Chapitre 10
On pense souvent qu'il est ardu de reporter sur le papier une scène en mouvement, parce que les coups de crayons figent un moment alors que la vie est dynamique, instable. Elle est un enchainement de gestes, d'actions et de fluctuations. C'est un peu comme la danse. Les gens ne conservent leurs positions qu'une toute petite fraction de seconde avant d'en adopter une autre sans même y songer.
Mais si la photographie peut capturer l'agitation et l'exposer au regard, le dessin n'en est pas moins apte. Il suffit de saisir et de geler chaque acte au bon moment, et les yeux extérieurs achèveront le mouvement d'eux-mêmes. Et hop, en un coup de crayon, on immortalise un bras en l'air, muscle contracté et poing fermé, une hanche déboitée. Et hop, les froufrous d'une robe qui s'envolent, en suspension. Puis c'est au tour d'une chevelure. C'est loin d'être aussi compliqué qu'on peut l'imaginer. J'en veux pour preuve que mes doigts trouvent sans peine leur chemin sur le papier pour répliquer l'un des endroits les moins statiques, les plus en vrac, qu'il m'ait été donné de voir.
- Elle dessine ! On sort en boîte et elle, elle dessine. Vous y croyez ? se moque gentiment Hunter en secouant la tête. Hé Lily, t'es vraiment strange, comme meuf, tu le sais, ça ?
Lui aussi est bizarre. En ce moment-même, une inconnue revêtue des couleurs du club est confortablement installée sur ses genoux. Je ne sais pas exactement quelles sont les attributions de cette fille, mais ce n'est pas une serveuse. Sans se soucier de qui peut le voir, le blond a glissé de manière éhontée une main sous sa jupe. Sous sa jupe ! Je ne sais pas ce que manigance sa main là-dessous et je ne veux pas le savoir, mais faire ce genre de choses en public, ça, c'est bizarre ! C'est même très bizarre, pourtant je ne le lui fais pas remarquer.
Je ne relève pas non plus sa petite pique et allège le poignet pour esquisser des silhouettes animées de la pointe de mon crayon. Ce club est nul. Franchement, je déteste. Je n'ose même pas lever les yeux parce qu'il y a une femme presque nue qui se contorsionne et travaille sa souplesse dans une cage géante, juste au-dessus de nos têtes. C'est l'un des lieux les moins agréables qu'il m'ait été donné de visiter, mais il présente l'avantage d'être une mine d'or artistique.
Une mine d'art. Les couleurs ciblées qui se mêlent langoureusement, les cocktails de lumières et de néons, l'ivresse des gens, leur extase artificielle, la danse qui floute le tout... Parfait ! Parfait pour me remettre en selle et exercer mon poignet au chômage.
Il fait trop chaud, j'ai le tournis, la vue et les pensées un peu brouillées à cause du "coca", et la musique à "boum-boum" me donne mal au crâne, mais je m'occupe, alors ça va. Tant que je tiens un crayon entre le pouce et le majeur, tant que je crée des couleurs, des courbes et des formes, je contrôle au moins une chose. Je crois que cela me rassure. Et puis, je ne pense plus à... Chris et tout le reste. Je suis presque sûre que les quelques gouttes d'alcool qui circulent joyeusement dans mes vaisseaux sanguins y sont pour quelque chose, mais je ne vais pas m'en plaindre. Je me sens d'humeur plus légère.
La petite table devant nous est envahie des boulettes de papier froissé de mes croquis avortés qui trainent près des six shots de tequila intacts. C'est toujours ainsi quand je dessine. Je mets trois cent ans avant de me satisfaire du squelette. Le squelette, c'est le plus important. Tout en dépend ! Le reste, c'est du gâteau.
Assise en tailleur sur la banquette moelleuse - et un peu humide des éclaboussures de la piscine - je me distrais en retrouvant mon activité favorite. Bon disons qu'elle viendrait en deuxième position sur ma liste, juste après "embrasser Royce". Oui, ça aussi, c'est une activité. Mais je ferais mieux de ne pas trop m'attarder dessus parce que le principal intéressé est juste à côté de moi.
