Chapitre 35
Je pourrais dresser une liste non exhaustive des choses qui paraissent bien plus cool sur petits et grands écrans qu'elles ne le sont en réalité. L'inventaire traînerait par terre, tellement il y a de quoi dire. En première position viennent les hackers de l'ombre qui martyrisent leurs claviers comme des pianistes déchaînés, leurs visages concentrés seulement éclairés par la lueur verdâtre de leurs lignes de codes compliquées. Les voitures qui explosent se classent également en haut de ce top avec mention spéciale pour le personnage masculin qui s'éloigne tranquillement et sans un regard en arrière du brasier. Les lycées américains, avec leurs professeurs captivants et leurs casiers méga classes devant lesquels personne n'a jamais besoin de s'accroupir, sont un autre incontournable de ce catalogue : les élèves y trouvent le temps de résoudre des meurtres et de se battre contre des créatures surnaturelles en jonglant avec leurs tumultueuses relations amoureuses, tout ça sans jamais échouer à leurs examens !
Les lieutenants de police qui débarquent chez vous avec leurs pistolets à peine discrets et leurs insignes reluisants à la ceinture viennent à l'instant d'intégrer le club des "c'est tellement plus sympathique à la télé". Je m'en fais sombrement la réflexion en me tordant le cou pour apercevoir les deux agents trop sérieux qui conversent avec mon oncle. Mon cœur est largement de cet avis, dans le cas contraire, il ne se jetterait pas comme un forcené en avant en espérant traverser mes côtes, il ne martèlerait pas le mur contre lequel je me suis vivement adossée pour me dissimuler, il ne rejouerait pas la Marche Turque de Mozart dans ma poitrine.
- C'est oui ou c'est non, Chris ! Ne complique pas notre travail. Est-ce qu'il était ici ? semble s'impatienter celui des deux "visiteurs" qui m'apparaît de demi-profil.
Il porte une veste de costume grise et paraît plus âgé que son homologue. Les cheveux poivre, cumin et sel, une panoplie de rides dénonçant une tendance abusive à froncer les sourcils, il a posé les deux mains sur la table encombrée derrière laquelle Chris s'est retranché. Il suffirait qu'il pivote la tête de quelques centimètres... même pas, quelques millimètres, pour se rendre compte que leur conversation privée n'a rien de... privée. Fort heureusement pour moi, il n'en fait rien, trop focalisé sur le maître des lieux.
- Probablement, répond mon oncle avec un haussement d'épaules assez léger pour lui permettre de garder les mains dans les poches de son pantalon.
- Probablement ? répète le deuxième lieutenant.
Je le déteste instantanément. La petite trentaine, les cheveux luisants de gel, celui-là s'est dispensé de la veste protocolaire pour se contenter d'une chemise vert pistache, et la façon dont il a coincé les pouces dans la boucle de sa ceinture lui retire instantanément toute crédibilité à mes yeux. Il s'est cru dans un feuilleton ou quoi ? C'est la vraie vie, là ! Objectivement, je dirais qu'il a quinze fois moins de classe que Marty Deeks ou Anthony Dinozzo. Pour ce qui est de papa... il n'y a même pas de comparaison possible, le lieutenant Wyatt Williams aurait écrasé celui-ci par KO en termes d'allure et de prestance !
- Monsieur, reprend ce jeune policier en carton, nous allons devoir vous demander d'être plus précis. Royce Walters s'est-il, oui ou non, montré à votre domicile au cours de la semaine écoulée ?
- Où est-ce qu'il aurait pu être, sinon ? esquive Chris en inclinant très légèrement la tête de côté.
Si la situation n'était pas aussi préoccupante, si les choses n'étaient pas aussi... pourries et compliquées, si je n'avais pas la sensation qu'un mixeur est en train de métamorphoser mes organes en smoothie, je pourrais bien aller me jeter dans les bras de mon oncle pour lui témoigner ma reconnaissance. Mais je reste sagement collée contre le mur attenant à son bureau, la nuque poisseuse d'anxiété.
- Ne répondez pas à nos questions par d'autres questions, s'agace le moins expérimenté des deux agents. Si vous refusez de coopérer, nous allons...
- Vous allez ?
- Nous nous verrons dans l'obligation de terminer cette conversation au poste de police, décrète le jeune agent en bombant ridiculement le torse.
- Vous comptez m'y emmener comment ? En me passant les menottes ? se renseigne posément Chris d'un timbre d'où perce une pointe d'humour.
Pourtant, j'ai beau retourner la conjoncture dans tous les sens, je n'y trouve absolument rien de drôle ! D'ailleurs, le potentiel comique déjà médiocre de la situation chute en piqué lorsque je prends le temps de déchiffrer les moulures sur les insignes des policiers.
Département de Police de Miami.
Ces deux détectives viennent de Miami, probablement de la Division des enquêtes criminelles... Celle pour laquelle papa travaillait.
- Monsieur..., commence à s'insurger Chemise-pistache.
- Logan, l'interrompt son partenaire, c'est moi qui pose les questions, d'accord ? Abrège, Chris. Est-ce qu'il était ici ?
Logan, donc, note inutilement ma conscience sur le premier papier qui lui passe sous la main.
- C'est possible, je ne surveille pas les allées et venues de mes employés, Preston. Et je suis rarement sur place.
Preston.
Une autre voix s'invite à la réunion en même temps qu'un petit monsieur grassouillet que je n'avais jusque-là pas remarqué s'insère dans mon champ de vision restreint.
- Ne vous fatiguez pas, je suis sûr qu'il est coupable. Je n'arrêtais pas de répéter dès le départ qu'il ne s'en tiendrait jamais aux règles, c'était couru d'avance ! C'est ce qui arrive quand on laisse un animal enragé sortir de sa cage en espérant qu'il ne mordra plus !
- Camper..., tente de l'arrêter le lieutenant grisonnant alors que mes ongles tracent des demi-lunes douloureuses dans mes paumes.
- Il a bidouillé son bracelet, ça me paraît évident ! Qu'est-ce qu'il vous faut de plus comme preuve ? positionne le bonhomme en agitant les bras.
Pourquoi est-ce que j'ai l'impression d'avoir déjà croisé ce grotesque personnage quelque part... Il me faut plisser les yeux quelques secondes avant que cela ne me revienne. Ça y est, je le reconnais ! C'est l'agent de probation qui a été assigné à Royce, celui que j'ai - assez grossièrement - chassé de chez nous le mois dernier.
Mince ! Mince ! Mince !
Si son agent de probation est là, ça veut dire que... Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Loin de moi l'idée de vous dire comment faire votre travail, messieurs, mais ça me semble clairement insuffisant pour obtenir un mandat d'arrêt, commente Chris sur un ton peu concerné avant d'ajouter en élevant très légèrement les sourcils. Je me trompe ?
- Personne n'a croisé Walters de la semaine. La victime de l'homicide est l'une de ses anciennes fréquentations et, comme par hasard, elle décède la semaine où son bracelet électronique arrêté de fonctionner, résume le dénommé Preston. C'est troublant, tu ne trouves pas ?
- Mais toujours insuffisant.
J'ai plaqué ma paume contre le côté gauche de ma poitrine en espérant retenir mon cœur prisonnier un peu plus longtemps. Il est tout près de m'échapper ! Ses lamentations saccadées sont devenues si bruyantes que je m'étonne de ne pas avoir encore alerté les hommes de ma présence clandestine. Le mot homicide a traversé mon esprit avec la violence d'un missile, blessant mes pensées au passage.
- Bon sang, ça fait sept ans, Chris ! Je ne comprenais déjà pas pourquoi tu protégeais ce gamin à l'époque, mais ce n'est plus un gosse !
Quoi ?
Ainsi, mon oncle a tenté d'épargner la prison à Royce ? Pourquoi ? Parce qu'il le connaissait ? À quel point, au juste ? La semaine dernière, il a évasivement évoqué des choses à se faire pardonner... De quel genre de choses est-ce que l'on parle ? Comment deux personnes aussi différentes peuvent en arriver à avoir une quelconque sorte de relation ? On en revient à cette maison close. Et à Isaiah. Sous la fine épaisseur de mon crâne, quelques engrenages corrodés entament un pénible mouvement de rotation, les roues dentées grincent et je ne serais pas surprise que mes oreilles se soient mises à fumer comme de vieilles locomotives, ce qui ne manquerait pas de me faire repérer.
Le quatre juillet, le jour où toutes mes certitudes ont volé en éclat avec les feux d'artifice que je n'ai même pas pu contempler, Matt a affirmé que papa était le détective chargé de l'enquête sur Isaiah Wise, celle dans laquelle Royce figurait comme principale suspect. Mais pourquoi Chris aurait voulu sauver l'adolescent soupçonné d'avoir fait disparaître son ami, celui même contre lequel son jumeau amassait des preuves ? Ça n'a aucun sens. Rien, absolument rien dans cette histoire n'en a !
Les questions sans réponses, celles que j'ai trop longtemps laissées prendre la poussière dans ma cervelle encombrée, ont le pouvoir de créer cette sensation de flottement... Elles transforment ce qui devrait être un sol tangible et fiable sous vos semelles en quelque chose de plus soluble, quelque chose d'incertain. Elles vous plongent dans l'obscurité quand votre chemin devrait être éclairé et chaque pas que vous osez, quasi à tâtons, sur le plateau miné de votre existence, pourrait être le dernier. C'est peut-être à cause de cela que je n'ai toujours pas bougé lorsque le lieutenant grisonnant enchaîne en haussant légèrement le ton :
- Tu ne peux rien pour lui ! Quand est-ce que tu le comprendras ? Tu n'as rien pu faire la dernière fois et ce sera pareil aujourd'hui ! Ton frère...
