Chapitre 9 : Confrontation ✔️
Lorsqu'Anya annonça qu'ils allaient camper pour la nuit, Maxim ne put s'empêcher de pousser un soupir de soulagement. Sans attendre, il repéra un amoncellement rocheux et s'y assit. C'était inconfortable, humide, mais au moins il pouvait reposer ses jambes.
La route avait été difficile, plus qu'il n'aurait pu l'imaginer. En tant qu'ingénieur minier, il était pourtant habitué au travail physique sur le terrain. Même pendant ses périodes de congés sur Terre, il allait s'entraîner presque tous les jours. Décidément, il avait perdu la forme. Il devait sans faute remédier à ce problème, sa survie sur Proxima pourrait en dépendre.
Plongé dans ses pensées, il réalisa un peu trop tard qu'Anya montait seule le campement. Elle avait recueilli d'immenses feuilles des arbres bleus qu'elle appelait « list » et elle s'affairait à les empiler les unes sur les autres, formant des couches pour la nuit.
Ou plutôt la lune.
Pris de remords d'être un fardeau pour Anya, il se leva malgré les protestations de ses muscles endoloris et offrit de s'occuper du feu.
Il fit le tour des environs afin d'amasser quelques brindilles et branches sèches et retourna ensuite près du sentier pour compléter sa récolte. Les bras pleins, il s'apprêtait à effectuer demi-tour lorsqu'un petit cri rauque sur sa gauche attira son attention. Curieux et enthousiaste à l'idée de découvrir une nouvelle forme de vie, Maxim déposa le bois au sol et suivit le bruit qui se répétait à un intervalle régulier, tel un métronome. Après tout, il ne risquait pas grand-chose. Tout ce qu'il avait croisé jusqu'à maintenant se résumait à des petites boules de poils pas plus grosses que des marmottes et à des insectes inoffensifs. Rien de très dangereux au final.
En silence, il traversa le sentier et s'enfonça dans les bois. Mais dès qu'il aperçut le responsable de ce cri, il regretta.
Une bête immonde, un peu plus grosse qu'un lion, dévorait un animal poilu et sanglant qui avait connu de meilleurs jours. Le prédateur était doté d'une crinière de plumes bleutées. Son corps, recouvert d'écailles vertes et luisantes, se terminait par une queue ornée d'un dard aussi affuté que la lame d'un couteau.
Maxim, figé, le vit déchirer la peau de sa proie avec ses dents acérées. Un son grave et régulier sortait de sa bouche à mesure qu'il mastiquait la chair de l'animal.
La gorge sèche, son cœur battant à mille à l'heure, Maxim prit soudain conscience que la bête finirait par le remarquer. Il recula de quelques pas quand son pied se posa sur brindille. Le bruit sec attira l'attention du monstre qui braqua des yeux noirs et perçants sur lui. Il n'en fallut pas plus pour que Maxim pivote et déguerpisse.
Il courut aussi vite que ses jambes fatiguées le lui permettaient. Ni une ni deux, il rejoignit le sentier, le traversa et piqua en direction du camp. Soudain, son pied droit buta contre une racine et il s'affala au sol. Le souffle coupé par le choc, il entendit la créature rugir derrière lui. Chargé d'adrénaline, il bondit sur ses pieds et reprit sa fuite.
— Anya !!! hurla-t-il.
À quelques mètres du campement, un cri guttural retentit sur sa gauche. Au même moment, Maxim perdit le contrôle de son corps et s'effondra encore une fois au sol. Avec toute l'énergie du désespoir, il tenta de se relever, mais aucun de ses muscles ne voulut coopérer. Même ses doigts et ses orteils ne bougeaient plus. En revanche, il était pleinement conscient que d'une minute à l'autre, il se transformerait en buffet à volonté.
C'est alors qu'il vit Anya arriver, son arc tendu. Elle s'arrêta à quelques pas de lui, fit une pause et déposa son arme au sol. D'un simple mouvement du poignet, elle attrapa le couteau qui pendait à sa ceinture et contourna Maxim avant de sortir de son champ de vision.
Il tenta de tourner la tête pour la suivre, mais son traitre de corps refusait toujours d'obtempérer. Même ses foutues lèvres n'arrivaient pas à articuler tous les jurons qui lui passaient par la tête !
Les pas légers d'Anya se firent entendre sur quelques mètres et s'arrêtèrent.
Un long cri rocailleux et lugubre se répandit dans la forêt, lui glaçant le sang au passage. La plainte gutturale ne semblait pas vouloir s'arrêter, assez pour que Maxim ait tout le loisir d'imaginer Anya se faire déchiqueter par la bête à de multiples reprises. Son pouls cognait contre ses tempes et des gouttes de sueur glissaient dans ses yeux.