Avachi contre le dossier en cuir comme un monarque sur son trône, il fait glisser son index autour du goulot de sa bière. Il n'a ni l'air de s'ennuyer, ni l'air de se divertir. Il ne parait pas non plus incommodé par le lieu. Comme dans tous les endroits où je me suis rendue avec lui, il ne semble ni à sa place, ni dépaysé. Il est simplement là, apparemment hermétique à tout.
De temps en temps, je l'aperçois jeter des coups d'œil à mon travail. Avant Royce, je n'avais jamais éprouvé de nervosité en sentant un regard étranger juger mes croquis. Je sais dessiner. Pourtant, mes doigts se crispent autour de mon crayon et dérapent sur la feuille à chaque fois que ma tempe se réchauffe parce qu'il s'est incliné pour regarder.
Contrairement aux autres, aucune remarque spirituelle ne lui a échappée lorsque j'ai sorti mon matériel à dessin. Au contraire, il m'a paru... soulagé ? Je n'en sais rien. Quelque chose dans ce goût-là. C'est bizarre, maintenant, quand je pense au mot "goût", je me mets à songer à Royce... et à sa bouche. Parce que sa bouche à lui a bon goût.
Et mince. Il m'a détraquée ! Ou alors, c'est à cause du verre de vodka-coca que j'ai vidé d'une traite comme la dernière des idiotes. J'espère que c'est juste ça parce que je ne devrais pas être en train de penser à la bouche de Royce. Même si elle a un goût de menthe. C'est bizarre d'ailleurs, j'ai toujours pensé que les bouches n'avaient pas de goût. À part celles qui sont enduites de gloss fruité, mais ça, c'est de la triche.
Ma mère m'en a mis une fois. C'était un gloss à la banane. Peut-être qu'elle s'est dit que ça m'inciterait à embrasser des garçons ou que ça inciterait des garçons à m'embrasser. Mais ça sentait trop bon, alors en moins de cinq minutes, j'avais tout léché. Et je n'ai embrassé personne parce que tous les hommes sont nuls. Tous sauf Royce, qui sait très bien embrasser.
Rah ! Mais stop !
Peut-être que ça n'a rien avoir avec la petite quantité d'alcool que j'ai engrangée. Peut-être que c'est cette boîte de débauchés qui me fait un sale effet et qui m'embrouille les idées. Partout où je regarde, partout où les néons se posent, je vois des gens partager des quantités abondantes de salive et se frotter lascivement les uns aux autres. Tous les prétextes sont bons pour toucher et frôler d'autres corps. Je trouve ça légèrement dégoutant. Et peut-être un tout petit peu troublant. Mais surtout dégoutant. Les seules "personnes" que j'avais déjà vu faire ça étaient de type canin. Je ne parle pas des bisous, je parle... du reste.
Comme ce couple complètement débraillé, au milieu de la piscine... Ils n'arrêtent pas de se tripoter depuis une demi-heure. Il y a un concept qui leur échappe de toute évidence : la pudeur ! Ils n'ont toujours pas décollé leurs bouches l'une de l'autre, je ne sais même pas comment ils font pour respirer. Peut-être que ce sont des champions d'apnée, des plongeurs professionnels, quelque chose comme ça. En plus ils...
Oh seigneur...
Mes yeux s'agrandissent de stupéfaction quand la fille glisse la main dans le pantalon de costume trempé de son compagnon, sous l'eau. Son poignet bouge et je retiens un hoquet ahuri quand je devine ce qu'elle est en train de faire. Elle fait ça devant tout le monde ! Est-ce qu'elle pense qu'on ne la voit pas ou est-ce qu'elle s'en fiche tout simplement ? Parce que moi, je la vois ! Et je suis mal à l'aise pour elle, je rougis à sa place.
Bouche bée, je regarde le garçon enfouir la tête dans le cou de sa copine. Lui non plus, n'a pas l'air importuné par son potentiel public. Ils sont fous ! Et moi aussi, parce que Royce vient de s'inviter dans mes pensées, comme ça, sans aucune raison. Mince ! Je déglutis. Je ne dois pas penser à lui maintenant, pas comme ça. C'est trop bizarre.
