Épisode 44
Ariane fige, la tête ravagée par la surprise, puis elle se détourne de Julien et feint de ne pas se soucier de lui. À cause de la présence du deuxième garde du corps, elle doit paraître insensible.
C'est O, l'ancien professeur d'éducation physique qui ressemble à un animateur pour le troisième âge, et il regarde Julien avec un certain étonnement.
Alors Ariane le regarde aussi. Julien s'est détourné d'elle et une vulnérabilité inhabituelle se lit sur ses traits.
Leurs yeux s'attirent et une flamme passe dans ceux de Julien. Il a figé et l'observe avec une intensité troublante. Est-ce que ça veut dire qu'il l'aime? Qu'il s'est ennuyé d'elle? La largeur de ses épaules frappe l'adolescente, qui se sent tourbillonner. L'émotion est trop forte, trop rapide. Ses jambes ramollissent et une boule se forme dans son ventre.
Son cœur lui hurle d'aller vers lui et son cerveau lui ordonne de feindre l'indifférence. O les regarde alternativement, l'un et l'autre.
— Je croyais que tu ne travaillais plus pour les Poulin, dit-elle.
— J'ai eu la gastro, marmonne Julien. J'ai repris mon travail seulement hier.
Son visage se ferme, la colère l'assombrit et il se désintéresse d'elle. La jeune fille enlève son manteau et l'accroche dans le vestiaire.
Son besoin d'être enlacée rugit. Elle voudrait que tout soit simple, que la police ne menace pas Julien, qu'il lui parle, qu'il la touche.
Son âme se déchire tandis qu'elle s'éloigne.
Il a repris son travail de garde du corps et elle comprend son raisonnement. C'est encore un de ces risques insensés dont il raffole. Il a réalisé que la police ne l'avait pas identifié, a deviné qu'Ariane l'avait couvert et s'est imaginé qu'il pouvait encore tromper tout le monde.
Comment l'avertir qu'il va être identifié d'une heure à l'autre?
Ses parents se trouvent au salon, en compagnie de David et de M. et Mme Poulin, et tous lui sourient.
— Notre invitée d'honneur arrive enfin! dit M. Poulin.
— Où étais-tu passée? demande David.
Son visage s'est illuminé. Ariane ne sait pas quoi répondre. Sa tête est vide. Le choc a brûlé la forêt de ses pensées.
— Bonjour à tous, dit-elle. Je... Je ne m'attendais pas à vous rencontrer.
David se lève et l'enlace tandis que sa mère les regarde d'un air extasié.
— M. et Mme Poulin sont venus prendre de tes nouvelles!
— Je vais bien, dit Ariane.
Essayant de trouver un moyen pour prévenir Julien en cachette de l'autre garde du corps, elle s'assoit.
La table à café supporte un gâteau, une cafetière, un pichet de jus et des fruits et Ariane n'arrive pas à comprendre pourquoi son père n'est pas au travail et ce qui a donné à ses parents l'idée de se préparer à une visite. Sa mère l'interroge.
— Tu étais supposée passer l'après-midi ici. Où étais-tu?
— Les policiers sont venus me chercher pour me poser d'autres questions.
— Qu'est-ce qu'ils voulaient savoir? demande David.
— Ils... Ils vérifient des détails.
Les Poulin ne manifestent ni émotion ni intérêt. Ils ne soupçonnent pas qu'Ariane protège ses ravisseurs.
Une idée idiote lui vient. Elle voudrait que Julien pénètre dans la pièce, la prenne dans ses bras et l'emporte. Il tient à elle. Son trouble, quand elle est entrée dans la maison, l'a montré.
— Tu veux du gâteau? demande son père.
— Il est excellent, ajoute Mme Poulin. Et je vais te servir une tasse de café.
Quand elle la dépose devant Ariane, sa main tremble. Mme Poulin a beaucoup changé. Sa peau a une teinte maladive et de petites rides sont apparues autour de sa bouche, elle qui multiplie les efforts pour contrôler son apparence. Elle est à bout.
Son mari est cerné comme s'il ne dormait plus et ses épaules tombent, mais on le sent encore solide.
— J'espère que la police va rapidement arrêter les criminels, dit la mère d'Ariane. Le cauchemar doit se terminer.
— Ma fille et moi pensons nous installer en Floride quelque temps, dit Mme Poulin. Jusqu'à ce que cette affaire se calme.
— Elles m'abandonnent, plaisante M. Poulin.
Mais il décoche un regard destructeur à son épouse. David contemple Ariane avec ravissement, aucunement concerné par les frictions entre ses parents.
Ariane comprend soudain d'où sort le gâteau et pourquoi son père n'est pas au travail. Bien sûr, les Poulin avaient annoncé leur visite et ses parents ne l'avaient pas prévenue.
Son cerveau s'est remis à fonctionner et une idée pour prévenir Julien apparaît. L'adolescente va se lever pour la réaliser, mais M. Poulin dit quelque chose à sa femme, qui sort un paquet d'un sac.
— Un petit quelque chose pour t'exprimer notre affection et notre soulagement de te voir en si bonne santé, dit M. Poulin.