- Laisse mon frère en dehors de ça, siffle Chris et son timbre menaçant frappe comme un cobra du Cap, serpente dans l'atmosphère oppressante du bureau.
Je veux savoir !
- Très bien. Mais si tu avais vu l'état dans lequel on a retrouvé le corps de cet homme, je crois que tu réviserais ton jugement !
Si tu avais vu l'état dans lequel on a retrouvé le corps de cet homme...
Pétrifiée, je ne parviens à garder mon calme qu'au prix d'un effort colossal. Mes tympans grésillent comme des talkies-walkies du siècle dernier et une famille de termites a élu domicile au creux de mon ventre. Ces fourmis répugnantes se promènent librement à l'intérieur de mon abdomen, empirant ma nausée. Je ne plaisante même pas, le repas que je viens d'avaler est à deux doigts de rebrousser chemin.
Il me semble voir l'agent de police ouvrir une sacoche en cuir. Je perçois le bruit de la fermeture éclair au milieu du silence, puis un son de papier lorsqu'il étale ce que j'imagine être des clichés sur le bureau de mon oncle. Je ne suis même pas sûre qu'il ait le droit de faire ça. Dans mon champ de vision, l'agent de probation grimace et détourne vivement le regard en reprenant sa respiration. En revanche, lorsque Chris consent à baisser le regard pour parcourir les images, c'est d'un œil parfaitement neutre.
- Il a été torturé pendant plusieurs jours, précise le lieutenant.
Non !
Impossible ! Royce n'aurait jamais... Royce ne pourrait pas... Je ne peux pas... Je crois que je ne peux plus respirer ! Je n'y arrive plus ! L'oxygène est trop... Ma gorge n'est pas assez... Chaque goulée d'air qui pénètre ma trachée verrouillée semble vouloir m'étouffer. En m'efforçant de récupérer mon souffle, j'ai basculé la tête en arrière contre mon mur gelé. S'il n'y avait pas ce mur, je chancellerais. Au plafond, les moulures laiteuses qu'un designer de renom a dû concevoir il y a une je-ne-sais-pas-combientaine d'années ne sont plus qu'un amas de vaguelettes floues, aussi abstraites que mes certitudes qui s'éloignent à la nage.
- Tu sais que sa famille n'a même pas été en mesure de l'identifier ? poursuit impitoyablement ce Preston sans se douter que chacun de ses mots se fiche dans mon crâne comme de pointes de flèches iroquoises. Tu vois ces contusions au niveau des poignets ? C'est le signe qu'il est resté suspendu pendant au minimum vingt-quatre heures. Ces marques, là, c'est parce qu...
Le son s'évanouit subitement, comme si un génie bien avisé venait de presser le bouton volume barré sur la télécommande. Je ne cherche pas à comprendre, je me contente de presser plus fort mes mains ouvertes contre mes oreilles avec la mauvaise foi d'un enfant qui refuse d'entendre ses quatre vérités. Mais mon ouïe a beau être aveugle, mon imagination, elle, ne manque pas de moyens. La torture est un concept qui m'a souvent tourmentée ces derniers jours, je maîtrise largement le sujet. Quelle ironie que je me sois angoissée toute la semaine en imaginant Royce subir ce genre de traitement alors que... Alors que...
Je ne prends conscience d'être en train de me mordre la langue qu'en sentant l'infect arôme rouillé du sang ainsi imprégner le muscle en même temps qu'une douleur aiguë .
- ... Alors ? Tu n'as toujours rien à dire ? me parvient de manière très étouffée la voix du lieutenant âgé lorsque je me risque à écarter prudemment mes paumes moites de mes tempes.
- Je ne peux rien pour vous, je suis désolé, annonce froidement Chris et, s'il est réellement navré, il faut reconnaître que ça ne saute pas aux yeux.
- Est-ce que tu es en mesure d'assurer que Walters s'est présenté à son travail hier ? soupire Preston.
- Non.
- Est-ce que l'un de vos employés peut le faire ? demande l'autre.
- Probablement pas.
- Des caméras de surveillance, peut-être ?
- Non plus.
- C'est tout ce qu'on avait besoin de savoir, conclut le frimeur à la chemise pistache et je ne saurais dire ce qui, de son intonation trop assurée ou de la mine réjouie qu'il ne se donne pas la peine de réprimer, déclenche les sonneries d'alertes dans mon esprit.
Quoi que ce soit, ça agit comme un coup de fouet. À l'Indiana Jones. Je me décolle vite du mur, peut-être un peu trop. Mon sursaut indiscipliné capte immédiatement l'attention de Chris, nos regards se télescopent. Le sien, puissant et impavide, le mien, probablement atterré. Puis, sans que la moindre trace de surprise n'ait altéré son expression neutre, il se détourne. Il me libère. Avant que les agents commencent à prendre congé, je déguerpis.
- Il y a un autre sujet que je voudrais aborder avec vous, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, entends-je mon oncle relancer en filant sur la pointe des pieds.
Sur les trois premiers mètres qui m'éloignent du bureau, je prends la peine de raser le mur pour rester invisible. Arrivée au centre du hall, je trace. Direction la salle à manger des employés que je n'aurais jamais dû quitter. Dans ma précipitation, j'oublie que les portes sont dotées de poignées magiques et mon épaule heurte le battant de plein fouet. Indifférente à la douleur, je retente ma chance avec plus de succès et déboule comme une furie dans la pièce bondée.
La plupart des hommes sont toujours attablés, là où je les ai laissés il y a quelques minutes. Certains me coulent des regards bovins avant de se désintéresser aussi vite, plus concernés par leur dessert ou l'actualité sportive que par l'humeur changeante de celles qu'ils appellent "la nièce du boss". Seul Dallas pose sur moi un regard préoccupé. Où est Royce ? Sa chaise est désespérément vide et je suis désespérément paniquée.
- Royce...
C'est le seul mot qui parvient à se déblayer la route hors de ma gorge comprimée lorsque je tapote l'épaule du palefrenier roux, légèrement essoufflée.
- Moi c'est Jace, chérie. Pour te servir.
- Non, je veux dire... Tu l'as vu ? Tu as vu Royce ? je le presse au milieu du brouhaha masculin qui règne en maître dans la salle à manger.
Ses lèvres esquissent une moue vaguement désapprobatrice tandis qu'il se balance nonchalamment sur les pieds arrières de son siège.
- Hum... C'est possible. Brun, tatoué, environ six pieds trois et un peu crado ? Tu parles bien du fouteur de merde tatoué qui...
- Jace !
- Il est sorti y a dix minutes. Au garage, je crois. Lily, dis-moi ce qui se pa...
Pas le temps !
J'ai déjà détalé. La fin de sa phrase se perd quelque part en chemin, très vite remplacée par les hennissements râleurs de quelques chevaux désœuvrés et la mélodie endiablée de mes semelles en caoutchouc qui martèlent les pierres de l'allée à toute allure. La fournaise qui sévit dans le parc m'a heurtée avec la violence d'un mur de parpaings à la seconde où j'ai mis le pied dehors, mais je ne m'arrête pas.
Je ne me souviens pas de la dernière fois que j'ai couru aussi vite. C'était peut-être le jour où j'ai parcouru Carnaby Street dans toute sa longueur en sprintant parce que Nate avait prétendu s'être fait détrousser en sortant de chez Swatch - l'imbécile voulait simplement tester ma "réactivité et ma dévotion". En tout cas, je suis presque certaine de ne pas avoir déployé de telles énergies pour le tournoi de Cross-country de mon année de seconde. Pourtant, j'étais arrivée troisième et j'aurais même pu décrocher la deuxième place si Anabelle Cox ne m'avait pas envoyé son coude dans les côtes une dizaine de mètres avant la ligne d'arrivée.
L'immense bâtiment obscur et reculé du garage dans le viseur, je fonce à bride rabattue, tête baissée et capillaires pulmonaires dilatés à l'extrême. Je galope comme si j'étais l'une de ces coureuses outrageusement athlétiques qui pulvérisent des records sur les pistes de courses, comme si j'étais l'une de ces héroïnes un peu gourdes de films d'horreur sur lesquelles les tueurs à la hache jettent constamment leur dévolu, comme si j'avais le diable aux trousses... Sauf que ce n'est pas le diable, mais la police. C'est presque pire. C'est pire, non ?
Oui !
Je dépasse en coup de vent deux ouvriers médusés, ignore les coups d'œil méfiants dont me gratifient les deux gardes près du portail, franchis d'un bond le palmier nain qui se dresse en obstacle sur mon chemin, me prend le pied dans son feuillage touffu et manque m'étaler de tout mon long sur la pelouse sans que cela ne me coupe dans ma lancée. En revanche, j'ai mal dosé ma fougue. Emportée dans mon élan, j'atteins finalement l'entrée du garage dans un dérapage mémorable. Le gravier crisse et gicle bruyamment sous mes tennis, alertant l'unique occupant de cet hôpital à voitures. Je le vois se redresser en cherchant mon équilibre.
Pour la première fois depuis des jours, le store métallique est partiellement relevé et, de l'autre côté, à moitié enseveli sous les ombres du hangar, Royce occupe sereinement son poste au fond de sa caverne. Dans un débardeur grisâtre et si souillé que c'en est presque artistique, il est penché sur le capot baillant d'un véhicule de sport. On pourrait croire qu'il s'agit d'un dimanche comme un autre. Sauf que ce n'est pas le cas, alors le temps d'arrêt que je marque devant cette scène anormalement normale ne dure qu'une fraction de seconde. Passé ce court laps de temps, je me précipite sous le rideau en acier pour franchir le seuil.
