Chapitre 1

"Our solemn hour," Within Temptation

Sanctus Espiritus, redeem us from our solemn hour
Sanctus Espiritus, insanity is all around us
Sanctus Espiritus, is this what we deserve
Can we break free from chains of never-ending agony

**

Akio consulta une fois encore son téléphone et tapa frénétiquement un message. Son informateur venait enfin de lui transmettre les données qu'il lui manquait pour mettre son plan à exécution. Désormais, il ne lui restait plus qu'à attendre quelques heures. Quelques trop longues heures. En effet, la patience n'avait jamais été l'une de ses vertus, surtout dans un tel contexte. Lassé, il verrouilla son smartphone. Ses yeux jaunes se posèrent alors sur l'horloge de la cuisine. Midi. Il était à nouveau l'heure d'administrer son médicament à Marlowe. Akio attrapa l'une des trop nombreuses fioles stockées dans le salon et entra doucement dans leur chambre. Son compagnon était éveillé, son regard émeraude perdu dans la contemplation du plafond. Le démon s'assit au bord du lit.

— Il est déjà midi, Owie.

Évidemment, Marlowe ne réagit pas.

— Je vais te donner la potion, d'accord ?

Toujours pas de réponse. Toujours le silence. À l'image des dix dernières années. Dix années d'un calvaire sans fin pour eux deux. Akio fit avaler le liquide verdâtre à son compagnon, qui déglutit machinalement puis reposa sa tête sur l'oreiller, le regard vide. Le démon se retint de jeter la fiole contre le mur, le cœur sans cesse brisé de voir son aimé ainsi. Il n'était même pas certain que l'âme de Marlowe était intacte ni qu'elle existait encore. Il ne pouvait qu'espérer. Espérer et prier les Enfers pour que la mission réussisse.

— Je vais travailler, Owie. Je t'aime.

Il l'embrassa sur la joue et quitta la chambre. Akio s'installa à son bureau et alluma l'ordinateur. En fond d'écran, la dernière photographie qu'ils avaient pu prendre en couple avant ce maudit accident. Marlowe souriait, heureux comme toujours. Akio posa un doigt sur l'image et secoua la tête. Il ne pouvait pas passer son après-midi à ressasser ses souvenirs. Pourtant, quand ses yeux jaunes parcoururent le document qu'il venait d'ouvrir, une fois encore, il ne parvint pas à se concentrer. Il posa alors ses mains sur ses cornes courbées en soupirant. Il haïssait la vie depuis que Marlowe n'était plus vraiment là.

Contrairement aux autres démons, Akio n'avait jamais compris ni la notion de beauté ni l'intérêt que ses pairs portaient aux humains. Lui ne possédait ni désir ni passion. Il n'appréciait ni les arts ni la collecte des âmes, si bien, qu'au fil des siècles, il était peu à peu devenu la cible de moqueries en Enfers. Alors, souvent, il arpentait seul le monde des humains, dans l'espoir qu'un jour quelque chose, n'importe quoi, attira son attention. Parce qu'à force, sa jalousie et son envie avaient grandi. Lui aussi voulait connaître des sensations et des sentiments.

Akio avait parcouru différentes terres et même les océans. Toutefois, son lieu préféré restait le Mârusthali, ce désert qui le fascinait sans qu'il n'en comprenne la raison. Son nom signifiait « Le pays de la Mort » et pourtant, depuis quelques années, le démon y percevait une énergie qui l'intriguait. Une énergie aux antipodes de la faucheuse. Curieux, c'était la première fois en plus de six cents ans que quelque chose l'intéressait un tant soit peu, Akio attendait patiemment de découvrir d'où venait cette étrange sensation.

Des cris le tirèrent de son demi-sommeil alors que l'aube naissait à peine. Il se leva et observa la scène irréaliste qui se déroulait quelques mètres plus loin. Quelques humains, des chasseurs nomades, entouraient une créature qui ressemblait fort à un rhinocéros géant. Un rhinocéros noir à la peau écailleuse, mais un rhinocéros tout de même. Akio n'avait jamais vu pareil animal. Il entendit un humain crier « l'objectif est sa corne ». Cette phrase sembla mettre la créature en colère, car elle poussa un hurlement. Le démon écarquilla les yeux. L'énergie qu'il avait sentie jusqu'à présent, c'était ça ! Elle provenait donc... D'un rhinocéros ? Akio fronça les sourcils. Il lui semblait totalement impossible qu'un simple animal soit doté d'une telle bestialité, d'un tel pouvoir et surtout d'une telle âme. En tant que démon, des âmes, il en avait bien trop vu. Mais celle-ci ne lui semblait ni animale ni humaine.

Lors de sa réflexion, les chasseurs avaient tenté d'attaquer la créature. En vain. Leurs armes s'étaient instantanément brisées sur la peau aussi dure qu'une carapace. Exaspéré, l'animal encorna les mortels qui périrent sur le coup. Akio ne put s'empêcher d'applaudir, mais cela ne sembla pas du goût de la créature qui fondit alors dans sa direction. Il l'esquiva sans difficulté, en souriant.

