Alors que la lune était haute dans le ciel, le groupe se dirigea vers la base proximienne. Arkadi et Lana les quittèrent près de l'entrée ouest. Le reste du groupe longea la clairière, toujours à l'abri des arbres, pour se retrouver au sud-ouest de celle-ci, où il était plus facile d'approcher grâce à un édifice qui surplombait tous les autres. Un garde patrouillait le coin du bâtiment de manière régulière et ils attendirent qu'il monte au nord pour s'avancer à découvert dans la plaine puis rejoindre la clôture qu'ils longèrent jusqu'à l'autre bout de l'édifice.

C'est à cet endroit qu'Anya s'accroupit pour leur permettre l'accès. Elle glissa la main à l'intérieur de sa pochette de cuir attachée à sa ceinture et en sortit le briquet qu'elle utilisait pour allumer les feux ainsi qu'un outil recourbé semblable à une minuscule faux qui tenait dans la paume d'une main. Au lieu d'employer le côté flamme, elle tourna le briquet et déplia la petite torche à cautériser qui s'y trouvait à l'intérieur. Elle l'activa et la colla sur le grillage. Aussitôt, le métal en contact avec la chaleur qu'elle dégageait rougit. Avec son autre outil, elle tira sur le fer affaibli qui céda du premier coup. Elle déplaça son briquet pour faire la même chose avec une seconde maille de la clôture.

Après en avoir coupé une dizaine, Tom l'aida à courber le grillage pour ouvrir un passage, étroit, mais suffisant. Le groupe s'y glissa un à un pour pénétrer à l'intérieur de la cour.

Ils longèrent le plus discrètement possible la structure de béton et s'arrêtèrent au coin de celle-ci. Maxim, collé au mur, jeta un regard rapide vers la cour centrale avant de leur faire signe qu'il avait vu des gardes. Il ne restait plus qu'à attendre qu'Arkadi et Lana fassent diversion.

Diversion qui vint aussitôt. Un fracas incroyable provenant du centre de la base retentit. Suivi d'un crissement de pneus sur le sol et du bruit d'un véhicule qui percutait un obstacle. Maxim en profita pour jeter à nouveau un coup d'œil de l'autre côté du mur avant de faire signe à Tom de venir avec lui.

Anya les regarda s'éloigner puis s'approcha du coin pour les suivre des yeux alors qu'ils se dirigeaient vers le premier vaisseau à droite du bâtiment. Tom s'installa sous un propulseur et sortit ses outils sans attendre. Maxim s'occupait d'observer les alentours pour l'avertir d'un retour éventuel des gardes.

C'est à ce moment qu'Anya vit un vaisseau, sans pilote apparent et à peine décollé du sol, fendre à toute vitesse la cour au nord pour se diriger vers la sortie, non sans détruire tout sur son passage. Un autre véhicule partit en direction opposée, fila entre les deux bâtiments au nord et fonça à travers la clôture pour rejoindre la forêt. Les gardes couraient dans tous les sens, ne sachant plus quoi pourchasser. Anya avait presque envie de rire de la situation, si ce n'avait pas été de son inquiétude pour ses amis.

Elle reporta son attention sur Tom, debout sous le propulseur, un tournevis entre les dents. Il tira sur une pièce ronde pleine de câblages qu'il mit rapidement dans son sac bandoulière avec ses autres outils. Il se dirigea ensuite vers la partie la plus imposante du réacteur avant de reprendre son tournevis et ouvrir un nouveau panneau.

Soudain, une douleur foudroyante s'abattit sur elle. Elle s'effondra au sol, prise spasmes musculaires incontrôlables. À travers le rideau de larmes dans ses yeux, elle vit un homme s'approcher d'elle. Un garde.

D'une poigne ferme, il la releva, lui ramena les mains derrière le dos et la plaça devant lui pour en faire un bouclier humain. Il appuya un taser sur sa carotide.

Maxim, alerté par le bruit, apparut devant eux.

— Tu l'approches et je la tue ! cria le garde dans la langue du peuple.

Anya essaya de se débattre, mais elle était encore paralysée par la décharge électrique reçue plus tôt. La douleur était trop vive et ses muscles ne voulaient plus lui répondre.

Maxim n'avait sans doute pas compris les paroles du gardien, mais le taser pointé sur l'artère d'Anya parlait de lui-même. Il leva les mains en l'air et s'approcha d'un pas, mais l'homme appuya l'arme plus fort dans le cou d'Anya qui retint un cri de douleur. Tom qui tenait une bombonne de gaz dans les mains n'osait plus bouger. Les corps raides, les pupilles dilatés, les trois hommes se regardaient ne sachant trop quoi faire.

Tout à coup, Anya sentit qu'elle reprenait le contrôle de ses membres. D'un geste vif, elle attrapa son couteau accroché sur sa ceinture et le planta dans la cuisse de son assaillant. Celui-ci relâcha sa prise dans un cri de douleur. Elle s'empara de sa main armée, pivota et appuya sur la détente. L'homme s'écroula par terre, la jambe en sang, le corps assailli par de violents spasmes musculaires.

Maxim et Tom restèrent un instant pétrifiés devant la vitesse de l'action, regardant tour à tour Anya puis le garde au sol.

Mais Tom reprit ses esprits en premier :

— J'ai ce qu'il faut, dit-il en mettant dans son sac la bombonne qu'il avait dans les mains. On peut partir !

Ils longèrent le bâtiment en sens inverse, enjambant le corps par terre pour repasser par la clôture et s'éloigner de la base en courant vers le bois.

Anya prit les devants pour les guider dans la forêt. La diversion créée par Arkadi et Lana ne durerait pas très longtemps et le garde qu'elle avait électrocuté avertirait les autres de leur présence sur les lieux. Ils devaient s'écarter des sentiers pour retourner au vaisseau terrien le plus vite possible où Arkadi et Lana devaient les rejoindre. Avec un peu de chance, les dirigeants de la base ne connaissaient pas encore l'endroit où les terriens gardaient leur navette, mais cela ne serait pas tarder. Ils devaient partir de Proxima dès que possible.

Anya décida de contourner Austeen par l'ouest plutôt que par l'est afin de brouiller les pistes. Ils marchèrent d'un bon pas jusqu'au coucher de la lune. Elle estima qu'ils devaient être à la hauteur d'Austeen, mais n'en était pas certaine. Ils s'arrêtèrent un instant pour se restaurer et laisser l'adrénaline redescendre un peu.

Tom s'assit sur un tronc d'arbre tombé depuis plusieurs lunes, à en croire la végétation qui le parsemait. Il massa sa jambe la plus faible qui devait le faire souffrir après cette marche rapide dans les bois.

Maxim s'approcha d'Anya pour l'envelopper dans ses bras. Il la serra si fort qu'elle eut de la difficulté à respirer.

— J'ai eu peur de te perdre, murmura-t-il près de son oreille.

Anya sourit et lui rendit son étreinte, se blottissant dans ses bras chauds et protecteurs.

— Maintenant, tu sais qu'il ne faut pas me menacer, chuchota-t-elle.

Maxim rit doucement avant de prendre son visage entre ses mains et l'embrasser avec tendresse.

— Bon bon bon, railla Tom derrière eux. J'aimerais bien vous dire d'aller vous prendre une chambre, mais je pense que le temps presse. On remplit notre ventre et on repart ?

Anya acquiesça en repoussant gentiment Maxim. Elle sortit de la viande séchée de son sac de voyage et en offrit aux autres. Ils devaient reprendre des forces : les prochains tours de sablier seraient déterminants.