Épisode 55

Ariane est sidérée. Jamais elle n'aurait cru que Julien réagirait ainsi.

Son visage montre une expression qu'elle ne lui connaît pas et elle a besoin de quelques secondes pour la décoder. C'est une espèce de joie, un bonheur, une légèreté.

— Tu ne veux plus te venger? demande-t-elle.

— Non.

Il réfléchit un instant.

— Tu sais, explique-t-il, la haine a toujours été mon carburant. Je me réveillais, la nuit, et la première chose qui me venait à l'esprit était: « Maudit Charles Poulin ». Cent fois par jour, je rageais contre lui et j'adorais imaginer comment j'allais le faire souffrir. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais je me suis libéré. Je ne pense plus à lui, je ne le hais plus. Je m'en fous.

Il sourit.

— C'est con, hein? Je passe six ans à obséder sur la vengeance, je sacrifie tout à ça, je prends des risques effrayants, et au moment où je vais réussir... ça ne me tente plus.

Julien pose la main sur le bras de la jeune femme et son regard se charge d'une douceur brûlante comme de l'or fondu. Il veut Ariane, il la veut de toutes les manières possibles, il se consume pour elle. La jeune femme devrait être folle de joie mais la présence des quatre porcs l'en empêche.

Elle se tourne vers eux et son ventre se tord. Elle les hait.

— Qu'est-ce que tu décides? demande-t-il.

La vision de David qui s'allonge sur elle pendant que les autres la maintiennent au sol la ronge comme un acide.

— Je ne veux pas qu'ils vivent, dit-elle.

— Tu es sûre?

— Oui. Je veux qu'ils meurent.

— Avec ce qu'ils voulaient te faire, dit Julien, je te comprends.

Ils font quelques pas vers leurs prisonniers et l'ancien garde du corps les pointe de son arme.

— Ariane et moi avons pris une décision, dit-il.

Les garçons fixent le pistolet avec terreur. Les visages sont blêmes, les respirations saccadées, les yeux hébétés. Ariane les revoit en train de se passer la flasque de vodka en poussant des cris de porcs et David qui lui dit qu'elle n'est qu'un kleenex qu'on jette après s'être mouché dedans.

Sa colère devient un ouragan. La jeune femme donne un coup de pied sur un marqueur Sharpie et l'envoie vers eux.

—Maxime! s'écrie-t-elle.

Le gros garçon sursaute et roule des yeux affolés.

— Hein? Quoi?

— Ramasse le marqueur et écrit sur la figure de David qu'il est un violeur.

— Quoi?

— Écris « violeur » sur la face de David!

Le garçon ramasse le stylo, mais David recule et jette un regard de haine à Ariane.

— Pas question que je me laisse faire, dit-il.

Julien agite son pistolet.

— Si tu préfères, je peux commencer par te tuer.

— Salaud!

Mais il ferme les yeux et laisse son ami écrire des majuscules vertes sur son front, tandis que Julien ordonne à William de faire la même chose sur Cédric. Ariane projette du pied les autres marqueurs vers eux.

— Change de couleur, ordonne-t-elle à Maxime. Ajoute « tueur » en rouge et « voleur » en noir. Et des signes de dollars.

— Salope! dit David. Tu vas me payer ça.

— Ajoute « fils d'Outremont » dit Ariane.

— Il ne reste plus de place, répond Maxime.

— Écris-le dans son cou.

Julien inverse les rôles et les quatre pervers se retrouvent avec le visage barbouillés des mots qui les décrivent.

Ils ont terminé. Plus rien ne reste à écrire.

— Mettez-vous contre le mur, dit Julien. En rang.

Ils obéissent. William respire bruyamment, David marmonne des insultes et Maxime fixe Ariane avec un visage suppliant.

— C'est le moment, dit Julien.

Il regarde Ariane.

— Toujours décidée?

— Oui.

Avec lenteur, il lève son arme. Maxime et Cédric ferment les yeux et William fixe le canon du pistolet. Julien paraît triste.

— Attends, dit Ariane.

Qu'est-ce qu'elle est en train de faire?

Dans quelques secondes, les cadavres vont reposer sur le béton dans de grandes flaques de sang.

