Épisode 50

Le reportage s'intitule « Informations exclusives sur l'enlèvement de Charles Poulin ». Après une annonce de Honda et une autre d'Acura (pauvre planète!), un journaliste apparaît et explique que, grâce à une source policière anonyme, il a appris comment Julien Tellier a pu kidnapper l'homme d'affaires bien connu malgré la présence de deux gardes du corps.

Le journaliste fixe la caméra d'un air tragique. Il a une quarantaine d'années, porte des lunettes et chaque boucle de ses cheveux frisés est impeccablement placée. Allongée dans son lit, dans l'obscurité de sa chambre, Ariane pense... au corps de Julien.

— Nous avons affaire à un véritable génie du crime, déclare-t-il. Un criminel dont l'audace n'a d'égale que son immoralité. Cette audace a été la clé de son succès, car personne ne pouvait imaginer qu'il tenterait ce qu'il a tenté et personne ne s'est méfié.

Portant l'uniforme d'un employé du service ménager, muni de toutes les clés électroniques du gratte-ciel et poussant une gigantesque poubelle sur roulettes, Julien a pénétré dans les bureaux de PLN autour de 18h00, juste après le départ de l'un des deux gardes du corps, qui allait comme tous les soirs chercher un souper pour son collègue et lui. Comme Julien avait travaillé avec eux, il connaissait leurs habitudes. À cette heure-là, les employés avaient quitté pour la soirée et il ne restait que M. Poulin, son fils et l'autre garde du corps. Le criminel a fait le tour des locaux pour s'assurer qu'ils étaient vides et a maîtrisé le garde du corps, un ancien professeur qui commençait dans le métier.

« O », pense Ariane, qui devine que le neutraliser n'a pas été trop difficile.

M. Poulin travaillait seul dans son bureau. Moins d'une minute plus tard, il se trouvait dans la poubelle géante et Julien repartait avec lui sans que David, au téléphone dans le bureau voisin, la porte fermée, ne réalise ce qui se passait.

— Julien Tellier a frôlé le désastre, continue le journaliste. L'autre garde du corps avait oublié son portefeuille et il est revenu le chercher au moment où Tellier sortait des bureaux de PLN. Les deux hommes se sont croisés devant l'ascenseur, mais le criminel a feint de ramasser quelque chose sur le plancher et l'autre n'a pas fait attention à lui. Tandis que le garde du corps découvrait son collègue attaché et M. Poulin disparu, Tellier est descendu au parking. Il a filé dans une camionnette au moment où l'alerte était donnée.

De nombreuses caméras dans les corridors et les bureaux de PLN ont filmé les gestes de Julien, mais personne ne regardait les images. La voix du journaliste se charge d'une émotion tragique.

— Julien Tellier n'avait pas déguisé son visage. Si quelqu'un avait regardé l'homme qui poussait sa poubelle géante ou les images fournies par les caméras, il aurait reconnu l'individu que tous les policiers du pays recherchent. Personne ne l'a fait. Tous s'imaginaient que Tellier était en fuite et personne ne s'est soucié d'un employé des soins ménagers. Vous. Moi. Les policiers, les gardes du corps. Nous avons tous commis la même erreur: nous l'avons sous-estimé.

Ariane jette son téléphone sur le matelas et se laisse retomber. Le désespoir est une pieuvre qui la paralyse. Avec ses cauchemars, la nuit a été dure. Le matin est pire encore...

Elle n'arrive pas à croire que Julien a fait ce qu'il a fait. Miser tout ce qu'il possède avec aussi peu de chances de gagner. Au passage, il a fourni des preuves détaillées de sa culpabilité, puisque l'enlèvement a été filmé. S'il se ramasse dans un procès, il va être indéfendable.

Ses rêves d'amour sont anéantis, balayés par la terreur de ce qui s'en vient: l'assassinat de M. Poulin. « Tu vas avoir du sang sur les mains » lui a dit sa mère. Ariane les regarde. Peut-être que M. Poulin est déjà mort et qu'elles dégoulinent de liquide invisible?

Et maintenant, que faire? Se contenter d'attendre?

Son intérieur se déchire tandis qu'elle sort de son lit et marche vers son bureau, sur lequel reposent quelques-unes des cartes que lui ont laissées les détectives. Le temps est venu d'abandonner l'homme qu'elle aime et de collaborer avec la police. M. Poulin est un voleur et une crapule, mais Ariane ne peut pas être complice de son meurtre.