Sa voix, tout près de mon oreille, me ramène brusquement à la réalité, m'arrachant au passage quelques frissons :
- Tu fais des observations pour ton dessin, là ?
Je sursaute et m'empourpre violemment. Si le sang faisait du bruit en se déplaçant, tout le club aurait entendu le mien crapahuter vers mon visage ! Royce s'est penché vers moi pour ne pas avoir à élever le volume et il me fixe avec un air amusé, son visage tout près du mien. Ses lèvres s'étirent, moqueuses, alors qu'il balaye mon expression fautive d'un regard intrigué. J'ai l'impression désagréable de m'être fait prendre la main dans le sac à... à quoi ? Je n'ai rien fait ! C'est ce couple qui prend du bon temps au vu et su de tout le monde ! Ce n'est quand même pas ma faute si mon regard leur est tombé dessus !
Je baisse le nez pour me soustraire à la curiosité du mécanicien et me focalise exagérément sur le carnet en équilibre sur mon genoux gauche. Voilà ! Maintenant, je n'arrive plus à me concentrer. Je sais qu'il continue de me regarder et ça me perturbe. En plus il fait trop chaud dans cette fichue boîte, on ne peut même pas respirer correctement ! Je dégage nerveusement des mèches humides de mon front au moment où Mia s'écrie :
- Oh putain !
Sans le savoir, elle vient de me sauver en faisant diversion. Je me redresse, profondément soulagée, et prête à la voir me présenter un nouvel inconnu sans intérêt qu'elle imagine être "l'homme de ma vie" - c'est qu'elle a beaucoup d'imagination. Quand je lève les yeux pour deviner la source de son agitation, je ne repère qu'un petit attroupement affolé, deux tables plus loin. Un groupe de filles survoltées sautillent un peu partout, applaudissent, et réalisent l'exploit de couvrir de leurs gloussements le travail explosif du disque-jockey.
Ma curiosité vaguement piquée, je me lève sur la banquète, les genoux enfoncés dans le cuir. Étant donnée l'agitation, j'espère que Zac Efron ou Johnny Depp sont dans le coin en train de distribuer des autographes. Mais aucune star hollywoodienne n'est présente, je le réalise quand le groupe se disperse un peu pour occuper plus de terrain, révélant la raison de l'effervescence.
Des stripteaseurs.
Des stripteaseurs masculins. Il ne manquait plus que ça. Ils sont quatre et, visiblement, ils ont sauté l'étape "pompiers et policiers" pour passer directement au moment où ils se retrouvent en caleçons et remuent les hanches. Gê-nant. C'est bien ma veine, de toutes les places que l'on aurait pu choisir, il a fallu que l'on se retrouve à côté d'un enterrement de vie de jeune fille. Je me rassieds avec un petit soupir déçu et tourne le dos au "spectacle". Je ramasse mon crayon et me replonge dans mon illustration. Où est-ce que j'en étais, déjà ?
- C'est des stripteaseurs ! s'exclame la colombienne qui s'est mise debout pour avoir un meilleur angle de vue.
- Oui, merci, j'ai vu, je marmonne assez fort pour qu'elle perçoive le sarcasme.
J'étale consciencieusement mes crayons de couleurs sur la table basse pour les avoir à portée de main et m'empare du bleu. Pour l'eau de la piscine. Je n'ai pas terminé les contours de l'esquisse, mais j'ai pris la mauvaise habitude très jeune de colorier au fur et à mesure. Je suis trop impatiente de voir les teintes prendre vie pour attendre la fin du dessin.
- J'en veux un ! déclare Mia sans prêter attention à la grimace douloureuse de Diego, qui vide le fond du cocktail de sa sœur d'une seule traite. Tu veux pas qu'on aille les saluer ? Je suis sûre que ces meufs seront ok pour partager.
- Certainement pas ! je refuse dans la seconde sans lever le nez de mon croquis.
