Chapitre 6: Découverte de Proxima ✔️

Au matin, Anya quitta son habitation un peu avant le coucher de la lune. Elle n'avait pas dormi, ne faisant pas confiance aux trois étrangers.

Ils avaient veillé sur leur ami une bonne partie de lune. Ce dernier s'était réveillé durant le tour de garde d'Élizabeth qui avait chuchoté avec lui un certain temps, le mettant sans doute au courant de leur situation ainsi que des informations qu'ils avaient recueillies sur cette planète. Il avait fini par se rendormir ainsi qu'Élizabeth malgré son tour de garde. Anya, qui commençait à avoir les paupières lourdes, avait décidé de sortir pour se dégourdir.

À l'extérieur, l'odeur de rosée et de bois humide l'apaisa. Elle contourna sa cabane pour rejoindre le sentier qui menait à la rivière et une fois au cours d'eau, elle se déshabilla, retirant sa redingote de cuir, mais pas ses sous-vêtements. Les étrangers pouvaient se réveiller et débarquer ici n'importe quand. Elle ne voulait surtout pas se retrouver dans une position, disons... périlleuse.

Sans hésiter, elle avança dans l'eau froide, presque glaciale, et plongea tête première. La sensation de fraîcheur en contact avec sa peau chaude la fit frissonner de plaisir. Elle nagea longtemps dans la rivière, appréciant ce moment de calme et de tranquillité, mais dut se résoudre à revenir vers la berge.

Revigorée par sa baignade, ses idées devinrent plus claires. L'histoire des étrangers était déroutante. Elle connaissait l'existence de la Terre, mais aucun nouveau vaisseau n'était venu jusqu'ici depuis l'arrivée des fondateurs. Selon les écrits, ces derniers avaient tout fait pour laisser croire aux Terriens que Proxima B était une planète stérile et inhospitalière. D'un autre côté, si une poignée d'humains avaient réussi à réaliser le voyage entre Proxima et la Terre à l'époque, rien ne les empêchait de recommencer.

Malgré ses doutes, elle ne pouvait nier le fait que ces nouveaux venus paraissaient complètement perdus et ignorants des principes de vie sur Proxima. Ne pas connaître l'existence des variations était, pour ainsi dire, impossible! Un simple séjour en ville et un regard sur les passants mettaient en évidence les nombreuses variations des Proximiens.

Elle n'appréciait pas non plus l'attitude de la femme. Cette dernière semblait mépriser sa planète et son peuple. L'homme, toutefois, était plus posé et démontrait un certain intérêt envers sa culture. Il risquait de gagner sa confiance plus facilement que son amie.

Tout à ses réflexions, Anya se rhabilla et décida d'aller récolter quelques fruits. Avec un peu de chance, elle dénicherait peut-être des œufs pour le petit déjeuner.

Elle revint à la cabane un demi-sablier plus tard, alors que la lune était maintenant couchée. En entrant, elle déposa son panier rempli de sa récolte sur la table avant de maintenir la porte ouverte avec une roche qu'elle laissait là à cet effet. La température extérieure s'était réchauffée et elle souhaitait faire pénétrer la chaleur et la lumière naturelle dans l'habitation.

D'un coup d'œil, elle vit que les trois étrangers étaient réveillés. Élizabeth était assise sur le lit, près de son ami. Maxim, lui, était installé en tailleur sur sa couche à s'étirer. Il se massait les tempes en bâillant.

Sans un mot, elle se dirigea vers le coin cuisine et débuta la préparation d'un petit déjeuner pour ses invités lorsque le blessé, toujours couché dans son lit, se souleva sur les coudes et brisa le silence devenu lourd.

— Bonjour, tu dois être Anya ? Moi c'est Tom ! Désolé d'avoir squatté ton lit toute la nuit. Mes amis m'ont raconté que tu nous as évité une transformation en sucette glacée ? On te doit une fière chandelle ! Enfin, si tu sais ce qu'est une chandelle...

Oui elle le savait, mais elle n'avait aucune idée ce que signifiait « squatté » et « sucette glacée ».

— Je sais ce qu'est une chandelle, répondit-elle tout en déposant sa récolte de fruits dans quatre bols différents. Mais je ne vois pas comment une chandelle peut être fière.

Elle se retourna vers lui et pointa sa jambe du menton.

— Ta jambe est douloureuse ? Tu veux des antidouleurs ?

— Non, ça va. C'est gentil de ta part. Élizabeth passe son temps à m'injecter une pharmacie au complet dans le corps. Je ne sens plus rien.

Cette dernière, les yeux ronds, ne put s'empêcher de s'intéresser à la conversation :

— Vous avez des antidouleurs sur Proxima ?!

Anya opina en silence. Les traits hautains de la Terrienne s'adoucirent et une lueur de curiosité apparut dans son regard.

— Je.. je serais curieuse de connaître les remèdes que vous utilisez ici.

Anya acquiesça encore une fois.

— Je te les montrerai. Mais avant, vous avez certainement faim. Il y a aussi une rivière pas très loin d'ici, si vous désirez vous laver après avoir mangé...

