça. Je le fais encore, et encore et encore. Et comme j'en ai jamais assez, je recommence. Je reviens chercher ma dose en me promettant que ce sera la dernière sans vraiment gober mes propres refrains.
Je devrais même pas être ici. On tourne en rond. Mia veut emmener Lily en boîte ? Qu'est-ce j'ai eu besoin de venir foutre mon nez là-dedans ? Lily est une grande fille - en quelque sorte. Elle est pas sous ma responsabilité, que je sache. Je suis pas son vieux, ni de sa famille - encore heureux.
T'es pas son mec, non plus.
Voilà. On en revient à ça.
"Il sera toujours pas ton mec. Et on sait toutes les deux que c'est ça que tu veux"
J'ai su qu'elle restait et... j'en sais rien. Faut croire que ça m'a plombé quelques neurones. Pourtant ça change rien. Elle reste, la belle affaire. Et après ? Pour combien de temps ? Une semaine ? Deux ? Un mois ?
C'est à mon tour de la lorgner. Je me gêne pas, je braque les yeux sur elle sans cligner. Je la passe au crible en cherchant des réponses qui ne doivent même pas exister.
Ce que j'ai enduré tout-à-l'heure, quand je croyais qu'elle s'était tirée... c'est pas gérable. Ça doit plus m'arriver. Un signal d'alerte, voilà ce que c'était. Comme une putain de sirène de keufs. Si j'avais deux grammes de jugeote, j'aurais percuté là-dessus au lieu de me jeter sur elle comme un môme fou de joie quand j'ai compris que j'avais encore du rab.
Mais, je suis là. Encore.
Si on me demandait de quoi mon existence à l'air... je répondrais rien parce que ça regarde personne, mais je penserais à une bouche de métro. C'est bondé, sombre, bruyant et ça schlingue. Généralement, dans ce genre d'endroit, tu traces sans t'arrêter sur personne parce que t'as pas le temps et que rien ne vaut le coup d'œil.
Vingt-cinq ans que je joue des coudes sans jamais me déconcentrer. Vingt-cinq ans que j'arpente ma station personnelle sans m'intéresser à personne et encore moins aux membres de l'emmerdante clique des porteuses de vagins. Et le jour où mon esprit déglingué décide de bloquer sur quelqu'un, il faut que ce soit elle. Elle.
J'aurais pas pu choisir pire cible pour développer mon espèce d'addiction malsaine. Des meufs, y' a que ça et de mon côté de l'île, c'est open bar. En plus, elles sont pas contraignantes et elles ont le sas grand ouvert. Qu'est-ce j'ai été me compliquer la vie comme ça ?
Si au moins j'avais eu l'intelligence de jeter mon dévolu sur l'une des nôtres, je serais pas dans cette galère. Je pourrais me l'enfiler dans tous les sens jusqu'à plus soif, attendre qu'elle finisse par me débecter comme toutes les autres et remonter ma braguette sur un ciao.
Mais je suppose que personne ne s'entiche du bas-de-gamme. Ce serait trop facile. C'est vrai, pourquoi bugger sur une Toyota ou une Hyundai quand on te fout une Bugatti sous le nez ? Je suis même pas...
Qu'est-ce que...
Je suis encore en train de fixer Lily au moment où le faisceau lumineux d'un des spots la balaye. Je tranche net mon débat interne quand je remarque ce que mon emportement m'a fait louper. Un sale frisson d'appréhension me lèche la colonne de haut en bas et je me crispe à mort pour réprimer la vague menaçante qui me noie les poumons.
Elle a les joues mouillées. Lily. Des sillons humides traînent et dessinent deux lignes presque invisibles sous ses yeux rieurs. Pourquoi...
Qu'est-ce que c'est que ces conneries ?
Elle a pleuré ?
Elle a pleuré !
Bordel de merde...
Pourquoi est-ce qu'elle a pleuré, putain ?