À l'intérieur, il fait frais et sombre comme dans une grotte, à croire que le soleil n'ose pas pénétrer ce temple de la mécanique. La différence de luminosité m'oblige à papillonner des paupières, mais ne me ralentit pas plus que le puissant parfum chimique qui flotte dans l'atmosphère. Une main toujours dissimulée dans les tripes de caoutchouc et de métal du véhicule, Royce s'en est légèrement écarté pour darder sur moi ses prunelles incandescentes. Son regard m'épingle et me pourfend alors qu'un léger sillon se creuse à mi-chemin entre ses sourcils.
Les objets semblent avoir été semés sur mon chemin dans le seul but de me ralentir. Des clés à molettes abandonnées, des bouts de tuyaux, des bidons d'essence et... d'autres trucs. J'esquive de justesse une énorme caisse à outils, mais le danger était juste derrière. Une épaisse flaque sombre et luisante qui pourrait aussi bien être du jus de cassis que de l'huile de moteur ou n'importe quelle substance louche et chimique qui peut traîner dans un garage. J'ai presque rejoint Royce lorsque je pose le pied dans le piège.
Ce n'est pas du jus de cassis, je décide en skiant sur le liquide visqueux. Mon centre de gravité se rue en avant. Aussi maladroit que moi, mon cœur trébuche à son tour. J'avance les mains par réflexe, mais mes paumes ouvertes ne heurtent jamais le sol. Une chance parce que je me serais probablement foulé les deux poignets dans le meilleur des cas et pulvérisé le menton dans le pire. La chance a un nom, elle s'appelle Royce Walters et me redresse sans cérémonie. Ses doigts brûlants s'attardent quelques instants sur mes bras et, le temps que s'éternise ce contact, je me retrouve distraite par quelques pensées délétères.
Le souffle que ma course m'a pris continue de me fuir et mon pouls ne paraît pas prêt à atterrir. Pivotant légèrement le menton, je concentre mon attention sur sa main droite, déjà couverte de cambouis et encore refermée autour de mon membre frissonnant. C'est à ce moment que je réalise que cette main a commis un crime. Enfin, elle en a probablement commis un certain nombre, mais le dernier date de moins de vingt-quatre heures. Je déglutis en silence et la vision me traverse comme un éclair, foudroyante et brève. Dans mon esprit fumant et quelque peu dérangé, la graisse de voiture qui obscurcit la peau du mécanicien est brutalement remplacée par un terrifiant voile écarlate. Ses doigts se retrouvent maculés de sang et me tachent au passage. Un sang pourpre foncé, presque noir, qui goutte abondamment et scintille presque. Ça ne dure vraiment pas longtemps. Je cligne des yeux et l'image se dissipe, mais la sensation de malaise persiste.
Coupable.
Irréversible, le jugement tombe comme le maillet qu'un magistrat imaginaire abat sévèrement sur son socle de bois. Royce est coupable. Ce mot s'est invité sans frapper dans ma conscience et maintenant, impossible de l'en chasser. Aucun adjectif qualificatif au monde ne m'a jamais semblé aussi lourd que celui-ci, aussi dur et inflexible. Complètement perturbée, je continue de fixer cette main étrangement familière et inconnue jusqu'à ce que Royce me soustraie son contact en la faisant disparaître en même temps que sa jumelle dans les poches de son jean. Il recule d'un pas, puis d'un autre, et les ombres du bâtiment reviennent tout naturellement l'enlacer pour me le prendre. Là, un vif courant d'énergie me parcourt et je retrouve mes esprits, comme électrisée.
Tic-tac.
Ou plus tôt "pim-pom".
La panique pure qui m'a conduite ici plante de nouveau ses griffes impropres dans mon cœur palpitant et elle est mille fois plus pressante que mes réserves à propos de Royce. Mon cerveau a beau chercher à démêler le bien du mal pour me ramener coûte que coûte sur le droit chemin, il y a cette chose qui bat et qui vit dans ma poitrine et cette chose se contrefiche d'un concept aussi abstrait que la morale. Tout ce qui l'intéresse... c'est Royce. Royce que ces policiers en civil de Miami sont venus chercher. Royce qui attend que je me décide, les traits figés et le regard définitivement distant. Je ne distingue pas son expression avec précision, le jeu de clair-obscur qui assombrit son visage me le rend indéchiffrable. De toute façon, je n'ai pas le temps pour ça !
Je me rapproche de lui, assez pour me faire écraser par cette aura brute qui l'habille en permanence. L'esprit bourdonnant d'affolement, je mélange d'emblée les pinceaux. Les mots s'emmêlent en même temps que les priorités et sortent de façon confuse.
- Tu as... Est-ce que tu... Quelqu'un sait où tu étais ? Est-ce que quelqu'un sait où tu as passé ces derniers jours ?
Est-ce que quelqu'un sait que tu as tué un homme ?
Il ne dit rien, plisse simplement les yeux avec l'air de vouloir percer mes intentions. Ne sont-elles pas évidentes ?
- La police est là ! je le presse sans pouvoir m'empêcher de glisser des coups d'œil anxieux vers l'entrée du garage. Ils ont envoyé une équipe de Miami et je te promets que ça ne rigole pas du tout, alors j'espère vraiment, vraiment que tu as un alibi qui tient la route !
Le voilà à présent qui incline la tête, peut-être vaguement dérouté ou seulement diverti par mes réactions. Dans tous les cas, son niveau d'angoisse est largement inférieur à ce qu'il devrait être ! Est-ce qu'il a entendu quand j'ai évoqué la police ? Il est peut-être en état de choc.
- Est-ce que tu as entendu ce que j'ai dit ? je vérifie, dans le doute.
- J'ai entendu, confirme-t-il, imperturbable. J'ai pas besoin d'alibi.
- On sait tous les deux que si, je chuchote à moitié, de plus en plus perturbée par sa nonchalance complètement décalée.
Sans y penser, j'ai encore réduit la distance qui nous sépare de quelques nouveaux centimètres et il me faut maintenant lever le menton pour lui faire face. Son regard est moins imperméable tout à coup. Sous sa paire de sourcils froncés, ses prunelles métalliques parcourent méticuleusement mon visage à la recherche de je ne sais quoi. Il semble passablement égaré. Pourtant c'est moi qui suis perdue, complètement perdue ! Qu'est-ce qui lui prend ?
- Royce...
- Tout ce qu'ils vont faire, c'est me foutre en garde à vue pendant quarante-huit heures. Après, ils me relâcheront, commente placidement le mécanicien sans cesser de me dévisager avec attention.
En garde à vue...
Mes yeux s'arrondissent à mesure que cette idée imbuvable s'incruste dans mon esprit. Mes lèvres forment un "o" de stupeur.
- Quoi ? Mais... Non ! je m'étrangle d'une voix enrouée en m'écartant légèrement, le pas chancelant. Ils ne te libéreront pas s'ils trouvent des preuves incriminantes ! Et ils en trouveront parce qu'ils ont une équipe scientifique formée pour ça !
- Y a pas de preuves, tranche Royce avant de préciser en me voyant continuer de reculer, Regarde où tu poses tes pieds.
- Et s'il y en a ? Hein ? S'ils ne trouvent pas tes empreintes digitales, ce sera un de tes cheveux et si ce n'est pas ça, alors ce sera des gouttes de transpiration ou des cellules de ta peau qu'ils retrouveront sur la... sur la scène de...
Le mot que tu cherches, c'est crime. Non ? me crucifie ma conscience.
Mon Dieu, comment j'ai pu tomber aussi bas ? Est-ce que je suis réellement en train de... de quoi, au juste ? Qu'est-ce que je fais ? Temps mort. Je pince les lèvres et joins les mains devant mon visage chiffonné par les tourments en fermant les yeux. J'essaye de compter mes respirations, mais elles sont bien trop chaotiques. Est-ce que j'ai le droit de m'inquiéter pour Royce ? Est-ce que j'ai le choix ? Je devrais n'en avoir rien à faire, il le faudrait ! Si j'étais vraiment quelqu'un de bien, si j'avais ne serait-ce que des miettes de valeurs, je quitterais ce garage et je laisserais la justice trancher. Alors pourquoi est-ce que cette seule idée me fait l'effet d'une main décharnée fouillant sans ménagement mes entrailles ? Pourquoi est-ce que mes chaussures restent résolument soudées au sol de ce garage, strictement incapables de tourner les talons ?
Avant même que l'on ait commencé à appréhender le monde qui nous entoure, on nous enseigne qu'il y a d'un côté le bien, d'un blanc immaculé et pur comme le ciel, et de l'autre le mal, plus noir et cruel que l'océan une fois la nuit tombé. Et ça paraît tellement simple, limpide et évident. Mentir, c'est mal. Voler, c'est mal. Tuer, c'est mal. Logique. Personne ne nous parle de la frontière qui sépare les deux notions, si ténue qu'on peut à tout moment la franchir sans s'en rendre compte, comme on roule du côté gauche au côté droit du lit dans notre sommeil. L'amour est un piège. Il n'a rien de beau, il n'est pas propre ni fleuri. Personne ne nous prévient que son souffle insouciant éparpillera vos principes comme de misérables feuilles décrépies qu'emporte la brise.
Je ne suis toujours pas résolue à rouvrir les paupières quand je détecte sa présence, beaucoup plus proche que prévu. Je ne le vois pas, mais je le sens. C'est son parfum de bois de santal, d'homme et de moteur. C'est l'empreinte brûlante de son souffle à la racine de mes cheveux.
- Arrête, m'ordonne-t-il froidement en s'inclinant de sorte à placer nos yeux au même niveau.
- Que j'arrête quoi ? je me renseigne faiblement en jetant un centième regard par-dessus mon épaule en direction du store métallique.
- Ce que t'es en train de faire. Tu laisses tomber.
- Tu ne...
- Ce merdier, c'est mon problème, martèle-t-il à trois centimètres de mon visage. Tu m'écoutes ? T'as pas besoin de flipper à propos de ça.
