Chapitre 13: Savoir manier la hache ✔️

Le lendemain de leur retour au campement,  Anya se leva avant tout le monde. Elle était déterminée à passer la journée seule avec elle-même, bien qu'elle avait apprécié les derniers jours en compagnie de Maxim. Sa présence était agréable, malgré les milliers de questions qu'il lui posait sans cesse. Il était même mignon à sa façon, surtout lorsqu'il découvrait un nouvel attrait de sa planète. Ses yeux d'un brun profond s'illuminaient à chaque fois, comme un enfant à qui on venait d'offrir un bonbon à la gelée de malina.

En revanche ce matin, Anya n'avait pas envie de discuter avec Élizabeth ou Tom, elle avait besoin d'être seule pour « refaire le plein », comme le disait si souvent sa mère. C'est pour cette raison qu'à son réveil, elle quitta le campement et partit chasser. Les collets devaient être pleins et elle espérait attraper de plus gros gibiers pour nourrir ses visiteurs.

Lorsqu'elle revint dans l'après-midi, Maxim et ses amis n'étaient plus là, mais un rapide coup d'œil dans la cabane lui confirma que leurs affaires y étaient toujours. Peut-être étaient-ils à la rivière ? Quoi qu'il en soit, elle profiterait de leur absence pour dépiauter et dépecer ses prises.

Ce n'est qu'en fin de journée, juste avant le lever de la lune, que les Terriens revinrent au campement. Alors qu'elle installait la viande sur des treillis de séchage derrière la cabane, Maxim et Tom vinrent la rejoindre.

— Bonjour Anya ! la salua Tom. Nous avons une bonne et une mauvaise nouvelle pour toi ! Tu veux commencer par laquelle?

Anya arrêta son travail pour l'écouter. Tom lui souriait d'un air jovial, mais Maxim arborait sa mine sérieuse, celle-là même qu'il utilisait quand il voulait lui demander quelque chose.

— Mmh... la bonne, j'imagine.

— Je vais pouvoir réparer le vaisseau pour qu'il soit opérationnel, annonça Tom.

Elle hocha la tête, s'efforçant de sourire.

— Et la mauvaise ?

— Ça risque de prendre un certain temps, reconnut Maxim. Il y a beaucoup de réparations et d'ajustements à faire et comme tu le sais, il nous manque un nouveau propulseur. Serait-ce possible de nous héberger encore un moment ? Tant et aussi longtemps que les panneaux solaires ne seront pas opérationnels, il n'y aura pas de chauffage dans le vaisseau pendant les nuits d'éclipses.

— Combien de temps ?

Tom se gratta la tête en levant les yeux au ciel comme s'il effectuait un calcul complexe.

— Il faut rafistoler les panneaux solaires, remplir les batteries, refaire certains branchements qui ont grillé, débosseler les panneaux extérieurs arrière et gauche. Il y a également un trou à colmater dans la coque inférieure. On devra trouver de l'aluminium ou un autre métal semblable pour le réparer. Donc, peut-être une trentaine de jours, sinon plus.

Anya haussa les sourcils. Trente jours ! Trente jours à vivre tous les quatre dans sa minuscule cabane ? C'était impensable ! L'espace était restreint et devoir nourrir tout le monde signifiait plus de chasse, plus de pêche et moins de temps pour travailler ses peaux et amasser des crédits. Était-elle prête à les accueillir aussi longtemps et partager sa cabane, son lit, sa nourriture, ses affaires, bref tout son espace vital ?! À cette idée, son estomac se tordit. Elle réprima une grimace tentant de trouver une porte de sortie, mais elle n'en voyait aucune.

Elle ne pouvait pas les abandonner à leur sort. Proxima était un nouvel environnement pour eux et manifestement ils ne connaissaient rien à la survie en forêt. En six jours, Maxim avait failli servir de repas à un krocom et s'était fait avoir comme un enfant par un osminog. C'était incontestable : ils ne survivraient pas sans elle. Ils avaient besoin d'aide et elle n'avait aucune raison valable de la leur refuser. Hormis peut-être son désir d'être seule. Désir totalement égoïste.