- Quoi ? m'interroge Lily d'une petite voix inquiète en levant les sourcils.
Si c'est à cause de l'autre enculé, je réponds plus de rien. Ou alors c'est cette blondasse de Californien qui lui faisait du rentre-dedans au bar. Je vais me les faire. Tous les deux. Qu'est-ce qu'ils lui ont dit ? Lily est pas du genre à pleurnicher pour de la soupe.
Je le sais bien : je passe mon temps à la bousculer, juste parce que je suis con et que je sais qu'elle tiendra bon. Y a des fois où je lui aboie dessus comme un clebs et elle se contente de serrer les dents et de battre des paupières pour éviter de perdre la face devant moi.
Je me donne jamais autant la gerbe que quand elle baisse la tête à cause de ma grande gueule. Quand je lui sape sa confiance en elle sans le vouloir ou que je la vois se mordre la joue pour se retenir de chialer parce que j'ai joué les ordures.
C'est vrai que dans le genre salaud, tu te poses.
Mais la plupart du temps, elle encaisse en silence. Elle émet pas un embryon de son, elle garde les yeux secs.
Là, elle a pleuré.
Est-ce qu'y en a un qui a tenté un truc sans que je le voie ? Impossible. Je l'ai surveillée tout du long, non ?
Non.
Putain !
Je replie les phalanges et serre jusqu'à sentir les articulations craquer.
Si c'est ça... si y en a un qui s'est avisé de...
Je vais faire un carnage.
Pourquoi est-ce qu'elle est pas venue me trouver, aussi ? Putain, je savais que c'était une idée de merde de la laisser seule au bar, j'aurais dû venir la chercher au lieu de perdre mon temps avec l'autre chaudasse.
- T'as pleuré ? je siffle plus durement que prévu en soulignant juste l'évidence.
J'attends plus une explication qu'une confirmation, mais je suppose que ce serait trop simple. Lily nie direct :
- Non !
C'est une blague ?
Sérieux ? Quoi, on va jouer à cache-cache ? J'ai pas la patience pour ça. Plus vite elle confirmera mes soupçons, plus vite je pourrais aller casser de l'homme.
Je vais le démonter, ce mioche. Et quand je dis démonter... j'ai une définition assez différente de ce que les gens se figurent quand on emploie le terme. Disons que la mienne colle bien plus au sens propre.
Lily s'est rembrunie. Elle serre les lèvres et referme les bras sur sa poitrine dans une posture ouvertement défensive. Pourquoi elle fait ça ? Je vais pas m'énerver. Pas contre elle...
Allez, bébé, crache le morceau.
Je suis sur le point d'insister, mais elle me coupe la chique en soulevant son chemisier comme pour le faire passer au-dessus de sa tête. Elle... mais...
Je crois que les yeux me sortent des orbites. Mon système plante à l'instant où son soutif me salue.
Putain. De. Merde.
Mon pouls se rétame comme de la merde et mon cerveau part en couille. Je serais même pas surpris que le contenu visqueux de mon crâne soit en train de me dégouliner des oreilles. J'ai la salive qui passe dans le mauvais canal.
J'enregistre en vrac de la dentelle blanche, un ventre plat trop bien sculpté pour ma santé mentale, un minuscule nombril que je pourrais qualifier d'adorable si ce mot avait sa place dans mon vocabulaire, et une petite poitrine bombée qui me fout hors-circuit dix secondes.
Les dix secondes qu'il me faut pour réaliser que je suis pas le seul mec du coin à se rincer l'œil. Un peu en retrait sur ma gauche, je crois en entendre un siffler. C'est le coup de fouet qu'il me fallait pour me jeter sur elle et la rhabiller de force.
- Putain ! Qu'est-ce tu fous, bordel ? je tonne en virant un peu brutalement ses doigts quand elle menace de recommencer.