- Si les gens pouvaient arrêter de s'inquiéter sur commande, ça se saurait. Je suis censée faire ça comment, moi ?
- Commence par retourner dans la baraque et arrête de te mêler de conneries qui te regardent pas, tu seras sympa.
- Mais toi, tu n'es presque jamais sympa alors ne me dis pas ce que je dois faire ! j'essaye - de façon assez pathétique - de m'imposer.
Royce cille, un poil désarçonné par ma rebuffade. À présent, c'est à son tour de guetter l'entrée du bâtiment. Il ne semble toujours pas tracassé par sa potentielle et imminente arrestation, seul le muscle qui s'énerve au niveau de sa tempe révèle une pointe de nervosité, à moins qu'il ne s'agisse de frustration.
- Lily... dégage, siffle-t-il. Je veux pas de toi ici.
Je vacille légèrement sous le poids du rejet. À quoi bon tout cela ? À quoi est-ce que ça peut bien rimer ? Mes poings se serrent d'impuissance près de mon short et les paroles qui m'échappent ensuite le font en doublant mes pensées par la droite :
- Et moi, ce que je voudrais, c'est ne t'avoir jamais rencontré ! je m'exclame d'un timbre brisé qui m'écorche les cordes vocales.
Je l'ai à peine prononcé que je voudrais pouvoir ravaler ce demi-mensonge. C'était inutilement cruel et sûrement peu plaisant à entendre. Même si je doute qu'une chose aussi futile que mes états d'âme puisse ébranler le mécanicien. D'ailleurs, il bronche à peine. Son expression reste de marbre, ses sourcils ne tressaillent qu'une nanoseconde et, hormis ce minuscule éclat - probablement le fruit de mon imagination - que je crois voir faiblir dans ses billes d'acier, il ne paraît pas plus bousculé que si je lui avais annoncé être blonde.
Tout ça, ce qui est en train d'arriver... C'est un cauchemar. J'aimerais que quelqu'un m'empoigne par les épaules et me secoue comme un prunier pour me réveiller. J'ouvrirais les yeux sur mon plafond enchanté où s'accrochent les souvenirs et Royce n'aurait pas disparu toute une semaine ni tué cet homme... Non, mieux ! Je serais dans mon lit en Angleterre. Pas celui du manoir de Gareth, je pense plutôt à notre ancienne maison. J'aurais à nouveau dix ans, papa serait toujours vivant et à cent pour cent mon père, je ne serais rien de plus qu'une fille normale et mon unique problème consisterait à convaincre Nate de m'accompagner au concert des One Direction.
Je patiente quelques secondes au cas où mon souhait se réaliserait, mais cela n'arrive presque jamais. Je ne me réveille pas pour la simple et bonne raison que j'ai déjà les yeux grands ouverts sur ce mauvais rêve qui n'est rien de moins que la réalité. J'en prends douloureusement conscience en percevant le bruit croissant d'une discussion qui se rapproche. Ça et des pas d'hommes qui déplacent des gravillons, de plus en plus près.
Oh bon sang !
- Est-ce que tu étais... Est-ce que quelqu'un peut garantir que tu étais sur l'île ces derniers jours ? j'articule à la hâte.
Pas de réponse.
- Royce !
En l'interpellant, j'ai brusquement refermé les doigts sur son haut taché, étranglant le tissu sans sa permission. Tant pis. Son regard descend scruter cette main intrusive qui s'agrippe à lui et je sens des tas de muscles se raidir sous le débardeur, mais, étouffée par un sentiment d'urgence, je ne le lâche pas.
- Non, cède-t-il sans état d'âme.
- Mais tu y étais.
Une fois de plus, je n'ai droit qu'à un silence lourd de sens.
- Tu ne comprends pas, ce n'est pas une question, je souffle en désespoir de cause devant son mutisme effrayant. Tu n'as jamais quitté l'île. Jamais. Tu étais ici, au garage, d'accord ?
Il n'acquiesce pas. Son regard se plante au fond du mien et, même si soutenir ce contact visuel me torpille l'intérieur, même s'il me refroidit plus qu'il ne me réchauffe, je le fais. Je compte les stries plus sombres qui marbrent ses iris pâles et je me demande d'où il puise sa force. Comment parvient-il à rester stoïque quand la crainte me laboure l'estomac ? Comment peut-on être aussi indifférent face à son propre sort ? Son indifférence a quelque chose d'effrayant parce qu'elle le rend... inaccessible, intouchable. N'a-t-il pas peur, ne serait-ce qu'un tout petit peu ? On ne dirait pas. Il ne me quitte pas des yeux. Il me regarde toujours quand le rideau métallique est bruyamment relevé dans mon dos. Il me regarde encore quand les envahisseurs pénètrent dans le garage de leur démarche exagérément appuyée. C'est moi qui me détourne la première pour faire face aux intrus.
Je les attendais, mais me retrouver face aux deux lieutenants me donne la désagréable sensation de rétrécir de quelques décimètres. Sans les badges qui scintillent à leurs ceintures pour hurler leur statut, ils seraient tellement quelconques que je pourrais les oublier une seconde après les avoir croisés. Mais voilà, ils ont leurs badges, leurs pistolets bien en évidence et surtout, ils ont le sort de Royce entre leurs mains, donc ça ne va pas du tout.
Ils ont tous les deux plissé le nez, agressés par la puissante odeur d'essence qui sature le bâtiment. Le plus âgé marque un temps d'arrêt en me découvrant et son attention se concentre brièvement sur moi. Ses yeux perçants me scannent de la tête aux pieds et ses traits se crispent discrètement sous l'effet d'une apparente contrariété. Chris, qui a dû accompagner les inspecteurs jusqu'ici, ne montre aucun signe de surprise en me découvrant en présence de son mécanicien. D'ailleurs, il ne montre rien du tout, aussi expressif qu'une porte close. Je suis presque sûre d'être la seule à remarquer la façon dont il tripote sa montre. Comme s'il se rendait compte que ce geste trahit son agitation, il croise rapidement les bras sur sa chemise impeccable et se poste près de l'entrée sans un mot.
Le jeune agent note à peine ma présence, trop concentré sur le criminel potentiel à qui il semble avoir hâte de passer les menottes. Il est le premier à rompre le silence asphyxiant qui commençait à planter sa tente, bombant ridiculement le torse, il s'avance pour s'annoncer.
- Police de Miami. On a quelques questions à vous poser, déclare-t-il sèchement en désignant son insigne avant d'ajouter à mon intention. Excusez-moi Mademoiselle, mais je vais devoir vous demander de quitter les lieux.
Excusez-moi Monsieur, mais je vais devoir refuser.
- J'habite ici, je proteste en coulant un regard implorant vers mon oncle.
- Elle peut rester, confirme Chris après un temps d'hésitation.
- Je suis désolé, mais ce n'est pas à vous de déci...
- Laisse-la, tranche ce Preston avant de consentir à déporter son attention de moi à Royce. Monsieur Walters, est-ce que le nom O'hara vous est familier ?
Quand je me retourne vers le mécanicien, c'est pour intercepter le vague haussement d'épaule qu'il accorde de mauvaise grâce au lieutenant. Comme si son manque de coopération n'était pas suffisamment flagrant, il a le culot de replonger les doigts sous le capot qu'il a délaissé il y a quelques minutes. La bouche entrouverte, je le regarde ramasser une espèce de clé posée sur un établi au milieu d'un océan d'outils mystérieux et reprendre là où je l'ai interrompu.
- Répondez par oui ou par non, s'agace l'homme à la chemise pistache.
- Non.
- Il semblerait que vous ayez côtoyé un certain Jorge K O'hara avant votre incarcération. Ça ne vous dit toujours rien ?
Aussi éberlué que les enquêteurs, je regarde, bouche bée, Royce faire tourner son instrument métallique dans le ventre du véhicule sans se soucier une seconde de l'énervement graduel de son interrogateur. Il ne semble pas remarquer non plus que la veine frontale de ce dernier prend petit à petit la coloration inquiétante d'un radis bien mûr.
- J'ai côtoyé un paquet de monde, jette-t-il sur un ton traînant et peu concerné en récupérant un à un les boulons qu'il est en train de dévisser.
- Cette photo pourra peut-être vous rafraîchir la mémoire, s'impose le lieutenant grisonnant en tirant un carré de papier du fond de sa poche pour la présenter au mécanicien.
Comme atteint de surdité passagère, Royce prend tout son temps pour retirer les derniers écrous. Je suis sûre qu'il le fait exprès. L'inspecteur, dont je salue la patience et le sang froid, garde le bras tendu pendant exactement soixante-seize secondes. J'ai compté. C'est peut-être pour lui épargner une inutile tendinite que je m'empare du cliché. Comme ça, au culot, poussée par une curiosité un peu morbide.
Je baisse les yeux. C'est bien l'homme dont j'ai trouvé le profil sur internet il y a une semaine, celui qui avait un chien. Enfin, je crois. Il a le même teint mat, même s'il a l'air sensiblement plus âgé. Ses pommettes sont très saillantes, comme celles d'Angelina Jolie, une vilaine cicatrice barre son front, et il possède une sacrée collection de tatouages. Une étoile noire sur la tempe, une croix près de la joue, une fausse larme d'encre sous l'œil gauche et dans son cou, il y a écrit "Malia" en lettres attachées. Je voudrais savoir qui porte ce nom. Forcément quelqu'un d'important pour qu'il décide de le graver à un endroit aussi douloureux et visible. C'est peut-être sa femme. Ou sa fille... Sur le bout de papier, le monsieur tremble légèrement en réponse à mes interrogations. En fait, c'est l'image qui tremble. Ou plutôt mes doigts. Peu importe parce qu'en un clin d'œil, ils se referment sur du vide.
