La littérature
Et comme promis, Elia apporta sa guitare le lendemain. Elle ne jouait pas si bien, mais son sourire éclatant rendait les morceaux inoubliables.
Et puis est venu le temps de raconter ce qui se tramait dans la tête d'Elia.
Axel était vachement curieux de savoir ce qu'elle allait lui dire aujourd'hui. Il commençait à se sentir à l'aise dans son rôle de réconfort, et il souriait plus souvent, depuis quelques jours. Sa mère le lui avait dit. Sa mère. Qui ne le regardait jamais.
Il n'aurait pas dû la croire, pourtant en se regardant dans le miroir, ses yeux étaient toujours plissés dans un sourire énorme.
-Aujourd'hui, c'est une sorte de débat que je voudrais avoir avec toi. Sur la littérature. Selon toi, c'est quoi la littérature ?
Axel, étant à court d'idées, ressortit mot pour mot la définition de son prof de français.
-La littérature, ça sert à montrer aux autres qu'ils ne sont pas les seuls à vivre ce qu'ils vivent.
-Ce n'est vrai que pour les romans réalistes.
-Oui. Tu as raison. Mais qu'est ce que la littérature a à voir avec tes inquiétudes sur la vie, si je puis me permettre ?
-J'y viens. Pour moi la littérature, c'est un monde parallèle que les écrivains nous offrent pour pas grand chose. Un monde ou l'ont peut voyager dans le fin fond de l'Alaska comme dans l'espace, ou même dans le futur. Tout le monde peut y trouver du plaisir. Mais je me suis dit qu'en fait lire, c'est échapper à sa vie, tu vois ce que je veux dire ?
Elle fit une pause comme si elle s'attendait à ce qu'il réponde, puis reprit.
-Ne te méprend, pas, j'adore lire, mais parfois, quand je passe mes journées à lire et que j'entends des rires dehors, je me dis que je pourrais passer toutes heures à faire quelque chose d'autre. Enfin je sais pas, quand je lis le temps passe généralement à la vitesse de la lumière. Et quand je me relève de mon lit en fin d'après midi, les yeux fatigués d'avoir trop lu, je me dis "Oulah, Elia. Une journée vient de filer et tu n'as rien fait." Et je me sens un peu mal, mais pas trop non plus, parce que j'adore la lecture, je trouve ça fascinant comment quelqu'un peut partager un univers de son invention à d'autres personnes. Mais quand même. Des centaines d'heures ont été dilapidée en lecture.
-C'est pas si grave Elia. Je pense que ton soucis majeur, c'est que tu as peur de ne pas vivre ta vie. D'avoir des regrets. Enfin c'est ce que je comprend.
-Comment ça ?
-Tu m'a parlé de ton futur, de tes études. Maintenant de la littérature. Tu as peur de pas faire comme il faut. Tu as peur de mourir malheureuse.
-Qui a envie de mourir malheureux ?
-Personne. Mais toi, j'ai l'impression que tu as du mal à te faire à l'idée que toutes tes décisions ne seront pas les bonnes. Tu n'as jamais lu tous ces discours sur l'humanité ? On est bourrés de défauts, mais c'est ce qui nous rend uniques ? A mon avis, le fait de faire des mauvais choix n'est pas si grave. Tu peux toujours rectifier le tir.
-Pas toujours.
-Sois un peu positive, rigola Axel. Tu penses que tout est toujours définitif. Mais c'est complètement faux ! Enfin j'espère.
-Rassurant.
-Mais la littérature, pour moi Elia, ce n'est pas du gâchis. Tu ne fais pas que ça de ta vie, tu vois des gens, la preuve, tu me parles. Alors si tu as quelque jours par mois "perdus" pour des lectures passionnées, ce n'est pas si grave. Surtout que ça t'apporte une fibre littéraire, un vocabulaire développé, un orthographe impeccable. Moi, je sais vraiment pas écrire.
Elia rigola et roula sur le ventre.
-D'accord. Je suis toujours pas convaincue, mais ça suffira. Et toi, tu n'aurais pas un autre truc à confier. J'adore écouter les gens. Tu veux parler de la mort, peut-être ?
-Pas tout de suite, demain.
Elia parut déçue, mais Axel n'avait vraiment pas envie de se mettre à chialer. La mort,sous toute les formes, c'était son cauchemar. La peur ne s'était pas évaporée depuis son enfance, à la mort de sa tante.
-On peut peut-être chanter, alors ?
C'est ce qu'ils firent. Leurs voix rauques chantant des couplets sans queue ni tête, les yeux pleins de larmes de rires.
Axel avait de la chance d'avoir rencontré quelqu'un d'aussi génial, et ce par un hasard total. Il se sentait bien, libre, infini. Il n'avait beau être pas parfaitement bien dans sa vie, il se sentait apprécié, et ça comptait énormément pour lui.
Elia, qui était une parfaite inconnue n'avait pas les préjugés habituels, basés sur les primaires, ou les premières années du secondaire. Elle était étrangère à sa vie, et ça faisait du bien de pouvoir être soi-même d'une différente manière que dans sa vie de tous les jours. Il découvrait une personne dont il ne soupçonnait pas l'existence chaque nuit en compagnie d'Elia, et c'était un sentiment incroyablement apaisant.
Il ne saurait dire pourquoi.
Il sourit comme un idiot, entamant un couplet de "I Want To Break Free" en a capella, ce qui ne donnait, bien entendu, qu'un résultat médiocre.
Elia criait sa joie pour toute la ville. Elle rayonnait.
-Axel, si tu savais comme je me sens vivante, en haut de cette colline.
Axel le savait, il ressentait cette même envie de VIVRE.
Cette envie s'était emparée de lui comme une flamme d'un bout de papier. Il voulait sourire, rire, aimer, partager, et ce pour le restant de sa vie.
Quand la pluie éclata, au lieu de s'abriter en dessous d'un banc comme Elia, il ouvrit grand les bras, offrant son visage bienheureux au ciel sombre.
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