C'est qu'une fois que j'ai plus cette vision d'elle sous le nez - pour le reste, c'est greffé dans ma tête, j'y peux plus rien - que je comprends qu'elle essayait d'éponger ses résidus de larmes avec le tissu.
Ok, content de savoir qu'elle est pas bourrée au point de tenter un strip-tease. Je connais pas mal de meuf qui se désapent en public passé un certain seuil d'alcoolémie. Normalement, ça me pose pas de problème, mais on parle de Lily. Je galère déjà assez à refréner mes ardeurs sans qu'elle me tease ce que je rate.
Contrairement à ce que dit Michael - et ce que pensent les deux autres tout bas -, Lily peut pas être un mauvais coup. Impossible. Baiser de la meuf en chaleur qui sait exactement ce que t'attends, c'est pas mal, mais pas ouf non plus - j'ai fait des contrôles techniques plus palpitants que certains de mes coups d'un soir.
Stop.
Mais Lily... c'est pas le même trip. Au début, je m'interdisais d'y penser. Je bloquais toutes les réflexions qui empruntaient ce chemin par de vagues "je touche pas aux vierges" ou "les meufs qui font l'étoile de mer, très peu pour moi". Ça fait un moment que j'ai arrêté de me voiler la face là-dessus. Coucher avec elle, ça doit être... ouais.
Tu vas où, là ?
Je veux même pas songer au petit connard qui aura le privilège de la dépuceler. Encore moins à celui qui l'aura jusqu'à la fin.
Bref.
Je me secoue et reviens à la réalité, celle où Lily a toutes ses fringues. Ses deux poignets miniatures coincés dans une seule de mes mains, je passe moi-même le pouce sur ses joues pour lui rendre service. Y a de ça et y a aussi un peu du fait que tous les prétextes sont bons pour poser mes sales pattes sur elle.
- Pourquoi t'as pleuré ? je me répète en espérant refouler les images bouillantes qui me collent encore aux rétines.
- Je n'ai pas pleuré ! elle s'écrie en me butant du regard.
Lily, putain...
- Je viens d'essuyer tes larmes.
- Je n'ai pas pleuré !
Ensuite, ça dérape. J'avais aucun moyen d'anticiper ce qui suit. Les yeux rivés au plafond, elle se met à débiter à toute allure.
- Et Dieu dit : « Les eaux qui sont au-dessous du ciel, qu'elles se rassemblent en un seul lieu, et que paraisse la terre ferme. » Et ce fut ainsi. Dieu appela la terre ferme « terre », et il appela la masse des eaux « mer ». Et Dieu vit que cela était bon. Dieu dit...
Qu'est-ce qu'elle est en train de branler ? On dirait... un poème religieux ? Ce serait pas... ? Je décroche de son petit monologue en pigeant ce qu'elle est en train de raconter. Wouah. J'étais pas prêt.
Elle est religieuse ? J'espère que non. Je me suis jamais vraiment arrêté sur la question, elle m'a pas donné de raison de m'interroger là-dessus non plus.
Pour moi, les jeunes ont pas les moyens d'être pieux. C'est que des années après, une fois que le compte de leurs fautes les fait bien baliser et qu'ils se dressent le pathétique bilan de leur existence misérable qu'ils vont se réfugier dans cette merde. Ça ou l'alcool.
Les étudiants s'encombrent pas de ce genre de boulets parce qu'aux dernières nouvelles, la baise et la picole s'accordent pas des masses avec le délire spirituel. Ça la fout mal d'aller checker le curé le dimanche quand tu bouffes de la chatte du lundi au lundi.
Mais Lily couche pas et, à part quand Lopez l'y oblige, elle boit pas non plus. Du coup, je suppose qu'elle peut se le permettre. Ça expliquerait peut-être pourquoi elle est pucelle à dix-huit piges avec un physique comme le sien. Elle attend peut-être le mariage ou une merde du genre.
J'espère pas, ce serait déprimant.