Royce ne jette qu'un infime regard au portrait qu'il vient de m'arracher des mains avant de le rendre, taché de graisse, au lieutenant.
- Alors ? insiste celui-ci.
L'interrogé se borne à secouer une fois le menton, puis retourne plonger les bras jusqu'aux coudes dans les conduits de la voiture.
- Monsieur Walters, les services de police de l'île nous ont fait part de certains faits troublants à propos de votre bracelet électronique.
Il est en train de désolidariser du moteur une espèce de radiateur encrassé. Tous le regardent extirper à la verticale cette pièce métallique imposante pour la déposer au sol.
- Vous n'avez rien à dire ? soupire le lieutenant de police trentenaire.
- J'ai pas entendu de question, décoche Royce en s'essuyant sur un chiffon aussi noir que ses doigts.
- Je vais reformuler. Portez-vous toujours votre bracelet électronique ?
Le mécanicien a croisé les bras sur son torse, ses biceps n'ont pas d'autres choix que de gonfler, faisant palpiter et crépiter les flammes ténébreuses sur sa peau. Son regard anthracite conserve une température hivernale, ce qui n'empêche pas le coin de sa lèvre de s'étirer subtilement vers le haut. C'est au milieu de ce rictus lugubre qu'il rétorque :
- Mets-toi à genoux et tu sauras.
J'avale ma salive de travers. Pour de vrai, je me mets à toussoter. Le jeune policier frémit de colère, mais son partenaire ne cille pas plus que Chris, qui rappelle aussitôt son mécanicien à l'ordre.
- Royce. Contente-toi de répondre.
Après avoir honoré mon oncle d'une œillade d'avertissement glaçante, l'intéressé utilise sa botte pour écarter l'espèce de radiateur défaillant du chemin, puis plonge les mains dans les poches de son jean. Il laisse un nouveau silence pesant se prolonger en attrapant son briquet. Le dénommé Logan suit nerveusement le mouvement du regard en triturant sa plaque de policier. Ce n'est qu'après s'être allumé une cigarette et avoir expiré un premier jet de fumée en direction de Chemise-pistache que Royce se décide à répondre :
- Il a arrêté de clignoter y a une semaine. Je suis pas responsable si votre matos est merdique.
Est-ce que ça peut vraiment passer ?
- Et il ne vous est pas venu à l'idée d'en informer le département de police ou votre agent probatoire ?
- Non.
- Monsieur Walters, je crois que ne saisissez pas bien la gravité de la situation. Je vous laisse une dernière chance. Jorge O'hara a été retrouvé mort dans la semaine, est-ce que vous avez quelque chose à dire à ce sujet ?
- Qu'il repose en paix.
Ça ne va pas. Ça ne va pas du tout. Cette impertinence... Au lycée, il y avait ce garçon dans ma classe... Jeremiah Mc quelque chose. Il avait pour mauvaise habitude de répondre aux enseignants et enchaînait les heures de colle pour insolence. Les garçons l'admiraient et la plupart des filles le prenaient pour une sorte de superhéros. Pour ma part, je le trouvais plutôt méprisable et pas bien futé quand on sait qu'il passait la plupart de ses mercredis après-midi à ramasser les chewing-gums collés sur le terrain de sport. Je suppose que ça lui a paru un prix honnête pour entretenir sa popularité.
Royce, lui, ne paiera pas son insubordination par quelques corvées de nettoyage. Ce qui l'attend est bien pire, pourtant il semble s'en moquer comme de son premier tatouage. Je suppose que je suis assez tourmentée pour deux. Cela doit bien faire une minute que je bloque mon souffle en fixant les golfes apparents du lieutenant furibond.
- Vous permettez que je jette un œil là-dedans ? exige-t-il soudain en désignant le sac en toile noir qui traîne par terre, à quelques centimètres des semelles dentées de Royce.
Mon cœur dégringole, fait un roulé-boulé du haut de la colline sur laquelle il était perché. Ce bagage usé, je le reconnais. Pour avoir déjà fouillé dedans, je sais qu'il n'est pas exclu qu'il s'y cache une arme à feu.
Tu veux dire une autre que celle qui se cache sous le haut de Royce ?
Au temps pour moi, mon cœur n'est plus sur la colline. Il vient de heurter la surface d'un lac et il coule à pic pour rejoindre les galets.
- Vous avez un mandat ? s'informe sereinement le mécanicien.
L'enquêteur, qui avait déjà esquissé deux bons pas en direction de l'objet, se fige et n'a d'autre réponse que de pincer les lèvres. Éloignant son sac d'un petit coup de pied, Royce décline :
- Pas de mandat, pas de fouille.
- Où étiez-vous ces derniers jours ? intervient à nouveau celui qui s'appelle Preston, l'expression insaisissable.
Je prends une inspiration qui ne passe pas inaperçue et je la coince dans mes poumons de baudruche.
Le temps semble ralentir et s'étirer, suspendant son infatigable course vers l'après. À moins qu'il n'ait forcé le pas, au contraire. Quoi qu'il en soit, il ne trottine plus au même rythme. Je lève le visage vers Royce, le vois inspirer et distingue la légère crispation qui traverse sa mâchoire. Son regard de givre ne relâche pas une seconde son emprise sur l'agent, mais j'imagine qu'il doit forcément sentir le mien.
S'il te plaît. S'il te plaît. S'il te plaît.
- Ici, je suppose, lâche-t-il après avoir marqué une pause suffisante pour me causer deux mini-infarctus.
J'expire.
- Vous supposez ?
- J'étais ici. Y en a encore pour longtemps ?
- Est-ce que quelqu'un peut corroborer cette affirmation ? Si vous êtes bien venu travailler comme vous le prétendez, quelqu'un a bien dû vous croiser et devrait être en mesure de confirmer vos dires. Dans le cas contraire, nous allons être dans l'obligation de vous emme...
La fin de la menace se dissipe au milieu du chaos. Mon esprit en est plein. En ce moment, j'ai l'esprit le plus bruyant de la terre. J'entends le bruit de mon cœur qui joue les marteaux-piqueurs, celui de mon sang qui cogne contre mes tempes, mais le pire reste les portes de prison.
Je les entends claquer violemment, encore et encore, dans une affreuse symphonie de métal. Je n'arrête pas d'y penser. À ça, et puis aussi à la nourriture infecte des centres pénitentiaires. Aux détenus qui sifflent, qui jurent et qui huent. Aux gardiens amoureux de la matraque comme on en voit dans plein de films américains. Aux couchettes miteuses et épaisses comme un livre pour enfants qui vous doivent vous bousiller la colonne vertébrale. Et à l'avenir qui se flétrit lentement, progressivement réduit à une lueur floue, comme le bout lointain d'un tunnel atrocement long, puis une poussière, pour finir par n'être plus qu'un mythe, une promesse dénuée de sens qui ne sera jamais tenue...
- Moi, je l'ai vu.
Ce n'est pas moi qui ai dit ça. Enfin si, mais c'est surtout ma bouche, donc il faut voir ça avec elle. Il arrive que les bouches fassent des trucs qu'elles ne devraient pas faire : parfois elles embrassent des meurtriers, parfois elles mentent pour couvrir leurs crimes. On n'y peut pas grand-chose. Tourner sa langue sept fois dans sa bouche ? C'est n'importe quoi, ce truc ne marche jamais ou en tout cas, pas sur moi.
- Lily !
- Putain !
Chris et Royce ont sursauté comme un seul homme, comme ils m'ont grondé d'une même voix. Ils ont fait tomber leurs masques en même temps, ils n'ont plus qu'à se baisser pour les ramasser. J'ai envie de leur expliquer que ce n'est pas de ma faute, que ma bouche a des réflexes aberrants de temps en temps, mais je ne fais rien. Je reste parfaitement immobile et muette, même quand Royce m'empoigne un peu brutalement par les épaules pour m'inciter à le regarder. Je me concentre plutôt sur les deux enquêteurs qui échangent des coups d'œil à peine discrets et le mécanicien est forcé de presser de son pouce la ligne de mon menton pour obtenir mon attention.
- Eh, m'appelle-t-il avant d'exiger sur un ton dur. Tu la fermes.
Il ne plaisante plus du tout, du tout. Pareil à une flaque d'eau ou de gasoil, son flegme de façade gît au sol. Sans y faire attention, il a empoigné ma mâchoire avec la main qui tient sa cigarette. Le mégot encore brûlant est coincé entre son index et son majeur et s'il décale très légèrement son poignet, il y a de grandes chances qu'il mette le feu à mes cheveux. En plus, la fumée s'est mise à m'envelopper et ça me pique les yeux. Je me dégage de la poigne du mécanicien en clignant des paupières et il n'essaye pas de me retenir. Toutefois, ses pupilles envoûtantes et gorgées d'obscurité continuent de me broyer et de m'intimer au silence.
C'est trop tard de toute façon. Il y avait une ligne - la ligne - et je viens de l'enjamber comme si de rien n'était. J'ai sauté à pieds joints et maintenant que je suis de l'autre côté, je ne peux plus faire machine arrière. Une fois que cette frontière est franchie, on ne peut plus la... défranchir. Il y a encore une seconde, j'étais une personne à peu près intègre et je ne le suis plus. C'est aussi simple que cela.
- Vous avez vu quoi ? m'interroge prudemment Preston et son regard étincelant de curiosité semble étrangement satisfait d'avoir une raison de revenir m'ausculter.
Il sait que je mens. Je sais toujours quand les adultes savent que je mens et celui-ci me regarde exactement comme maman.
- À quoi est-ce que tu joues ? siffle Chris en s'interposant entre le policier et moi. Laisse-la en dehors de ça, je te le répéterai pas.