Et enfin, le cri s'arrêta.
Le silence se fit. Un silence encore plus insupportable.
Impuissant, Maxim fulminait. Il aurait tout donné afin de pouvoir se retourner et jeter un œil derrière lui. C'était insupportable d'imaginer Anya se vider de son sang sans qu'il ne puisse faire quoi que ce soit.
Mais lorsqu'il entendit à nouveau des pas et qu'il vit apparaître les bottes de cuir de la Proximienne devant ses yeux, un poids énorme s'échappa de sa poitrine.
Sans ménagement, elle l'attrapa par le bras et le retourna sur le dos avec une facilité surprenante.
Il put enfin la voir. À l'envers certes, mais en un seul morceau.
Ses mains et sa redingote de cuir étaient souillées d'un liquide bleu visqueux. Ses yeux noirs le scrutèrent des pieds à la tête avant de se tourner vers la forêt.
— Arkadi ! Eto ty ?
— Da, eto ya, répondit une voix grave.
Un bruissement de feuilles se fit entendre et Anya quitta encore une fois son champ de vision.
Ce qui le propulsa à un degré inimaginable de frustration !
En revanche, il prit conscience qu'il pouvait à nouveau sentir ses orteils. Il concentra ses efforts à les remuer un à la fois tandis qu'il entendait Anya discuter dans la langue proximienne. Après un certain temps, il finit par bouger les jambes, ensuite les bras et réussit à se retourner sur le ventre. Sans grande élégance. Il leva la tête dans la direction des voix.
Anya discutait avec un homme.
Non, plutôt un colosse.
Une armoire à glace même.
Maxim crut discerner dans les propos le nom « Alexander » et « Austeen ». Après quelques minutes, elle revint vers lui, accompagnée du nouveau venu. Il devait mesurer plus de deux mètres et portait une tunique de cuir brune, plus courte et d'aspect plus masculin que la redingote d'Anya. Ses cheveux mi-longs blonds étaient attachés en partie sur le dessus de sa tête. Une barbe blonde bien entretenue accentuait ses traits carrés. Sur ses hanches reposait une ceinture de cuir qui retenait une hache et un carquois de flèches accompagnées d'un arc accroché dans son dos.
— Maxim, je te présente Arkadi, descendant Voronov, 10e génération.
Maxim tenta de saluer l'homme, mais sa langue refusa de lui obéir. Il n'émit qu'un son incongru et pitoyable. Le colosse le regarda un instant avant d'éclater de rire.
— Arkadi a utilisé son cri pour paralyser le krocom, continua Anya sans sourciller. Et toi aussi, par inadvertance... Tu devrais être sur pied dans peu de temps. Essaie de bouger le plus possible pour réchauffer tes muscles.
Maxim hocha la tête du mieux qu'il put et suivit les conseils d'Anya. Pendant ce temps, les deux chasseurs s'emparèrent de la carcasse de la bête pour la tirer vers le campement. Celle-ci avait une longue entaille au niveau de la gorge et un épais liquide bleu s'en écoulait.
Lorsque Maxim en fut capable, il se releva, non sans difficulté, et rejoignit les deux Proximiens à quelques mètres de là. Ils travaillaient sur le cadavre du pseudo lézard et discutaient avec animation, comme deux amis qui se retrouvaient après une longue séparation. Les yeux d'Anya étaient rose vif, couleur qu'il n'avait vue qu'une seule fois jusqu'à maintenant.
Lorsqu'elle le vit s'approcher, la jeune femme vint à sa rencontre.
— Est-ce que ça va ? Tu as repris le contrôle de tes muscles ?
— Oui, je pense, maugréa-t-il.
Il marqua une pause, avant de continuer :
— Ce cri de ton ami, c'est une variation ?
Anya acquiesça.
— Une variation de la troisième génération. La plupart des Proximiens y sont maintenant immunisés, mais pas tous. Le gène d'immunité est apparu une ou deux générations plus tard. J'imagine que vous les terriens ne l'avez pas.
— Non, il n'existe pas vraiment de variations.
Il hésita et se reprit :
— En fait, oui il y en a. Parfois on retrouve certaines mutations génétiques, mais minimes. Et très rares. Des orteils palmés, des mains sans jointures ou des inversement d'organes. Pas des cris paralysants...
Anya souleva les épaules.
— Eh bien! Un point pour nous, les Proximiens, répondit-elle, un sourire aux lèvres.
Elle lui fit un clin d'œil et retourna à sa besogne. Maxim fut surpris de sa bonne humeur, sans compter la chaleur que lui procura ce simple clin d'œil. Il ne l'avait jamais vue aussi souriante depuis leur rencontre. Elle était magnifique, mais il aurait préféré que cette bonne humeur soit due à sa présence et non à celle du Tarzan proximien.
