Dans la maison des Volta, Roman se tenait debout devant la cheminée, où se trouvait un feu ardent dont les braises commençaient à s'envoler vers la sortie située en haut du toit.

Le regard du jeune garçon se perdit dans cette danse exotique des flammes, qui faisaient crépiter le bois d'un rythme faible et irrégulier.

- Roman ? demanda Grégoire en s'avança vers son ami. Roman qu'est-ce qu'il y a ?

Le garçon se retourna lentement et regarda un à un les personnes présentes dans la pièce.

- Tu as dit que tu avais compris ce que manigance Sébastien et la Bête, reprit Kevin.

- Je repensais à une phrase que la Bête m'a dit dans la forêt cette nuit là, expliqua-t-il d'une voix tremblante. Il a dit: « mon partenaire m'a promis un territoire sur lequel je pourrai chasser sans la moindre interruption ».

Tous se regardèrent les uns les autres abasourdis .

- Mais c'est affreux ! s'exclama Sandra d'un ton plein de colère et de dégoût.

- Attends une seconde, dit soudain Grégoire. Tu veux dire que Sébastien a promis Embursville et ses alentours à la Bête ?

Roman hocha la tête le regard pointé vers le bas. Malgré cela, la terreur se lisait sur son visage.

- Je crois que Sébastien a l'intention de déchaîner la Bête sur Embursville pour que le monde entier découvre le MythWorld. Après quoi je suis quasiment sûr qu'il le tuera, exposa le jeune loup-garou.

- Mais pourquoi ? Pourquoi vouloir exposer le MythWorld ? questionna Sandra qui ne trouvait toujours pas de réponse à cette question.

Contre toute attente, ce fut Ayla qui lui répondit.

- La peur du différent, dit-elle, le regard perdu sur la table. Sébastien a l'intention de créer la panique chez les humains pour pouvoir les rallier à sa cause, étant donné que l'espèce humaine a toujours eu peur de ce qu'elle ne comprend pas ou de ce qui est différent.

Un profond silence retomba dans la salle. Désormais tout était clair, ou presque car il restait une dernière question à laquelle Kevin n'avait pas donné de réponse.

- Kevin, commença Grégoire qui s'était retourné vers lui. Pourquoi as-tu besoin de Roman ? Tu ne nous a toujours pas répondu.

Celui-ci ne répondit pas. Certes il voulait empêcher une guerre, mais il n'arrivait pas à faire confiance aux autres créatures présentes.

- Oh allez réponds ! On va pas te tuer ! s'exclama le vampire d'un ton fortement agacé. Alors pourquoi ?

Pendant quelques secondes il n'y eu que le silence. Seul les crépitements du bois en feu résonnaient dans la pièce.

- Roman est le Beta de la Bête, répondit finalement le chasseur avec réticence. On a besoin que Roman la trouve et l'arrête avant qu'elle ne lance son attaque sur la ville.

Roman releva les yeux vers le jeune chasseur. Sur son visage était dessiné une expression d'incrédulité.

- Par « arrêter » tu veux dire tuer ? demanda-t-il.

Kevin hocha la tête.

- Pour quelle raison doit-il tuer la Bête du Gévaudan ? ajouta Grégoire d'un ton choqué.

- Étant le Beta de cette créature, en la tuant il deviendra l'Alpha et aura ainsi toute autorité sur la meute, expliqua le chasseur.

Cette révélation laissa désemparé les deux parents du jeune vampire. Un détail qui pour eux semblait n'avoir aucun sens.

Voyant leurs expressions , Kevin s'empressa de leur expliquer.

- Avant que je ne quitte Sébastien, il m'a dit comme à tous les autres membres du groupe, que la Bête du Gévaudan aurait trouvé du soutien de la part d'une meute de loups particulièrement agressifs, raconta le jeune homme. Malheureusement je ne saurais trop vous dire à propos de cette meute, si ce n'est qu'elle ne supporte pas vraiment Marcus et les siens et que son repaire se trouve quelque part dans la zone Nord-Ouest de la ville.

- Pourquoi tu fais ça ? demanda soudainement Sandra en s'adressant au jeune chasseur. Pourquoi tu nous révèles tout ça ?

- Sache que je ne voulais en parler qu'à Roman, le Beta de la Bête, à l'origine, dit Kevin d'un ton légèrement réprobateur.

- S'il te plaît, ne m'appelle plus « le Beta de la Bête », s'empressa d'ajouter Roman d'un air agacé, tandis qu'il tenait une main sur son front.

Voulant éviter d'autres emportements, Ayla se leva de sa chaise et prit la parole. L'idée de s'adresser à plusieurs créatures mythiques ne la faisait certes pas se sentir à l'aise, mais il était question de la vie de plusieurs personnes et elle avait besoin de Roman.