Elle poussa un soupir, résignée.

— Vous pouvez rester pour l'instant, nous verrons comment évolue la suite des choses.

Maxim et Tom échangèrent un regard puis d'un sourire reconnaissant, ils la remercièrent.

— Tu vas voir, Anya. Tu ne le regretteras pas, annonça Tom. Je te promets que Maxim ne ronflera pas trop et moi je vais retenir mes gaz quand tu es là.

Maxim leva les yeux en l'air, exaspéré. Il flanqua une taloche derrière la tête de son ami. Anya ne put s'empêcher de sourire devant leur complicité.

— Nous avons également discuté tous les trois, continua Maxim plus sérieusement. Nous espérons rendre notre séjour ici moins pénible pour toi. Tom devra bien sûr travailler sur la capsule, il est mécano de formation, et Élizabeth s'y connait en électronique. Elle va pouvoir réparer le tableau de bord et faire les calculs de navigation pour le retour. Mais moi, je suis plus habitué aux travaux de terrain. Je ne connais pas grand-chose en mécanique.

— Dis plutôt que tu n'y connais rien, railla Tom en le poussant de l'épaule.

— Bon, d'accord, je n'y connais rien, admit-il, un sourire dans les yeux. Mais bref, je risque d'être plus utile ici avec toi que dans le vaisseau. Si je peux t'aider ici, que ce soit pour la chasse, le tannage, le jardin ou autres tâches, je vais le faire avec plaisir.

Maxim lui offrit un sourire chaleureux, voulant sans doute démontrer sa sincérité et son désir de l'aider.

Anya acquiesça.

— Tu peux commencer par m'aider à installer la viande sur le séchoir, ensuite nous allumerons un feu à l'extérieur. Je pensais faire un ragoût pour le dîner.

Les yeux bruns de Maxim s'illuminèrent et un sourire radieux orna ses lèvres. Aussitôt, ses iris se mirent à fourmiller. Elle s'empressa de lui rendre son sourire avant de se retourner et maudire en silence sa variation.

***

Un peu plus tard durant le repas, Anya écouta Élizabeth, Tom et Maxim élaborer leur plan pour les prochains jours. Tom avait encore beaucoup de difficulté à se déplacer. Ils perdaient un temps précieux à faire le chemin entre la navette et le campement. Élizabeth proposa de dormir quelques jours au vaisseau pour avancer les travaux plus rapidement. Anya leur assura que les lunes à venir seraient moins froides étant donné l'absence d'éclipses et l'été qui s'installait tranquillement sur Proxima.

Le lendemain, Élizabeth et Tom partirent tôt rejoindre le vaisseau avec des outils et de la nourriture pour les prochains jours. Pendant ce temps, le petit groupe avait convenu que Maxim resterait avec Anya pour l'aider dans ses tâches quotidiennes.

Après leur départ, Anya proposa à Maxim de refaire les réserves de bois afin de fumer de la viande et des peaux dans les prochains jours. Équipés de haches et d'un vieux chariot grinçant, ils s'enfoncèrent dans la végétation près du campement. Un quart de sablier plus tard, Anya trouva ce qu'elle cherchait.

— Je pense que lui fera l'affaire, déclara-t-elle, le doigt pointé vers un etna devant eux. Je vais travailler de ce côté et toi de l'autre. D'accord ?

Maxim hocha la tête et ramassa la hache qui se trouvait dans le chariot. Il observa un moment la lame ainsi que l'arbre, mais finit par s'installer et frapper le tronc avec l'outil de plusieurs petits coups mal placés.

Anya ne put s'empêcher de pouffer de rire.

— Grande lune ! Je pense que même à cinq ans, je maniais mieux la hache que toi en ce moment !

Maxim émit un rire gêné.