Les stripteaseurs, très peu pour moi ! Personnellement, je trouve difficilement moins attirant qu'une bande d'hommes qui se trémoussent en petite tenue pour de l'argent. Je n'ai rien contre eux évidement, mais la dernière chose dont j'ai envie est bien de me retrouver dans une version improvisée de Magic Mike. Avoir vu le film une fois avec Nate m'a largement suffit.
Mia souffle par le nez, puis clos sa phase de "repérage" par un directif :
- Le roux est pour moi !
Je pince les lèvres pour me retenir de lui rappeler qu'elle est supposée "détester les roux", selon ses propres dires. Je ravale également toutes les remarques moqueuses à propos de Jace qui me piquent la langue. Penser une seconde au palefrenier de mon... oncle sème déjà un sacré désordre dans ma tête.
- Bon, j'y vais. Je vais pas tarder. Pas de bêtises, ordonne mon amie en pointant un index faussement menaçant devant mon visage.
Je hausse les sourcils avec un petit sourire.
- C'est toi qui parles ?
Elle m'offre un dernier clin d'œil et s'éloigne à la hâte pour se mélanger à la mêlée de filles surexcitées. Je m'installe plus confortablement contre le dossier matelassé et remonte les genoux pour appuyer mon carnet contre mes cuisses. De la pulpe de mon pouce, j'estompe le crayon pour lisser la surface miroitante de la piste de danse. Je vais avoir les mains bleues, mais tant pis.
- J'arrive pas à savoir si t'oses pas te rincer l'œil devant nous ou si t'en as juste rien à foutre, s'étonne Hunter en tirant distraitement sur les lacets qui retiennent le corset de sa... de son amie.
Je lève un regard surpris vers le colosse. Je trouve cela un peu étrange de discuter avec lui quand sa main droite fait Dieu sait quoi sous la jupe de cette fille.
- De quoi ? je demande quand même.
Il rit.
- Allo ! La terre appelle la lune. Les stripteaseurs. Y a une brochette de mecs en strings à onze heures.
Ah ça.
- Je m'en fiche. J'en ai vu assez pour toute ma vie, je songe à haute voix en m'attaquant au premier plan.
J'hésite à reproduire la banquette d'en face avec ses occupants. Ça risque d'être plus long, je pourrais aussi me limiter aux danseurs.
- Des stripteaseurs ? s'exclame Hunter.
Si je dégage la partie gauche du dessin, je peux dessiner des figurants un peu plus grands, ce sera mon premier plan. Je m'arme de ma gomme pour libérer un peu d'espace et réponds distraitement :
- Hein ? Non. Des hommes à moitié nus.
Je raye quelques personnages du croquis et me penche pour reprendre les contours nécessaires que j'ai effacés par erreur. Je mets bien une minute entière à remarquer le blanc qui a suivi ma confession. En plus j'ai cette sensation désagréable, comme quand vous avez l'impression que tout le monde vous regarde avant même de le constater officiellement. Je lève furtivement le nez de mon carnet pour m'en assurer.
Je fais bien. Les hommes ont les yeux braqués sur moi. Leurs expressions reflètent toutes divers formes d'incompréhension. Même Michael, que rien ne semble jamais ébranler, me dévisage avec un éclat de surprise. Je me sens soudain minuscule. Je suis sûre que c'est à peu près ce que doivent éprouver les lièvres lorsqu'ils se retrouvent nez-à-nez avec le canon d'un fusil à pompe. Bon, le sentiment de mort imminente en moins.
- T'as envie de développer ? lâche Royce, dont les prunelles grises me transpercent sous ses sourcils haussés.
De quoi est-ce qu'on parlait, déjà ? Je me creuse la cervelle. J'ai l'impression que cette dernière pédale dans la semoule, encore plus lente que d'ordinaire, ce qui représente un exploit.
- Quoi ? Je... Oh !
Bon sang ! J'ai vraiment dit ce que je crois avoir dit ? Les traits crispés du mécanicien et la jubilation incrédule qui flotte sur ceux du colosse confirment ce que je crains. Mon Dieu ! Je l'ai vraiment dit ! Qu'est-ce qui m'a pris ?
