Après le départ de Maxim, Anya resta quelque temps près du feu, perdue dans ses pensées. Les derniers jours passés en compagnie des Terriens n'avaient pas été aussi pénibles qu'elle l'aurait cru. Maxim se montrait intéressé et bon élève. Il l'avait fait rire à plus d'une reprise avec sa maladresse et sa naïveté. Elle appréciait de plus en plus sa compagnie. Ce qui était étrange pour elle. Jamais elle n'avait aimé passer autant de temps avec une autre personne. Souvent, converser l'épuisait et toujours faire attention à ses gestes était un vrai supplice. Arkadi était l'un des seuls qu'elle supportait plus que quelques heures. Ils pouvaient rester en silence sans qu'il y ait de malaise et elle pouvait être elle-même. Néanmoins, ils se connaissaient depuis très longtemps... Maxim, au contraire, était non seulement un étranger, mais aussi un habitant d'une autre planète. Il ignorait tout de sa culture. Elle avait du mal à comprendre pourquoi c'était si facile et agréable d'être avec lui.

Sortant de ses pensées, Anya leva les yeux au ciel. La lune était déjà très haute et ils avaient eu une longue journée. Il était grand temps qu'elle rejoigne sa couche. Elle alimenta le feu pour maintenir la fumée active durant la nuit puis alla rejoindre son lit dans la cabane.

Le lendemain, la journée se déroula un peu comme la précédente. Après avoir entretenu le feu, Anya et Maxim récoltèrent les prises dans les collets, huilèrent les peaux qui avaient séché les derniers jours et pêchèrent au harpon dans la rivière, au grand plaisir d'Anya. Elle put se moquer sans retenue de la maladresse de Maxim. Celui-ci ne manquait pas de tomber dans l'eau à chaque tentative. Il réussit tout de même une prise, mais c'était le plus minuscule des poissons jamais vus par Anya. Même Maxim semblait s'amuser de son incompétence.

Vers la fin de l'après-midi, alors qu'ils récoltaient la viande sur le fumoir, ils aperçurent Tom et Élizabeth surgir du chemin qui menait au vaisseau. Anya fut surprise de les voir. Ils revenaient une journée plus tôt que prévu.

Leur retour précipité fut vite expliqué : derrière eux, un Arkadi à l'air sérieux les suivait, une lance pointée dans leur dos. Anya et Maxim arrêtèrent aussitôt leur travail pour les rejoindre.

— Arkadi ! Que fais-tu ici ? s'exclama Anya dans la langue du peuple.

— J'ai trouvé ces deux étrangers à quelques lieux d'ici, travaillant sur une technologie d'Anciens. Ils ont dit qu'il te connaissait.

— Oui ! Ce sont des amis de Maxim, répondit Anya en indiquant l'intéressé avec son menton.

Arkadi regarda Maxim, comme s'il n'avait pas remarqué sa présence jusqu'à maintenant. Ce dernier les observait, tentant de saisir la situation malgré le fait qu'il ne devait pas comprendre un traître mot de leur échange.

Arkadi grogna à l'intention de Maxim avant de revenir vers Anya.

— Est-ce que les Anciens sont au courant ? Et d'où viennent-ils ? Je ne les ai jamais vus. Et ne me réponds pas encore qu'ils sont de simples voyageurs ! s'emporta-t-il avant même qu'Anya ne puisse répondre à ses questions. Qu'est-ce que tu me caches ?

— Alexander est au courant, confirma Anya calmement. Ils ne sont pas dangereux, ne t'inquiète pas. Viens, je vais tout t'expliquer.

Anya amena Arkadi à l'intérieur de la cabane, à l'écart du groupe. Elle lui servit quelque chose à boire puis lui raconta, comme elle l'avait fait avec son grand-père, l'origine des étrangers ainsi que leur désir de repartir.

— Pour ce faire, ils doivent réparer leur vaisseau et cela leur prendra quelques lunes, conclut Anya. Ils ne dérangent personne et Alexander va même demander au Conseil de les aider à retourner sur Terre.

— Pourquoi l'autre, ce... Maxim ? Pourquoi n'était-il pas avec eux ? Pourquoi est-il resté avec toi ?

Anya nota une pointe de dédain dans sa voix. Il était sans contredit en colère, mais pourquoi ? Elle hésita un instant, cherchant les bons mots.

— Eh bien, c'est pour m'aider ici. Ce sont quand même trois bouches de plus à nourrir.

Arkadi renifla avec mépris.

— Méfie-toi, Anya ! Ils ne viennent pas d'ici et non pas les mêmes gènes que nous. Tu ne sais pas ce qui peut leur passer par la tête. Ils pourraient te voler ou te faire du mal !

Anya sentit la colère monter en elle.