— Je vais t'avouer avec honte que c'est la première fois que j'en utilise une! J'ai toujours vécu en ville ou travaillé sur des chantiers miniers. Bref, je suis plus souvent entouré de béton quand je suis sur Terre et de roches, de roches et encore de roches lorsque je travaille sur les lunes d'Uranus.

Anya lui offrit un sourire d'encouragement.

— Il n'est jamais trop tard pour apprendre. Attends, je te montre.

Sa hache en main, elle s'installa près de lui.

— Tu places d'abord tes pieds ainsi, bien écartés. Tu la tiens bien de tes deux mains, expliqua Anya en mimant les gestes en même temps.

— Comme ça ? demanda Maxim, ses mains à l'inverse de celles d'Anya.

Anya gloussa. Elle déposa sa hache pour l'aider.

— Non comme cela.

Elle déplaça les mains de Maxim pour mieux les positionner.

— Et quand tu lèves la hache, tu travailles avec tes épaules et ton tronc, finit-elle.

Tout en parlant, elle toucha les épaules de Maxim et son abdomen. Elle leva ensuite la tête pour vérifier s'il avait compris, mais croisa des yeux sombres, presque noirs, braqués sur elle.

Une chaleur se répandit dans ses veines.

— Ça... Ça va ? s'enquit-elle.

— Oui, répondit-il d'une voix rauque avant de s'éclaircir la gorge.

Anya prit soudain conscience de sa proximité. La chaleur enveloppante qu'il dégageait traversa ses vêtements et accéléra du même coup les battements dans sa poitrine.

Elle baissa les yeux, dissimulant ainsi leur changement de pigmentation et recula. Saisissant sa propre hache, elle contourna l'arbre et s'installa de l'autre côté. Elle devait se concentrer sur le reste des explications, au lieu de penser à son odeur boisée qui avait chatouillé ses narines l'espace d'un moment. Elle se racla la gorge et continua.

— Ensuite, lorsque tu vas la lever, tes mains vont se rejoindre et le poids de la hache descendante va être suffisant pour entailler l'arbre.

Elle leva la lame pour l'abattre avec force sur l'arbre puis risqua un rapide coup d'œil vers Maxim. Il acquiesça, sans un mot, mais son regard trouble était toujours fixé sur elle. Des fourmillements se firent sentir dans son bas ventre et elle réalisa au même moment qu'elle avait oublié de respirer.

Un silence passa, puis il détourna les yeux. Il prit une grande inspiration, comme si lui aussi avait retenu son souffle puis fit une nouvelle tentative avec l'outil. Son coup fut plus juste et plus puissant.

— C'est bien, s'empressa-t-elle de noter. Continue comme ça jusqu'à ce que tu arrives au tiers du tronc. 

Encore troublée par cette tension qui s'était immiscée entre eux, elle concentra ses efforts sur son côté de l'arbre sans un regard pour Maxim.

Ils travaillèrent en silence une bonne partie de la matinée, d'un rythme soutenu. Le malaise d'Anya s'évapora peu à peu même si Maxim semblait perdu dans ses pensées. Ou peut-être était-il trop concentré sur son travail pour discuter. Les bruits rythmiques de leurs haches se diffusaient dans la forêt et bientôt le tronc fut suffisamment entaillé pour qu'ils puissent le pousser vers le sol. Ils passèrent le reste de la matinée à élaguer les branches, couper le tronc en plusieurs morceaux et remplir le chariot. Plusieurs voyages furent nécessaires pour rapporter le bois au campement.

Après une courte pause dans l'après-midi, Anya amena Maxim faire le tour des collets et lui montra comment en poser des nouveaux. Il l'écouta avec attention et posa lui-même le dernier.

Pour terminer, ils installèrent des cadres de bois en forme de tipi au-dessus du feu extérieur qui servirait au fumage. Leur journée de travail s'acheva enfin autour du feu à déguster un bon repas bien mérité. 

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