Chapitre 28 : Loyauté ✔️
— Alors ? lança Tom lorsque Maxim pénétra dans la cabane. Est-ce qu'on a un propulseur ?
— Non, répondit Maxim plus sèchement qu'il n'aurait voulu.
Il peinait encore à contenir la colère qui l'avait submergé devant le Conseil. Tous les efforts qu'ils avaient mis sur la réparation du vaisseau et sur les réserves de nourriture ne servaient à rien sans la pièce maitresse qui leur permettrait de quitter Proxima.
— Et non seulement on n'a pas de propulseur, continua-t-il, mais en plus il nous est formellement interdit de quitter cette planète.
— Quoi !? s'exclama Élizabeth, qui arrêta aussitôt de brosser sa chevelure. Interdiction de partir !? C'est quoi cette putain de connerie !?
— Ils craignent que les Terriens découvrent l'existence d'une colonie sur Proxima si nous retournons sur Terre.
— Pourquoi ?
Maxim leur résuma l'ensemble de la conversation avec le Conseil ainsi que le verdict et les sanctions possibles. Il essaya de ne pas teinter ses explications de colère, mais il ne pouvait s'empêcher d'en vouloir encore au Conseil. Et surtout, de juger leur décision complètement ridicule. Comment pouvaient-ils croire qu'ils trahiraient leur secret ? Que s'était-il passé pour que le peuple proximien n'ait plus aucune confiance envers les Terriens ? Maxim avait tenté de comprendre leurs motifs. Il avait parcouru des livres sur les origines de Proximiens dans la bibliothèque d'Alexander, mais il n'avait trouvé que des ouvrages sur la génétique ou l'histoire terrienne. Rien sur les fondateurs ou les débuts de la colonie.
— Alors, qu'est qu'on fait ? demanda Élizabeth après les explications de Maxim.
Les trois se regardèrent. Aucun n'osa parler, mais Maxim savait qu'au fond d'eux, ils avaient tous la même réponse. Ils les connaissaient suffisamment. Ils n'accepteraient pas d'être prisonniers de Proxima.
Tom finit par briser le silence lourd de sous-entendus.
— Tu as la pièce de métal pour réparer le trou ?
Maxim acquiesça.
— Le propulseur à plasma MPD est peut-être récupérable, mais sans amplificateur de propulsion, notre vitesse sera insuffisante pour atteindre notre système solaire encore vivants. Nous aurons le temps de vieillir, mourir et pourrir avant d'y arriver. Et une bouteille ou deux d'argon ou de xénon de plus ne serait pas de refus pour prendre encore plus de vitesse.
— Et le système de transmission ? Est-ce qu'on peut l'utiliser ? demanda Maxim. Une fois dans l'espace, on pourrait communiquer avec la Terre pour qu'ils viennent nous chercher ?
— Le système est opérationnel depuis que les panneaux solaires sont réparés et les batteries sont rechargées, expliqua Élizabeth, mais les transmissions prendront du temps à atteindre la Terre.
— Si on se propulse vers le système solaire et qu'une colonie sur Titania ou Encelade reçoit une de nos transmissions, on aura peut-être une chance qu'ils viennent nous repêcher en chemin. Une chance minime, mais une chance tout de même, conclut Maxim.
— J'aime mieux courir ce risque que de rester ici, rétorqua Élizabeth.
Maxim regarda Tom, pour connaître son opinion.
— Je vous suis, peu importe ce que vous décidez.
— Parfait ! Demain, dès que possible, on retourne au vaisseau pour le charger et terminer les réparations, annonça Maxim. Je crois que les Anciens vont nous tenir à l'œil. Mieux vaut partir le plus vite possible, d'ici une lune ou deux. Non, pardon, un jour ou deux.
Maxim tiqua quand il réalisa qu'il comptait à présent les jours comme un Proximien. La vie ici le changeait peut-être plus qu'il ne l'aurait cru. C'est à ce moment qu'il pensa à Anya. Il l'avait ignorée toute la journée, trop préoccupé par l'avenir de ses amis. Il avait passé le trajet du retour à créer divers scénarios dans sa tête. Il s'était inquiété de la réaction de Tom et surtout d'Élizabeth. Accepteraient-ils de rester sur Proxima, accepteraient-ils de tenter la chance d'atteindre le système solaire ? Il savait qu'Élizabeth n'appréciait pas particulièrement son séjour ici. Tom, lui, saurait s'intégrer, mais suivrait ses coéquipiers, peu importe leur décision.
Pour sa part, il s'était imaginé rester et cette vision ne lui semblait pas si malheureuse. Bien au contraire.
La compagnie d'Anya était plus qu'agréable. Il se voyait vivre avec elle, la faire rire pour admirer ses jolis yeux roses, discuter avec elle et surtout, surtout, s'endormir en la serrant contre lui chaque lune.
De plus, la sensation qu'il avait d'être libre, dans cette forêt vierge de tout impact humain, était grisante. Jamais il ne pourrait éprouver la même chose sur Terre. Mais cette sensation, il l'avait perdue. Le Conseil lui avait retiré la possibilité de choisir. Il avait échoué à défendre ses amis devant l'assemblée et il se devait de réparer sa faute, il devait les aider et repartir avec eux. C'est ce qu'il devait annoncer à Anya.
