Épisode 41

L'espoir disparaît quand Ariane regarde l'écran du téléphone. L'appel vient de son père. Et puis il lui parle et tout redevient rose et lumineux.

— Tu as de la visite, dit-il. Est-ce que tu peux descendre?

Le cœur qui cogne, tentant de paraître imperturbable, l'adolescente sort de sa chambre et se dirige vers l'escalier. Elle a vraiment besoin de voir Julien.

Ses parents se tiennent dans l'entrée et discutent avec le visiteur. Ariane se glace.

— Le sergent-détective Montesi a besoin de toi, dit sa mère.

Orang-outang se tient devant la porte, dans un manteau crème dont l'élégance contraste avec ses lèvres minces et son nez épaté. Il tente de paraître penaud.

— Je sais qu'il est tard, mais j'ai pris une chance que vous soyez encore debout. C'est pour l'enquête.

— Nous sommes prêts à tout faire pour vous aider, dit le père.

Un éclair de colère traverse les yeux du détective.

— Les ravisseurs de votre fille ont frappé aujourd'hui.

La peur est un spectre et il agrippe Ariane. Quelle connerie a fait Julien? Sa mère propose au détective d'entrer, mais il refuse.

— Je ne vais pas vous déranger longtemps.

— Qu'est-ce qui s'est passé? demande Ariane.

Sa voix est étranglée et ses pensées bouillonnent. L'oxygène est insuffisant.

— Aujourd'hui, explique le détective, M. Poulin s'est rendu au travail comme il le fait tous les jours depuis le début de cette histoire. Dans son auto, en compagnie de son fils et de deux gardes du corps. Ils vont de la maison au bureau et ne s'arrêtent jamais en chemin. Le soir, ils font le trajet inverse.

Ariane et ses parents se taisent.

— Pour des raisons de sécurité, continue le détective, son auto est surveillée durant la journée, dans le stationnement souterrain du gratte-ciel où il travaille. Aujourd'hui, M. Poulin ne se sentait pas bien et il a décidé de rentrer à la maison plus tôt que d'habitude. L'auto n'était pas vide. Quand ses garde du corps et lui ont ouvert la portière, ils ont trouvé un cadavre à l'intérieur.

La mère pousse un cri.

— Qui? demande Ariane.

— Un ami de M. Poulin. Avec une pancarte autour du cou. « Mort aux porcs ».

Ariane gémit. Orang-outang lève des bras apaisants.

— Il n'a pas été assassiné. L'homme est décédé hier de causes naturelles. Il avait choisi de mourir à la maison et deux personnes se sont présentées avec un corbillard volé en prétendant venir du salon funéraire. La famille n'y a vu que du feu.

— Ça ne tient pas debout! s'écrie la mère. Comment les criminels savaient-ils que son ami était mourant et qu'il était resté à la maison?

— Il faut croire qu'ils espionnent M. Poulin et qu'ils ont aussi espionné son ami. Mais j'avoue que ça soulève des questions. On dirait qu'ils sont proches. Étrangement proches.

— Comment ont-ils pu mettre le corps dans l'auto si elle était surveillée? demande le père.

— Eh bien, l'auto n'était pas si surveillée que ça. Elle était stationnée devant le bureau où travaillent les responsables du parking et ils ne devaient pas la perdre de vue. Mais, le midi, ils prennent une pause chacun à leur tour alors il ne reste qu'un employé. Il a été obligé de quitter son poste à cause d'une urgence deux étages plus bas. L'antivol d'une auto qui s'était déclenché.

— Où avait été placé le corps? demande le père.

Ariane frémit. La question est sordide.

— Ils ont simplement ouvert le coffre et l'ont glissé par-dessus les sièges, explique Orang-outang. Ils n'avaient pas tellement le choix. La rigidité cadavérique, vous comprenez.

— Ils sont fous! dit la mère.

