Épisode 46

David s'assoit sur le divan et désigne à Ariane la place près de lui, mais elle choisit un fauteuil et il paraît déçu. L'adolescente doit se forcer pour lui sourire, tandis qu'elle cherche les mots les moins douloureux.

Elle n'a aucune expérience des ruptures, à part celles qu'elle a vues dans les séries. Va-t-il répondre qu'il s'en fout? Qu'il est content d'être débarrassé d'elle? Être compréhensif et s'en aller rapidement? Ou va-t-il s'accrocher?

- Mon père ne veut plus que je te vois, déclare-t-il.

- Pourquoi es-tu venu ici, alors?

- Comme si je le laissais contrôler ma vie! Il dit n'importe quoi. Il t'accuse d'avoir prévenu le traître devant nous et d'avoir caché des choses à la police. Je lui ai dit que tu ne ferais jamais ça. Tu es honnête comme une betterave.

- David... dit Ariane.

Le visage du garçon se tord d'inquiétude et il se dépêche de lui couper la parole.

- Ce que nous avons vécu a été très difficile pour notre couple, déclare-t-il. Ton enlèvement, la menace sur ma vie, les fausses accusations qu'on aurait volé la technologie derrière la fibre optique... Mais ta mère m'a donné une super-bonne idée. On va faire un voyage de rêve en Jamaïque, toi et moi. Hôtel de grand luxe, restos incroyables, excursions en hélicoptère, rafting, équitation, baignades dans des chutes d'eau... Un voyage de milliardaire, Ariane! Rien de mieux pour guérir nos blessures! Je serai tout le temps avec toi et je te gâterai autant que je pourrai.

Pauvre David. Lui qui sort avec elle depuis plusieurs mois, comment peut-il si mal la connaître? Ariane déteste ce genre de voyages qui massacrent notre planète, mais ils représentent exactement ce que sa mère adore. Pas surprenant qu'elle ait eu cette idée.

- Ça ne serait pas correct que j'accepte, dit-elle.

- Pourquoi?

- Nous devons regarder la réalité en face.

- Quoi?

Elle réalise que sa voix a durci et essaie d'adopter un ton plus gentil.

- Je ne suis plus amoureuse de toi, David.

- Qu'est-ce que tu dis?

- Nous ne devons plus sortir ensemble. Il faut passer à autre chose.

Il se met à rire, se lève et essaie de l'embrasser.

- Tu es amoureuse de moi.

- Arrête!

Elle le repousse et se lève aussi. La colère déforme les traits du garçon.

- Comment peux-tu me traiter comme ça? demande-t-il. Après tous mes cadeaux, tout ce que j'ai fait pour toi? Sans moi, tu n'es rien!

La phrase perce Ariane jusqu'à l'os.

- C'est comme ça que tu me vois, David? Comme une nullité qui prend de la valeur parce que je sors avec toi?

Il se détourne, ouvre la bouche, la referme, et murmure:

- C'est le contraire. C'est moi qui ne suis rien sans toi.

Son visage exprime le désespoir et Ariane souffre avec lui. Mieux aurait valu qu'ils ne se connaissent pas. Non, ce n'est pas vrai. Ariane ne regrettera jamais d'être sortie avec lui car ça l'a menée à Julien.

Un instant, elle pense à l'ancien garde du corps. Elle voudrait être avec lui.

- C'est ton enlèvement qui t'a détraqué l'esprit, dit David. Donne-nous quelques semaines. On va continuer de sortir ensemble et tout va redevenir comme avant.

- Ce que je ressens est clair, réplique-t-elle. Et toi, tu vas pouvoir rencontrer une fille qui va vraiment t'aimer.

- Je ne veux pas. Je ne suis pas capable.

- Maintenant, tu dois t'en aller.

- Non.

Lui qui ne montrait pas beaucoup son affection, il paraît au bord des larmes. Ariane voudrait adoucir sa peine. Elle s'avance, l'enlace, ils échangent un dernier baiser, puis elle le prend par la main et le guide hors du salon. David la suit comme un automate.

Au moins, il ne lui a pas parlé du syndrome de Stockholm et de Julien. Caroline attend dans le corridor et son visage s'éclaire en les voyant se tenir par la main.

- Vous partez quand? demande-t-elle.

- David et moi allons nous séparer, annonce Ariane.

Sa mère ouvre grand les yeux et hausse les sourcils.

- Voyons donc! Tu étais très amoureuse de lui jusqu'à ton enlèvement! Qu'est-ce qui te passe encore par la tête?

Ariane mène David au vestiaire et lui tend son manteau. Au lieu de le prendre, il se met à genoux.

- Ariane Laforest, dit-il, veux-tu m'épouser?

« Non, mais c'est pas possible! » pense-t-elle.

Elle le fixe en silence et cherche une stratégie, une idée, n'importe quoi.

- Je sais que tu vas me rendre heureux, continue-t-il. Tu es spéciale, personne ne te ressemble.

- David! Je ne veux plus sortir avec toi!

- Je sais que tu m'aimes. Et je t'aime aussi.

- Je ne t'aime plus! Et puis, ton père ne voudra jamais de moi.

- Je vais le convaincre!

- Vous avez bâti votre fortune sur un vol, David. Je ne peux pas accepter ça.

Le visage de son ex change. Il regarde Ariane avec colère.

- C'est faux! Complètement faux!