Je m'empresse de me justifier, les joues en feu :
- Euh... non, c'est juste... ma mère travaille dans une agence de mannequinat. J'y passais pas mal de temps quand j'étais au collège, donc je... ils faisaient aussi les marques de sous-vêtements masculins, alors j'ai... enfin, j'ai vu beaucoup de...
- Mecs à poils ? termine un Hunter aux anges.
Je passe une main sur mon visage brûlant sans me donner la peine de répondre.
- Et tu t'en es jamais tapé aucun ? vérifie le blond en jouant avec le décolleté de la poupée humaine sur ses cuisses.
Je le fusille du regard, au comble du malaise. Surtout que Royce suit silencieusement la conversation avec un étrange intérêt.
- Tu as entendu la partie où j'ai dit que j'étais au collège ? Certains d'entre eux m'aidaient à faire mes devoirs de classe !
- Des mecs en slip t'aidaient à faire tes devoirs ?
- Arrête.
- De quoi ?
- Tu m'embarrasses !
Je plaque mes deux mains sur mes joues pour vérifier qu'elles ne sont pas en train de fumer. Hunter éclate de rire. Michael et Diego échangent des coups d'œil divertis. Même Royce étire imperceptiblement les lèvres en me regardant, amusé. Génial. Il semblerait que l'on me trouve distrayante. Je me réfugie dans mon dessin pour dissimuler mon malaise.
- Attends, c'est pas moi qui traine avec des mecs en slip et...
- Mais arrête de dire ça !
Est-ce qu'il fait exprès de me faire rougir ? En plus, je déteste le mot "slip". Ça sonne moche, c'est ridicule et c'est... je ne sais pas. Les gens normaux disent "caleçon" ou "boxer", pas "slip". C'est vraiment l'un des pires mots du dictionnaire avec "ganglion", "morue" et "dindon". En tout cas, c'est ce que l'on a décidé, avec Nate.
Ça me fait penser que je ne lui ai pas parlé depuis que mon portable nous a coupés en plein milieu d'une conversation, cette nuit. Je ne l'ai même pas rappelé. Quelle mauvaise amie je fais. Je me demande ce qu'il penserait de... toute cette histoire avec Chris, la réception ratée... papa. Je me demande ce qu'il penserait de ma minable fugue.
J'ai du mal à croire qu'il ne me soit pas venu à l'idée de le contacter pour écouter ses conseils et chercher du réconfort auprès de lui. En temps normal, c'est ce que j'aurais fait en premier sans me poser de question. C'est ce que j'aurais dû faire ! C'est évident, pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Nate est toujours la solution ! Il agit comme un baume apaisant sur les soucis et les peines. Tous les deux, c'est comme si on était branchés sur la même fréquence. Il sait tout le temps mieux que moi ce que je ressens, pourquoi, et ce qu'il faut faire !
Revigorée par cette certitude, je dégaine mon portable sans réfléchir. Les bavardages d'Hunter s'estompent, relégués au second plan. Je me balade dans ma liste de contact jusqu'à trouver celui de mon meilleur ami, puis j'ouvre notre page de discussion. Je fixe son visage souriant auréolé de bouclettes en réfléchissant. Mes pouces planent au-dessus des touches et je rédige et efface plusieurs ébauches de messages.
Moi : Hey ! Désolée de pas t'avoir rappelé, ici, c'est l'enfer...
Non, il va encore se faire un sang d'encre si je commence ma missive comme ça.
Moi: Salut Nate. Tu ne devineras jamais ce qui m'est arrivé ce matin...
Trop enjoué ! Il va me prendre pour une insensible. En plus, ce n'est pas du tout révélateur de mon état d'esprit. Il faut que je soit le plus honnête possible sur la situation si je veux qu'il m'aide.
Moi : Salut ! J'espère que je ne te dérange pas. J'ai quelque chose d'important à t'annoncer et...
Trop formel, ça ne nous ressemble pas du tout.