- Je ne joue à rien, c'est elle qui a parlé. Je veux simplement entendre ce qu'elle a à dire, c'est tout.
- Je te préviens..., commence mon oncle d'une voix menaçante dont il use rarement pour s'interrompre aussi vite et pivoter vers moi. Lily, rentre à la maison. Tout de suite.
Négatif.
Une fois qu'on est entré dans l'eau gelée et qu'elle nous mord les mollets, il est idiot de retourner sur la plage. Retenir sa respiration, serrer les dents et plonger la tête la première, voilà ce qu'il faut faire.
- Je l'ai vu, je répète à la façon d'un disque rayé sans m'arrêter au chapelet de grossièretés que laisse échapper le mécanicien, derrière moi. Je peux attester qu'il était bien ici. Ou... témoigner, peu importe, je termine dans un murmure à peine audible en fixant le premier bouton de chemise de Preston.
C'est tout juste si je m'entends parler à cause du tohu-bohu qui encombre ma cage thoracique. Là où devrait normalement se trouver mon cœur, s'est installé ce singe joueur de cymbales à moitié fou. Le sang a déserté mon visage et le col de mon chemisier s'accroche à ma nuque humide. Ça ne m'empêche pas de rester droite comme un I, les mains sagement nouées dans mon dos. J'essaye de faire passer ce moment atroce pour un exposé particulièrement stressant. Sauf qu'à la place des adolescents peu indulgents, j'ai droit à deux agents de police ouvertement sceptiques.
Qu'est-ce qu'on risque comme peine, pour de fausses déclarations dans une affaire de meurtre ? Même si je devais me faire arrêter, maman pourrait toujours payer la caution, non ? C'est comme ça que ça marche, je crois. Les riches ne vont pas réellement en prison. Hein ?
Sauf Robert Downey Junior.
Sauf lui.
Et Carlos Ghosn.
Eh mince.
- Si je comprends bien, vous confirmez qu'il a passé ses journées sur l'île cette dernière semaine ? me presse le jeune lieutenant, m'obligeant à me focaliser sur sa chemise hideuse.
Il a prononcé le mot "journée" avec insistance, un drôle d'éclat au fond de l'œil. Je fronce le nez en réfléchissant le plus vite possible. C'est comme pour l'exposé : lorsque l'enseignant t'interroge à la fin de la présentation, tu as tout intérêt à répondre juste et vite sous peine de le voir grimacer en griffonnant au stylo rouge dans son carnet d'évaluation.
"Jorge K O'hara. Assassiné durant la nuit du 11 au 12 Juillet à Overtown Miami. Enquête en cours."
La nuit...
Cette question est un piège.
- Oui et... aussi ses nuits, je me dépêche de renchérir sur le ton de l'élève qui a trouvé la bonne réponse.
La maigre satisfaction qu'aurait pu m'apporter cette pseudo-victoire est brutalement tuée dans l'œuf quand je prends conscience de ce que je viens de dire. J'ai dit ça à voix haute. Une chaleur familière escalade ma gorge pour gagner mes joues qui ne tardent pas à s'enflammer. En cet instant, je crois que je préférerais être n'importe quoi d'autre que moi. Je pourrais être l'œil en plastique d'une peluche éléphant et finir violemment arraché par un enfant turbulent que ce serait toujours moins pitoyable que ma situation. Je pourrais aussi être le beurre de Peanut sur un toast de pain sans gluten ou la roue de secours crevée d'un 4x4 ultra-polluant et ce serait moins pénible que ce que je vis en ce moment.
- Comment pouvez-vous le savoir ? m'oppose l'ancien policier.
- Preston, ça suffit ! Lily, ne dis plus rien, gronde mon oncle en m'empoignant par le bras pour mettre de la distance entre les lieutenants et moi.
Royce, par contre, ne dit plus rien. Il ne cille même plus, on croirait voir une statue. Légèrement sonnée, la statue.
- Chris, soit elle répond à mes questions maintenant, soit il faudra qu'on finisse cette conversation au poste. C'est toi qui vois.
Mon oncle ne doit pas être très emballé par l'idée de devoir nous conduire au commissariat ultérieurement parce qu'il garde le silence en dépit de la tension évidente qui raidit son maintien.
- Comment pouvez-vous savoir que Royce Walters a passé ses nuits sur l'île ? réitère calmement ce Preston en braquant sur moi ses deux rayons X d'agent de police aguerri.
- Parce que... parce que... J'étais avec lui.
Si un train passait en coup de vent, là, maintenant, tout de suite, et m'écrabouillait, je ne lui en tiendrais pas rigueur. Ou peut-être que si. Ça doit faire super-mal. Non, pas de train. Par contre, je ne suis pas contre l'idée de me faire aplatir par le panier d'une montgolfière. Je n'ai pas le courage de mentir en fixant mes interlocuteurs dans les yeux, alors je passe en revue les nombreux outils dispersés au sol. Je ne me soucie pas tellement d'être convaincante, je me doute bien que je ne le suis pas. Je donnerais ma main qui dessine au feu que personne dans ce garage n'est dupe. Ça n'a pas tellement d'importance.
- Pour quelles raisons, si ce n'est pas indiscret ? s'énerve Chemise-pistache.
Cette fois, je me donne la peine de lui faire face. Je lève le menton pour croiser son regard et je n'ai pas de mal à y déceler sa déception. J'ai gagné. En quelque sorte. Raclant le fond du réservoir, je réunis mes maigres réserves d'aplomb et de culot. C'est en fixant l'inspecteur Pistache droit dans les yeux que je décrète :
- C'est mon amoureux.
J'ai ponctué ce dernier mensonge d'un petit haussement d'épaules.
- Cet entretien est terminé, conclut Chris dans un soupir. Quittez la propriété et ne revenez pas sans mandat.
- Très bien, cède Preston.
- Quoi ? Mais...
- Logan, va m'attendre à la voiture.
Le plus jeune des agents s'éloigne immédiatement sans contester les ordres. Je ne peux pas m'empêcher de lui trouver des airs d'enfant puni.
- L'enquête va suivre son cours, nous informe celui qui reste. Il faudra peut-être que la petite aille faire une déposition au poste. J'espère que vous savez ce que vous faites, jeune fille. Votre père n'aurait pas supporté de vous voir... dans ce genre de situation.
L'air que je venais d'inspirer se rue hors de mes poumons.
- Vous connaissiez mon père ?
- C'était un très bon ami. J'imagine que c'est une bonne chose qu'il ne soit plus là pour voir...ça.
Une fois, je me suis disputée avec maman alors qu'elle était au volant. La plupart du temps, c'était son chauffeur qui la conduisait d'un lieu à un autre, mais il arrivait qu'elle fasse rouler l'une de ses automatiques elle-même. C'était le cas ce jour-là et pendant que je la déconcentrais en négociant mon absence à je ne sais plus quel événement mondain sans intérêt, elle a roulé sur un hérisson. Quand elle a accepté de s'arrêter sur le bas-côté pour me laisser descendre regarder, la pauvre bête n'était déjà plus qu'un amas d'épines sanguinolentes. Ce jour-là, j'ai découvert le sentiment de culpabilité. J'ai pleuré sur tout le reste du trajet pendant que Rihanna enchaînait les tubes à la radio. J'ai continué de sangloter devant mon assiette pendant le dîner et, quand ma mère en a eu tellement marre qu'elle m'a envoyée chez les Evans, j'ai terminé de m'apitoyer dans le lit de Nate, trempant ses oreillers.
Je me sens à peu près comme ça en ce moment. En fait, non. Je me sens pire, je me sens vide.
- Va-t'en, exige Chris d'une voix dangereusement basse et pendant un fol instant, j'imagine qu'il s'adresse à moi.
Mais non. Il parle au lieutenant. Ce dernier hoche la tête et tourne les talons. Il s'arrête cependant juste avant de passer le store pour préciser, l'expression rigide :
- Walters doit se faire poser un nouveau traceur d'ici vingt-quatre heures, si ce n'est pas fait, il faudra que j'écrive un rapport.
Il disparaît sur cette dernière menace et le silence qui lui succède paraît sans fin. Il est assez profond pour nous permettre d'entendre avec précision la voiture de police quitter la propriété, assez long pour déclencher une chair de poule ridicule sur mes bras, mais certainement pas assez paisible pour étouffer mes craintes qui prennent la forme d'un étau de fer impliable broyant ma poitrine.
Chris et Royce ont leurs regards braqués sur moi. Je n'ai pas besoin de les voir pour en avoir conscience, ces deux-là ont des regards envahissants, vous les sentez peser sur vos épaules comme des haltères. Vous devinez également leur tension parce qu'elle a quelque chose de crépitant et presque douloureux. Aussi droite qu'un soldat la seconde qui précède son exécution, j'attends ma sentence, prête à l'encaisser. Mais à l'instant où mon oncle se décide à ouvrir la bouche, je ne m'en sens plus capable.
- Lily..., débute-t-il sur un ton contrôlé qui n'annonce rien de bon pour la suite.
- Tu vas me crier dessus ? je le coupe rapidement en essayant d'apercevoir le jour à travers le rideau métallique partiellement descendu.
Dans ce garage, il fait tout le temps nuit. C'est perturbant. La dernière fois que j'étais ici, j'ai embrassé Royce. C'était il y au moins... quoi ? Un siècle. La dernière fois que j'étais ici... Je plisse les yeux en fixant un point invisible, dehors. Chris s'est tu, coupé dans son élan. Je me retourne vers lui - seulement lui - et le surprends à me dévisager avec intensité, déconcerté.
- Si tu veux me crier dessus, est-ce que ça peut attendre demain ? je marchande d'une voix faible en me frottant les yeux.