- C'était mon idée d'en parler qu'à Roman, expliqua-t-elle, alors que ses yeux commencèrent à devenir humides. Il fallait qu'on lui explique la situation et qu'on le rallie à notre cause: protéger les humains des attaques externes au Monde Saecularia.

- Le Monde Saecularia ? s'étonna Grégoire.

- C'est le terme avec lequel on indique le monde des humains, un monde où il n'y a pas d'Occultés, expliqua rapidement Sandra.

La chasseuse hocha la tête avant de reprendre son explication.

- Et parmi ces menaces on peut y inclure également l'Ordre des Chasseurs, poursuivit-elle d'une voix plus grave et légèrement attristé. En particulier mon frère.

À peine Ayla termina sa phrase, les yeux de tous, hormis ceux de Kevin s'écarquillèrent. Spécialement ceux de Roman.

- Attends qu'est-ce que tu viens de dire ? questionna ce dernier.

Ayla ne répondit pas, mais elle se contenta de regarder le jeune garçon de ses yeux humides. Roman lui entendit les battements de cœur de la chasseuse; une succession de deux battements rapides suivis d'un autre plus court. Il comprit alors qu'elle était envahie par un profond sentiment de tristesse, mais il ignorait pourquoi.

Sentant cette sensation grandir en elle, il n'insista pas. Grégoire s'approcha de lui et posa la main sur son épaule.

Ayla quant à elle retenait difficilement ses larmes qui commencèrent à glisser le long de ses joues.

Soudain, une pensée traversa l'esprit de Roman, qui aussitôt releva la tête vers elle.

- Ton frère voulait que tu m'espionnes c'est ça ? questionna-t-il d'un ton calme et serein. Il a su que j'étais un loup-garou, pas vrai ?

- Attends Roman, t'étais même pas encore un loup quand on l'a rencontré la première fois, lui rappela Grégoire.

Voulant mettre un terme à cette discussion, la jeune chasseuse s'approcha, ce qui déplût fortement à Sandra qui se leva d'un bond du sofa et lui montra ses dents, devenues aiguisées et pointues.

Ayla s'arrêta, tandis que Kevin s'apprêtait à prendre un poignard dissimulé dans sa manche. Bertrand l'aperçut et usa de sa magie pour le bloquer.

La tension s'accrût. Voulant empêcher une bagarre inutile, Grégoire et Philomène tentèrent de calmer la louve et le Grand Mage.

Personne ne semblait vouloir se calmer et la chose ne s'arrangea pas pour Roman. Il amena ses mains à ses oreilles pour ne plus entendre les voix des autres, mais ça ne marchait pas. Fatigué et exaspéré, il retira ses mains, au bout desquels se trouvait maintenant de longues griffes, et il se mit à rugir.

Son cri fut tellement profond et tellement fort qu'il fit trembler les photos et les livres sur les étagères. Une fois qu'il se tut, il retrouva enfin le contrôle et regarda un à un ses compagnons. Tous restèrent bouche bée, entre temps Bertrand avait cessé son sortilège, Kevin avait retiré sa main du manche du poignard et Sandra avait retrouvé son aspect normal.

Alors que le calme revenait dans le salon, Bertrand observa d'un œil curieux le jeune loup. Sa capacité à pacifier plusieurs êtres qui n'appartiennent pas à la même espèce le surprit. La druide s'en aperçût mais n'ajouta rien.

- Roman, dit finalement Ayla en regardant le garçon. J'ignore depuis combien de temps tu es un loup-garou, mais ça m'est complètement égal.

Le jeune homme écouta attentivement ses paroles, en même temps que les battements de son cœur.

- C'est vrai, mon frère et ses amis voulaient que je t'espionne, poursuivit-elle. Seulement, je leurs ai toujours dit que je ne te connaissais pas et que je n'arrivai jamais à pouvoir te parler, même quand j'en avais l'occasion.

- Alors c'est de ça que tu voulais me parler l'après-midi où tu es venue me trouver chez moi ? questionna-t-il sereinement.

- Je n'en était pas sûre, mais comme je te l'ai dit ça m'est égal que tu sois un loup-garou ou pas, dit-elle en inspirant fortement.

Roman s'avança vers elle lentement, réduisant l'espace qu'il y avait entre eux deux.
Ayla ne recula et ne trembla pas. Ses yeux humides étaient pointés sur ceux du jeune homme.

- Mais si tu es une chasseuse, pourquoi alors tu ne m'as pas tué ? demanda le jeune homme.

- Primo: je ne crois pas que tu sois un assassin, que tu aies des griffes ou des crocs je m'en moque. Et secondo: je n'ai jamais voulu être une chasseuse. Surtout si ça veut dire être comme Sébastien.

- Et puis les chasseurs ont un Code à suivre, ajouta Kevin. Nous défendons le Monde Saecularia des créatures mythiques et nous sommes les gardiens du MythWorld.

- Ce qui signifie ? dit Grégoire en haussant les sourcils.