Pas pour le sexe, je me fais pas trop d'espoir là-dessus. J'aime bien caresser l'idée, mais j'ai casé le fantasme au même rang que passer la barre des quarante piges ou retaper une Maserati. Mettons un étage au-dessus, dans l'étagère des étiquetés "dans tes rêves, Walters".
Là où ça coince, c'est que je suis déjà mal loti avec les lois américaines, je veux même pas savoir ce que celles du "seigneur" ou du "Saint-Esprit" ont à raconter sur mon compte.
"Tu ne tueras point", c'est pas un des points forts de ce torche-cul que Lily est en train de réciter ? Si elle adhère à toutes ces conneries religieuses, je suis baisé. J'ai pas la moindre chance.
Rembobine. Pas la moindre chance de quoi ?
- Pourquoi tu cites la Bible ? je grogne pour envoyer chier mes doutes.
- Tu connais la Bible ? s'amuse Lily, une ombre d'extase alcoolisée sur ses jolis traits.
Si je connais la Bible ? Ouais. Carrément. J'étudiais les versets en désossant des bagnoles chourées et j'allais gentiment me confesser au parloir après avoir troué le front d'un concurrent.
C'est une vraie question ? Parce que je suis quasi sûr que les scorpions ont foutu le feu à la chapelle - l'unique - de la zone Nord, et ça un peu avant ma naissance. Aux dernières nouvelles, y a des SDF qui squattent les ruines.
Lily patiente toujours, la bouche arrondie d'étonnement. Ah ouais, donc elle était vraiment sérieuse. Au temps pour moi.
- Non, je la détrompe direct avant qu'elle aille se faire des idées.
Et j'enchaîne en m'arrangeant pour masquer ma contrariété :
- Je savais pas que tu pratiquais.
- Ce n'est pas le cas.
Je hoche la tête, plus soulagé que c'est permis, et elle enchaîne avec une mine coupable :
- Enfin pas trop. Des fois, je dis des prières au cas où, on ne sait jamais. Et j'ai suivi un trimestre de catéchisme au collège pour esquiver les séances photos avec ma mère. Ce n'était pas si mal, le père Mathieu nous distribuait des sucettes quand on apprenait bien nos versets. Ensuite j'ai dû quitter le cours quand Nate a été viré de la formation parce qu'il avait bu de l'eau bénite.
Je. La. Veux.
Putain.
Je mets de côté la partie où elle évoque son british boy, l'omniprésence de ce mioche dans ses souvenirs me gonfle autant que de le voir régulièrement taper l'incruste dans nos discussions.
Lily met un temps fou à se détendre avec les gens de sa tranche d'âge et j'ai remarqué que c'est encore une autre histoire quand il s'agit de mecs. J'aimerais bien savoir ce que celui-là a de si spécial pour qu'elle en cause comme s'il avait aboli l'esclavage.
Après, de ce que j'ai compris, ça fait deux siècles qu'ils se connaissent. Ça aide, je suppose. Le passif, tu peux pas lutter contre, même si ça commence par deux bambins en couche-culotte qui font des bulles avec leur bave.
À mon avis, ce gars est comme la crasse qui s'incruste dans les sillons des pneus : quasi impossible à déloger. Honnêtement, la place de dingue qu'il se réchauffe dans la vie de Lily me filerait peut-être les jetons si j'étais du genre à vouloir plus.
Mais, c'est pas le cas, si ?
"Il sera toujours pas ton mec. Et on sait toutes les deux que c'est ça que tu veux".
Merde !
Lily éclate de rire. Le temps d'une seconde complètement décalée, j'imagine qu'elle a saisi le chemin mental que je suis en train de prendre et qu'elle se paye ma tête. Ensuite, je me rappelle que jusqu'à preuve du contraire, lire dans mes putains de pensées fait pas encore partie de ses facultés.