— Voler un cadavre pour intimider une victime, continue Orang-outang, c'est exceptionnel. En vingt ans de carrière, je n'ai jamais vu ça. Mais ils prennent beaucoup de risques et ça va se tourner contre eux.

Il examine Ariane.

— Tu es bien silencieuse, observe-t-il.

L'adolescente avale péniblement sa salive, sans savoir quoi répondre.

— Je suis venu te voir pour te demander un effort supplémentaire de mémoire, continue-t-il. M. Poulin a été très affecté. Il n'avait pas été mis au courant du décès de son ami et a reconnu son visage en ouvrant la portière.

— Je comprends, dit-elle.

— Ce qui a ajouté à son choc, c'est que le cadavre avait commencé à sentir.

— Vous n'êtes pas obligé de me donner ces détails-là! proteste Ariane.

— Évidemment, le corps et la pancarte constituent une menace. M. Poulin est en danger de mort.

— Il est protégé par ses garde du corps.

— Tes ravisseurs sont habiles. S'ils sont capables de mettre un mort dans une auto surveillée, ils sont capables de beaucoup de choses. Nous allons tout mettre en œuvre pour les neutraliser, mais ils pourraient bien réussir. Tu as passé plusieurs jours en leur compagnie, c'est impossible que tu n'aies pas remarqué un ou deux détails qui pourraient nous aider.

— Je vais essayer de m'en souvenir, dit Ariane.

— Je sens que tu pourrais nous donner de bonnes informations si tu te forçais un peu, dit le détective.

Elle tressaille. Devine-t-il qu'elle leur cache la vérité? Son père et sa mère les regardent sans comprendre.

Le cadavre qui sent, c'est trop affreux. Ariane doit agir pour stopper Julien. Elle ouvre la bouche... puis la referme.

— La ministre de la sécurité publique suit l'enquête de près, continue Orang-outang, et elle a appelé mon patron pour exiger des résultats. Elle est très énervée. Il parait qu'elle a beaucoup parlé de toi.

Ariane tremble. Au moment où il va partir, elle s'avance vers le détective, sans trop savoir pourquoi, et serre sa main. Il sourit avec bienveillance. Lui n'est pas énervé. Il sait qu'Ariane va agir de la bonne façon.

Elle remarque ses oreilles en chou-fleur. Il doit avoir été lutteur et pourtant il est la douceur incarnée.

Il quitte la maison. Ariane remonte dans sa chambre et s'y enferme.

Elle se sent mal. Ses émotions partent dans tous les sens et la déchirent. Elle s'imaginait que Julien allait se calmer, mais il continue.

Voler un cadavre et le mettre dans une auto pour effrayer M. Poulin. C'est dégoûtant.

Le pendentif de la tante repose sur le bureau. Ariane le prend et le regarde. Julien n'a pas répondu à son appel.

Merci, ça voulait dire « merci d'avoir sauvé mon cul pour que je puisse assassiner le père de ton chum comme prévu ».

De toutes ses forces, elle lance le pendentif contre le mur.

Le couvercle tombe. La sphère s'ouvre, la pile est éjectée et les composants électroniques apparaissent. Effrayée, Ariane ramasse les morceaux, replace les fils, la pile et le couvercle. Elle se demande si l'appareil fonctionne encore. C'est le seul lien qui reste avec Julien et elle ne peut pas risquer de le perdre.

Une pression douloureuse l'empêche de respirer normalement. Ariane a besoin de discuter de la situation avec quelqu'un pour s'en libérer. Mais si ça ne peut pas être son ravisseur, qui est-ce que ça peut être? Charlotte? Sa mère?

Elle doit trouver un moyen de joindre Julien et de le convaincre de ne pas commettre l'irréparable. Il doit bien en exister un.

Le lendemain, elle craque et parle de lui.

[prochain épisode vendredi le 3 MARS à 16h00 Europe (CET) et Afrique de l'ouest (WAT), 15h00 Greenwich (GMT), 10h00 Amérique (EST) Merci à tou.te.s et bonne semaine^^]



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