Ariane se rappelle l'oncle de Julien, qui s'imaginait avoir une très belle relation avec cet homme et qui a été trompé. Il a dû entendre ce genre de belles phrases, lui aussi, avant de se pendre dans son sous-sol. M. Poulin manipule habilement les éloges et les signes de respect, mais il n'hésitera jamais à écraser ceux qui lui nuisent. « Comme moi en ce moment » pense Ariane.
Tout est de sa faute. C'est lui le coupable.
Ses parents la regardent d'un air attendri déballer le cadeau. Le paquet contient de magnifiques boucles d'oreille.
— Elles sont superbes! s'écrie Caroline.
— C'est une création de Luc Marat, dit Mme Poulin.
Bien sûr. Le joaillier à la mode dont toutes les pièces sont hors de prix. La boîte contient aussi une carte. « Parce que tu comptes tellement pour nous. »
— Merci, dit Ariane.
Son regard croise celui de M. Poulin, qui l'observe avec attention. Il la décode, réalise Ariane. Il voit son indifférence pour le cadeau, son inconfort envers David et sa rancœur envers lui. Sa femme ne se soucie pas de ce qui se passe. Seuls David et les parents d'Ariane sont excités.
— Elles sont aussi belles que toi, dit David.
— Elles sont sublimes! renchérit Caroline. Est-ce que je peux les toucher?
Ariane les lui tend, puis se lève.
— Excusez-moi. Je dois aller au petit coin.
M. Poulin se lève aussi.
— Nous devons partir.
Ariane prend le papier d'emballage, va dans la pièce d'à-côté et trouve un crayon.
— Qu'est-ce que tu fais? lui demande David, qui l'a suivie et qui essaie de l'enlacer.
— Rien, dit Ariane en le repoussant. Excuse-moi, j'ai vraiment envie.
— Moi, c'est de toi que j'ai envie!
Elle s'enferme dans la salle de bains, déchire un morceau du papier d'emballage et écrit: « La police a trouvé le mobile des fibres optiques. Tu vas être identifié d'une heure à l'autre. »
Quand elle sort, David l'attend, avec la même tête que son père quand sa mère parlait de s'installer en Floride. Pour éviter une dispute, elle le laisse l'embrasser. C'est un supplice.
Comparé à Julien, il n'a rien. Ni charisme, ni sensualité, ni principes. Elle pense à un drap qui recouvre le vide.
— Tu viens, David? appelle sa mère.
— Oui oui.
Ariane le suit. Les Poulin ont déjà leur manteau et attendent leur fils, près de deux gardes du corps, l'ancien prof d'éducation physique et celui qui se trouvait à l'extérieur. Avec désespoir, Ariane réalise que Julien n'est plus là.
L'ancien professeur d'éducation physique est nerveux. David passe son manteau et ses bottes.
— Tu viens me visiter bientôt? demande-t-il.
— D'accord, ment Ariane.
Les deux gardes du corps entourent les Poulin et le groupe sort de la maison.
Malgré le froid, Ariane les suit. Julien se tient près d'un des VUS. Le dos tourné, il surveille la rue. Ariane attend que M. Poulin et sa femme arrivent aux véhicules.
— Un instant! s'écrie-t-elle.
Elle descend les marches, tandis que le garde du corps inconnu proteste que ce n'est pas sécuritaire. Julien lui tourne toujours le dos. Impossible de lui passer le papier.
— J'ai oublié de vous dire que la police m'a parlé d'une piste pour l'enquête, explique Ariane. Ils ont identifié le mobile. Ça serait quelqu'un qui vous reprocherait le vol de l'invention de la fibre optique.
M. Poulin ouvre grand les yeux, la bouche, et il fige. On dirait un cadavre.
— N'importe quoi, dit David.
Il échange un regard avec son père. Serait-il au courant?
— Je voulais juste vous informer, continue Ariane. L'inventeur est mort mais les policiers pensent que ça vient d'un ami ou de sa famille.
— L'inventeur, c'est moi, crache M. Poulin. La fibre optique a été mise au point dans mes labos.
Il est en colère, mais Ariane ne s'en soucie pas. Julien s'est retourné et la regarde. Pendant une seconde, l'amour et la reconnaissance apparaissent dans ses yeux.
Il tient son téléphone.
— Excusez-moi, dit-il. Le patron vient de me texter. Je dois rentrer au bureau de toute urgence.
— Viens avec nous chez les Poulin, dit O. On te déposera ensuite.
— Ça ne peut pas attendre. Je vais trouver un taxi.
Après un instant, il ajoute:
— J'ai fait une erreur. Je vais tout arrêter.
— Quoi? demande O.
Julien s'éloigne à pied et disparaît. Ses deux collègues se regardent sans comprendre.
— Pourquoi est-ce qu'il est parti comme ça? demande l'ancien professeur d'éducation physique. Et c'est quoi, cette erreur et ce qu'il veut arrêter?
[prochain épisode vendredi le 24 mars à 16h00 Europe (CET) et Afrique de l'ouest (WAT), 15h00 Greenwich (GMT), 10h00 Amérique (EST) Merci à tou.te.s. et j'espère que l'épisode vous a plu^^ L'écriture a été intense XD]
[je ne sais pas si quelqu'un.e l'a remarqué, mais le garde du corps qui est un ancien prof d'éducation physique a changé d'initiale. Il était J, mais c'était mélangeant avec Julien alors je l'ai rebaptisé O. Désolée pour la confusion.]
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