Chapitre 2
En Enfers, Callista détestait assister aux séances de tortures. Elle n'avait jamais supporté les hurlements stridents des victimes ni le rire satisfait de certains satyres qui s'invitaient parfois aux festivités. La succube n'était pas adepte du gore et encore moins du sexe. Alors les « spectacles » des Enfers... Sans façon, bien qu'elle eût déjà été contrainte d'y assister en guise de punition. Pourtant, la démone ne se lassait pas de voir Telly exercer sa profession d'assassin. L'observer, fière et déterminée tandis qu'elle armait son revolver, lui donnait envie de l'embrasser avec passion. Après chaque meurtre, Telly aimait libérer ses cheveux bruns de leur élastique, permettant à Callista d'admirer les mèches bougeant au gré de l'air nocturne.
— Il faut partir.
Telly hocha la tête et démarra la moto. Depuis que la succube avait épargné sa vie et accepté de goûter à la liberté à ses côtés, elles étaient pourchassées par des démons de temps à autre. Alors elles fuyaient. Toujours plus vite, toujours plus loin, avec comme seules aides la moto et les runes de camouflage tracées par la rousse. Elles savaient qu'un jour leur course s'achèverait, mais toutes deux s'en moquaient. Jamais elles ne pensaient au futur. Seul le présent comptait. Le présent et leur liberté.
*
L'océan. La nuit et le vent. Une route déserte, les étoiles et le silence. Telly jouait avec les boucles rousses de la démone, qui avait entouré sa queue autour de sa taille. Cette dernière avait levé son regard glacé vers la lune absente, comme si elle cherchait à lui parler. La brune s'était imaginé, depuis sa fugue à l'âge de dix-sept ans, dix ans auparavant, vivre seule. Parce que son indépendance et sa liberté, elle y tenait plus que sa propre vie. Elle aurait préféré mourir que de connaître la prison ou, pire, retourner chez ses parents ou son frère aîné. Elle ne comptait pas finir ses jours dans une cellule ou en thérapie de conversion. Telly préférait encore terminer en Enfers, bien qu'elle sache que sa compagne ne le permettrait jamais. Toutes deux s'étaient d'ailleurs déjà mises d'accord sur comment la vie de Telly s'achèverait. Que ce soit de vieillesse, de maladie ou tuée par les démons qui les poursuivaient inlassablement, la fin serait la même. Callista, d'un baiser passionné ; le seul et unique qu'elles s'échangeraient ; dévorerait son âme. Ainsi pas d'Enfers ou de tortures éternelles, seulement le néant. Le néant et le bonheur d'avoir pu, juste une fois, embrasser la femme qu'elle aimait. Parce que ça, Telly, cela lui manquait terriblement. Que la succube soit asexuelle et qu'avoir des relations intimes ne l'intéressât pas, elle l'acceptait sans problème, car elle l'aimait. Et puis, Callista, qui n'avait jamais connu la moindre once de tendresse, en était devenue friande. À la moindre occasion, la rousse enroulait sa queue autour de la taille de Telly afin de se blottir contre elle, habitude qu'adorait l'humaine. Passer son temps, sa liberté, son existence avec la démone la remplissait d'une joie qu'elle n'avait jamais connue et qu'elle avait toujours imaginé hors de sa portée. Toutefois, être incapable de pouvoir poser ses lèvres sur les siennes sans risquer de mourir était une concession difficile, mais inévitable. Leur seul baiser véritable serait un baiser d'adieu.
— Telly ?
— Oui bébé ?
— Ta cigarette s'est consumée sans que tu ne la touches. Un problème ?
— Je me demandais quel goût avait tes lèvres.
— Celui de la Mort. Tu ne le sais que trop bien.
En effet, à force d'insister, Callista avait accepté d'offrir, un soir, un bref baiser à sa compagne, en se concentrant au maximum pour éviter tout incident. Malheureusement, au bout de quelques secondes à peine, elle avait mis fin à leur étreinte, juste à temps. Une seconde en plus, et Telly serait morte. La rousse avait alors compris que son pouvoir était incontrôlable et que, comme le racontaient les ouvrages en Enfers, quiconque goûtait aux lèvres d'une succube ou d'un incube, choisissait le trépas.
Telly garda longtemps le silence observant les tatouages démoniaques ornant, elle le savait, presque l'intégralité du corps de Callista. Mais, pour l'avoir vu dans le plus simple appareil, elle connaissait exactement les zones où sa peau n'était pas encrée par des promesses d'un autre âge, des runes oubliées que la démone haïssait. Telly possédait elle aussi quelques tatouages, chose très mal vu sur une jeune femme. Mais elle s'en moquait.
— Bébé ?
— Oui ?
— Mes tatouages te plaisent, n'est-ce pas ?
— Oui. Je te l'ai déjà dit mille et une fois. Chacun d'un est une œuvre d'art qui sublime ta beauté. Ils sont le symbole de ta liberté. Chacun d'eux est le fruit de ton choix et de ta réflexion. Le reflet de ton libre arbitre. C'est magnifique.
Telly embrassa la succube sur le front.
— Et si, toi aussi, tu te faisais tatouer ?
La démone écarquilla les yeux de surprise.
— Bébé, tu as choisi la liberté en restant avec moi et tu m'as dit toi-même que tu haïssais ces runes imposées sur ton corps. Je ne pense pas qu'une encre humaine puisse les recouvrir. Par contre, dessiner dans les zones encore vierges de toutes traces, ça, c'est envisageable.
Les iris glacés de Callista brillaient d'émotions contenues.
— C'est une excellente idée.
— Alors, en route bébé. Je sais précisément où t'amener.
La succube sourit, heureuse. Elle avait déjà le motif parfait en tête, une fée gracieuse et élégante s'échappant d'une cage à oiseau ouverte. La créature qui gagnait sa liberté.
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