— Arkadi  ! Je suis assez grande pour me défendre ! Ils n'ont jamais démontré la moindre agressivité envers moi et si ça arrive, ils le regretteront, crois-moi !

Surpris, son ami haussa les sourcils.

— Bon d'accord, luciole ! On se calme, s'excusa-t-il les mains devant lui en signe de paix. Je m'inquiète pour toi, c'est tout.

Son changement de ton et son air soucieux atténuèrent l'irritation d'Anya.

— Les as-tu menacés avec ta lance ?

Il sourit.

— Bah... peut-être un peu. Mais ils sont chanceux, je leur ai épargné mon cri, plaisanta-t-il en lui lançant un clin d'œil. Sinon, dis-moi. Tu as quelque chose à manger ? Je meurs de faim !

Anya sourit, Arkadi était reconnu pour son appétit féroce. À sa dernière visite, il avait mangé pour deux jours de provisions.

— Oui, viens. On récoltait justement la viande fumée avant que tu débarques. Avec quelques légumes, on pourra te faire un bon festin.

***

Pendant qu'Anya et Arkadi se dirigeaient vers l'habitation, Maxim se rapprocha de ses amis et les questionna sur leur retour précipité au campement.

— Le colosse à lance était plus ou moins heureux qu'on soit sur son territoire, résuma Tom à sa manière.

— Il a commencé par nous parler en russe, enchaîna Élizabeth. Ensuite, il nous a parl -

— Attends ! la coupa Maxim. En russe !?

— Oui, comme il vient de le faire avec Anya.

— Ils parlent russe ! Le russe ! s'exclama Maxim, stupéfait de cette nouvelle information.

Élizabeth arqua un sourcil, médusée.

— Écoute, mes cours de russe sont loin, mais oui, je suis presque certaine que c'est du russe. Mais bref, il a fini par nous parler en anglais en nous demandant si nous étions des Exclus ou quelque chose du genre... On a essayé de lui expliquer ce qu'on était en train de faire, mais il n'a rien voulu savoir. Il voulait nous ramener à Austeen. Tom lui a alors dit que nous connaissions Anya et qu'elle était au courant de notre présence sur les lieux.

— Ensuite, continua Tom, Monsieur Lance nous a gentiment convié à revenir ici. Et j'entends par gentiment : il nous a foutu son arme entre les deux omoplates. Tout ça pour demander à Anya de corroborer notre histoire.

— Et toi, pourquoi te promènes-tu en chemise détrempée ? avisa Élizabeth d'un air suspicieux.

Maxim jeta un rapide coup d'œil à sa tunique avant d'émettre un rire nerveux.

— Mmh... j'ai tenté la pêche au harpon. Pas besoin de te décrire mon échec lamentable.

— J'aurais bien aimé voir ça ! se moqua Tom.

Au même moment, Anya et Arkadi sortirent de la cabane. Ce dernier lança un regard acide à Maxim puis se dirigea vers eux. Il s'arrêta devant Élizabeth et troqua son air meurtrier pour un sourire charmeur.

— Navré d'avoir douté de vous, chère Dame, minauda-t-il avant de s'incliner, une main sur le cœur. Bienvenue sur Proxima !

Élizabeth lui balança un regard assassin, ce qui mit aussitôt fin à son sourire.

— Quelqu'un pourrait aller me chercher des légumes pour le souper ? demanda Anya derrière eux.

Elle était près du feu et accrochait une marmite sur le trépied.

Maxim et Arkadi s'élancèrent vers le jardin d'un même geste, mais suspendirent leur mouvement pour se jauger l'un l'autre.

— C'est à moi d'y aller, étranger, siffla Arkadi entre ses dents. Tiens-toi loin d'Anya. C'est compris ?

Maxim se figea, stupéfait par cette menace à peine voilée. Il venait très clairement de marquer son territoire. Peut-être qu'Anya et lui étaient plus que des amis au final ? Ce qui expliquerait son comportement hostile envers lui.

Ne voulant pas créer plus de tension que nécessaire, il le laissa s'occuper des légumes.

Une fois le repas cuisiné, ils mangèrent tous les cinq autour du feu. Arkadi se montra avenant et charmeur avec Anya et Élizabeth, mais cette dernière, avec sa répartie légendaire, l'envoya balader à plusieurs reprises. À l'occasion, Tom se mêla à la conversation, mais Arkadi sembla ignorer Maxim pendant toute la soirée.

N'en pouvant plus d'écouter Arkadi vanter ses mérites en plus de le voir toucher Anya à tout bout de champ — au bras, à la main, à l'épaule, bref un peu partout ! — Maxim finit par aller se coucher avant tout le monde. Même une fois dans son lit, il entendait la voix grave d'Arkadi et le rire cristallin d'Anya. La mâchoire crispée, le corps tendu, il eut beaucoup de mal à s'endormir.