Moi : Coucou toi ! Je ne vais pas pouvoir rentrer tout de suite, en fin de compte. Mais écoute ce que j'ai à dire avant de te fâcher. Tu te rappelles cette émission idiote et carrément malsaine que nos mères regardaient ? Celle avec des gens qui apprennent en direct que leur père est pas vraiment leur...
Non. Ça, c'est le genre d'introduction que je pourrais faire s'il était en face de moi. Je bafouillerais cette blague stupide entre deux sanglots et il me laisserait pleurer à chaudes larmes dans ses bras. Je soupire et fronce les sourcils, frustrée. J'ai l'air d'une fille qui envoie son premier texto à un garçon, je remarque avec une petite moue d'autodérision. C'est seulement Nate ! Si je lui racontais ça, il serait mort de rire. Et un peu trop fier de lui, donc je vais éviter. C'est juste trop dur de révéler une chose pareille par message !
De toute façon, il doit dormir, à cette heure-ci. En ce moment, il est probablement en train de rêver de Ryan Sterling ou de Scarlett Johansson. Ou de Ryan Sterling et Scarlett Johansson, qui sait ? Je ne vais pas le priver de ça, je décide avec un léger sourire.
Je tressaille quand Royce claque sèchement des doigts devant mes yeux. Toutefois, quand je me redresse pour l'interroger du regard, ce n'est pas à moi qu'il s'adresse aussi grossièrement, mais à la serveuse la plus proche. Il s'est de nouveau rembruni. Cet homme est encore plus imprévisible que la météo ! La barmaid en service s'approche d'une démarche chaloupée et il l'attend, lèvres pincées et mâchoires crispées.
- Un scotch, commande-t-il froidement à la pauvre dame.
Je ne lui fais pas remarquer qu'il a oublié le mot magique, mais je n'en pense pas moins. La jeune femme hoche la tête avec le professionnalisme qui manquait à la serveuse précédente et rapporte au mécanicien sa boisson au bout d'une courte minute. C'est juste un verre remplit à moitié d'un liquide ambré. Je crois que le scotch, c'est pareil que le Whisky, mais je n'en suis pas sûre. Royce oublie également le deuxième mot magique en s'emparant de sa commande. Il la vide en deux gorgées sans ciller, ni grimacer. Moi, je regarde sa pomme d'Adam faire des petits bonds quand il avale.
Ses prunelles verrouillées tombent sur les miennes, curieuses, lorsqu'il repose sans délicatesse le verre sur la table.
- Tu veux quelque chose ? demande-t-il froidement.
Je secoue rapidement la tête et me détourne à la hâte, quelque peu décontenancée par son ton mordant. C'est Royce. Il n'y a rien à ajouter. Je récupère mon crayon et mon carnet pour reprendre là où je m'étais arrêtée. Les baffles ne me semblent plus aussi assourdissantes à présent, c'est peut-être parce que mes tympans se sont fait une raison. Ou alors parce que mes cellules ciliées sont presque toutes mortes. Je m'en fiche. En plus, ils sont en train de passer un remix d'un morceau que j'aime bien. Comment s'appelle le chanteur, déjà ? Stromai ? Stromae ? Le titre est en Français et je n'en comprends pas la moitié, mais j'agite quand même le menton en rythme.
- Hé Lily, tu..., commence Hunter.
- Lily ? se réveille soudain la fille silencieuse sur ses genoux. Attendez, putain, je savais qu'elle me disais un truc. C'est Lily Williams ?
Je pose des yeux étonnés sur elle.
- Euh... oui, c'est ça, je confirme après une brève hésitation.
Elle se redresse comme un ressort.
- Oh-mon-Dieu ! J'ai vu les vidéos sur Twitter ! Le truc de fou !
Je me fige brutalement, tétanisée, le cœur en suspension. Toutes mes couleurs refluent lentement de mon visage. Pitié, pas ça ! Pas déjà ! Je ne suis pas prête !
- Les... les vidéos ? je bégaye, pétrie d'angoisse.
- Oui ! Celles de la fête chez les Williams ! Vous faites le buzz sur les réseaux de l'île ! Alors, est-ce que c'est vrai ?
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