— C'est un message subtil pour nous dire qu'on sent mauvais ? plaisanta Tom.

— Effectivement, répondit-elle en lui souriant.

Tom lui renvoya un sourire resplendissant.

— Avant tout, intervint Maxim qui se joignit à la conversation, je pense qu'on devrait aller récupérer ce qu'on peut dans le vaisseau. Plusieurs choses pourront nous être utiles dans les prochains jours.

Il sembla hésiter avant de continuer tout en frottant ses sourcils.

— Nous sommes très reconnaissants de ton hospitalité, Anya. Serait-ce possible d'en abuser encore quelques jours? Le temps que nous élaborions un plan pour la suite des choses et que nous nous acclimations à ce nouvel environnement?

Anya hésita. Avait-elle vraiment envie de partager son espace avec trois inconnus ? Hors de question qu'elle reste sur ses gardes encore toute la nuit. Pouvait-elle leur faire confiance ? D'un autre côté, elle n'avait pas réellement d'autres choix. Les jeter à la porte, en plein milieu d'une série d'éclipses, relevait de la cruauté.

Le regard des trois étrangers était tourné vers elle. Elle pouvait y lire de la crainte et une espèce de désespoir. Sauf dans celui de Tom qui souriait encore comme un idiot.

Elle hocha la tête sans grande conviction et leur servit le repas en guise d'accord.

***

Après le petit-déjeuner, Anya guida Élizabeth et Maxim jusqu'au vaisseau afin qu'ils puissent récupérer leurs effets personnels. Pour éviter qu'il ne soit découvert par quelqu'un, elle leur conseilla de camoufler l'engin sous des branches et des feuilles de list. Le métal forgé ainsi que les technologies étaient des denrées rares dans les environs. Quiconque tomberait sur la navette, tenterait de le démonter pour en tirer un bon prix.

Ils firent deux voyages pour rapporter leur matériel : vêtements, outils, trousse de soins et autres objets divers qui pourraient leur servir dans les prochains jours.

La journée était déjà bien avancée lorsque Maxim demanda à Anya de le mener à la rivière. Élizabeth et lui s'étaient entendus pour se relayer auprès de Tom qui ne pouvait se déplacer. 

En chemin, Maxim en profita pour assouvir sa curiosité et bombarder Anya de questions.

— Hier quand tu parlais de tes yeux, tu as mentionné une variation. Qu'est-ce que tu voulais dire ?

— Je suis née ainsi, répondit-elle en enjambant une branche tombée sur le sentier. Mes yeux changent de couleur en fonction de mes émotions. Certains naissent avec plus de doigts, d'autres avec une meilleure ouïe comme un de mes amis et d'autres encore avec la capacité de sauter très haut. C'est ce qu'on appelle les variations.

— Elles sont fréquentes chez les nouveau-nés ?

— Un ou deux enfants sur une vingtaine naissent avec une nouvelle variation. J'ai eu la chance de naître avec une nouvelle que les Anciens n'avaient jamais vue, en plus de celles déjà présentes dans les gènes de mes ancêtres. Ainsi, j'ai pu aller à l'école plus longtemps que d'autres, mais j'ai vite été déclassée par les Anciens au profit d'autres Proximiens qui avaient des variations plus utiles.

Soudain, le Terrien s'arrêta, se pencha et ramassa une petite roche plutôt banale. Il l'examina sous toute ses coutures avant de la remettre à sa place. Anya réprima une envie de rire. N'avait-il jamais vu de cailloux?

Maxim dût sentir son regard posé sur lui, car il se retourna, lui offrit un petit sourire gêné et reprit la marche en même temps que son averse de questions!

— Qu'est-ce que tu entends par « j'ai été déclassée » ?

— Je n'ai pas été sélectionnée pour devenir Seigneur, mais c'est peut-être mieux ainsi. Je suis plus libre que la plupart des Proximiens, bien que j'aurais aimé étudier davantage.

— Et quel avantage a-t-on d'être Seigneur ?

Anya expliqua à Maxim que les Seigneurs avaient pour tâche de veiller à la survie des Proximiens. Chaque Seigneur, qu'il soit de sexe masculin ou féminin, devait s'unir à un autre Seigneur pour perpétuer l'espèce. Cinq enfants au minimum devaient naître de cette union pour espérer accéder au statut d'Ancien. Ceux-ci étaient des ex-Seigneurs qui vouaient le reste de leur vie aux études, à la recherche ainsi qu'à la transmission du savoir.

Maxim écouta ses explications avec intérêt. Sans surprise, et au grand dam d'Anya, il posa d'autres questions puis d'autres encore, mais à aucun moment il n'émit de jugements.

Si Anya avait pu avoir le moindre doute que ces étrangers ne venaient pas vraiment de la Terre, ceux-ci s'envolèrent durant la conversation. Maxim ignorait tout de leur mode de vie. Il utilisait des expressions qu'elle ne connaissait pas et son anglais était ponctué d'un accent qu'elle n'avait jamais entendu, même chez les Anciens les plus âgés.