À cause d'elle, Julien va devenir un meurtrier. Il n'a jamais tué personne et c'est clair qu'il n'en a pas envie.

Elle se rappelle ce qu'elle lui a dit. « La haine t'empoisonne. Tu peux changer. Tu peux sauver ton âme, et pour ça, tu dois faire quelque chose de très difficile: pardonner aux Poulin. » Et la réponse de Julien: « C'est la haine de Charles Poulin qui me fait me lever le matin. Ça a tué tout l'amour que je pouvais ressentir. Et personne ne peut changer ça. Même pas toi. » Il s'est libéré, pourtant, mais c'est elle qui est presque devenue un monstre.

— Je ne veux plus les tuer, dit-elle à Julien.

Il baisse son arme et pousse un soupir.

— Si tu veux porter plainte, dit-il, ça va être difficile. Ça va être ta parole contre la leur et ils vont se payer des avocats incroyables.

— Je ne veux pas porter plainte.

Elle s'adresse aux garçons.

— Je vous pardonne.

Aucun des quatre ne réagit.

— Moi, je ne vous pardonne pas, dit Julien. Vous êtes des pervers et vous devriez aller en prison. Mais je ne vais rien vous faire. Je me sens serein face à vous parce que vous êtes le mal et que le mal existera toujours.

William vacille et doit s'asseoir sur le plancher. Les larmes coulent sur les joues de Maxime et Cédric respire comme s'il allait faire une crise de panique.

David est en sueur.

— Salauds! dit-il. Maudits salauds!

— Tu voulais me violer et me tuer, dit Ariane, mais je te pardonne.

— Je te hais! hurle David. Je vous hais tous les deux! Loosers! Vous êtes deux maudits loosers, vous êtes deux pauvres, vous ne valez rien!

Le coup à la figure l'a blessé et il crache du sang vers eux.

Comment a-t-elle pu l'aimer? Comparé à Julien, il a l'air fabriqué en allumettes. Les « violeur » et « tueur » inscrits sur son visages le font ressembler à un clown, ainsi que ses oreilles décollées de taxi ouvert.

— Tel père, tel fils, dit Julien. Vous avez de la chance que j'aie rencontré Ariane.

— Mon père avait le droit de faire ce qu'il a fait!

— Ton père est un voleur.

— C'est ça, le capitalisme!

— Vous restez ici pendant une heure, dit Julien. Sinon, je vous tire dans les jambes.

— Je vais m'arranger pour que la police vous retrouve! hurle David. Vous allez payer! Finir en prison!

Mais Julien sourit à Ariane et elle sent son cœur s'embraser. Il la prend par la main, ils sortent de la pièce et descendent l'escalier en bois. « Vite, vite, vite » pense-t-elle, désespérée de s'en aller.

— Je t'aime, dit-elle.

— Je t'aime aussi.

Ils quittent la bâtisse par l'ouverture et se retrouvent dans un terrain défoncé, couvert de débris de construction et entouré par la forêt.

— Non... dit Ariane.

Julien attire la jeune fille contre lui. Elle ne veut pas, pas ici, une catastrophe va leur tomber dessus. La police va arriver ou les quatre gars vont les attaquer avec des armes qu'ils avaient cachées. Mais elle se laisse aller et ils s'embrassent. Elle voit un mouvement dans la porte, puis réalise que son anxiété la trompe.

Les mains de Julien glissent dans les cheveux d'Ariane et elle frissonne de plaisir. Il la mène à son auto, ils montent à l'intérieur et s'en vont.

[Ariane a choisi le pardon, même si ce sont des porcs. A-t-elle bien fait?]

[Prochain épisode vendredi le 16 juin à 16h00 Europe (CET) et Afrique centrale (CAT), 15h00 Afrique de l'ouest (WAT) et Greenwich (GMT), 10h00 Amérique (EST)... et pour ma lectrice à Bora Bora, il sortira à 4 heures du matin^^. Ne vous gênez pas pour discuter avec moi dans les commentaires, vos votes font toujours grand plaisir et je vous souhaite tout ce qu'il y a de meilleur <3<3<3]


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