Là, je me sens aussi solide qu'un vase explosé en mille morceaux et recollé à la colle bas de gamme par un enfant de sept ans. À la moindre secousse, je retombe en miettes et je n'ai pas besoin de saisir avec exactitude la traduction réelle de cette métaphore pour savoir que ce ne serait pas joli et potentiellement embarrassant pour moi. Je me remets à fixer l'extérieur avec une envie un peu molle, bousculée par un instinct de fuite vieux comme le monde.
- Lily, ça ne marche pas comme ça, contre Chris avec des inflexions moins sûres et un bon train de retard. Est-ce que tu te rends compte de ce que tu...
- Oui, mais est-ce que je peux disposer ?
Mon oncle marque un temps d'arrêt, possiblement aussi sidéré que la petite partie de moi encore lucide par mon comportement. Je n'essaye pas d'être désobligeante, je le jure. C'est seulement que je n'ai plus envie d'être là. Ils continuent de me regarder, je continue de les fuir.
- Non ! s'emporte Chris. Non, tu ne peux pas "disposer". Pas avant que tu m'aies expliqué ce qui t'est passé par la tête ! À quoi tu pensais, tu peux me le dire ?
- J'étais juste ici, je souffle en désignant mes chaussures, le regard toujours perdu dans le parc à peine visible.
Malgré cet angle de vue médiocre et en dépit du soleil encore aveuglant de l'après-midi, je peux presque percevoir à nouveau les tonalités des cordes de pluies qui chutaient sans discontinuer et le parfum musqué de la météo, cette nuit-là. Chris patiente, tendu. Royce... je ne sais pas.
- J'étais ici et toi, tu étais juste là, je clarifie doucement en pointant du doigt un point vague, de l'autre côté du store métallique. Et je t'ai vu.
Je perçois sans mal l'instant où mon oncle saisit ce que je veux insinuer parce que les lignes de son visage se durcissent d'un seul coup et qu'il blêmit à vue d'œil. Pourtant, il devait déjà savoir que j'étais au courant, non ? Je ne sais pas si Jace a réellement tenu sa langue à ce propos ou si Chris ne s'attendait simplement pas à ce que je mette un jour le sujet sur le tapis, mais ça n'a pas une si grande importance.
- Alors ce que je pense, c'est que le jour où ces lieutenants vont revenir parce qu'ils auront retrouvé le corps d'un certain Riley... quelque chose, et qu'ils voudront savoir ce que je sais, tu seras bien content quand je leur mentirais, j'achève en plongeant dans les eaux glacées et sans fond des prunelles de mon oncle.
Pour le coup, il ne trouve rien à répondre, il demeure aussi parfaitement figé que son mécanicien. Je ne vois pas très bien ce qu'il pourrait dire non plus. Comme la conversation semble close pour le moment, je fais volte-face et prends la direction de la sortie. J'ai atteint le seuil du bâtiment, plus vraiment dedans, mais pas encore dehors, quand ma bouche indépendante croit bon de préciser :
- Si vous pouviez éviter de tuer des gens, au moins jusqu'à demain, ce serait très apprécié.
Ce n'était même pas sarcastique, pas à cent pour cent, du moins. Je me penche pour passer sous le rideau et prends congé sur cette requête. Je n'ai pas vraiment de souvenir du trajet pour regagner ma geôle enchantée, je me doute que j'ai dû traverser la cour et monter les escaliers à un moment parce que je suis loin de maîtriser le transplanage, seulement je ne m'en souviens pas. J'atteins ma porte avec un relatif soulagement, pressée de me barricader dans ma pièce pour... disons... les cinquante prochaines années - j'ai probablement assez de provisions sucrées pour soutenir un siège de cent ans. Pour le shampoing, ce n'est pas dit, mais il me semble que les gens se débrouillaient très bien sans au temps des châteaux forts...
Mes illusions s'effondrent à mes pieds à peine le battant poussé. Maman se tient debout devant ma penderie ouverte et elle est en train de recréer les chaînes montagneuses du Karakoram sur mon lit avec mon propre linge... entre autres. Le parquet est encombré de sacs de shoppings vides et d'emballages déchirés.
OK.
- Tu es là, note sommairement Victoria en continuant d'empiler les vêtements sur mon édredon.
Non, c'est juste mon hologramme.
- Hum, je me contente de marmonner en déboutonnant ma chemise sans poser de question.
Je ne suis pas assez curieuse pour ça. Je laisse tomber la pièce de tissu par terre et mon bas l'y rejoint rapidement. Fouillant dans la pile monstrueuse qui encombre mon matelas, j'enfile un shorty et un T-shirt sur lequel on peut lire "I'm a capricorn boy. That's my excuse". Puis, sans rien ajouter, je tire précautionneusement ma couette en évitant de renverser les piles de linge et me glisse dessous. J'empoigne mes genoux pour me coucher en chien de fusil. Le temps n'est pas propice à ce genre d'activité, se cacher sous les couvertures est quand même bien plus satisfaisant à Londres et en Hiver, mais ça ne fait rien. Au moins, là-dessous, il n'y a ni police, ni meurtres, seulement une tendre odeur de lavande et mes larmes que personne ne peut voir.
- Elisabeth, je peux savoir ce que tu fais ? Il est à peine quinze heures, tu trouves que c'est une heure pour dormir ?
La lavande, tes larmes...et ta mère.
- Tu n'as qu'à fermer les volets. Comme ça, il fera nuit, je grommelle dans l'un de mes oreillers.
- Je ne comprends rien à ce que tu dis. Articule quand tu me parles.
- J'ai dit... Non, rien.
- J'ai besoin de place sur le lit. Je fais du tri, au cas où tu n'aurais pas remarqué.
Comme si c'était possible.
- Tu ne peux pas faire ça une autre fois ? je râle. Je ne me sens pas très bien, là.
C'est bien. Ça t'apprendra à mentir à la police pour couvrir des meurtres.
- Non, je vais le faire maintenant. Qu'est-ce que tu as ?
- Rien. S'il te plaît, je voudrais juste récupérer mon lit.
Et aussi peut-être, accessoirement, aller piocher une ou deux ou quinze peluches dans mon étagère pour les rapatrier sous ma couette. J'épargne ce projet à ma mère.
- Tu es malade ? s'enquiert-elle depuis l'autre bout de la chambre.
- Non.
- Tu as tes menstruations ?
- Non, je réitère avant de grogner quand elle me prive sans prévenir de mon toit de tissu, m'inondant d'un soleil non désiré.
- Tu pleures ?
- Non, je me défends en reniflant.
Maman pince ses lèvres carmin en fixant mes joues humides d'un air plus ou moins excédé.
- J'espère bien, commente-t-elle en posant brièvement le dos de ses doigts frais sur mon front, comme pour tester ma température.
Mon cœur se ratatine sur lui-même et je grince des dents en fixant mon plafond du bonheur. Je déteste quand elle fait ce genre de trucs. Je ne supporte pas qu'il existe toujours une partie de moi qui aime ça, qui dresse bêtement le museau d'espoir dès que ma mère a un geste qui pourrait passer pour affectueux. Ça me rend atrocement faible. Et pitoyable.
- Très bien, soupire maman en retirant sans tarder sa main. Maintenant, reprends-toi et explique-moi ce qui t'arrive.
Elle est retournée près de mon armoire et entreprend de plier les chemises comme seule elle sait le faire.
- J'ai fait quelque chose... de très mal, je confesse à mi-voix, plus pour moi que pour elle en croisant le regard pétillant d'un Nate de huit ans, agenouillé devant un château de sable partiellement démoli.
Maman a beau me tourner le dos, je sais qu'elle lève les yeux au ciel. J'en suis certaine. Pourtant, elle déteste que je le fasse.
- Tu diras trois "Je vous salue Marie", s'amuse-t-elle.
- Je ne plaisante pas.
- Mhm.
- J'ai vraiment fait... J'ai vraiment fait un truc grave.
- Ah oui ? Quoi donc ? Tu as mangé du veau ? Tu as coupé la parole à un employé ? ironise ma mère.
- J'ai menti à la police, je la corrige platement en remontant mes genoux contre moi.
Je ne m'attendais pas à une réaction tonitruante, mais j'avoue que la voir continuer à classer mes vêtements sans sourciller me sidère.
- Tu as entendu ?
- Oui Elisabeth, je ne suis pas sourde. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Ce sont des choses qui arrivent.
- Tu pourrais au moins faire semblant d'être surprise, je bougonne en appuyant mon dos à la tête de lit, vexée de découvrir qu'un comportement aussi reprochable ne l'étonne pas de ma part.
- Pourquoi est-ce que je ferais ça ? Je ne suis pas surprise. Tu as fait ça pour ce garagiste, non ? suppose-t-elle distraitement.
- Mécanicien, je ne peux pas m'empêcher de rectifier malgré ma stupéfaction.
- Ton père aussi faisait ce genre de choses. Qu'est-ce que tu penses de ce haut ? Je veux que tu le portes avec un des Lewis, mais pas tout de suite. Attends qu'il fasse moins chaud.
Elle est occupée à découper les étiquettes de ses derniers achats vestimentaires. Comme très souvent, je n'ai droit qu'à un tout petit tiers de son attention. Je m'en contenterai.
- Quel genre de choses ? je m'exclame en me redressant sur les genoux, le cœur aux aguets.
- Pardon ?
- Tu as dit... Tu viens de dire que papa faisait "ce genre de choses". De quoi tu parles ?
- De prendre des risques pour des gens qui n'en valent pas la peine, de s'attacher aux causes perdues, de vouloir les sauver. Ces ciseaux ne coupent rien du tout.
