Chapitre 2

Akio se réveilla aux alentours de dix-huit heures. Il n'avait pas travaillé et son ordinateur s'était mis en veille depuis longtemps. Il s'étira et poussa un soupir. Dix années s'étaient écoulées depuis l'accident. Pour un être éternel tel que lui qui avait déjà vécu près d'un millénaire, cela pouvait sembler dérisoire. Pourtant, chaque minute lui avait paru durer une éternité. Après un siècle à courtiser Marlowe et trois cents ans à ses côtés, Akio ne savait plus comment vivre convenablement sans lui. Son absence le rendait fou. Il passa une main sur ses cornes, se leva et se dirigea vers la machine à café, avant de se raviser. Il n'aimait même pas ça, sauf lorsque cette saveur provenait des lèvres de son compagnon. Le démon se servit alors un thé, bien moins bon que ceux préparés par Marlowe, et se dirigea vers leur chambre. Le karkadann, lui, n'avait pas bougé d'un millimètre.

— Owie, je vais rester à côté de toi un moment, d'accord ?

Aucune réponse. Juste un regard émeraude et vide fixé en direction du plafond. Akio s'allongea sur le côté et se blottit contre son époux. Leur mariage avait eu lieu en Inde, sur les terres de naissance de Marlowe. Il avait été officié par Lucifer et Lilith en personne, deux siècles auparavant. C'était le karkadann qui avait fait sa demande, surprise dont le démon ne s'était toujours pas tout à fait remis.

— Tu sais, demain, c'est le grand jour. J'ai enfin tout ce qu'il me faut pour te sauver.

Pourtant, Akio avait terriblement peur que cela ne fonctionnât pas. Les autres démons et même Lucifer l'avaient prévenu. Lever une malédiction après dix années laissait souvent des traces indélébiles dans l'esprit de la victime... Et ça, Akio en tremblait d'avance. Il craignait de retrouver un Marlowe sauvé, mais détruit et anéanti. Si tel était le cas, que ferait-il ? Il soupira et se colla davantage au karkadann. L'heure était au repos et non aux mauvais présages. Quoi qu'il arrivât, jamais il n'abandonnerait son époux. Il demeurerait à ses côtés jusqu'à la fin des temps.

L'aube se levait à peine lorsqu'Akio ouvrit les yeux. Il embrassa tendrement son compagnon sur la joue.

— Encore un peu de patience Owie, je ne devrais pas en avoir pour très longtemps. Je t'aime.

Il se doucha, s'habilla et ouvrit une porte vers les Enfers ; façon la plus rapide et simple de voyager. Le peuple qui avait maudit Marlowe était des nomades du nord de l'Inde, alors que ce dernier bénissait les oasis comme à son habitude. Une rumeur avait circulé comme quoi la corne des karkadanns contiendrait du poison au lieu d'un antidote... Une erreur de traduction au fil des années. Ils avaient emprisonné l'esprit de Marlowe, le condamnant à n'être qu'un corps sans vie, bien que vivant, car éternel. Lorsqu'Akio l'avait retrouvé, inquiet de ne pas le voir rentrer de sa mission, sa colère avait creusé un cratère dans les trois kilomètres alentour. Le démon avait immédiatement ramené son époux chez eux, dans leur appartement de Bristol, avant de commencer à enquêter. Bien entendu, sa première idée fut d'assassiner les habitants du village, mais cela se révéla aussi inutile qu'inefficace. Ce fut la première fois de sa longue vie qu'Akio s'intéressa aux humains. Une première fois dont il se serait bien passé.

Il étudia leurs contes et légendes jusqu'à trouver quelqu'un capable de fabriquer un remède permettant de soulager Marlowe. Grâce à cette potion, au moins, il ne hurlait plus à cause d'horribles visions cauchemardesques. Le démon parcourut ensuite le monde à la recherche d'informations sur comment lever cette malédiction avec l'aide précieuse de sa mère, Lilith. Après tout, elle était celle qui bénissait les unions de chacun de ses enfants et elle n'appréciait guère qu'on les entrave. De plus, la succube était connue pour haïr les humains qui cherchaient à détruire une histoire d'amour, surtout de façon si désinvolte. À présent, l'heure de la vengeance était venue.

Akio emprunta les voies des Enfers en un temps record et se retrouva à destination. Et dire qu'auparavant il adorait la terre natale de son époux... Sans perdre un instant, il s'enfonça dans les dédales de ruines et de montagnes, jusqu'à trouver un petit village, à l'approche duquel il n'avait pris la peine de dissimuler ni sa haine ni son apparence. Les premiers habitants hurlèrent rapidement de terreur et se réfugièrent dans leur maison, priant leurs divinités.

— Je vais emporter vos âmes, mais patientez encore un peu.

Quelques guerriers téméraires tentèrent de l'attaquer, mais périrent avant même d'avoir pu le toucher. Finalement, le mage se montra.

— Que veux-tu, démon ?

— Sauver mon époux et le venger. Nous venger.

— Pardon ?

— Un karkadann a été ensorcelé dix années auparavant. J'ai tué les prétendus coupables. Mais en fait, le véritable détenteur du pouvoir c'est vous et ce village. Le cristal enchaînant son esprit est autour de votre cou.

Le mage écarquilla les yeux d'horreur. Dans le regard jaune du démon, il pouvait apercevoir son trépas.

— Je...

— Les excuses sont vaines. Moi qui suis toujours resté indifférent aux humains, à présent je vous abhorre. Vos âmes, à tous ici présents, seront offertes en jouets à nos meilleurs bourreaux. Vous paierez à jamais d'avoir blessé mon amour.

Akio trancha la gorge du mage, brisa le cristal puis anéantit le village. Il accompagna les esprits en Enfers et, avec une rapidité sans précédent, emprunta un portail pour leur appartement. Lorsqu'il y pénétra, le silence y régnait toujours. Paniqué, il se précipita vers leur chambre et ouvrit la porte violemment.

— Owie ?

Le karkadann était assis contre le rebord du lit et tourna la tête dans sa direction en souriant. Ses yeux verts avaient enfin repris vie.

— Akio...

— Owie, par Lucifer ! Owie !

Le démon sauta sur le lit et se jeta sur son époux, se blottissant contre son torse. Marlowe l'enlaça et lui caressa le dos.

— Merci Akio. Merci de m'avoir libéré.

Le démon ne répondit pas, ne réalisant pas encore qu'il entendait enfin la voix de son compagnon.

— Tu sais, ces dix dernières années, j'ai tout entendu. Absolument tout ce que tu m'as dit. Les recherches. Le temps qui passe. Ta douleur. Si tu savais comme c'était frustrant de te voir souffrir ainsi sans pouvoir ne jamais rien faire, sans pouvoir te rassurer.

— Tu m'as manqué.

— Je sais. Toi aussi, mon amour. Et maintenant ?

— Maintenant...

Akio releva la tête.

— Maintenant, je ne te lâche plus jamais, comme à l'époque où je te courtisais dans le désert.

Marlowe rit et embrassa son démon.

— Avec grand plaisir.

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