— Tout doux ! Je suis juste venu admirer ton œuvre. Je ne te veux pas de mal.

Le rhinocéros poussa ce qui ressembla à un grognement puis se transforma en humain. Était-ce un garou ? L'homme avait la peau d'un noir profond, autant que celle de sa forme animale et des cheveux bruns très courts. Il jeta un regard mauvais à Akio et envers ses cornes.

— Un démon ? Suis-je puni des dieux ?

— Absolument pas ! Je ne sais même pas de quoi tu parles ! Je suis Akio, enchanté !

L'homme demeura silencieux et continua de le fixer de son regard émeraude.

— J'ai senti ton énergie en me promenant dans le coin et j'ai été intrigué.

Toujours le silence.

Akio aurait facilement pu obliger son vis-à-vis à lui parler. Il aurait même pu le tuer. Mais il n'en avait pas envie. Il souhaitait juste en apprendre davantage.

— Je ne savais pas qu'il existait des rhinocéros garous. Ni que les humains vous chassaient.

La créature grogna et leva les yeux au ciel.

— Je suis un karkadann. Et ils en ont après la corne de ma forme animale. Elle est censée guérir des poisons. Maintenant, si tu veux bien m'excuser, je rentre chez moi.

— Oh ! Mais tu es donc une créature divine. C'est un honneur ! Et comment te prénommes-tu ?

Il ne répondit pas, tourna les talons et soupira en sentant Akio le suivre. Pourtant il n'ajouta rien.

Depuis cet instant et chaque jour durant les vingt-cinq prochaines années, Akio apporta une fleur différente au karkadann. Celui-ci se contentait de la déposer sur son étagère en bois avec les autres, probablement dans le but de la faire sécher. Au premier jour de la vingt-sixième année, finalement, il se décida enfin à parler.

— Marlowe. Je m'appelle Marlowe.

Le démon sourit, ses yeux jaunes pétillants de joie.

— Enchanté Marlowe. Et à demain.

Akio continua à lui apporter des fleurs des quatre coins du monde, sans pour autant s'imposer trop longtemps. Marlowe lui plaisait, aussi bien physiquement, que psychiquement, mais il ne souhaitait pas risquer de le brusquer. Le démon avait enfin trouvé la perle rare, il ne voulait pas la perdre.

Aux premières lueurs de la cinquante et unièmes année et tout autant de fleurs, le karkadann demanda au démon de rester quelques instants.

— Que puis-je pour toi ?

— Veux-tu du thé ?

Akio accepta avec un plaisir non dissimulé. Cette invitation marqua le début d'une nouvelle ère. Une ère où ils apprirent à se connaître et à appréhender leurs deux mondes si différents. Ce fut ainsi que tous les jours des cinquante années suivantes, après lui avoir offert une fleur, le démon s'asseyait pour le thé et discutait avec Marlowe. Jamais Akio n'avait autant apprécié ce breuvage ni l'odeur du désert. Jamais il n'aurait imaginé courtiser quelqu'un pendant si longtemps. Pourtant, bien qu'il chérît cette situation, Akio savait qu'il devait y mettre un terme. Voilà pourquoi, au commencement de la centième année, le karkadann observa la plante avec un regard interrogateur.

— Il s'agit d'une rose de cristal. Elle ne pousse qu'en Enfers et est éternelle. C'est la dernière que je t'offre. Le joyau de ta collection si je puis dire.

— Tu en as assez de me courtiser ?

— Détrompe-toi. Mais tous les démons se moquent de moi, car pour une fois que j'ai envie de séduire quelqu'un... J'échoue lamentablement. Et je n'ai guère envie d'être pris en pitié. Je continuerai simplement à te rendre visite. Si tu en as envie.

Marlowe leva les yeux au ciel.

— Pourquoi ?

— Pardon ?

— Pourquoi moi ? Nous sommes des créatures profondément solitaires. Froides et distantes. Les karkadanns ne sont pas connus pour aimer ni pour vivre en communauté.

Akio s'accouda sur la table.

— Tu es le seul être au monde à avoir fait naître en moi des émotions. Mais tu m'as aussi fait comprendre le concept de beauté. Enfin. Après tous ces siècles à en entendre parler autour de moi. Alors, et bien... J'ai cru que peut-être je pourrais te séduire. Mais j'ai échoué.

— Je n'ai jamais dit ça.

Les yeux jaunes du démon s'illuminèrent subitement.

— Ce n'est pas dans ma nature de développer une relation et encore moins d'accorder ma confiance. Pourtant, j'ai gardé chacune de tes fleurs. Et j'ai accepté ta présence. Chaque jour un peu plus. Et ce, un siècle durant. Le temps est venu de te donner ta récompense.

Marlowe se pencha et embrassa Akio. En Enfers, certains venaient de perdre leurs paris.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top