Sans attendre davantage, il quitta la cabane pour aller la rejoindre. Elle était assise près du feu qu'elle avait allumé. Maxim s'installa à ses côtés sans un mot et fixa les flammes un instant pour se donner le courage de lui parler.
Elle brisa le silence avant lui.
— Comment ont-ils réagi ?
Maxim ne put s'empêcher d'émettre un rire sarcastique.
— Comment penses-tu qu'ils ont réagi ? Je leur ai annoncé qu'ils ne reverront plus jamais leurs proches, comment tu réagirais à leur place ? répliqua-t-il, se laissant emporter par l'émotion.
Anya se retourna vers lui, surprise. Elle l'observa, bien que Maxim gardât obstinément le regard rivé sur le feu. Il s'en voulait de lui avoir répondu de la sorte, mais il était encore furieux de la décision du Conseil.
— Élizabeth et Tom désirent tout de même partir, reprit-il d'un ton plus calme. Je vais les aider. Demain, nous transporterons notre matériel et nos réserves de nourriture, si tu acceptes toujours de nous en donner. Quelques ajustements doivent être encore faits sur le vaisseau, mais Tom est confiant qu'on pourra quitter l'atmosphère même sans nouveau propulseur. On espère contacter une colonie du système solaire en chemin.
— Vous allez défier la décision du Conseil ? Tu es conscient que vous risquez la mort s'ils vous interceptent avant ?
Elle sembla hésiter avant de continuer :
— Ça serait si horrible que ça de rester ici sur Proxima pour vivre au lieu de mourir ?
Sa voix se brisa sur les derniers mots.
Le cœur de Maxim se serra. Il tourna le regard vers elle et découvrit des larmes rouler sur ses joues. Les remords l'envahirent. Il ne voulait pas lui faire de mal. Il ne voulait pas voir ses beaux yeux devenir gris. L'espace d'un instant, il eut envie de la prendre dans ses bras, de l'embrasser et de lui dire qu'il resterait ici à jamais avec elle.
Néanmoins, il sentait en lui l'obligation de demeurer loyal envers ses amis. Il devait les aider à revenir sur Terre à défaut d'avoir réussi à les défendre devant le Conseil.
— Non. Ce ne serait pas si horrible, finit-il par murmurer.
Il tendit la main pour essuyer une larme sur la joue d'Anya et replaça une mèche brune derrière son oreille.
— Mais je dois les aider, tu comprends ? Je dois aider Tom et Élizabeth à retrouver leur vie d'avant.
— Et ta vie à toi ?
Maxim ne sut quoi répondre. Il ne s'était pas arrêté à ce qu'il voulait. Tom, Élizabeth et lui partageaient cette aventure depuis des mois. Malgré les hauts et les bas, chacun avait travaillé de concert pour survivre à ce voyage imprévu. Ils avaient mis leur intérêts personnels de côté et s'étaient serré les coudes durant toutes ces épreuves. Il ne pouvait pas penser qu'à lui.
Il se leva et secoua la tête.
— Je suis désolé, Anya. Nous partirons, que tu le veuilles ou non... Tu n'es pas obligée de nous aider. Je ne veux pas que tu trahisses ton peuple, mais j'espère au moins que tu garderas nos intentions secrètes. Du moins, jusqu'à notre départ.
Maxim s'éloigna avant de céder. Un poids énorme pesait dans sa poitrine et entravait sa respiration. Ses émotions menaçaient de le submerger à en perdre la raison et il devait les empêcher de prendre le dessus.
Une fois sur sa couche, il se répéta sans cesse qu'il devait être loyal envers ses amis, tel un leitmotiv sans fin. Il souhaitait voir le sommeil chasser son désir aveuglant de revenir vers Anya et lui annoncer qu'il resterait avec elle. Pour toujours. Malheureusement, ses vœux ne furent pas exaucés et ce n'est que très tard qu'il réussit à s'endormir, encore tiraillé par ses pensées.
Lorsqu'il se réveilla le lendemain, Anya n'était plus là. Son lit était froid et intact.
Elle n'avait pas dormi ici.
Maxim se leva le cœur lourd, mais se prépara tout de même à faire un premier voyage de matériel vers le vaisseau.
Il tenta d'effacer la Proximienne de ses pensées pour se concentrer sur ce qu'il avait à faire aujourd'hui, mais son visage affligé et ses yeux gris noyés par les larmes hantaient son esprit. Son absence était insoutenable. Il aurait voulu reporter leur projet de départ, laisser tomber le rapatriement de l'équipement vers le vaisseau et partir à sa recherche.
Il réussit néanmoins à se raisonner et à accompagner ses amis pour un premier voyage. Mais le cœur de Maxim s'effondra lorsqu'il constata qu'Anya n'était toujours pas au campement quand ils revinrent pour le second. Il savait qu'ils ne reviendraient plus au campement après celui-ci. Ils devaient terminer les derniers ajustements le plus rapidement possible avant leur départ. C'était peut-être sa dernière chance de revoir Anya, de la serrer dans ses bras, de sentir sa chaleur, son odeur. Mais elle n'était pas là.
Il regrettait amèrement de l'avoir abandonnée près du feu hier sans lui avoir fait l'amour.
Pour la première, et la dernière fois.
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