Physique

Pour le quatrième soir consécutif, Axel gravissait la colline. Il était retourné à l'école, aujourd'hui. Maudis soient les lundis, il les détestait de toute son âme. (Si il en avait une !)
Les élèves étaient tous claqués, les professeurs aussi, et les bâillements rythmaient la journée d'Axel.

Lui, il avait passé sa journée à éviter de parler à quiconque. Sa voix était tellement cassée que lui-même en avait peur.

L'herbe haute lui effleurait les mollets, et une légère brise typique de juin lui rafraîchit le dos. Il souffla légèrement, et arriva au sommet.

-Elia ?

-Salut, le petit peintre.

Elle avait l'air un peu triste.

-Qu'est-ce qu'il se passe ?

-J'ai été faire les boutiques.

-Un lundi ?

-Oui, ma mère ne sait jamais choisir ses jours.

-Les boutiques t'ont fait du mal ? blagua t'il.

-Oui, enfin non, c'est pas de leur faute si je suis grosse.

Axel la fixait avec des yeux ronds.

-J'avais prévu de te parler d'un sujet un peu philosophique. Mais bon, ce sera pour un autre soir.

Il la fixait toujours, attendant qu'elle s'exprime.

-Parce que là, j'ai besoin d'une technique pour accepter mon corps. Tu en as peut-être une ? Une de tes idées farfelues que tu sors de je ne sais où.

Elle respira doucement.

-J'ai été m'acheter une robe, parce que j'ai un mariage dans quelques semaines. Alors il faut sortir le grand jeu. Donc moi et ma mère, on est partie juste après l'école vers un centre commercial, souriantes et de bonne humeur. C'était pour en ressortir deux heures plus tard, moi en larmes, ma mère désespérée. Je sais pas pourquoi, ça finit toujours comme ça. Pour les bikinis, les pantalons, les robes, les soutifs. (Elle rougit légèrement, mais elle continua sur sa lancée). Je me regarde, en sous vêtements, dans le miroir de la cabine, et je trouve tous les défauts du monde réuni en mon corps. Des boutons, pour commencer. La forme de mes sourcils n'est pas gracieuse, j'ai un double menton quand je parle et rigole, j'ai les épaules trop larges, les bras trop boudins, les seins disproportionnés par rapport au reste de mon corps, le ventre gonflé, un bourrelet entre la hanche et ma taille quand je me tourne, et même quand je suis debout normalement, ça fait un pli. J'ai l'impression d'avoir un corps de vieille. C'est horrible. Alors les larmes inondent mes yeux sans que je ne m'en rende compte, et j'ai l'air ridicule, si ridicule.

Sa voix tremble de plus en plus fort, et des larmes perlent sur ses joues rouges. Des sanglots semblent s'étouffer dans sa gorge.

-Pourtant je connais la recette magique. Arrêter de manger, faire du sport. Mais j'aime pas le sport, et j'aime manger. Il y'a pas de miracles, je sais, mais c'est tellement déprimant ! Je peux jamais mettre de belles robes cintrées, parce que ça ne me va pas. Rien ne me va vraiment, c'est horrible.

Elle renifla, s'essuya les yeux avec sa main. Mais ses pleurs redoublèrent de plus belle, et Axel était désemparé. Si il s'était attendu à ça ! Les mots s'étaient envolés de sa tête. Il ne savait pas quoi répondre. Alors il s'approcha d'Elia, et ouvrit grand les bras. Axel trouvait ça étrange d'être aussi proche d'elle, mais il voulait juste que ses pleurs s'arrêtent. Il la serra fort, et chantonna un peu.

-Je me sens vraiment débile.

-Tu ne l'es pas, arrête un peu tes bêtises.

-Tu as une idée ?

-Je veux pas te dire la même chose que les autres. Tu n'as pas envie t'entendre : Arrête de manger! Mais ce que j'ai à te dire, c'est que tu te dénigres un peu trop à mon goût. Tu cherches à t'inventer tous les défauts de la terre ? Parce que c'est raté ! Tu aurais pu avoir, je sais pas moi... une moustache ! Et à la place, tu as un ventre moelleux ! Quoi de plus génial !

-C'est bientôt l'été, et à l'idée de mettre un bikini, je panique.

-Arrête de paniquer. Tu as peur du regard de qui, au juste ?

-De tout le monde.

-Arrête de t'en préoccuper, Elia. 

-C'est facile à dire !

-Et encore plus simple à faire.

Elle rigola.

-Je ne crois pas, non.

-Tu dois chercher à te plaire à toi-même avant tout.