Elle ne sait plus comment le faire partir et se tourne vers sa mère pour obtenir de l'aide. Ce qu'elle voit l'horrifie.

Des larmes coulent sur le visage de Caroline. Des larmes de joie. Sa mère sourit avec béatitude, au comble de la fierté.

Ce mariage, entre sa fille et la famille la plus riche d'Outremont, c'est le rêve de sa vie. Bien sûr, elle imagine l'église St-Viateur remplie de gens importants, avec Ariane plus belle que jamais dans sa robe blanche et les journalistes qui prennent des photos.

Sa fille n'aime plus David et veut se séparer, mais ça n'a pas d'importance pour Caroline si son rêve se réalise.

Avec un frisson, l'adolescente comprend ce qu'elle n'a jamais voulu comprendre et voit ce qu'elle n'a jamais voulu voir.

Elle tend à Caroline le manteau et dit à David:

- Le mieux est d'arrêter les contacts. Ça sera moins difficile.

Elle se dirige vers l'escalier. Il va bien se décider à partir.

Au moment de gravir les marches, elle se retourne. David s'est relevé. Caroline l'enlace pour le réconforter et il regarde Ariane.

Quand leurs yeux se croisent, ce n'est pas de l'amour qu'elle lit. C'est de la rage.

Elle monte dans sa chambre, referme la porte et s'appuie de tout son poids dessus.

Quel horrible moment elle vient de passer!

Ce qu'elle vient de lire dans les yeux de David la bouleverse, mais elle se dit que la colère est proche de l'amour et que sa souffrance s'exprimait ainsi.

C'est l'attitude de sa mère qui l'a traumatisée et le choc résonne encore même si, dans le fond, elle n'est pas vraiment surprise. Si Caroline pleurait de joie à cause de la demande en mariage, c'est parce qu'elle espère qu'Ariane va l'accepter.

« Ce que je ressens n'a aucune importance pour elle » se répète-t-elle.

« Elle ne m'aime pas. Elle ne m'a jamais aimée. » Caroline veut un mariage avec les Poulin pour engraisser son ego. C'est pour sauver la cérémonie qu'elle réconfortait David.

Des souvenirs d'enfance lui remontent en tête. Sa mère qui choisit ses vêtements, qui l'aide à faire ses devoirs, qui la console, mais toujours comme un travail. Élever sa fille, c'était comme aller à un 5 à 7 avec des clients potentiels. Les besoins d'Ariane ont souvent exaspéré Caroline, si bien qu'elle a appris à les masquer.

« Je n'ai pas de mère, se dit-elle. Je n'en ai jamais eu. » Oui, Caroline l'apprécie et lui jette des miettes d'amour, mais c'est conditionnel à son obéissance. Les miettes d'amour de Caroline, c'est le poisson que la dresseuse jette à l'otarie.

« Je suis comme le frigo de la cuisine. Un objet. Je l'ai toujours été, mais je ne voulais pas le voir parce que j'ai besoin d'affection. » Et la maudite psychologue, qui répétait qu'Ariane avait tout pour être heureuse et blâmait sa tendance à l'autodestruction, la poussait à s'illusionner.

Julien lui a appris ce qu'est le véritable amour. L'ancien garde du corps n'est pas là, mais il est plus présent que jamais.

L'indignation monte en elle, contre Caroline, David, tout ce quartier plaqué or. Ces rues et ces gens la rendent malheureuse et empoisonnent son jugement. Ariane doit s'extraire de cette pollution.

Elle en a le droit. Elle va avoir dix-huit ans dans quelques jours.

Elle appelle une amie de Greenpeace qui habite dans un grand appartement, explique qu'elle s'est chicanée avec sa famille et lui demande d'être hébergée le temps de se trouver un logement. L'amie accepte avec plaisir.

Ariane a de l'argent de côté et, avec la pénurie de main-d'œuvre, un emploi sera facile à trouver. Elle ressent le besoin de se purifier de son ancienne vie et commence à trier ses affaires pour choisir ce qu'elle va emporter. Presque rien, se dit-elle. Elle va abandonner la plus grande partie de ce qu'elle possède.

Les boucles d'oreille reposent sur son bureau et les voir la met en colère. Que faire de ça? Les renvoyer aux Poulin? Ariane sort dans le corridor et dépose la boîte sur le lit de sa sœur, avec un mot. « J'ai cassé avec David. Je te les donne. » En retournant dans sa chambre, elle tâte, sous son chandail, le pendentif de la tante de Julien, qu'elle porte en permanence à son cou.

Elle passe en revue les livres de sa bibliothèque, qu'elle va laisser derrière, et voit Les gens de Mogador, qu'elle ouvre. Les outils qui lui servaient à se mutiler sont là: lame de rasoir, couteau, aiguille. Ariane a changé. Peut-être que le reste de sa vie sera un désert et qu'elle ne reverra jamais l'homme qu'elle aime, mais elle se sent forte. Plus jamais elle ne se mutilera. Elle jette le livre creux et les instruments dans la poubelle.

On frappe à la porte.

- Je dois te parler, fait la voix de sa mère.

Ariane se crispe. Un moment difficile s'en vient.

[prochain épisode vendredi le 7 avril à 16h00 Europe (CET) et Afrique de l'ouest (WAT), 15h00 Greenwich (GMT), 10h00 Amérique (EST) Merci à tou.te.s. pour votre lectures, vos commentaires et vos votes, je vous jure que ça m'encourage énormément <3<3<3]


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