Le menton sur les genoux, je médite ses paroles en silence. Méditer me prend presque tout l'après-midi. Les minutes s'enchaînent et se changent en heures sans réel échange de paroles entre nous. Outre les moments où maman me présente ses dernières trouvailles avant de les intégrer à ma garde-robe avec ou sans consentement, aucune de nous ne cherche à faire la conversation. Je finis étendue sur le tapis, dans un coin de la pièce pour ne pas déranger, à surveiller le soleil déclinant en piochant dans mes réserves de friandises dès que maman a le dos tourné. Si on compte qu'elle me fait face environ une minute par heure, j'en suis probablement à mon dix millième bonbon. À peu près. Je suis sûre que le sucre devrait être compté comme une drogue, les scientifiques ont seulement oublié de le répertorier en tant que tel. En tout cas, je me sens beaucoup mieux.
Longtemps après l'entrée en scène discrète de la lune, quand le sommeil commence à m'amadouer, je me racle la gorge et ose demander le plus poliment possible :
- Est-ce que tu as bientôt fini ?
- Pourquoi ? Je dérange ?
- Non, j'hésite, le regard errant et fatigué, mais c'est juste que... Euh... Wow, c'est quoi ces trucs, là ?
Je roule vivement sur le ventre et plisse les yeux avant de les arrondir complètement et de froncer le nez.
Beurk.
- Pourquoi est-ce qu'il y a tes sous-vêtements dans mon lit ? Enlève ces trucs de mon lit ! je m'écrie en grimaçant.
- Elisabeth, ne sois pas ridicule, me morigène ma mère après avoir suivi mon regard jusqu'aux pièces de dentelles grotesques qui traînent sur mon matelas avec les quelques vêtements qui ont échappé au tri. C'est neuf.
- Et alors ? Je m'en fiche. Enlève-les de là, s'il te plaît.
- Je les ai achetés pour toi.
- Hein ? Mais... Non !
Je crochète nerveusement les poils de mon tapis en risquant un nouveau coup d'œil en direction de la lingerie. Je n'arrive même pas à regarder ces bouts de tissus plus de trois secondes d'affilée sans rougir, ça m'écorche les rétines. Qui porte ça, d'abord ? Ça ne cache rien du tout, ce qui est, rappelons-le, l'unique fonction d'un sous-vêtement. J'ai croisé des strip-teaseuses au Lust et je suis presque sûre qu'elles portaient plus de tissu. J'exagère à peine.
- Pourquoi tu m'as acheté... ça ? je demande sur un ton méfiant en fronçant puissamment les sourcils.
Maman hausse subtilement les siens. En fait, non, elle est tout sauf subtile.
Je sens déjà que je vais détester.
- Je me suis dit que tu en aurais besoin, répond-elle en forçant un sourire bien dosé.
Moi je ne souris pas du tout, c'est tout le contraire.
- Ben tu t'es trompée, je rétorque d'un ton un peu crispé.
Son début de sourire s'estompe aussitôt, elle le remplace par un soupir las, guère surprise par ma réaction.
- Elisabeth, ne sois pas aussi...
- Aussi quoi ? je la défie en levant le menton, le regard brûlant.
- Ne prends pas ce ton-là avec moi. À chaque fois que j'ai l'impression que tu commences enfin à mûrir, tu me contredis la minute d'après.
- Tu as déjà menti à la police ? je change brutalement de sujet.
C'est la première échappatoire qui m'a traversé l'esprit.
- Je te demande pardon ?
- Tout à l'heure, tu as dit "ça arrive à tout le monde" quand je t'ai avoué ce que j'ai fait. Est-ce que ça t'est déjà arrivé, à toi ?
J'ai lancé cette question au hasard, pas spécialement intéressée par la réponse, mais la réaction de ma mère retient mon attention. Un rayon de lune crue traverse ma chambre pour éclairer son expression courroucée.
- C'est Chris qui t'en a parlé, n'est-ce pas ? s'agace-t-elle. N'est-ce pas ? Je me doutais qu'il ne saurait pas tenir sa langue. Je ne sais pas ce qu'il t'a raconté exactement, mais je ne pouvais pas savoir que ces gens étaient des clandestins.
Euh... plaît-il ?
Je secoue la tête et profite de la distraction passagère de ma mère pour engloutir deux fraises Tagada.
- Je ne sais pas du tout de quoi tu parles, précisé-je en mâchant.
Les lignes gracieuses de son visage se détendent subitement pour retrouver leurs postes habituels.
- Oh. J'ai cru... Ça ne fait rien. Oublie ça, elle élude en tirant sur des cintres pour réordonner mes vestes par teintes.
- Je veux savoir.
- Non. Ça ne te regarde pas.
Je me rallonge sur le dos.
- Dans ce cas, je demanderai à Chris, mens-je en étouffant un bâillement dans mon coude.
- Elisabeth, grince ma mère sur le ton de l'avertissement.
Et soudain, juste comme ça, elle cède.
- Je vais te le dire, mais seulement parce que je préfère que tu l'entendes de ma bouche. Ensuite, on n'en reparlera plus. Est-ce que c'est d'accord ?
Si j'étais un peu courageuse, ce serait le bon moment pour lui ressortir son fameux "ne sois pas si dramatique". Je pourrais même y mettre les formes et imiter son accent exagérément chantant d'aristocrate anglaise. Mais ce ne serait pas du courage à ce stade, plutôt de la témérité et il me semble que j'ai explosé mon quota d'imprudence avec mes bêtises de la journée. Un hochement de tête de ma part et maman enchaîne d'une voix atone :
- Quelques jours avant... le décès de ton père, un employé a plus ou moins essayé de le faire chanter. Il savait des choses sur notre famille et il espérait s'en servir.
Je me redresse sur les coudes.
- Des choses ? Tu veux dire... Comme le fait que papa n'était pas... Que toi et Chris, vous...
Je choisis de me taire plutôt que d'empirer la situation.
- Oui, je veux dire ça.
- Qu'est-ce qu'il voulait ? L'employé.
- Je ne sais plus vraiment. L'un de ses enfants était impliqué dans une affaire criminelle et il voulait que ton père l'épargne dans son enquête, résume maman avec un geste d'impatience.
- Qu'est-ce que tu as fait ? je l'interroge doucement.
Elle a posé une main sur sa hanche, comme si une horde de photographes enthousiastes s'apprêtait à capturer sa silhouette à coups de flashs. Sauf que ça n'a rien à voir. C'est sa posture défensive, je la connais par cœur.
- Ton père avait déjà beaucoup à gérer à ce moment-là, alors j'ai pris les choses en main. J'ai porté plainte contre cet homme. Pour escroquerie et dégradation de matériel. Je pensais qu'il aurait quelques brefs démêlés sans importance avec la justice et que ça le dissuaderait de revenir se frotter à nous.
- Ce n'est pas ce qui s'est passé ? je devine à voix basse.
- Non. Il se trouve que lui et sa femme avaient immigré clandestinement aux Etats-Unis, ma plainte a alerté les autorités sur leur situation et après quelques semaines, ils ont été renvoyés dans leur pays d'origine.
Je bats des cils sans trop savoir que faire de ces informations.
- Où ça ?
- Au Venezuela. Ou au Pérou. Je ne suis pas sûre.
- Est-ce que je le connaissais ?
- Non, tu étais très jeune et il n'a pas travaillé pour nous longtemps, je doute que tu t'en souviennes. Maintenant, si tu veux bien, cette conversation s'arrête ici.
Je ne peux rien faire d'autre que reposer ma tête sur le tapis sans insister. Je suis très mal placée pour faire la morale à qui que ce soit, aujourd'hui. Je pose une mini-bouteille de coca acidulée sur ma langue tandis que maman quitte ma chambre sans un mot. Je ne tressaille pas quand elle claque la porte. Je prends seulement un autre bonbon en me demandant si elle a vraiment avorté le rêve américain d'une famille et s'il y a une chance pour que ces gens aient quand même une belle existence dans leur pays natal.
Je voudrais aller me coucher, mais je ne doute pas que ma mère va revenir. Elle ne laisse jamais un tri en suspens et il y a toujours un monticule de linge flambant neuf sur mon matelas. Je me retiens de rouler des yeux en l'entendant rouvrir la porte, à peine cinq minutes plus tard. Si elle me fait le plaisir de retirer tout ce bazar de mon lit, je vais peut-être enfin pouvoir dormir.
- Tu peux récupérer la lingerie parce que je ne porterais jamais cette horreur même si c'était les derniers sous-vêtements disponibles sur toute cette planète, je précise sur un ton grincheux.
Maman m'ignore. Sûrement parce que je l'ai obligée à me raconter cette histoire de fausse plainte qui la met de toute évidence mal à l'aise. Je patiente quelques secondes. Elle est vraiment silencieuse. Comment est-ce que ça se fait que je n'ai même pas entendu ses talons, ils sont encore plus sonores que des avertisseurs, normalement. Elle est nu-pieds ? Déroutée, je roule sur mon tapis pour avoir vue sur le passage. Maman n'a pas retiré ses escarpins. Ou alors si, mais je n'ai aucun moyen de le savoir pour la simple et bonne raison qu'elle n'est pas dans ma chambre. J'en prends brutalement conscience en me retrouvant face à une imposante et trop familière paire de rangers défraîchies.
Kūamuamu !
Euh, ça veut dire "bon sang" en hawaïen. Je crois.
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Salut !
J'ai fait une annonce, mais je sais que certaines d'entre vous ne les voient pas forcément alors je la colle aussi ici :
Petite annonce pour vous prévenir que la publication d'aujourd'hui est décalée à demain ! À nouveau, je suis vraiment désolée pour tous les contre temps qui m'empêchent de publier de manière régulière comme avant. En ce moment j'ai pas mal de choses à gérer en même temps, mais je vous assure que dans deux semaines les publications retrouveront un rythme normal et je serai plus ponctuelle.
Encore désolée et merci pour votre compréhension ! Bonne après-midi et à demain !
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