En fait, je crois qu'elle rit en retard de sa propre histoire de catéchisme, qui, si je mets ma mauvaise foi sur pause deux minutes, est assez drôle. Elle continue de se marrer doucement, le nez plissé sous ses taches de rousseur presque gommées et les yeux étrécis de bonheur. Ça fait un petit son un peu étranglé et je dois probablement être dérangé d'adorer l'entendre. Au point de me remettre à gamberger sur le genre d'aberrations auxquelles je m'interdis normalement de cogiter.
"Il sera toujours pas ton mec. Et on sait toutes les deux que c'est ça que tu veux".
Son mec...
Pourquoi ça sonne aussi bon que le ronronnement d'une Bentley neuve ?
Putain, Lopez !
Et si je pouvais...
Tu peux pas ! T'avises même pas...
Si y a une chance, une putain de chance pour que ce soit ce qu'elle veut, y aurait quoi de mal à le lui donner ? Je serais pas vraiment responsable. C'est une grande fille après tout, elle est capable de se gérer et d'assumer ses mauvais choix, non ?
C'est une vraie question ?
Elle me regarde. Encore. À croire qu'elle a que ça à faire. Elle me mate avec ses yeux de biches qui me jettent son innocence à la figure et me poinçonnent le cerveau. Faut vraiment qu'elle regarde ailleurs.
Baisse les yeux.
J'ai trop de mal à y voir clair quand elle m'épie comme ça. Mes bonnes résolutions passent à la trappe et, le temps que ça dure, j'ai un énorme trou de mémoire. J'oublie toutes les raisons pour lesquelles c'est niet. Non, vraiment, là, comme ça, rien me vient. Dans mon crâne, c'est le vide intersidéral.
Au fond, qu'est-ce que ça changerait ? Je lui gravite déjà autour du matin au soir, je la colle dès que j'en ai l'occasion et je me fais un point d'honneur à fouler toutes les limites que je trace moi-même au marqueur rouge.
Est-ce que je suis capable d'un truc du genre ? Ça doit pas être sorcier. Ce serait comme traîner avec elle avec permission tamponnée. Ça et quelques bonus en prime.
Je vais pas mentir et prétendre que l'idée me déplaît.
Ça me plaît carrément. Peut-être trop.
Qui me jetterait la pierre ? C'est Lily ! Quel espèce de tocard serait pas emballé à l'idée de l'avoir pour lui ?
Fais gaffe, Walters. Déconne pas.
Elle serait à moi.
À quoi tu joues ?
Elle serait... merde ! Qu'est-ce que j'ai été fumer ? Quoi que ce soit, ça devait être de la bonne. Même à deux doigts du sommeil, quand j'allonge la laisse à mes pensées avant de pioncer, je leur permets jamais de gamberger aussi loin. Mais ce petit enculé et l'attitude de Lily m'ont bien fait flipper et... j'en sais rien. Ça change la donne, je crois.
J'ai l'impression stressante d'être coincé à un carrefour. À droite, c'est une route bien clean. Traits de peinture nets, feu vert et panneaux de signalisation tous les 10 mètres. À gauche c'est un chemin de terre mal délimité et truffé de crevasses, du genre qui te crève un pneu et te nique les amortisseurs en deux-deux. Le bail à éviter.
Reste à droite, Walters. Toujours à droite.
Les amortisseurs, ça se change...
----------
Salut tout le monde!
C'est encore la petite voix de fin de chapitre! Décidément, on ne se quitte plus! Ce point de vue de Royce faisait un peu plus de 4000 mots et je sais bien que je vous ai habituées à plus alors je vous mets aussi le chapitre 15, "exceptionnellement". Oui, je sais, c'est la troisième fois en un mois, mais vous savez ce qu'on dit, trois fois n'est pas coutume. Ok, personne ne dit ça... Eh bien moi, je le dis!
Enfin bref, j'espère qu'il vous plaira! N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez!
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top