À cette pensée, son cœur se serra, mais il secoua la tête pour la chasser. Il n'était pas ici pour ça. Il devait se concentrer sur sa mission. Tom et Élizabeth comptaient sur lui.
Il s'étira et s'assura que tous ses muscles fonctionnaient normalement avant de reprendre sa corvée de bois qu'il avait abandonnée.
Une fois le feu allumé et la bête dépecée, Arkadi se joignit à eux pour le repas. Pendant que la viande de krocom grillait, le grand blond discuta un long moment avec Anya dans leur langue. Maxim tenta de suivre du mieux qu'il put la conversation en analysant leur gestuel, mais finit par abandonner. Il fixa le feu, se perdant dans ses pensées.
Arkadi le sortit de ses rêveries lorsqu'il lui adressa la parole dans un anglais assorti d'un accent encore plus marqué qu'Anya.
— Anya me dit que tu es un voyageur ?
Maxim se retourna vers lui et aperçut des yeux dorés braqués sur lui. Avant qu'il ne puisse répondre quoi que ce soit, Arkadi continua son interrogatoire.
— Pourquoi es-tu habillé ainsi ?
Arkadi pointa du menton le pantalon cargo de Maxim ainsi que son T-shirt gris, vêtements plus qu'ordinaires pour un Terrien.
— Je... Là d'où je viens, on s'habille comme ça, rétorqua-t-il.
Arkadi hocha la tête, mais le jaugea pendant de longues minutes. Un soupçon de méfiance brillait dans son regard.
— À Austeen, tu devrais t'acheter d'autres habits ou t'en fabriquer. Tu ne seras pas bien reçu avec ces vêtements.
— Merci du conseil, répondit sèchement Maxim.
Il regretta par la suite son ton. Il devait garder en tête que le Proximien lui avait sauvé la vie, mais c'était plus fort que lui. Son attitude froide et antipathique ne l'aidait pas à l'apprécier.
Le colosse se retourna vers Anya :
— Il a quel âge ton ami pour ignorer qu'on ne joue pas avec les osminogs ?
Eh merde ! Il avait encore ces foutues taches vertes sur le visage.
— Il a marché dessus sans faire attention, mentit Anya.
— Hum, fut la seule réponse du Proximien.
— Arkadi est éclaireur pour Austeen, expliqua Anya à l'intention de Maxim.
Elle voulait manifestement changer de sujet.
— Il patrouille la partie nord du territoire pour veiller au bien-être des Déclassés qui décident de vivre à l'extérieur de la ville, comme moi. Il surveille en même temps la migration des troupeaux pour la chasse.
Maxim hocha la tête pour lui faire comprendre qu'il l'écoutait, mais il n'était pas d'humeur à converser.
— Il est rare que l'on croise un krocom au nord selon lui, continua-t-elle. Et en vrai, je n'en ai croisé que deux depuis que je vis à l'extérieur de la ville.
— Je dois attirer la malchance alors, grommela-t-il.
Malgré son air renfrogné, elle lui fit tout de même un sourire et il ne put s'empêcher de lui rendre. C'est fou comme un simple geste de sa part arrivait à lui redonner sa bonne humeur. Lorsque les belles lèvres d'Anya s'étiraient ainsi, une lueur rosée s'allumait dans ses yeux bleus et des petits plis se formaient tout près de ses paupières. Elle ne souriait pas souvent, mais lorsqu'elle le faisait, personne ne pouvait rester insensible à sa beauté.
Anya se pencha vers le feu et vérifia si la viande embrochée était prête. Elle décrocha les bâtons pour les distribuer. La chair fumante était appétissante et Maxim s'aperçut qu'il mourrait de faim.
Lors du repas, ils discutèrent encore un peu, parfois en anglais, mais le plus souvent dans la langue proximienne. Au grand dam de Maxim.
Il finit par quitter la chaleur du feu pour les laisser discuter. La fatigue le gagnait peu à peu et de toute façon, il n'arrivait pas à suivre la conversation.
Le soleil de Proxima caressait toujours la forêt de ses rayons, mais l'astre argenté qui l'accompagnait était déjà haut dans le ciel. Une bonne nuit, ou plutôt lune, de sommeil ne lui ferait pas de mal s'il voulait réussir à suivre la cadence d'Anya demain. La dernière chose qu'il voulait, c'était d'être un boulet. Et jusqu'à maintenant, il avait échoué lamentablement.
Deux fois.
Peut-être même trois.
Dans un soupir, il s'étendit dans sa couche improvisée et tenta de faire abstraction des paroles d'Arkadi et des rires d'Anya. Malgré son orgueil écorché et la pointe de jalousie qui s'immisçait dans sa poitrine, il sombra rapidement dans un sommeil réparateur.
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