La voix de son avocat résonne en elle: ne jamais parler avec les policiers sans sa présence. Elle a rendez-vous avec lui à la fin de la journée. Mieux vaut attendre ce moment, tout lui raconter et lui demander de négocier un marché.

L'angoisse la prend. Et si Julien exécutait M. Poulin avant le rendez-vous? Ariane frissonne. Depuis des jours, son amour la réchauffait et elle ne ressent que du vide.

Le bijou de la tante repose sur la table de chevet et la jeune femme est prise par un violent désir: le lancer contre le mur et le réduire en morceaux comme son amour a été brisé. Ariane déteste Julien. Il aurait pu se tenir tranquille le temps que la police se calme et revenir vers elle, mais il est descendu en enfer. Il a choisi la violence au lieu de choisir la vie et elle ne peut pas aimer un démon.

« J'ai mal » pense-t-elle.

Elle voudrait se trouver dans un autre monde. À une autre époque ou sur une autre planète. Pas dans la nouvelle maison d'Outremont à s'inquiéter pour le père de son ex. Elle a fait confiance à Julien, pensé que la sérénité gagnerait et elle a perdu.

Elle va remettre le pendentif de la tante aux détectives. Peut-être pourront-ils l'utiliser pour attirer Julien dans un piège et sauver M. Poulin? La loyauté est une des qualités principales de son ennemi et son audace frôle la maladie mentale. S'il s'imagine qu'Ariane l'appelle, il est assez fou pour venir.

À cette pensée, elle décide de lui donner une dernière chance.

La jeune femme quitte son lit et s'habille rapidement. À quel endroit Julien pourrait-il la rejoindre sans attirer l'attention? Elle choisit l'entrée de la bibliothèque Côte-des-neiges, près de la station de métro, parce que beaucoup de gens y circulent, appelle un Uber, descend à la cuisine, prend deux barres tendres et une banane.

Dans la voiture, elle commence à prier. « Mon Dieu. Faites qu'il n'ait pas fait de mal à M. Poulin. Faites que je puisse le convaincre. Faites que tout s'arrange. »

Le chauffeur la laisse devant le métro. Une dizaine de personnes attendent l'autobus, tandis qu'une femme sort de la bibliothèque en poussant un carrosse. Ariane s'assoit sur un banc et presse le bouton du bijou une fois, une deuxième et de nombreuses fois ensuite.

Elle recommence à prier. « Faites qu'il vienne... »

Tous les policiers de Montréal recherchent Julien et probablement que, dans la file pour l'autobus, la moitié des gens pensent à lui en ce moment. Mais il n'est pas comme les autres et, si Ariane l'appelle, il est assez fou pour venir. Assise sur son banc, elle regarde les gens qui l'entourent et attend. Elle va tenter de le convaincre de relâcher M. Poulin. S'il ne vient pas, ou s'il refuse d'écouter Ariane, ou s'il a déjà tué M. Poulin, elle va tout dire aux policiers.

À la pensée de, peut-être, revoir le criminel, son esprit se couvre d'une émotion sucrée. L'amour est une drogue et elle a besoin de sa dose.

Va-t-il seulement venir? Va-t-il écouter Ariane? Son cerveau lui dit que c'est bien peu probable mais son cœur hurle: « Ça peut marcher! »

[Voilà le chapitre que j'avais espéré publier dimanche ou lundi. Il a été difficile à terminer. La deuxième moitié m'a donné beaucoup de fil à retordre. Les pensées d'Ariane, ses hésitations, sa déception, puis sa décision de donner encore une chance à Julien. Comme tout se passe dans sa tête, c'était affreusement statique et j'ai eu beaucoup de peine à rendre ça vivant. J'espère que le résultat vous plaît, en tout cas je n'ai pas ménagé les efforts^^]

[Prochain épisode vendredi le 12 mai à 16h00 Europe (CET) et Afrique centrale (CAT), 15h00 Afrique de l'ouest (WAT) et Greenwich (GMT), 10h00 Amérique (EST) Portez-vous bien, tou.te.s, merci de me lire et merci aussi pour les commentaires et les votes<3<3<3]

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