À mesure que sa conversation avançait, ses craintes envers Maxim et ses amis s'envolèrent peu à peu, mais pas toutes. Dans ses souvenirs, les écrits des fondateurs mentionnaient que les Terriens avaient une propension à la violence et à la haine. Or, la sélection minutieuse des unions et des naissances depuis les débuts de la colonie avait éliminé plusieurs gènes responsables de ces traits de caractère. Rien ne laissait présager que ces étrangers étaient passés par cette même sélection sur leur planète.

Elle n'avait cependant pas d'autres choix que de leur faire confiance. C'était hors de question qu'elle passe une autre nuit sur ses gardes sans dormir. Il restait encore deux tours de sablier avant le lever de la lune et la fatigue commençait déjà à l'envahir. Elle avait une bonne endurance naturelle, comme plusieurs Proximiens avec la même variation, mais une lune sans sommeil restait une lune sans sommeil.

Malgré tout, elle ne savait pas ce qu'ils attendaient d'elle. De toute évidence, ils avaient besoin d'aide pour survivre et s'acclimater à Proxima, du moins dans les prochains jours, mais elle n'avait pas l'intention de jouer les guides encore longtemps. Elle devait retourner à Austeen bientôt pour récupérer quelques provisions et vendre ses peaux qu'elle n'avait pas encore terminé de tanner.

Leur arrivée à la rivière mit fin à ses réflexions ainsi qu'à l'interrogatoire sans fin de Maxim. Elle lui donna un savon d'huile de mak et décida de lui laisser un peu d'intimité pour sa toilette. Elle partit donc faire le tour de ses collets posés la veille.

Lorsqu'Anya revint près de la rivière un peu plus tard avec deux prises sur l'épaule, elle trouva Maxim accroupi près de la berge. Vêtu d'un pantalon kaki et torse nu, il regardait le sol avec attention. Des gouttelettes d'eau scintillaient dans ses cheveux longs et bouclés qu'il avait détachés. Anya fut frappée par sa silhouette frêle et osseuse. Sans doute musclé autrefois, son corps montrait des signes évidents de famine. Sa gorge se noua. Combien de temps avait-il passé dans l'espace à se rationner et à se demander s'ils allaient survivre?

Elle s'avança vers lui tout en se promettant de pallier à cette malnutrition dans les prochains jours.

— Tu admires le sol de Proxima ? lui demanda-t-elle une fois à sa hauteur.

Maxim leva la tête pour l'accueillir d'un sourire radieux, ses yeux brillant d'excitation.

— Non, j'ai cru voir un insecte !

Il pointa le sol boueux parsemé de brindilles et de pailles.

Anya s'approcha et s'accroupit à ses côtés, mais ne vit rien. Elle repéra cependant une grosse pierre tout près de son pied, qu'elle souleva. Une dizaine d'insectes affolés se mirent à courir dans tous les sens afin de se remettre à l'abri.

— En voilà plusieurs, se moqua-t-elle.

— Wow ! C'est la première fois que j'en vois autant ! Je veux dire... à un autre endroit que derrière une vitre dans un insectarium.

— Il n'y a pas de forêts ou de cours d'eau sur Terre ? s'étonna-t-elle.

— Certains pays ont encore quelques forêts, mais elles sont peu accessibles. Et la plupart des cours d'eau sont entourés de béton.

— De béton ? Pourquoi ?

— Pour assurer le rationnement. Si les cours d'eau étaient accessibles à tous, les gens en profiteraient et n'en laisseraient pas pour les autres.

Anya arqua les sourcils. Il était difficile pour elle d'imaginer la Terre. Elle en avait entendu parler, bien sûr, dans ses cours d'histoire ou le soir, quand sa mère lui racontait des contes avant de s'endormir. Ce n'était pour elle qu'une planète éloignée, sans intérêt. Elle l'avait imaginée un peu comme Proxima, mais en plus peuplée. L'image d'un cours d'eau entouré de béton ne faisait aucun sens pour elle.

Tout à ses réflexions, elle prit soudain conscience de sa proximité avec Maxim et de sa nudité partielle. Son odeur agréable lui chatouillait les narines ; un mélange frais de savon et d'eau sablonneuse qui attisa ses sens. Troublée, elle sauta sur ses pieds et mit un peu de distance entre eux.

Inconscient de son malaise, le jeune homme termina ses observations avant d'enfiler un gilet propre qu'il avait récupéré dans le vaisseau un peu plus tôt.

Anya ramena Maxim au campement pour ensuite refaire le même chemin vers la rivière, mais cette fois-ci avec Élizabeth. Leur conversation fut moins animée, mais la petite blonde posa quand même quelques questions sur la végétation alentour.

De retour à la cabane après ses deux expéditions au cours d'eau, Anya jeta un œil au sablier au-dessus de la cheminée et grimaça. La journée était déjà sur le point de se terminer et lune se lèverait d'un moment à l'autre. Elle venait de perdre une journée de travail ! Plusieurs tamins attendaient d'être écorchés dans la remise et si elle ne s'y attaquait pas bientôt, elle perdrait toute la récolte des derniers jours. Demain, elle devrait impérativement rattraper le temps perdu!

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