Elia s'allongea sur le sol.

-Ca m'aide pas.

-Elia, je n'ai jamais écouté les problèmes des gens. Alors tu comprendras que de temps en temps, mon instinct me lâche.

Il roula un peu sur lui même.

-T'es fâché ? fit-elle d'une petite voix.

-Non, je réfléchis. Je ne sais pas comment t'aider.

-Prend ton temps pour y réfléchir, on a toute la nuit.

Axel sourit, heureux à cette perspective.
Le silence persista, Elia tapotant le sol de ses doigts fins, et Axel tourmenté. Quelle réponse pouvait-il avoir ? Elia lui paraissait tellement heureuse, mais d'un autre côté tellement triste. Elle était un paradoxe, et un très joli. Que pouvait-il bien lui dire ?
Des heures passèrent, peut-être. Il ne savait pas vraiment. Ses yeux brûlaient et sa tête lui tournait à force de regarder les étoiles. Elles brillaient moins, ce soir.

-Elia ?

-Tu es vivant ! Incroyable. J'ai cru que ta conscience s'était envolée.

-La théorie est intéressante, mais non, je suis toujours là.

-Tant mieux, tu n'as pas fini ton boulot.

-A propos de ça. Je pense que tu as un idéal de beauté en tête qui n'est pas le même que celui des autres. Par exemple une anorexique rêverait d'avoir ton physique, tout comme une fille forte. Car leur idéal de beauté, c'est toi.

-Ou tu vas chercher ça ?

-De nulle part. C'est vrai. Je te l'ai déjà dit hier, chacun est différent. Et tu n'as pas l'air de penser que la différence, c'est génial. Si on ressemblait tous à ton idéal de beauté, tel qu'il soit, ce ne serait définitivement pas intéressant de vivre. Alors accepte ton corps comme il est, ne te prive pas de manger. Bon, ne commence pas à ingurgiter une dizaine de saucissons chaque jour, sinon ton foie risque d'en souffrir, mais ne te sens pas coupable quand tu manges une pizza quatre fromages, parce que ça ne sert à rien ! Les filles minces c'est très beau, vraiment. Je vais pas te mentir, ça m'attire beaucoup. Mais les filles moins minces, c'est tout aussi beau. Tu vois ? Je veux dire... chaque idéal est différent selon la personne, et ça vaut aussi pour les garçons. Alors arrête de geindre dans les cabines, ça ne te vas pas au teint. D'accord ?

-C'est chouette, comme réponse. Je l'ai pas mon déclic, mais ta réponse est bien.

-Merci Elia. Et par pitié, accepte qui tu es. Moi, je n'imagine pas une Elia sans son joli petit ventre, ou son soi-disant double menton. Je t'aime bien comme tu es.

-Mais toi, tu as l'air d'être un mec sympa, qui ne regarde pas que le physique.

-Même si je ne regardais que ton physique, je te trouverais jolie. Tu as de l'énergie qui brille autour de toi, Elia. Et quand tu assumes ton corps, personne ne pourra rigoler de ton bourrelets de hanche ou je ne sais quelle sottise.

-Axel ?

-Oui.

-Je peux te faire un câlin ?

Axel la regarda, incrédule et surpris.

-Si tu veux.

Elle serra fort ses deux bras contre son cou, la respiration douce. Axel sentait son cœur battre, la courbe de ses seins, et son odeur de violettes. Il rougit un peu, mais Elia ne pouvait pas le voir. Axel la serra en retour, puis elle s'écarta de lui.

-J'ai imprimé ce câlin dans ma tête, dit-elle. Il demeurera pour toujours dans mon esprit.

-Moi aussi, Elia.

-J'aime bien quand tu dis mon prénom.

Axel la regarda tel un enfant intimidé devant un adulte. Puis il se reprit, et son visage s'illumina d'un sourire taquin.

-Elia, Elia, Elia, Elia.

Elle pouffa de gêne, mais s'empressa de taper des mains tout en tourbillonnant sur la colline.

-Axel, Axel, Axel, Axel.

-J'adore quand tu dis mon prénom ! hurla t'il pour couvrir les cris de la jeune femme.

Ils se sourirent, et la lithanie des prénoms se mua en chuchotis chantants. Ils dansèrent encore, comme si le but des rendez-vous était en fait de se libérer le corps et l'esprit par l'intermédiaire d'un mouvement, d'une énergie déployée.

Elia murmura merci cent fois, et Axel, lui, recueillait cette reconnaissance avec une joie toute particulière.

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