- Que l'Ordre des Chasseurs est censé garder les humains isolés des créatures mythiques et vice-versa, expliqua Sandra en levant les yeux au ciel, même si elle ne pouvait s'empêcher de rire intérieurement. Enfin, c'est tout du moins ce qu'ils prétendent.

Grégoire hocha la tête, en guise de compréhension.

- Qu'est-ce que tu voudrais dire avec ça ? s'exclama Kevin d'un air agacé.

- Oh rien du tout, ironisa-t-elle comme pour provoquer le chasseur, ce qui semblait réussir.

- C'est bon arrêtez tout les deux ! dit le jeune vampire, fatigué par ses disputes. Écoutez il est tard et je pense que l'on a tous besoin d'une bonne nuit de sommeil. Ça a été une soirée bien longue.

Tous acquiescèrent.

- Bon très bien, on en reparlera une autre fois, dit Roman avant de s'adresser à la blonde qui se tenait devant lui. Je t'enverrai un message pour te dire où se retrouver.

Ayla hocha la tête avant de se diriger vers la porte, suivie de Kevin. Philomène les accompagna à la porte.

- Bon, il est temps pour moi de rentrer au repaire, dit Sandra en se dirigeant vers la porte, une fois sûre que les deux chasseurs étaient partis.

- Tu peux rester si tu veux, lui dit Bertrand, attirant des regards d'étonnement de la part de Sandra et de son fils.

- Quoi ? s'exclamèrent-ils à l'unisson.

- Cela vaut pour toi aussi Roman, ajouta le sorcier, d'un air souriant.

- Je te remercie Bertrand, répondit le jeune homme, quelque peu gêné. Mais il faut que je rentre. Surtout pour savoir si ma mère va bien, même si je sais qu'elle va me tuer pour ne pas l'avoir appelé.

- En fait, commença à dire Grégoire. J'ai envoyé un WhatsApp à ta mère depuis ton téléphone, en lui disant que tu serais resté chez moi jusqu'à demain.

Roman regarda son ami les yeux ronds. Il resta silencieux pendant un moment, ce qui mit son ami mal à l'aise.

- Ne m'en veux pas, s'empressa-t-il d'ajouter. Je pensais qu'à cause de la pleine lune, tu aurais perdu le contrôle et que tu aurais fui dans les bois et...

Sandra le stoppa d'un coup de coude, tout en lui lançant un regard de reproche. Grégoire s'arrêta de parler et frotta son bras, là où la jeune fille l'avait frappé.

Roman s'approcha de son ami et lui posa une main sur l'épaule.

- Merci beaucoup mon vieux, dit-il avec un large sourire, avant de s'adresser au Mage. Et bien dans ce cas j'accepte volontiers.

Ravi de cette nouvelle, Bertrand les conduisit tout les trois aux chambres situées au premier étage.

Une fois arrivé, il ouvrit une première chambre pour les invités avec à l'intérieur un lit, une table basse sur le côté et une salle de bain.

Roman resta surpris par les dimensions de cette chambre, mais il le fut encore plus lorsqu'il entendit Grégoire poser une question choquante à son père.

- Hum papa, avant on avait que trois chambre, d'où elle sort cette quatrième dans laquelle se trouve Roman ? avait-il déclaré d'un air étonné.

Bertrand s'était retourné vers son fils, un sourire au coin des lèvres.

- Tu te souviens qu'avant il y avait un vieux garde-manger que l'on utilisait plus, expliqua le sorcier à son fils et à ses amis. Je l'ai transformé en une chambre. Un sortilège plutôt simpliste.

Remarquant l'air vantard que son père prenait, il esquissa un sourire. Cela l'amusait certes, même s'il avait encore du mal à pardonner à son père.

Tandis que Roman s'installa dans sa chambre, Bertrand conduisit les deux autres ados à la chambre d'à côté. Tout comme celle de Roman, la chambre était composée d'un grand lit, avec une commode à côté de ce dernier, et d'une salle de bain. Sandra y entra et, après un rapide coup d'œil, se jeta sur le lit douillet.

À la fin, seul Grégoire et son père restèrent dans le couloir.

- Je suppose qu'il n'y a pas besoin que je te montre ta chambre n'est-ce pas ? ironisa le sorcier, avec un léger sourire.

Grégoire secoua lentement la tête et se dirigea vers la porte, qui se trouvait juste en face de la chambre de Sandra.

- Grégoire ! l'interpella son père. Je sais que tu penses que je te cache beaucoup de choses, mais si je le fais c'est uniquement pour ton bien.

- Je sais pourquoi toi et maman le faites, dit le jeune garçon, d'un ton faible et attristé. Mais si vous m'aviez dit la vérité plutôt, tout ça ne serait jamais arrivé.

Sur ces mots, il referma la porte derrière lui, laissant ainsi son son père seul dans le long couloir.